Semer son propre garde du corps, c’est tout un sport. En tout cas C’ian se plaisait à croire qu’elle finissait par ne pas être mauvaise dans cet art tout ce qu’il y a de plus noble. Mais en vérité, il ne fallait y voir ni un caprice, ni de la cruauté, la belle blonde étant incapable de faire preuve de l’un ou de l’autre. Elle voulait juste ne plus être considérée comme une simple petite chose fragile incapable de penser par elle-même… vraiment, c’était avilissant à la fin. Surtout que puisqu’elle était protégée par ce garde du corps embauché par sa mère, C’ian était de fait détestée de sa sœur, la prenant pour la première gourde venue, et de son père, détestant la blondeur de ses cheveux et le vert émeraude de ses magnifiques yeux. Quelle ne serait pas sa rage si en prime il apprenait qu’elle était designeuse de lingerie fine ! D’ailleurs, en se rendant au MET ce soir là, surtout à cette heure-ci, la pimpante japonaise était quasi certaine de trouver son amie de toujours, Neige, seule dans son bureau. Celle-ci lui avait commandé au moins dix modèles différents de lingerie, modèles tantôt osés, tantôt plus sages, à lui livrer de toute urgence. En route, elle avait semé son garde du corps préféré et se mit à courir à travers les longs couloirs du MET, espérant arriver jusqu’à ce qu’elle pensait être le bureau de sa conservatrice préférée mais dans l’obscurité se faisant de plus en plus pressante… elle atterrit à un endroit non désiré. L’endroit en question ? Le bureau de Dean bien sûr !! C’ian arbora aussitôt son plus beau sourire, celui là même qu’elle arborait pour toute occasion, même la plus triste et la plus désespérante. « Bon… vous dites bonsoir en Amérique ou bonjour ? » énonça-t-elle, en plein doute. Son accent était encore fortement haché et son anglais avait oublié d’être parfait. A sa décharge, elle n’était à New York que depuis un mois et ne s’était pas tellement fait de connaissances en cours de route. « J’ai apporté café pour Neige ! Elle là ? Un pour vous aussi Dean ! »

Debout devant son bureau, Dean regardait la carte qu’il avait sous les yeux. Les archéologues qui étaient présents, encore et toujours dans le Montana lui amenaient régulièrement leurs avancées. Il y avait encore un grand travail à faire, mais il savait qu’il fallait y aller doucement pour récupérer des squelettes et pouvoir ainsi les étudier. Vérifiant les informations d’autres sources dans le monde, il mettait tout en commun. Dean tenait un journal avec toutes les découvertes depuis qu’il était petit. Tout en regardant les cartes et vérifiant ses notes, il fut surprit d’entendre du bruit. Regardant sa montre, tout le monde devait être partit depuis bien longtemps. Il faisait partit de ceux qui partaient tard. Il fut encore plus surprit en voyant la personne qui débarqua dans son bureau. Haussant les sourcils, il devait avouer qu’il n’attendait personne. Cependant, il avait déjà vu cette jeune femme au musée. Elle était souvent avec Neige. Elles semblaient amies, mais à part être poli et dire bonjour, il n’avait jamais discuté avec cette jeune femme. Cette dernière décida par contre de faire la conversation. L’écoutant avec attention, il entendit son accent. Elle non plus n’était pas native d’ici. Il arrivait à la comprendre et quand elle lui proposa un café, il se réveilla enfin. Se dirigeant vers elle, il attrapa le café qui lui était destiné.

Merci.

Il déposa le café sur son bureau et regarda à nouveau la jeune femme.

Neige n’est pas là. Elle est rentrée depuis un moment déjà, il me semble.

En tout cas, il l’avait vu partir, maintenant peut-être qu’elle était revenue.

Oh et c’est bonsoir.

Il esquissa un sourire amusé. Comme il avait vu la jeune femme de loin, il ne s’était pas attendu à ce qu’elle ne sache pas bien parler l’anglais.

Vous voulez que j’appelle Neige pour qu’elle vienne ?

Ce fut avec un sourire éclatant que C’ian lui tendit le café pour lequel il la remercia. Une chance que la pimpante japonaise comprenne bien mieux l’anglais qu’elle ne le parlait, sinon elle aurait beaucoup, beaucoup de mal à s’intégrer dans ce pays étrange et trop pressé. Elle avait pourtant l’impression que son interlocuteur n’était pas plus américain qu’elle ne l’était… c’était aussi intriguant que confortable, et ce bien qu’il soit bien plus maître de la langue de Shakespeare qu’elle ne l’était. Dans un premier temps, puisqu’elle ne savait déjà plus comment elle pouvait dire un simple ‘je vous en prie’, elle s’inclina à plusieurs reprises avec respect, fidèle à l’éducation donnée par sa mère et formatée par les nombreuses traditions de son pays. Malgré la blondeur de ses cheveux, cela devait tout de même donner des indications sur les origines de la demoiselle… « Non, non ! Pas déranger ! Vous pouvez donner à elle paquet ? Lingerie spéciale pour elle… design privilégié pour Neige. » C’ian n’avait aucunement honte de son métier, au contraire, elle tendait fièrement le sac à Dean sans savoir si cela pouvait le gêner d’une quelconque manière que ce soit, bien au contraire. « Je peux… rester ici ? » demanda-t-elle soudainement, son visage marqué par un sérieux légèrement étonnant pour quelqu’un de toujours aussi enjoué. « Moi avoir fuit. Garde du corps pénible… compris ? » La belle blonde peinait à s’exprimer mais elle essayait et sans savoir pourquoi, elle n’avait pas envie de partir tout de suite. Elle voulait rester, bien au-delà du fait qu’elle comptait profiter d’un moment privilégié sans son garde du corps, comme n’importe quelle fille normale n’étant ni mourante ni même fille de l’ambassadeur du Japon à New York. Quelqu’un de normal… et ce fut sans doute ce désir qui la poussa à lui tendre la main, chose qu’elle n’avait jamais faite avant aujourd’hui, pour tenter de se présenter. « C’ian ! Et vous ? »

En voyant la jeune femme s’incliner, il fut surprit, mais il comprenait pourquoi. Elle n’était pas américaine et avec son accent, il comprenait qu’elle était d’un pays d’Asie. Il ne saurait pas définir lequel, mais il comprenait que ce qu’elle faisait était traditionnel. Du coup, il le fit une fois à son tour, ne sachant pas vraiment si c’était nécessaire, mais il le faisait plus par politesse. Seulement, ce qu’elle lui demanda par la suite le mit mal à l’aise. De la lingerie ? Ouvrant la bouche, il soupira. Il se voyait très mal donner un tel paquet à Neige. Surtout que cette dernière risquait de se moquer de lui s’il était perturbé par un tel paquet.

Je ne suis pas la meilleure personne pour lui donner ça.

Il tendit le doigt vers le sac que la jeune femme tendait, comme si c’était dangereux. Cependant, à sa question, il fut surprit. Elle voulait rester là ? Qu’allait-elle faire ? Quand elle parla de fuite, il se demanda si elle était recherchée par la police, mais apparemment, elle avait un garde du corps. Ca, il ne l’avait pas vu venir.

