D’ordinaire, Meeka-Luz avait horreur des mondanités. Du moins, pour celles qui avaient lieu entre avocat du barreau. Bien qu’appartenant à leur famille, l’égyptienne avait toujours l’impression d’être une extraterrestre au milieu de tous ces gens. Peut-être parce que, contrairement à eux, elle ne descendait pas d’une longue lignée de représentants de la loi. Ses parents à elle étaient jardiniers ou parfumeurs, et pourtant elle avait l’impression d’être malodorante. Oui, Meeka-Luz détestait les cocktails, en revanche, parader pour l’association LELA ne lui posait aucun problème. C’était là qu’était sa place. Elle parcourut du regard la vaste salle pour jauger la foule et esquissa un sourire satisfait. L’égyptienne constatait qu’à chaque réception, les généreux donateurs se faisaient plus nombreux et elle ne pouvait que s’en réjouir. C’était en tant que simple bienfaitrice qu’elle avait un jour poussé la porte de l’association et ne l’avait plus jamais quitté. Au début, les sœurs De Alvear venaient lui rendre visite à son cabinet pour avoir un avis juridique sur quelques dossiers épineux et, une chose en entraînant une autre, elles s’étaient liées d’amitié. Sensible à la cause qu’elles défendaient avec passion, Meeka-Luz leur avait proposé d’intégrer l’association en tant que bénévole et fut bien évidemment accueillie à bras ouverts. C’était logique, après tout ; elle les avait déjà aidées par le passé. Ce nouveau statut ne faisait donc que rendre les choses officielles. Lorsqu’elle s’avança dans la salle, Meeka-Luz croisa quelques têtes familières avec qui elle échangea une poignée de main ferme mais délicate en les remerciant de leur présence. Certes, elle n’était pas la maîtresse de soirée, cependant il lui tenait à cœur de remercier les personnes qui s’étaient déplacées. Manifestement, le bouche à oreille semblait fonctionner à merveille. Sans vouloir paraître vénale, Meeka-Luz espérait à présent que leur générosité soit équivalente à leur curiosité.

En se frayant un chemin à travers la foule, l’égyptienne distingua la silhouette d’un enfant qui la pointait du doigt. Un sourire franc s’afficha aussitôt sur son visage lorsqu’elle reconnut Liko, un petit garçon qu’elle avait défendu bec et ongles. Il était accompagné de Laïsha, la photographe de l’association et membre de la famille fondatrice. Meeka-Luz s’élança donc vers eux en même temps qu’ils progressaient vers elle et se pencha vers Liko pour l’embrasser sur la joue. « Salut bonhomme ! Tu es vraiment à croquer dans ton costume. ». Elle ne put s’empêcher de sourire en le voyant rougir comme un tomate et balbutier ce qui ressemblait à un remerciement. « Salut, je suis contente que tu aies pu te libérer. ». Meeka-Luz se redressa pour s’intéresser à Laïsha et haussa les sourcils en poussant un soupir pour lui faire comprendre que sa présence ici n’avait pas été très facile à négocier, mais le principal c’était que la jeune femme avait obtenu gain de cause.  « Hey ! – s’exclama-t-elle à son tour – Tu sais bien que je n’aurais raté ça pour rien au monde. Je suis contente de te voir, de voir tout ce monde... ». Elle désigna la foule d’un geste ample de la main avant de se retourner de nouveau vers Laïsha. « La collecte de fonds s’annonce fructueuse, en tout cas. ». Impossible pour l’avocate de ne pas s’en réjouir ; les dons étaient vraiment nécessaires pour ces enfants lésés que l’association prenait sous son aile. « Liko n’est déjà plus le même, ça me fait chaud au cœur de le voir aussi épanouie. ». Et ça la confortait aussi dans l’idée qu’elle était vraiment à sa place ici.

Il n’y avait rien de plus gratifiant que de marcher parmi toutes ces personnes qui – bien qu’issues de milieux différents – étaient tous sur un même pied d’égalité, réunies par un but commun. Être ici, c’était aussi prendre conscience du travail titanesque des fondatrices de l’association, mais aussi de ses bénévoles et de ses généreux donateurs. Et puis, il y avait Liko. Qu’est-ce qu’elle était heureuse de le voir, ce petit ! C’était le premier enfant que Meeka-Luz avait aidé en tant qu’avocate bénévole ; il représentait tout un symbole à ses yeux. « C'est vrai, il a pas arrêté de me parler de sa nouvelle chambre, et de tout ce qu'il apprend, j'ai même eu droit à tout son menu de la semaine ! » s’exclama Laïsha. L’avocate accompagna son rire en jetant un dernier regard affectueux à l’enfant. Elle était vraiment heureuse de voir que la roue tournait enfin pour lui ; il allait enfin pouvoir grandir comme un enfant ordinaire. « On oublie vite toutes ces petites choses qu'on considère comme acquises & qui, à ses yeux, représentent le monde entier...». Un doux sourire drapa le visage de Meeka-Luz qui médita aussitôt ses belles paroles en opinant du chef. Elle comprenait parfaitement où Laïsha voulait en venir car, à une époque, l’égyptienne n’avait pas été si différente de Liko. En partant de rien, Meeka-Luz & Cataleya avaient pu se reconstruire grâce à la famille Salvoni mais d’autres enfants n’ont malheureusement pas cette chance. « That’s true. » commenta-t-elle simplement avant d’attraper un gobelet de jus de fruits sur le buffet.

