Cela faisait une semaine que j’avais bouclé l’enquête sur le meurtre de mon voisin et depuis, aucune autre affaire n’était tombée sur mon bureau mise à part l’histoire d’une secte. En règle générale, ce n’était pas mon service qui s’en occupait mais une personne avait été tuée. Une SDF. Aucune famille donc aucune personne venue réclamer le corps. Une mort dans l’indifférence la plus totale, sûrement que la mienne ressemblerait à celle-là. Quoiqu’il en soit, l’enquête n’était pas prioritaire mais j’en avais fait la mienne. Quelle était cette secte ? Pourquoi tuer une innocente ? Avait-elle cherché à en sortir ? Pour l’instant, je n’avais aucune réponse à apporter si ce n’est une photographie où la jeune femme semblait souriante à côté d’une autre femme. Une blonde au regard aussi innocent que joyeux que celui d’une enfant sauf qu’elle devait avoir plus d’une vingtaine d’année. Au dos de la photographie, il y avait une simple date avec un prénom : Willow. L’affaire s’avérait compliquée et dans un sens, cela me plaisait. Cette Willow semblait être la clé de ce mystère et je m’étais lancé à sa poursuite mais dans New York, c’était comme rechercher une aiguille dans une botte de foin. Inutile de compter sur les collègues, aucun ne m’accordait du respect depuis la mort de mon ancien coéquipier : flic ripoux, alcoolique, j’étais pour la plupart, déjà fini mais je les emmerdais car je restais encore celui avec le taux de réussite le plus exceptionnel du service. Merci à ma mémoire hors norme qui me permettait de garder en tête le moindre détail, la moindre parole, le moindre visage sans les oublier. Des fois, c’était une vraie plaie surtout quand je revoyais en songe, l’expression hagarde de ma petite sœur, morte sous mes yeux mais des fois, cela s’avérait utile. Chacun avait une croix à porter, la mienne était mon don exceptionnel. Chacun sa merde, telle était ma devise. Tout d’un coup, une sourde douleur me saisit la poitrine. Merde, pas maintenant pensais-je avec agacement tandis que je me retrouvais sujet à une crise d’angoisse. J’en faisais souvent depuis des années, il fallait juste que je pense à autre chose, que je respire calmement mais au beau milieu de Central Park, avec tout ce monde qui profitait du printemps, autant me tirer une balle dans la tête. D’une démarche titubante, j’allais m’écrouler sur le premier banc que je trouvais, une main sur mon torse, essayant de faire passer cette merde d’angoisse. Une ombre vint me camoufler le soleil et je grognais, avec difficulté ❝ Foutez-moi la paix ! Qu’on me laisse crever en paix ❞

L’air semblait me manquer mais de tout de manière vu la douleur atroce que je ressentais dans mon thorax à chaque respiration, ne plus respirer semblait être une option somme toute envisageable tandis que je sentais les muscles de mon dos se tendre de façon à ce que je me demandais comment ils faisaient pour ne pas péter. Terrasser par une crise d’angoisse, la situation prêtait à rire mais j’avais depuis bien longtemps compris que c’était une façon pour mon esprit de me faire passer les messages. Trop de pression, trop de pensées, trop de regret, ma vie se résumait à un ramassis de trop. Alors, avisant un banc, je me laissais choir dessus, attendant que la crise passe en essayant de penser à des choses agréables mais il était rare que je trouve quelque chose de bon en moi. Il n’y avait rien, plus de rire, plus de bonheur simple, juste une succession d’échec et je sentais que cette enquête en serait une de plus à rajouter à la longue liste. Pourtant, réussir à faire mon boulot était bien la seule chose dont je pouvais être fier car quoi qu’en dise mes collègues, j’étais un bon enquêteur. J’avais commis des erreurs comme tout être humain mais ce n’était pas dans ma nature que de les avouer ou même de me repentir. Les regrets oui, les remords non. Et il y avait bel et bien un gouffre entre les deux. Néanmoins, comme une connerie n’arrive jamais seule, il fallait qu’une personne juge bon de s’approcher de moi pour jouer au bon samaritain. Décidément, je ne pouvais pas avoir la paix cinq minutes sans qu’on vienne me casser les couilles. Oui, je souffrais et alors ? J’avais