D’accord. Si vous voulez.

Après tout, tant qu’elle ne le dérangeait pas dans son travail, elle pouvait rester autant qu’elle voudrait. La regardant ensuite tendre la main, il fut amusé et il se mit à sourire. Du coup, il tendit sa main pour serrer celle de la jeune femme.

Dean. Vous l’avez dit tout à l’heure.

Il en était amusé. Elle lui avait donné son prénom tout à l’heure, mais après tout, elle semblait vouloir parler, alors, pourquoi pas.

Pour la lingerie, il vaut mieux aller le mettre dans le bureau de Neige, comme ça au moins, elle l’aura.

Du coup, il prit le sac et le posa à côté de son bureau. Il irait l’amener avant de partir.

Vous êtes de quelle origine ? Votre accent est asiatique, mais je ne saurai pas dire de quel pays exactement.

Dean était doué dans beaucoup de domaines, mais les pays d’Asie ne faisaient pas partie de sa culture générale.

Autant dire que C’ian fut hautement amusé de la réaction de Dean : comme beaucoup d’autres hommes, il réagissait d’une façon presque gênée face à un paquet de lingerie, alors que le sac ne laissait absolument pas présager son contenu, mais elle fut presque fière qu’il ne joue pas les grands machos sur le retour capable de réciter les grands catalogues de lingerie de marque connue à force d’en avoir feuilleté les pages… pour des raisons plus ou moins évidentes. Sans même le connaître, la belle blonde était quasiment persuadée ne pas avoir à faire à un pervers. Il n’en n’avait ni l’allure ni même les réactions, sans quoi il aurait vu en Neige une femme magnifique et une opportunité ne l’étant pas moins de la séduire en lui apportant le paquet de C’ian… une chance qu’il ne soit pas de ce genre là, en quelques sortes ! « Pardon, petit mémoire » énonça-t-elle avec une petite moue, non pas timide mais passablement marquée par cette mémoire de poisson rouge qu’elle avait si souvent parfois. Peut-être que cet homme lui plaisait dans le fond, et ce bien qu’elle ne soit guère une experte en matière de gent masculine, et que ses réflexes assurés la quittaient tous les uns après les autres. « Dean. Joli prénom ! » s’exclama-t-elle soudainement avec enthousiasme avant que son visage, dont les traits de porcelaine passaient par énormément d’expressions différentes en un laps de temps très court à chaque fois, reprit un air nettement plus sérieux dès qu’il l’interrogea sur ses origines. L’intéressait-elle ? « Je suis japonaise. A New York depuis… un mois. Et vous ? » C’ian n’osait pas s’asseoir ou même bouger, triturant ses mains avec une certaine dose de nervosité tant elle avait l’impression d’abuser de l’hospitalité de son interlocuteur. Curieuse demoiselle, à vrai dire… « Merci pour votre aide. Neige est conservatrice… vous êtes ? Vous travaillez tard ! » Elle avait l’impression de lui faire subir un interrogatoire mais elle ne pouvait guère s’en empêcher… la tentation et la curiosité étaient trop fortes !

En l’entendant dire que sa mémoire était petite, il fut amusé. Ca n’était pas dérangeant, au contraire, mais ça l’amusait de la voir ainsi. En tout cas, elle semblait à l’aise et quand il entendit le compliment sur son prénom, il hocha la tête.

Merci. Le vôtre est original, on ne l’entend pas tous les jours.

En même temps, elle n’était pas américaine, donc elle n’aurait pas un prénom banal d’américaine. Mais son prénom était beau également. A sa question, il se mit à réfléchir. Il n’avait pas compté.

Je vis à New-York depuis mes dix ans, donc ça fait vingt ans déjà. Enfin, j’ai vécu dans le Montana pendant dix ans, donc ça fait un peu moins.

Il n’avait jamais réellement réalisé que ça faisait autant de temps qu’il vivait ici. Il était venu à New-York la première fois, à contre cœur. Il aurait préféré vivre avec ses grands-parents eau Brésil, mais ils étaient trop âgés pour pouvoir s’occuper de lui, son frère et sa sœur. Mais il ne regrettait pas. Même s’il avait vécu dans le Montana pendant un temps.

J’aime travailler tard. J’ai des données à rassembler. Moi, je suis uniquement un employé du musée. Je suis avant tout archéologue, mais je travaille pour Neige ici et dans un autre musée en ville.

D’ailleurs, c’était dans ce dernier qu’il avait commencé à travailler, avant de venir un an plus tard ici.

Vous faites quoi dans la vie vous ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que C’ian buvait littéralement les paroles de Dean. Pourquoi, comment, difficile à dire. D’ordinaire, elle ne s’attachait pas réellement aux gens malgré son extraordinaire gentillesse et sa facilité formidable à aller vers autrui, bien trop consciente que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain, surtout si ses médecins ne trouvaient pas de donneur pour elle. Une épée de Damoclès se trouvait toujours prête à lui gâcher l’existence, pourtant, la pimpante japonaise semblait aussi rayonnante que les fleurs d’un cerisier aux premières lueurs du printemps. Vraiment, on la jugeait peut-être comme une midinette et quelqu’un d’aussi éphémère qu’un papillon, mais C’ian se moquait de l’opinion d’autrui. Dans cette seconde précise, elle appréciait cette rencontre. Même si ce n’était que pour un instant, elle voulait l’apprécier pleinement… « Américain ? » répéta-t-elle sans même savoir comment le demander autrement, la belle blonde lui ayant déjà demandé précédemment sans obtenir de réponse. Si elle insistait, il risquait peut-être de prendre la mouche, cela dit… c’était à considérer ! « Archéologue… poussière, recherche, passé ? Indiana Jones ! » s’exclama-t-elle soudainement avant d’éclater de rire tout en tapant légèrement dans ses mains avec enthousiasme, Indiana Jones étant l’un de ses personnages de film préféré. « Moi je suis designeuse de lingerie… Neige a demandé à moi de dessiner des modèles, que j’ai créé après avec tissus spéciaux. Je joue aussi à tennis. » Pendant quelques secondes, bien que son sourire ne l’ait pas quittée une seconde, C’ian se mit à regarder les divers ouvrages présents dans le bureau de Dean, par pure curiosité. C’était sans compter sur son estomac, qui pour casser son groove bien comme il faut, ne manqua pas de se mettre à gargouiller avec virulence. « Une petite faim ? J’invite ! Et je te retourne ici après… » D’un côté, elle était tiraillée par sa faim, mais de l’autre, elle ne savait pas du tout quand elle le reverrait si elle partait.

Oh pardon, non. Je suis né au Paraguay. En Amérique du Sud.

Il n’avait pas comprit tout de suite qu’elle lui demandait où lui était né. Mais en effet, il n’était pas américain pur souche. Il était né plus au sud, donc rien à voir. Seulement, il ne pû s’empêcher de rire à ce que disait la jeune femme. C’est vrai que beaucoup de personnes voyaient son métier d’archéologue comme beaucoup de poussière pour pas grand-chose. En même temps, il fallait bien le dire, il y avait un tas de poussière là où il travaillait. Il en était recouvert et certains de ses vêtements n’avaient pas appréciés cela.