Elle but une gorge, perdue dans ses songes avant que Laïsha ne l’en tire. « Je te remercierais jamais assez, d'ailleurs, il serait pas là sans toi... » – « Mh ? Oh ! Je l’ai fait avec plaisir. LELA m’apporte beaucoup, tu sais. J’admire votre dévotion et je ne regrette pas de m’être lancée dans cette aventure avec vous. Si être avocate du barreau n’était pas aussi prenant, soit certaine que je passerai plus de temps dans vos locaux. » affirma-t-elle. Et c’était vrai. Si Meeka-Luz pouvait se scinder en deux, elle le ferait volontiers ! Son regard accrocha alors toutes les photographies accrochées en frise sur un pan de mur ; toutes signées Laïsha De Alvear. « Tes clichés sont très réussis, émouvant même. Tu sais capter les émotions… Tu as déjà pensé à les exposer ? ». De mémoire, Laïsha n’avait pas fait mention d’un autre travail que celui de photographe pour l’association et cette soirée était justement l’occasion de chercher à en apprendre davantage sur elle. « …Ou t’improviser photographe d’évènementiels comme les mariages, par exemple. Avec ton talent, je ne doute pas que les gens s’arracheront tes services. »

« Tu seras toujours la bienvenue, tu le sais très bien. Mais tu fais aussi un travail formidable au barreau ! ». Meeka-Luz la gratifia d’un énième sourire. Parfois, elle aimerait avoir la faculté de se dédoubler pour donner de son temps là où il y en avait véritablement besoin. Son travail d’avocate était déjà vraiment prenant mais elle s’estimait heureuse d’avoir assez de temps libre pour le consacrer à l’association de la famille De Alvear.

Elle enchaîna bien vite sur les clichés de Laïsha, lui reconnaissait un talent certain pour immortaliser un souvenir et le rendre authentique. « Oh, je suis loin d'être une professionnelle. Sincèrement, un jour j'ai eu un appareil photo dans les mains, j'étais en train d'aider l'association et en rentrant, Lana a mis une des photos sur la page facebook de LELA, ça a été reposté et reposté, et étant une main d'oeuvre plutôt cheap & flexible, les filles m'ont demandé de photographier plus souvent, c'est tout... Ça m'est arrivé de le faire pour des amis, récemment d'ailleurs, mais... enfin, il y a déjà beaucoup de professionnels sur le marché, j'ai jamais pris un seul cours ! Mais si un jour tu as besoin d'une photographe pour un événement, du coup, je coûte pas cher ! ». Meeka-Luz ne pouvait que comprendre. Elle-même avait essayé de se mettre un jour à la photographie mais les quelques sites internet que la jeune femme avait consulté dans ce but très précis l’en avait dissuadé ; cela nécessitait du temps et beaucoup de patience. Tant pis, elle se contenterait de son petit appareil photo numérique ou – à défaut – de son iPhone. « Oui, je me souviens de cette photo. C’était pour un appel au don et c’est comme ça que j’ai connu l’association dans un premier temps. En tout cas j’en prends bonne note pour un évènement à venir même si je pense que ça ne se produira pas avant quelques années ! ». Il ne faisait aucun doute que Meeka-Luz pensait mariage ou maternité, deux choses qui lui étaient inaccessibles pour l’instant à cause d’un emploi du temps bien chargé et d’une vie sentimentale aussi aride que le désert de Gobi. « Je pense que je préfère largement avoir du temps libre pour... aider LELA, pas seulement en prenant des photos, vraiment. J'aime le terrain, et en soi, l'armée y ressemblait beaucoup et m'a appris tout ce que je peux réutiliser aujourd'hui pour les enfants. ». Meeka-Luz acquiesça. Laïsha semblait également avoir trouvé sa place ici. L’occasion pour l’avocate de se rappeler qu’elle aussi avait toujours eu envie de changer les choses en y participant de manière plus active qu’en étant derrière un bureau. « J’aimerais beaucoup venir sur le terrain moi aussi et voir ce qui se passe lorsqu’on est vraiment pris dans le feu de l’action… Tu penses que c’est faisable ? ». Meeka-Luz pouvait s’arranger avec son cabinet et prendre un congé spécial pour l’occasion, mais elle voulait avoir l’avis de Laïsha sur la question parce que la jeune femme connaissait le terrain beaucoup mieux qu’elle. Il fallait avoir le cœur bien accroché et, théoriquement, une avocate devait être douée de sens-froid et de diplomatie au cours de son plaidoyer mais la réalité du milieu auquel elle pouvait être confrontée là-bas était complètement différente.