pas gueulé au secours alors pourquoi venir me faire chier ? Toutefois, ce fut la surprise qui me laissa sans voix. De toutes les personnes de la terre, il fallait que je tombe sur Blaithin, mon amie d’enfance, la seule que je ne pouvais envoyer chier sans ressentir de la culpabilité. Je l’aimais bien et dans ma tête, aimer bien une personne, c’était la traiter correctement. Pourtant, l’envie de l’envoyer paitre était forte surtout quand elle se mit à parler dans notre langue natale. De tous les irlandais, je devais être un des rares à ne pas vouloir me rappeler du pays. Trop de malheur. « Tá mé breá breá. Mé tan ar an ghrian, nach bhfuil sé le feiceáil? » (Je vais parfaitement bien. Je bronze au soleil, cela ne se voit pas?) Répondis-je néanmoins avant de soupirer « Crise d’angoisse » en anglais cette fois-ci. Blaithin, depuis qu’elle me connaissait, était habituée alors je n’avais pas besoin de lui dire grand-chose. « Toujours à voler au secours de la veuve et de l’orphelin ? » lui demandais-je bien que c’était mal venu de dire cela aux vues de sa situation « Désolé, dure semaine »

« Il parait que c’est le miens aussi ! Servir et protéger telle est la devise des flics de New York » lâchais-je ironiquement, totalement inconscient de la propre douleur de mon amie sinon, j’aurais fait quelque chose. Enfin je crois. Rien n’était moins sûr en ce qui concernait mes réactions. La plupart du temps, je passais mon temps à envoyer chier le autres, les gardant de ce fait à l’écart de ma vie. Il faut dire que je ne voulais pas que la cagnotte ne s’élève encore. 515$ que je conservais précieusement dans une boite pour me rappeler des deux vies que j’avais gâchées. Le premier s’appelait Mark et était un honnête flic de New York, jeune et bourré d’avenir, moi, j’étais déjà cynique et parfaitement au courant des magouilles de certains flics puisque j’en faisais largement partie. J’étais à cette époque ce qu’on appelait un flic ripoux, de ceux qui acceptent les pots de vins pour améliorer le quotidien tout en fermant les yeux sur certains trafics. Mark lui, il voulait sauver tout le monde et le révolutionner. Connerie d’idéaliste et de jeune premier. J’avais essayé de lui faire comprendre qu’ici, cela ne fonctionnait pas ainsi mais il n’a rien voulu savoir et depuis, j’avais sa mort sur la conscience. Je ne l’ai pas tué, pas directement. Non, c’est une foutue arme que j’avais « oublié » d’enregistrer contre un peu de fric. 500$ voilà le prix de la vie de Mark Svenson. La deuxième, ce fut Sarah, ma femme. J’avais sombré dans l’alcool après la mort de Mark et elle n’avait pas supporté ma déchéance, me quittant avant de de sombrer avec moi. Je l’aimais même plus que ma vie alors j’avais essayé de m’en sortir sous ses encouragements mais le soir où elle avait décidé de me redonner une chance j’ai replongé. Hasard du calendrier, il s’agissait du premier anniversaire de la mort de Mark et j’ai succombé à cet appel insidieux de la bouteille, m’endormant comme un rat crevé sur mon bureau. Inquiète, seule au restaurant, elle a pris la voiture pour me rejoindre mais elle n’est jamais arrivée à destination. Ironie de l’histoire, un chauffard ivre l’a tué. Percutée de plein fouet par un camion. Sarah était morte, par ma faute. 15$ voilà le prix de sa vie. Le prix de ma bouteille de scotch. Voilà les deux vies que je conservais précieusement dans ma cagnotte morbide. « Il n’y a rien à dire et tu le sais aussi bien que moi. J’enquête sur une secte et mon seul témoin est une gamine dont je n’ai que le prénom » soupirais-je avant de porter mon attention et de froncer les sourcils « Dis que je pue pendant que tu y es ! Je prends une douche tous les jours et mon imper sort du pressing » râlais-je avant de constater qu’elle n’avait pas très bonne mine « Qu’est-ce qui se passe Blaith’ ? Tu ne vas pas me claquer entre les doigts quand même ? » Et mon visage laissa place à une vive et sincère inquiétude. Autant je pouvais être un crevard autant, pour cette femme, je pouvais redevenir un ange. « Tu veux que je t’amène à l’hosto ? » repris-je ma crise d’angoisse étant subitement passée tant mon esprit été accaparé par l’état de mon amie.