On peut dire Indiana Jones oui. Mais moi je recherche les dinosaures. Vous connaissez Jurrasic Park ?

Peut-être qu’elle avait déjà entendu parler des trois films qui étaient déjà vus ou du prochain qui pourrait sortir l’année prochaine, enfin c’était en prévision. De son côté à elle, elle s’occupait donc de lingerie. C’était la première fois qu’il rencontrait une personne qui faisait ce métier.

Oh vous créez de la lingerie ? Ca ne doit pas être facile.

Evidemment, ça ne faisait pas beaucoup de tissu en général, mais ça ne devait pas forcément être simple à faire non plus. Enfin, c’était ce qu’il pensait à ce sujet.

Le tennis, c’est bien ça. Je ne connais pas bien, mais j’aime bien le sport aussi.

Il était plus course à pied et base-ball. C’était son truc à lui, mais il y avait aussi le basket, il aimait bien en jouer avec quelques amis de temps en temps. Il esquissa un sourire quand son ventre se fit entendre. A ses paroles, il hocha la tête.

Pourquoi pas. Mais, il vaut que j’aille chercher. Votre garde du corps va vous voir sinon, non ?

Il ne voulait pas que ça pose de problème, donc il pouvait aller chercher à sa place si elle préférait.

« Bien sûr ! Professeur Grant ? » En un mot comme en cent, C’ian connaissait tout à fait les trois films Jurassic Park et ce bien qu’elle ait dû se cacher pour devoir les regarder en paix sans que ni son père ni sa détestable sœur ne vienne y mettre leur grain de sel. En d’autres termes, elle ne les avait pas vus lors de leur sortie, le cinéma étant difficile d’accès pour une famille comme la sienne, ancrée dans des traditions bien trop ancestrales à son goût. Autant dire qu’il fallait faire des pieds et des mains pour tout, c’en était détestable au bout du compte. Il n’était guère étonnant qu’elle ait presque fuit le Japon, pays l’ayant pourtant vu naître. Ses traits européens et ses cheveux blonds n’avaient rien à voir avec le fait qu’elle soit profondément attachée à ce pays dont elle connaissait toutes les traditions et le passé dans ses moindres détails. Dean devait comprendre, lui qui avait choisi l’histoire comme voie professionnelle… « Aucun travail n’est facile… non ? » Sauf que C’ian ne poursuivit pas son discours, prenant aussitôt son bloc à dessins dans le sac en bandoulière qu’elle portait ainsi qu’un crayon à papier pour se mettre à faire une ébauche durant quelques minutes à peine. Il ne fallait pas croire, elle était attentive à tout ce que disait Dean, n’en perdant pas une miette, comme si elle pouvait le regretter amèrement ensuite. « Je vais venir. Vous aimez cuisine particulière ? Un autre jour, je ferai des sushis ! » Avec sa manie de sauter du coq à l’âne, il n’y avait plus qu’à espérer que le jeune homme originaire du Paraguay n’était pas trop perdu dans ses élucubrations étonnantes… mais en attendant, une fois son dessin terminé, elle déchira la page de son bloc avec une extrême précaution, lui offrant ainsi le portrait de l’archéologue mais souriant, son visage étant illuminé alors qu’il ne lui avait pas vraiment sourit depuis leur nouvelle rencontre… une imagination passagère qui n’en restait pas moins vraie pour autant. « Plus beau avec sourire. Je vous suis et si garde du corps vient… je me cache. Mais rues pas sûres et moi pouvoir peut-être protéger vous ! » Le moins que l’on puisse dire, c’est que même avec des difficultés d’expression, C’ian parvenait à faire de l’humour, tout en lui tendant son dessin. Une attention, comme ça, sans raison… la meilleure qualité de la belle blonde sans aucun doute !

C’est ça. Le professeur Grant a été mon idole et l’est toujours d’ailleurs.

C’est vrai qu’il avait aimé ses films. Il avait connu les dinosaures avant, à l’école, mais les films l’avaient fait choisir définitivement la voie d’être archéologue. D’ailleurs, il se refaisait régulièrement les films. Il ne s’en lasserait jamais. Evidemment, les effets spéciaux étaient vieux et ont les voyaient, mais ça ne le dérangeait pas. Par contre, le métier de la jeune femme, ne semblait pas simple à ses yeux.

C’est vrai.

Haussant les épaules, elle avait raison. Aucun travail n’est facile. Certains le sont quand on les aime. Mais d’autres le sont beaucoup moins. Dean savait par exemple qu’un métier manuel n’était pas pour lui. Il pouvait rester pendant des heures avec un pinceau dans la main, même une brosse à dents, pour retrouver un squelette et le déterrer doucement. Mais s’occuper de bricoler chez lui ou même s’occuper de sa voiture, c’était une véritable catastrophe. Là-dessus, il ne fallait pas compter sur Dean. Tout en parlant, il voyait la jeune femme qui dessinait. Il se demandait ce qu’elle faisait, mais n’en parle pas. Du coup, il proposa à la jeune femme d’aller chercher à manger, pour revenir manger là, pour qu’elle ne soit pas embêtée par son garde du corps. Même s’il devait avouer que si quelqu’un avait un garde du corps, ça n’était pas malin de vouloir le semer. Mais bon, il n’était pas au courant de la vie de la jeune femme, donc il ne pouvait pas juger.

Je mange de tout, donc je n’ai pas de préférence.

Se retrouvant finalement avec la feuille de papier qu’elle venait de déchirer de son bloc, il regarda ce qu’elle avait dessiné et il esquissa un sourire. C’est vrai que sourire n’était plus ce qu’il savait faire de mieux. Il avait perdu son sourire face au corps sans vie de sa petite amie. Ca faisait déjà trois ans, mais cette image resterait à jamais gravée dans son esprit.

Merci, c’est gentil.

Il se pencha légèrement vers elle, comme elle avait fait quand il l’avait remercié pour le café.

Pour ma sécurité, ça devrait aller.

Déposant le dessin sur son bureau, il attrapa sa veste et la regarda.

Vous voulez manger au restaurant, ou on vient manger ici ?