Complétement anesthésié, je sentais ma verve assassine mourir en songeant par quoi était passée mon amie. Une grossesse et un veuvage et j’avais fait quoi dans l’histoire ? Rien comme d’habitude. Le jour où je serais un homme fiable sur qui quelqu’un pourra compter, les poules auront des dents. « Je suis.. » commençais-je. Désolé ? Toutes mes condoléances ? Franchement c’était le genre de chose qu’on sortait car on ne savait pas quoi dire d’autre. « Tu t’en sors ? Je sais que je suis pas le mieux placé pour te donner un coup de main mais si c’est le cas.. Enfin j’habite toujours à la même adresse » lui proposais-je à la place. Je n’étais pas doué avec les autres dans la mesure où je me foutais de leur vie la plupart du temps mais Blaithin était une amie et à ce titre, elle méritait mieux que mon indifférence teintée d’ironie. «Oui, tu auras le droit à la sirène si ça te fait plaisir espèce de gamine » râlais-je même si le sourire en coin que j’arborais en disait long sur mon amusement face à sa question. Il y avait bien qu’avec elle que je pouvais me sentir comme léger. Blaithin avait toujours eu cette sorte d’emprise sur ma personne, me rappelant un peu ma Sarah. « Ok mais si je vois que tu vas pas bien, c’est par les cheveux que je te ramène chez toi » soupirais-je encore légèrement inquiet car malgré tout, j’y connaissais rien aux grossesses. Sarah et moi n’avions jamais évoqué la possibilité d’avoir un enfant et puis maintenant, il était trop tard. Je me faisais trop vieux pour ses conneries bien que je n’avais que trente-six ans mais autant être honnête, les adoratrices d’épave tel que moi ne courraient pas les rues. « Pour en revenir à mon enquête, je n’ai qu’une photo et un prénom. Willow. Apparemment, elle appartiendrait à la secte de la lune tout comme ma victime. Ce mouvement est connu pour trouver ses adeptes dans les facs et autres universités. D’après mes informations, elle serait SDF ce qui complique mes recherches car va trouver une gamine perdue dans New York, c’est comme rechercher une aiguille dans une botte de foin. Aucun avis de recherche, à croire que personne ne s’inquiète pour elle » expliquais-je à mon amie sans me douter que cette Willow savait simplement bien camoufler sa condition à ses proches.

« Pour son arme, il faut que tu la rendes à son supérieur afin qu’elle soit détruite ou réaffectée à une autre personne du moins, dans notre service c’est ainsi que cela fonctionne » expliquais-je comme si je récitais une leçon apprise par cœur mais chaque métier était différent en soi et je ne m’étais pas amusé à me renseigner sur tous. Ma tête était déjà bien encombrée de choses inutiles sans que je ne me bourre le crâne avec d’autres. Des fois, c’était une vraie plaie que de se souvenir de tout comme du numéro de ticket de métro que Sarah et moi avions pris au début de notre mariage comme s’il s’agissait du summum en matière de romantisme, comme de son regard attristé le jour où elle avait franchi la porte de notre appartement. Oui, des fois, il y avait des choses dont je rêvais d’oublier afin de soulager mes épaules de leur fardeau devenu trop lourd à porter et qui m’avait insidieusement poussé à trouver une échappatoire dans l’alcool. « Ok ça marche ! J’ai toujours rêvé de me prendre pour Top Gun et de faire la scène du bacon et des œufs » ironisais-je bien que je savais qu’à l’intérieur de l’avion, je me sentirais comme un gosse le matin de noël. Je grimaçais à son rappel de l’alcool ; comment oublier par quoi elle était passée. Je soupirais « Bah pour une soirée, je ne vais pas faire le difficile et me contenter d’un soda mais si tu me sors un truc light, je dégage. J’aime les trucs gras bien mauvais pour la santé alors inutile de me servir des trucs light en plus, je prends jamais un kilo alors autant en profiter » blaguais-je sur mon poids car mine de rien, aussi extraordinaire que cela puisse paraitre, oui, je faisais du sport pour me maintenir en forme comme si je refusais de me laisser totalement aller. Cependant, j’aimais bien trop donner de moi, cette image de mec à la ramasse. Bien plus marrant. « J’accepte de diner avec toi si tu me fais mon plat préféré » déclarais-je avec un sourire amusé car je me demandais si elle se souvenait qu’il s’agissait pâte à la carbonara. Nous enchaînâmes ensuite sur mon affaire en cours et j’hochais la tête à sa proposition d’aide. Pour retrouver à temps cette gamine, j’étais même prêt à taper à la porte de la CIA. « Rien, nana ! C’est à croire qu’elle n’existe nulle part ou qu’elle est protégée par quelqu’un mais quoi qu’il en soit, je dois la retrouver avant qu’il ne soit trop tard. Tu n’as pas vu ce qu’ils ont fait à cette pauvre gamine mais ce n’était pas joli à voir. Apparemment, si tu veux quitter leur secte, c’est les pieds devant, pas autrement » soupirais-je, inquiet pour la gamine car je prenais toujours à cœur mon boulot sous mes airs d’emmerdeur cynique.

« Les joies de la grossesse, tu vas devenir une véritable baleine, tes pieds vont enfler et être tout gonflés, tu râleras sur tout ce qui bouge et tu t’empiffreras de tout et n’importe quoi. Je dis que tu en as de la chance » la taquinais-je pince sans rire tandis que je me prenais à rêver d’un plat cuisiner. Il faut dire que je me nourrissais presque, que de surgelés au gout aussi fade que mes chaussettes. Depuis combien de temps n'avais-je pas mangé un plat cuisiné avec amour? Ma mémoire me donna aussitôt la date exacte et je me renfrognais, bien peu à l'aise d’un coup avec ma propre hygiène de vie où l’amour n’avait semble-t-il pas sa place. Blaithin et moi partagions désormais un triste point commun : nous étions veufs tous les deux mais j’aurais aimé pouvoir lui épargner cela. Je n'avais jamais eu autant conscience de ma propre solitude qu'en me confrontant à celle de mon amie d’enfance. J’espérais qu’elle était bien entourée car malgré toutes mes bonnes volontés, je restais ce que j’étais : un alcoolique dépressif. On peut dire qu’il y avait mieux comme compagnie que la mienne dans ce genre de situation. « Ahhh.. si tu me fais mes pâtes à la carbonara, je veux bien me passer d’alcool pour au moins une soirée » lui dis-je en sentant mon ventre en trépigner d’avance même si pour le moment la discussion était surtout centrée sur le boulot car Blaithin me proposa de me rendre à son bureau, le dossier en main pour travailler sur mon enquête et peut-être découvrir où était cette gamine avant qu’il ne soit trop tard pour elle. J’espérais sincèrement qu’à nous deux, nous pourrions la retrouver surtout quand le corps qui se trouvait encore à la morgue me faisait penser que le pire était encore à craindre. « Ça marche mais cela ne va pas t’attirer d’emmerdes ? Ecoute, j’ai envie de retrouver cette gamine surtout quand je vois ce qu’ils ont fait subir à son amie mais ça vaut pas le coup que tu perdes ton taf surtout avec un petit dans le tiroir. Si je peux seulement avoir accès à vos bases de données, cela sera déjà bien après, j’emploierai les bonnes vieilles méthodes de l’enquête de terrain en espérant qu’il n’est pas déjà trop tard pour elle » soupirais-je car c’était bien ma crainte première.