Depuis son arrivée à New York, autant dire que C’ian avait plutôt cherché à s’intégrer que joué les sauvages sur le retour comme le faisait sa sœur cadette. Il n’était aucunement étonnant de la voir proposer à Dean, en tout bien tout honneur évidemment, d’aller manger un morceau comme si elle avait conscience du fait qu’il soit plus souvent enfermé dans un bureau qu’à l’extérieur à faire des fouilles, car tel est le fastidieux travail d’un archéologue. Loin d’elle l’envie de se la jouer experte en la matière, la pimpante japonaise n’ayant pas réellement de diplômes à proprement parlant et ne pouvant faire jouer que son talent en dessin et en couture. De nos jours, ce n’est pas ce qui faisait vivre malheureusement mais sa volonté n’avait d’égal que son enthousiasme débordant, la poussant à sourire en toute circonstance, même maintenant alors qu’une violente quinte de toux la pris à peine eut-elle remit le dessin entre les mains de son interlocuteur. C’était habituel chez elle, il était même étonnant qu’elle n’ait pas eu ce genre de manifestation plus tôt, et ce fut un véritable parcours du combattant que de reprendre le dessus… pour mieux offrir un nouveau sourire à Dean de façon si naturelle que c’en était presque choquant. A croire que la tristesse ou les problèmes n’aient aucun impact sur elle ! « Extérieur ! Besoin air, besoin respirer. Travail en retard ou du temps pour parler, exprimer ? » Bien qu’elle ne l’ait pas encore avoué de vive voix, le professeur Grant était tout autant son idole que ne l’était Indiana Jones. A croire qu’elle aurait pu, elle aussi si elle l’avait voulu, devenir archéologue… un curieux concours de circonstance, sans doute. Mais en attendant, elle n’hésita pas à s’incliner à son tour comme pour lui rendre son remerciement à propos du dessin avant de faire quelque chose que les japonais ne faisaient pas en dehors de leur cercle proche : elle s’empara de la main de Dean, de façon naturelle et sans aucune arrière pensée, afin de le conduire au dehors comme si elle avait une idée précise du lieu où elle souhaitait se sustenter. « Souvent en bureau ou vous faites recherches dans autres pays ? Comment professeur Grant ! Ou Indiana. Quand j’étais au lycée, moi avoir fabriqué chapeau Indiana Jones pour Halloween, fête américaine, mais jamais pu le mettre. Mon père et ma sœur trop ancré traditions. Jamais fantaisie, jamais rire. Moi aimer énormément énigmes et recherches ! Clu… clu… Cluedo ? » Le sourire de C’ian ne la quittait pas tandis qu’elle déblatérait toutes ces inepties avec un enthousiasme parfaitement communicatif. « Neige bonne patronne ? »

Il ne s’était pas attendu à avoir un dessin de lui souriant. Il avait plutôt pensé qu’elle lui montrerait comment faire des sous-vêtements. Mais, il aimait ce qu’elle avait fait de lui, même s’il ne souriait plus autant qu’avant. L’entendant tousser, il n’osa pas intervenir, ne sachant pas vraiment ce qu’il pouvait faire. Pour tout, dire il n’avait que le café à boire et même pas d’eau, lui qui pourtant buvait beaucoup d’eau. En même temps, c’était son traitement qui le voulait ainsi. Mais, il avait terminé sa bouteille d’eau, un peu plus tôt dans la soirée. En entendant la jeune femme lui dire qu’elle avait besoin de prendre l’air, il alla prendre sa veste et en écoutant ce qu’elle ajoutait, il hocha la tête.

J’ai le temps. Le travail peut attendre.

Après tout, il resterait aussi tard le lendemain soir, donc ça pouvait attendre ce moment là. Mettant sa veste, il la regarda s’incliner à nouveau. Cette fois-ci, il n’eut pas le temps de le faire. Elle attrapa sa main pour les sortir du bureau. En l’écoutant parler, il comprenait que certaines choses ou plutôt certaines personnes l’avaient empêché de faire ce qu’elle voulait. Dean savait que la Japon, comme beaucoup de pays asiatiques étaient portés sur les traditions. De son côté, il savait qu’il n’aurait jamais pû travailler là-bas. Il avait besoin d’espace et de temps. Là-bas, les employés dormaient sur le lieu de travail et n’avaient pas beaucoup de vacances, choses qui lui étaient indispensables pour pouvoir aller dans le Montana ou ailleurs pour ses recherches.

Je vais parfois dans d’autres pays. Je l’ai souvent été quand j’étais plus jeune. Aujourd’hui, je travaille ici et dans un autre musée. Du coup, je rassemble des informations et quand je suis en vacances, je pars pour aller voir les squelettes trouvés et travailler avec les équipes déjà sur le terrain.

Il essayait de parler au plus simple, pour se faire comprendre. Il ne savait pas si ça fonctionnait vraiment, mais il espérait que c’était le cas. Quand la jeune femme parla de Neige, il repensa aux sous-vêtements. Ca pourrait attendre le lendemain. Après tout, Neige ne viendrait pas là pour les avoir. Donc, ça pouvait attendre qu’ils soient tous les deux au travail.

Le Cluedo, voilà un jeu auquel je n’ai pas joué depuis très longtemps.

Cette phrase était plus une pensée pour lui-même, il devait bien l’admettre. Mais, il devrait s’y remettre, il était plutôt doué à l’époque où il y jouait.

Neige, très bonne patronne. Elle est gentille et agréable avec moi.

C’est vrai qu’elle ne l’avait jamais jugé, en tout cas, pas face à lui. Elle savait qu’il avait besoin de sa solitude dans son bureau, mais qu’il aimait aussi parler avec les visiteurs pour les aider à mieux comprendre les œuvres entreposés dans le musée.

Vous connaissez Neige depuis longtemps ?

C’ian trouvait presque dommage que Dean ne puisse, manifestement, pas se rendre davantage sur le terrain. Après tout, on ne faisait pas d’aussi longues études pour se retrouver derrière un bureau pendant un temps considérable, c’était ridicule. En tout cas, même si elle adorait son propre job et pouvoir changer ses horaires à sa guise, la pimpante japonaise se devait de reconnaître que l’adrénaline lui manquait. Hélas, aucun sport dangereux ou autre choserie du genre n’était envisageable une seconde avec son état de santé : elle toussait si souvent que c’était presque marqué sur sa figure, il n’y avait donc besoin d’aucun questionnaire de santé pour se rendre compte de la chose… pour peu qu’on ne l’observe un peu.  Mais pour l’instant, hors de question de se plaindre, d’autant qu’elle faisait du tennis aussi souvent que possible pour aérer la moindre parcelle de ses muscles, sans oublier qu’elle était toujours fourrée dehors en vue de trouver l’inspiration, telle une artiste à la recherche d’une idée lumineuse pour la nouvelle création d’un tableau. Pour l’instant, C’ian se concentra sur le petit bistrot français se trouvant à proximité du musée, où la belle blonde avait déjà mangé avec Neige et qu’elle avait apprécié au-delà des mots. Bon marché, de qualité et avec un service soigné, difficile de ne pas avoir son œil et son estomac attiré par cet endroit ! « Nourriture française, c’est okay ? » A son plus grand ‘désespoir’ la demoiselle ne connaissait aucunement les goûts de Dean. Impossible donc de se dire sans problème qu’elle allait tomber juste au premier coup… « J’ai rencontré Neige au Japon. Elle en vacances et moi en pleine recherche inspiration pour nouvelle création ! Au départ distante, en retenue… moi le contraire, rire, profiter. J’ai fais visiter des monuments à Kyoto à Neige et gardé contact depuis avec Internet. A mon arrivée, elle héberger moi pendant deux semaines… puis moi obligée retourner auprès de ma sœur, Cixi. Elle déteste moi. Mais moi obligée et puis je ne veux pas déranger Neige. Pas de panique Dean, je parle mal mais je comprends ! » C’ian était un véritable raison de soleil et pourtant dieu sait que sa famille ne lui facilitait pas la tâche. Sans doute le simple fait d’avoir parlé de sa sœur lui fit boire une immense gorgée du kir offert en apéritif par le restaurant avant toute commande ! « Japonais n’aiment pas tutoiement… mais ça vous dérange ? »