« Tu veux que ton gosse te ruine en séance de psy ? Il vaut mieux que tonton Jeremiah se tienne loin de lui pour le salut de sa santé mentale » plaisantais-je bien que j’étais touché par sa proposition. Toutefois, n’étant pas trop un fan des enfants, je préférais décliner que de me retrouver avec un gnome plein de bave sur les bras. Les gosses, ça ne faisaient que brailler, baver, réclamer à bouffer et chier dans leur couche. Ils ne devaient intéressants qu’en grandissant car au mieux, ils finissaient criminels, m’assurant un revenu fixe. D’ailleurs, le Capitaine avait arrêté de m’envoyer dans les lycées pour faire de la prévention le jour où des parents s’étaient plaints à la directrice de l’établissement. Ma foi, tous les moyens sont bons pour échapper à une corvée pareille. Bien sûr, cela n’avait pas arrangé mes relations avec lui mais nous avions trouvé un certain terrain d’entente : il me collait les affaires les plus pourris et j’évitais de convertir les jeunes à la violence. De tout de manière tant que j’avais suffisamment de fric pour payer le loyer et mon alcool, le monde pouvait bien s’arrêter de tourner que je n’en avais rien à foutre. « Par contre, je veux bien venir dîner chez toi si tu me prépares de bons petits plats. Tu sais à quel point je suis gourmand et comment dire, les surgelés, on a beau dire, c’est quand même dégueulasse surtout quand tu ne sais pas te servir d’un four à micro-onde. Je crois que le mien est possédé, j’arrive à rien avec lui » me lamentais-je bien que je connaissais chaque mot de cette foutue notice d’utilisation. Cette chose faites, Blaithin tenta de me rassurer quant à son supérieur allant même jusqu’à l’appeler pour me confirmer qu’elle avait bien l’autorisation. « Ok je me rends, tu es la meilleure. Dis-moi, si tu te sens d’attaque, un peu de marche pour se dégourdir les jambes ne nous ferait pas de mal. Je t’offre même une glace si tu veux » la tentais-je avec un petit sourire au coin tandis que je me levais pour lui tendre la main, afin de lui faire comprendre qu’elle pouvait s’appuyer sur moi. Du moins, si je ne lui donnais pas envie de vomir vu qu’elle avait semble-t-il le nez fin. D’ailleurs, aussi discrètement que possible, je reniflais mon par-dessus. Ouais, il puait l’alcool et la clope à plein nez. Je consentis à l’enlever, le gardant sur mon autre bras. « J’irais le faire nettoyer » marmonnais-je pour lui faire comprendre le message.

« Tu songes sérieusement à ce que je devienne le parrain de ton fils ? Je ne suis pas sûr d’être la personne la plus fiable bien que je n’ai jamais reculé devant mes responsabilités » lui confiais-je même si je ne savais pas trop comment réagir face à cette nouvelle car dans le fond, j’étais touché qu’elle pense à moi. C’était rare que les gens m’accordent leur confiance ou même leur intérêt tant j’étais perdu pour le monde entier. « Je n’aime pas les gosses mais le tient sera différent car nous deux, on est amis depuis des plombes, je pourrais le supporter » admis-je en lui signifiant à ma manière que je serais ravi si elle était sérieuse. J’avais juste ma fierté d’irlandais ! Je saluais néanmoins en mon fort intérieur ce changement de sujet car mine de rien, je n’étais pas à l’aise dans ce genre de conversation. Bien trop l’habitude de n’avoir plus personne à dépendre de moi « C’est ça fous toi de ma gueule mais j’y ai songé. Je dois être le seul mec à ne pas réussir à décongeler un plat » râlais-je car ce n’était pas elle qui devait se taper les plats à moitié décongelés. Déjà que je n’étais pas à