Il était évident que Dean n’aurait jamais imaginé terminer sa journée de travail de la sorte. La jeune femme avait prit sa main en otage et l’amenait en dehors du musée, pour aller manger. A sa question, il hocha la tête. Il aimait bien manger d’autres choses que la nourriture américaine de temps en temps. Même si un bon hamburger ne faisait jamais de mal, il aimait se diversifier de ce côté-là. En écoutant la réponse de la jeune femme sur sa rencontre avec Neige, il devait avouer qu’il n’avait pas imaginé que sa patronne avait des sous-vêtements fait sur mesure. En même temps, il n’avait jamais été aussi proche, pour oser lui demander comment était ses sous-vêtements. Dean était solitaire, mais pas aussi impoli. Apparemment, la jeune femme ne s’entendait pas du tout avec sa sœur. Déjà précédemment, elle en avait parlé et ça n’était pas une partie de plaisir visiblement. Quand elle expliqua qu’elle comprenait, ça allait alors, mais il ferait tout de même attention de ne pas employer de mots trop compliqués. Même s’il devait avouer qu’il ne maitrisait pas toujours l’anglais. Parfois, les mots de sa langue natale venaient plus facilement que l’anglais. Il pouvait à se mettre à parler espagnol ou même portugais, dans une phrase qu’il avait commencé en anglais. Installé à table, il regarda la jeune femme boire le verre offert par le restaurant. Aux paroles de la jeune femme, il hocha la tête à nouveau.

Non, ça ne me dérange pas.

Il n’y avait pas pensé. Il venait à peine de faire sa connaissance, donc il n’avait pas pensé au tutoiement. A vrai dire, ça n’avait pas été sa pensée principale. Prenant un peu de sa boisson également, il reposa le verre et regarda autour d’eux. Il y avait du monde, mais pas de quoi être écrasé non plus. Finalement, il reposa son attention sur la jeune femme.

Vous êtes venu vivre à New-York pour votre travail ?

Vu qu’ils étaient là le temps d’un repas, autant qu’il en profite pour apprendre à connaître la jeune femme. Après tout, elle était amie avec Neige, donc c’est qu’elle devait être intéressante. Pour l’instant, c’était le cas. Maintenant si elle avait des sujets qu’elle ne voulait pas aborder, il comprendrait parfaitement.

Neige est donc un modèle pour vos créations ? Je n’aurai pas imaginé qu’elle accepte ce genre de choses.

« Tutoyer est possible aussi pour toi ! » déclara C’ian avec enthousiasme. Elle n’aimait pas les choses à sens unique, y compris des choses aussi simples qu’un tutoiement. Certes, pour l’instant ils étaient en pleine étude du menu, la belle blonde ne sachant guère où donner de la tête tant les photographies des plats donnaient toutes des envies, mais cela ne les empêchait pas de faire connaissance, la preuve : Dean lui posa à son tour des questions et ce fut avec un sourire plus éclatant encore que précédemment qu’elle les accueillit. Enfin il faisait un pas vers elle, oubliant le fait qu’ils ne se connaissaient guère pour justement palier cette vérité. A croire que Neige avait parfaitement prémédité son coup et fait en sorte de ne surtout pas être présente au musée lorsque la pimpante japonaise viendrait lui apporter ses créations commandées ! « Japon est un pays très traditionnel, difficile de faire carrière en lingerie là bas lorsque l’on est fille ambassadeur. Adoptive en plus ! Si je gêne avec paroles tu me dis. » C’ian n’avait pas vraiment conscience du fait de la laideur de la race humaine. Sans vivre sur un petit nuage ou au pays des bisounours, elle voulait croire qu’elle pouvait se confiance sans avoir forcément à regarder par-dessus son épaule continuellement. « Non, non, non !! Neige pas modèle. Neige amie, et enthousiaste par création à moi… je crois qu’elle vouloir impressionner compagnon à elle, du coup commander plusieurs modèles à moi… je fais des essayages pour autres clientes mais pas Neige, et New York bonne demande, même si je ne suis pas encore connue. » Mais le talent de la jeune femme était indéniable, il n’y avait qu’à voir sa facilité à dessiner le visage de quelqu’un qu’elle connaissait à peine pour se rendre compte à la fois de son imagination mais de son talent fabuleux. Même sans diplôme, elle pourrait toujours faire valoir ses capacités… « Toi petite amie à qui je pourrais faire essayages ? » Ah, C’ian et son enthousiasme incontrôlable ! Sans même le savoir, elle venait de mettre gravement les pieds dans le plat. Mais à sa décharge, elle n’était pas extralucide…

Il fut surprit qu’elle accepte le tutoiement, mais il hocha la tête. D’accord, il l’a tutoierait alors. Du coup, comme ils étaient là, autant en savoir plus sur la jeune femme. Il savait que Neige ne se faisait pas des amis au hasard. Comme on dit, on choisit ses amis. Du coup, il doutait que C’ian soit une personne inintéressante. Il commença par lui demander si elle était venue vivre ici pour son travail. Peut-être que ça n’avait rien à voir. Elle avait dit qu’avec sa famille, ça n’était pas la joie, donc peut-être que c’était pour s’éloigner d’eux. Il n’en savait rien, du coup, il écouta ce qu’elle avait à y répondre.

Non, ça va.

Il n’avait pas de problème à la comprendre. Même si elle ne parlait pas bien la langue, il comprenait ce qu’elle voulait dire. Alors comme ça, elle était fille de l’ambassadeur, ça ne devait pas être facile tous les jours. Apparemment, elle avait été adoptée, chose encore plus difficile sans doute.

Ton père ne sait pas que tu crées de la lingerie ici ?

Il se posait la question. C’est vrai qu’au Japon, les femmes n’étaient pas aussi libre qu’ici et niveau lingerie, ça n’était pas un sujet qu’on pouvait aborder autour d’un repas de famille, il pouvait s’en douter. Parlant ensuite de Neige, apparemment, il s’était trompé. Elle n’était pas un modèle, mais elle était une amie de C’ian et aimait ce qu’elle faisait comme lingerie.

Impressionner son compagnon ? C’est vrai qu’il en faut beaucoup pour impressionner Mylo.

Dean ne pû s’empêcher de sourire à sa remarque. Mylo était un type bien, mais il était plus passionné par son métier que Neige. En tout cas, il l’avait vu comme cela au début. Mais, il avait bien vu que le jeune homme n’était clairement pas insensible aux charmes de leur patronne. Il savait qu’ils étaient en couple, mais il n’aurait pas imaginé que … oh stop. Fermant les yeux quelques secondes, il venait d’avoir une image qu’il devait à tout prit effacer de son esprit. Pas besoin de savoir comment Neige et Mylo se retrouvaient le soir venu. Cependant, le fait de lui donner les sous-vêtements le lendemain, pourrait l’amuser. Ouvrant les yeux, il regarda la jeune femme qui lui posait une question.

Non. Je n’ai pas de petite amie.

Son ton était plus dur que précédemment. Evidemment la jeune femme ne connaissait pas sa vie, mais parler de petite amie, lui faisait revenir sur la perte de son ex petite amie et comme à chaque fois, c’était un coup dur. Il ne voulait pas rester là-dessus, il fallait qu’il trouve autre chose à dire, plutôt que d’amener une atmosphère froide.

Tu fais des sous-vêtements pour homme aussi ?

Parler du métier de la jeune femme détendait plus qu’autre chose, donc autant partir sur le sujet. Il devait avouer qu’en effet, il ne connaissait pas les créations de la jeune femme, mais si elle en faisait pour les hommes, pourquoi ne pas se renseigner sur le sujet.

C’ian se souvenait exactement de l’espèce de monologue passionné dans lequel s’était lancée Neige pour parler de Mylo à la pimpante japonaise. Avant de la rencontrer, la belle blonde n’avait jamais connu quelqu’un aussi passionné ou même amoureux que ne l’était la conservatrice. Vraiment, elle dépassait de très loin les éventuels poncifs pouvant persister dans l’esprit de la demoiselle, poncifs créés par de nombreuses lectures et autres visionnages de films dont ni Cixi ni son père n’avait évidemment conscience. C’ian n’avait réellement une confiance aveugle qu’en sa mère, cette femme merveilleuse l’ayant adoptée à l’orphelinat un beau matin, après s’être désespérée des années à force de ne pas avoir d’enfant. Vraiment, sans elle, sans doute la jeune femme n’aurait-elle eut qu’une vie sombre, sans grand avenir ou même d’espoir… de cette façon, même malade, C’ian remerciait chaque jour sa mère en souriant à la vie, cette même vie l’ayant accueillie à bras ouverts malgré les difficultés. « Il ne doit jamais être au courant… il pense que je suis… ratée ? Je n’aime pas les études ou m’enfermer dans un bureau. Mon cerveau doit respirer pour créer, j’ai toujours été plus manuelle que cérébrale. Réfléchir n’est pas une qualité à moi… ma mère m’a aidée à venir ici, et mon père m’oblige à vivre avec ma sœur. Etrange, non ? » Mais le sourire de C’ian diminua d’autant lorsqu’elle se rendit compte du ton sensiblement plus dur et sec qu’il venait d’employer pour répondre à sa question. Loin d’elle l’envie de lui manquer de respect ou même pousser le bouchon trop loin… sa curiosité la menait souvent vers de dangereux sentiers et sans doute risquait-elle de finir par s’en mordre les doigts. « Je suis désolée » énonça-t-elle simplement. Mais désolée de quoi ? D’avoir posé la question ou manifestement réveillé des souvenirs désagréables ? Les deux. Autant dire qu’elle ne risquait pas d’en reparler de sitôt ! « Bien sûr ! Pour homme et femme… tu voudrais être modèle à moi ? »

Il avait mit les pieds dans le plat et pas qu’un peu. Là c’était pire que mettre les pieds dans le plat. Le père de la jeune femme n’aimait vraiment pas cette dernière et n’aimerait sûrement pas son travail. Ce qu’elle disait sonnait dur et Dean n’aurait pas aimé ressentir ça de la part de ses parents.

C’est vrai que c’est étrange. Mais peut-être qu’il veut te protéger, c’est pour ça qu’il te fait vivre avec ta sœur et que tu as un garde du corps ? Tu es la fille d’un ambassadeur, ça n’est pas à prendre à la légère.

Dans son esprit, il se disait que le père de la jeune femme était peut-être trop ancré dans ses obligations paternelles ancestrales. Mais, il plaindrait celui qui voudrait prendre C’ian comme épouse. Ca ne serait clairement pas une partie de plaisir d’aller parler à son père. Le pauvre homme qui vivrait cela ne serait clairement pas à l’aise.

Pourquoi pense-t-il que tu es ratée ? Tu es belle et tu as un métier qui marche.

Il ne voyait pas en quoi la jeune femme était ratée. Parce qu’elle voulait vivre ici et qu’elle fuyait son garde du corps ? Si c’était ça, c’était étrange aux yeux de l’archéologue. Seulement, quand la jeune femme parla de petite amie pour lui, il devint froid et préféra changer de sujet. Quand elle s’excusa, il comprit qu’il aurait dû être moins dur avec elle. Elle ne pouvait pas savoir, mais il ne fit que soupirer, ne sachant pas comment expliquer la chose. Alors, il préféra se taire et parla du métier de la jeune femme, seulement, il fut surprit par sa question.

Oh euh, je ne sais pas.

C’est vrai qu’il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devrait faire s’il devait être modèle. Ca pouvait être une expérience, mais il avait besoin de savoir ce qu’il aurait à faire.

Il faudrait que je fasse quoi ?

L’espace de quelques secondes, et quelques secondes seulement, le sourire de C’ian se transforma. Il n’était plus aussi éclatant que d’habitude et sonnait d’autant plus juste qu’un brin de mélancolie se plut à se glisser dans son beau regard émeraude. La pimpante japonaise ne se faisait absolument aucune illusion concernant son père : même s’il ne le lui dirait jamais ouvertement par respect et éducation, il n’empêche qu’il ne l’avait jamais considérée comme sa fille, du fait de la blondeur de ses cheveux, de son manque de respect des traditions, de son sourire trop prononcé… C’ian n’était pas la raison incarnée et ne souhaitait pas le devenir. Elle voulait vivre, penser, aimer à sa façon et non parce qu’elle avait été adoptée par une famille régie par une lignée de samouraï extrêmement conservatrice. Ce fut sans doute cette dernière idée qui la poussa à finir son kir en une deuxième gorgée à peine… « Père protège Cixi car de son sang. Moi blonde, adoptée par mère sans accord de père, eux pas pouvoir avoir d’enfants du moins ils pensaient. Je ne veux pas être armure impénétrable, je veux respirer la vie et non être un fossile… lui ne m’aime pas pour tout ça. Pas grave. Je suis habituée tu sais ! » C’ian ne s’attendait absolument pas à ce qu’il comprenne, néanmoins, elle reprit son tempérament enjoué face à son compliment qui lui fit extrêmement plaisir. « Tu trouves jolie moi ? » Sans rougir ou en être gênée une seconde, elle renchérit aussitôt : « Toi encore plus beau ! » Et autant dire que cela venait du cœur. Il n’y avait aucune arrière pensée avec quelqu’un comme C’ian, ce n’était pas possible. Surtout pas lorsqu’elle demandait à un presque parfait inconnu, dont le corps d’éphèbe ne pouvait qu’être remarqué par tous les yeux passant dans le coin, d’être un modèle potentiel pour une lignée masculine qu’elle n’avait pas eu l’opportunité ou l’audace de lancer jusqu’à lors. C’était un beau défi, n’est-ce pas ? « Trois fois rien ! Juste dire quel type de tissu tu aimes, ample ou plus proche du corps, accepter d’essayer certains modèles. Promis rien de terrible ! Si toi gêné, moi te donner des modèles, toi essayer et me dire lesquels tu préfères. Si toi moins gêné, je peux faire améliorations en direct. Mais pas d’arrière pensée hein… juste professionnel. Ca peut être marrant ! »