la noce face à ce genre de repas, moi le plus grand gourmand devant l’éternel mais c’était limite si je ne me nourrissais pas que de liquide à savoir ma bonne vieille bouteille de whisky pour compenser. Alors, le fait de savoir qu’au moins une fois dans la semaine, je pourrais manger correctement, c’était limite si on m’ouvrait les portes du paradis. « Crois-moi, il ne restera même pas une miette, allez viens, on va marcher doucement mais sûrement vers ta glace au chocolat. Par contre si tu as une envie de fraise, tu m’oublies directement » plaisantais-je tout en l’entrainant dans mon sillage en prenant garde à ne pas la brusquer, attentif sans en avoir l’air du moindre signe de faiblesse. Pour ceux qui me connaissaient pas, je passais souvent pour un égoïste, un je m’en foutiste de premier ordre mais en réalité, j’étais protecteur envers les peu de personnes dont je me disais proche comme Blaithin pouvait l’être. « Tu es en train de m’inviter à emménager chez toi ou quoi ? Les plats, la lessive… Tu veux que je t’amène mon repassage aussi ? Tu sais, ce ne serait pas forcément une mauvaise idée que tu te trouves un colocataire pour t’aider dans les prochains mois mais je ne crois pas qu’un alcoolique soit le meilleur choix » lui dis-je sérieusement en entourant ses épaules de mon bras « Tu as prévu l’avenir de quelle façon ? je veux dire pour l’enfant »

« Alors si tu as de l’aide tant mieux » bougonnais-je en marchant doucement à ses côtés pour ne pas la fatiguer bien que ce rythme d’escargot n’était pas facile à tenir pour moi. J’étais toujours en mouvement sauf quand je picolais il va de soi. La picole, le grand amour de ma vie qui m’avait couté mon mariage et le peu d’amour propre qu’il me restait. Enfin, tout n’était pas noir dans ma vie, surtout ces derniers temps. « Tu ne vas pas le croire mais je crois que ma voisine me plait » marmonnais-je brusquement après un court silence. Oui, moi Jeremiah McNamara, je me lançais dans des confidences dignes des feux de l’amour. « Ce n’est qu’une gamine, elle a dix ans de moins que moi et en prime, elle a déjà une gosse. Je n’aime pas les gosses mais je vais finir par faire des exceptions avec le tiens et le sien » repris-je avec une certaine dérision dans le ton de ma voix. Nous arrivâmes près du marchand de glace et je lui en payais une avant d’en prendre une également. La mienne était au citron et au cassis, deux parfums que j’aimais bien. Cela me rappelait ma petite sœur, elle mangeait toujours ces deux parfums et je pouvais avec précision reproduire sa façon de manger. Foutus mémoires « Enfin bref, avant que tu demandes, je vais étancher ta soif de détails même si t’en veux pas, je m’en tape, faut que ça sorte » débitais-je rapidement après avoir payé tandis que nous nous éloignons doucement de l’échoppe. « Je l’ai rencontré par hasard. Il y a eu un meurtre dans mon immeuble, une histoire de vengeance parce que l’homme avait une liaison avec un homme marié et bref, c’est assez sordide mais j’ai dû faire du porte à porte et on a rapidement causé de l’affaire. Puis, un soir, elle est venue toquer chez moi, son appartement avait été mis à sac et je lui ai proposé de passer la nuit chez moi. Je ne sais pas ce qui m’a pris mais j’ai ressenti le besoin de la protéger, c’est con hein ?! » Marmonnais-je avant de soupirer « Depuis Sarah, c’est la première fois que je ressens ce genre de merde pour une autre femme mais j’ai aucune chance : je suis cynique, alcoolique et vieux ! » Ouais on était loin du portrait de l’homme idéal tout compte fait.