Côté famille Dean n’en avait plus aucune. Enfin si, son cousin, mais il ne l’avait pas vu depuis des années, alors qu’ils vivaient dans la même ville. En tout cas, ses parents, son grand frère et sa grande sœur lui manquaient tous les jours. Ca n’était pas facile à vivre, mais il avait du faire avec. Ses parents avaient toujours été bons avec lui. Il n’avait pas à se plaindre d’eux. Au contraire, il aimait vivre avec ses parents avant leur mort. Puis, son frère et sa sœur avaient prit le relais et depuis leur mort, il se débrouillait seul. Par contre, la famille de la jeune femme était beaucoup moins soudée. Avec ce que la jeune femme lui disait, il comprenait mieux les choses. Parce qu’elle était adopté, elle était rejetée par son père. Dean ne pouvait pas dire comment il aurait réagit à la place de cet homme. Mais, il devait avouer que s’il était père, même d’enfant adopté, il aurait fait tout son possible pour rendre les enfants heureux.

Tu sais les fossiles sont super dans mon métier.

Esquissant un léger sourire, il voulait juste dire à la jeune femme que ça pouvait être prit de cette manière là ce genre de terme.

Etre habitué ne veut pas dire que c’est agréable à vivre. A ta place, ça me ferais mal.

Etre rejeté par la personne qui est censé vous aimer le plus au monde, ça ne devait pas être facile à vivre, en tout cas, lui le ressentait ainsi.

Merci, c’est gentil.

Dean n’était pas focalisé sur son physique. Il savait qu’il plaisait, vu que certaines femmes venaient parfois l’aborder. Mais, l’entendre était étrange. Sans doute parce qu’on ne lui disait pas beaucoup. Cependant, quand elle parla d’être modèle, il devait avouer qu’il ne savait pas trop quoi en penser. Pourquoi pas, mais il devait d’abord savoir en quoi ça consistait exactement.

D’accord. Ca ne semble pas difficile, je peux le faire.

Après tout, ça le changerait de ses journées identiques à la seconde près. Il n’y avait que pendant ses vacances que les journées changeaient. Alors, pourquoi ne pas mettre de la nouveauté pour une fois ?

Il y aurait juste nous ou tu as une équipe qui travaille avec toi ?

S’ils étaient seuls, il serait sans doute moins tendu, mais après c’était juste essayer des modèles, donc ça n’était pas non plus être nu devant un parterre d’inconnu.

« Mais fossiles non vivants dans ton métier, je suis vivante moi ! » plaisanta-t-elle alors que Dean lui souriait, chose qu’elle trouvait extrêmement agréable en soi. Les traits de son visage s’illuminaient automatiquement dès qu’il se donnait la peine de sourire, et ce bien que C’ian ait totalement conscience du fait qu’il ne soit guère évident d’être ouvert face à une parfaite inconnue. Certes, Neige avait déjà présenté Dean à la pimpante japonaise il y a quelques jours mais cette entrevue n’avait pas duré plus de quelques secondes et C’ian n’avait pas l’impression de le connaître en ne l’ayant vu que ces quelques instants ! Pourtant, leur conversation évoluait rapidement, au point qu’elle ne lui ait confié LE drame de sa vie tournant autour de sa famille et notamment en plein cœur de sa relation avec son père. Ah, la belle blonde finissait par croire qu’à moins de ne créer sa propre famille un jour, chose qui risquait d’être fortement compromise si elle mourait jeune comme le prédisait ses différents médecins, C’ian n’aurait jamais la possibilité d’avoir l’impression d’être voulue, à moins de ne profiter de très rares instants en compagnie de sa mère, moments qui risquaient de ne se faire que plus rares étant donné que Maeda mère était restée à Tokyo… « Ca fait mal. Je peux mentir et dire le contraire mais ça fait mal. Ici je suis toute seule dans une immense ville, et ça me fait du bien de savoir que j’ai Neige tout près. » La conservatrice avait toujours été adorable avec elle, et leur amitié allait bien au-delà du fait qu’elle l’ait hébergée pendant deux semaines. Sa gentillesse était vraiment… indescriptible, tant et si bien que la jolie japonaise ne savait pas comment elle pourrait un jour la remercier de façon plus véridique et concrète qu’avec simplement des modèles de lingerie. « Je travaille seule. Je n’ai pas les moyens de payer quelqu’un… ça te dérange ? Tu n’as pas dit à moi si tu préférais faire essayage seul ou si tu me permettais de faire des retouches en ta présence. » Au fur et à mesure des minutes, l’anglais de C’ian s’améliorait... à croire que leur conversation la poussait à s’ouvrir là-dessus aussi, l’empêchant de stresser pour des broutilles.

Elle avait raison. Pour lui les fossiles étaient morts, mais pour elle, c’était du vivant. Elle ne devait pas être considérée comme telle et il le comprenait. Il se demandait comment son père pouvait être aussi désagréable avec elle. Comme il l’avait dit elle était belle et avait un métier qui semblait vraiment lui réussir. Donc pourquoi la rejeter autant ? En même temps Dean ne pouvait pas comprendre, il le savait. Les traditions de chaque pays sont différentes et surtout en Asie. Pour lui c’était dépassé ce genre de choses, mais il n’était pas né dans ce pays et avec cette culture. En écoutant la jeune femme, il pouvait en effet comprendre que ça lui faisait mal.

C’est vrai qu’avec Neige, vous êtes bien tombé.

La jeune femme était vraiment agréable. Très professionnelle dans son métier, mais elle avait ce petit grain de folie qui faisait qu’elle savait alléger l’atmosphère quand il le fallait. Evidemment, Dean l’avait vu mal après la perte de son bébé, mais il l’avait vu reprendre des forces, petit à petit. Elle avait réussit à passer au-dessus de ça et il devait avouer qu’elle ne l’aurait pas imaginé avec Mylo. Lui était un vrai rat de bibliothèque, mais ça l’avait amusé de les voir ensemble. Ce ne devait pas manquer de piquant entre eux.

Non, ça ne me dérange pas du tout. C’était juste pour savoir et pour les retouches, on pourra faire ensemble.

Ca ne le dérangerait pas du tout. Evidemment, il ne savait pas dans quoi il s’engageait exactement, mais ça ne le dérangeait absolument pas qu’elle le fasse alors qu’il essayait. Un serveur arriva alors et Dean porta son attention sur la carte. Il n’y avait pas fait très attention jusqu’à présent. Du coup, il chercha ce qu’il pourrait manger. Bien élevé, il laissa C’ian parler d’abord et finalement, il opta pour les paupiettes de veaux avec des frites. Dean était un bon vivant, même si en général au travail, il mangeait des sandwichs, au restaurant, il aimait bien prendre des choses plus consistantes.

Tu veux boire du vin ?

Il ne savait pas si elle en voulait avec son plat, mais il commanda quand même une bouteille de vin et une carafe d’eau en plus. Il ne dirait pas non pour boire de l’eau également. Pour le dessert, il verrait après.

La prochaine fois tu me feras donc ces sushis, c’est bien ça ?

Il revenait sur ce qu’elle avait dit avant de sortir du musée, elle avait fait cette proposition. Il devait avouer qu’il ne connaissait pas ce genre de repas.

Il faut que tu saches, que je ne suis pas très porté sur les plats de poissons. La seule nourriture asiatique que j’ai déjà mangé, ce sont des nems au porc, des acras et du canard laqué.

C’ian était proprement ravie. Enfin quelqu’un à qui elle pouvait proposer des essayages sans qu’il ne joue les grandes vierges effarouchées sur le retour ! Dean semblait quelqu’un de censé et cela lui plaisait énormément, car elle sentait qu’elle n’aurait pas besoin de prendre des gants ou d’insupportables voies incompréhensibles pour lui faire entendre quelque chose. Utiliser des raccourcis, c’est bien aussi ! « A part le saké, je ne connais aucun alcool… comment s’appelle ce qu’on a but au début ? » C’ian avait trouvé cela excellent et était presque prête à en recommander un, mais elle craignait de passer pour la première soularde venue. « Je me fie à toi » reprit-elle, en parlant du vin bien évidemment. Quant à son choix de plat, la jeune femme voulut essayer un gratin dauphinois du chef. Elle n’en n’avait jamais mangé et quitte à venir dans un bistrot français, autant choisir quelque chose qu’elle ne connaissait pas ! Surtout qu’elle n’aurait pas imaginé une seconde aller jusqu’à inviter un jeune homme charmant après sa petite livraison à Neige au musée… mais elle ne regrettait pas une seconde d’avoir franchi le pas et de l’avoir sorti lui de son bureau : cela ne pouvait être que bénéfique, pour lui comme pour elle, puisqu’ils ne semblaient pas en mesure chaque jour de faire de belles rencontres comme celle-ci. « Je vais noter numéro à moi, tu me donneras tes disponibilités ? Je peux ce weekend ! » Il ne fallait rien promettre à C’ian si l’on ne se trouvait pas en mesure de pouvoir poursuivre sur sa lancée. Elle était insatiable et capable de faire les questions et les réponses en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire… y compris lorsqu’il s’agissait de cuisine japonaise. « Toi jamais goûté mes sushis ! Si tu n’aimes pas, aucune importance, mais tu dois goûter ! Pas très porté… veut dire que tu n’aimes pas ou que tu ne connais pas ? »

C’était un kir.

Il le lui indiqua sur la carte, aux apéritifs, mais il ne s’était pas attendu à ce qu’elle n’ait pas but d’autres alcools que ceux de son pays. Dean n’était pas un grand consommateur d’alcool, mais il avait quelques notions. Comme tous hommes qui se respectent, il était plus attiré par la bière. Mais ce qu’il buvait le plus restait quand même de l’eau.

Je n’ai jamais bu de saké pour ma part.

C’est vrai que ça serait une découverte le jour où il en boirait. Quand elle lui expliqua qu’elle le suivrait niveau vin, il en commanda une bouteille, avec en plus de l’eau. Si elle ne connaissait pas, il espérait qu’elle apprécierait quand même. Après tout, chacun ses goûts, donc peut-être qu’elle n’aimerait pas. Il avait en tout cas prit un vin qui irait avec leurs plats à tout les deux. Finalement, en parlant du travail de la jeune femme, il devait avouer que faire les corrections des sous-vêtements avec elle ne le gênait pas. Elle était professionnelle, il n’avait donc pas à être gêné. En l’écoutant parler, il hocha la tête. Sortant son portable, il vérifia s’il avait quelque chose de prévu ce week-end, mais ça n’était pas le cas.

C’est bon pour ce week-end.

Il lui donna son portable, lui proposant d’inscrire son numéro dans son répertoire, ça irait plus vite.

Ca veut dire que je n’aime pas. Enfin, j’aime le saumon, mais il les autres poissons, je n’aime pas. Pour les sushis, je ne connais pas. Je n’ai jamais goûté, ça ne m’a jamais donné envie. Mais peut-être que les tiens seront très bons.

Oui, il goûterait, il était poli, mais il ne pouvait pas dire qu’il serait content d’en manger. C’est vrai que déjà le poisson normal ça ne passait pas, mais alors du poisson cru, ça lui donnait encore moins envie, ça s’était certain.

Il y a des choses que tu n’aimes pas manger toi ?

Lui c’était surtout le poisson. Pourtant, il était né près de l’eau et toute sa famille aimait le poisson, mais lui était l’exception, ce qui avait parfois amené quelque dispute à table.

« Sushis au saumon, noté ! » s’enthousiasma-t-elle soudainement tout en sautillant sur sa chaise, comme s’il s’agissait de LA nouvelle de l’année. A vrai dire, C’ian avait besoin de se dire que tout ne se résumait pas à ses examens médicaux catastrophiques, à la haine que lui vouait son père comme sa sœur ou à ses soucis financiers… la belle blonde était un être fier sous des dehors tantôt innocents tantôt imprévisibles. Il ne fallait pas être n’importe qui pour proposer un dîner à un archéologue, et ce bien que celui-ci n’ait aucune teinte romantique particulière, ou pour lui proposer d’être somme toute son tout premier modèle masculin. Une grande révélation révolutionnaire pour une artiste de sa trempe, surtout maintenant qu’elle était à New York et ne rêvait que d’une chose : percer pour son originalité, sa curiosité et son envie de jeter un œil neuf sur ce qui se faisait déjà. Qui sait ? Sa collaboration avec Dean serait peut-être fructueuse ! « Mais… je préfère que tu ne viennes pas à maison à moi, ma sœur risque de tout cafter à père et je ne veux pas qu’il cherche à te menacer. On ne sait jamais… » C’ian ne connaissait que trop bien son père et son envie de la marier à un homme qu’il aurait jugé comme digne de « recevoir » sa fille comme épouse. Elle s’était longuement rebellée contre l’idée mais quelque chose lui disait qu’elle n’avait pas encore fini d’en entendre parler… « Il veut imposer mari à moi en fait. Et pour lui, moi pas travailler. Donc, si moi avec toi, forcément pour autre raison que pour travailler. » En un mot comme en cent, elle imaginait tout à fait son père se faire les pires films de la création tout ça parce qu’elle côtoierait un homme afin de lui proposer diverses modèles de sous-vêtements… « Manger ? Le fromage trop fort, les légumes secs et aussi les poivrons… je crois que c’est tout. Tu es bien là ou tu es encore en colère pour ma question ? » Sur sa vie sentimentale, bien entendu !