Ma voisine ? Un léger sourire se dessina sur mes lèvres tandis que je visualisais à la perfection les moments passés en compagnie de Manuela. « Elle n’est pas un canon de beauté comme on peut voir dans les magazines mais je la trouve jolie. Très même. Pour ce qui est de sa gentillesse, elle m’a paru gentille mais comparée à moi, elle ne peut qu’être gentille. Pour ce qui est de son métier, elle gère une boutique de fringue, je crois qu’elle est styliste mais j’y connais rien là-dedans » haussais-je les épaules car à part mes éternels costumes et mon indécrottable imperméable, je n’avais réellement le sens de la mode. C’était même à cent lieues de mes priorités. Blaithin me demanda alors si je m’adoucissais étant donné que j’étais prêt à prendre en compte une gamine –si on partait que j’avais la moindre chance de la séduire et surtout que cela devienne sérieux ; Je levais les yeux au ciel en maugréant quelque chose du genre « La sobriété me va pas ! » avant de sourire avec tendresse à mon amie d’enfance. Toujours prête à me trouver des excuses, à me materner. A coups sûrs, elle ferait une très bonne mère, cet enfant allait recevoir beaucoup d’amour, j’en mettrai ma main à couper. « Souffert ou pas, j’ai fait des conneries dans ma vie Blaithin et mon alcoolisme n’est pas la plus importante » répondis-je calmement avant de râler et de l’empêcher de payer sa glace. « Je te l’offre puce ! » lui dis-je avant de payer nos deux glaces pensant qu’effectivement, être malade ou souffrir ne m’accordait pas tous les droits. J’avais merdé et je continuais de merder même si j’essayais de me racheter une conduite, de redorer mon blason. « Je crois que c’est un peu des deux. J’ai envie de la protéger parce qu’on sait tous les deux, on ne fait pas un métier évident et j’ai coffré un certain nombre de personnes qui voudront certainement s’en venger un jour et puis… que tu le veuilles ou pas, je ne suis pas un cadeau ! Et toi alors ? Je sais qu’il est tôt encore mais tu penses qu’un jour, tu pourras aimer quelqu’un d’autre ? Tu sais, depuis Sarah, ce n’est plus pareil et je n’ai pas envie d’une mort de plus sur la conscience » avouais-je à contre cœur. Je m’en voulais toujours, si ce soir-là, je n’avais pas replongé dans la bouteille jamais Sarah n’aurait pris la route pour me rejoindre et elle serait toujours en vie.

« Lui parler plus souvent ? » méditais-je son conseil avec attention même si je me demandais comment je pourrais faire pour lui parler plus souvent. On ne peut pas dire que j’étais un homme avec une grande conversation et puis, avec nos dix ans d’écart, peut-être avait-elle des centres d’intérêt différents des miens. Blaithin enchaina alors sur mon alcoolisme, sujet sensible chez moi mais en sa présence, j’arrivais à l’aborder. « J’ai arrêté d’y aller, ce n’est pas comme si guérir importait beaucoup à quelqu’un donc… Enfin je suis content pour toi, tu tiens le bon bout et c’est bien ! » Lui assurais-je. Pour ma part, je ne voyais pas trop de raison de continuer à lutter contre cette merde. Lorsque je rentrais le soir, c’était pour retrouver un appartement vide. Sarah me manquait atrocement, il était certain que ses sourires, son rire, sa façon de me regarder et qui m’avait sauvé plus d’une fois me manquaient. Qu’est-ce que je pouvais faire d’autres ? Devenir sobre pour ne pas avoir ces quelques heures de paix avec moi-même ? C’était stupide et inutile mais dans le fond, j’étais fier d’elle. Blaithin possédait des trésors de volonté dont j’étais dénué. Elle était courageuse, forte. « Mais tu as raison, il faut croire que l’alcool est un symbole de vie sociale pour certains mais contrairement à toi, je me prive pas d’accepter » plaisantais-je avec une certaine dérision. Nous continuâmes de marcher un peu parlant de tout et de rien jusqu’à ce que tous les sujets soient épuisés ou presque. En bon ami, je la reconduisais chez elle, veillant à ce qu’elle aille bien avant de la lâcher et de lui promettre de venir le soir même pour goûter ses fameuses pattes. Je pouvais être un ami mais aussi me remplir l’estomac !

Je clôture le rp, je pense qu’on a fait le tour et ça sera avec plaisir un autre rp un de ces quatre
TOPIC FINITO