Lorsque j’avais commencé à noircir les premières pages de mon premier livre, je n’aurais jamais cru qu’il aurait un tel succès et encore moins qu’un second verrait le jour. Lorsque j’avais commencé ce premier livre, je l’avais plus fait pour moi-même que pour informer les autres. J’avais simplement voulu écrire sur ma passion qu’était l’océan et sur les combats que je menais pour le préserver. Un peu à la manière d’un journal en fait. Quelque chose de personnel et d’intime. Puis, peu de temps après son arrivée chez moi à New York, Toni était tombé dessus. Ma petite sœur m’avait alors poussé à aller voir un éditeur, persuadée que ce livre valait de l’or et informerait les gens sur la situation actuelle. C’était surtout ce dernier point qui m’avait poussé à aller voir un petit éditeur indépendant. Et ma sœur avait eu raison apparemment. L’éditeur n’avait même pas exigé de correction de ma part et pensait que mon style d’écriture était réellement agréable. Je n’aurais jamais imaginé cela. Bien sûr, j’avais déjà écrit par le passé, généralement lors de mes voyages sur l’océan, seul dans mon bateau. Mais je n’aurais jamais cru que je pourrais avoir un don quelconque pour l’écriture. Et surtout, je n’aurais jamais cru que tant de personnes auraient acheté mon livre et encore moins qu’il deviendrait un bestseller et serait acclamé par la critique. Mon éditeur m’avait alors demandé si un deuxième livre m’intéresserait. Je n’avais pas accepté directement, ne voulant pas signer de quelconque contrat. Après tout, qui pouvait écrire sur commande ? Mais je lui avais promis que si j’en écrivais un deuxième, j’irais le voir lui et personne d’autre. Et c’était ce que j’avais fait il y a quelques mois. Comme le premier, le second se vendait comme des petits pains. À tel point que s’en était impressionnant. Je devenais un « personnage public ». Les gens me reconnaissaient dans la rue à présent. Étant donné que j’étais plutôt une personne solitaire, cela me faisait un peu bizarre de faire des photos avec des inconnus, de leur signer des autographes, … Bien sûr, tant que cela m’aidait dans mon combat – ce qui était largement le cas – j’acceptais. Mais je devais bien avouer que ma solitude et mon anonymat me manquaient. Et c’était donc pour l’une de ces raisons que j’avais décidé de repartir en mer. Je comptais faire une espèce de « roman photos » pour mieux présenter l’océan et ses merveilles à mes lecteurs. Pour le moment, je ne faisais que mettre les choses en place et étais même à la recherche d’un photographe – n’étant pas très doué pour les photos. Donc, du moins pour aujourd’hui, une promenade suffirait. Entendant quelqu’un m’appeler, je levais les yeux au ciel. Si même aux docks on me reconnaissait, je ne voyais pas comment je pourrais m’en sortir. Mais bon, c’était le revers de la médaille, j’imagine. Je me forçais à sourire en me retournant pour voir qui s’adressait à moi. Et reconnaissant la jeune femme immédiatement, mon sourire devint d’un coup bien plus honnête. « De Alvear ? » m’écriais-je, surpris, mais heureux de revoir une des amies de ma sœur. J’allais à son encontre pour la prendre rapidement dans mes bras et déposer une bise sur ses joues. « Ça fait longtemps ! C’est moi ou tu as encore grandi ?» lui demandais-je dans un petit rire. « Qu’est-ce que tu deviens ? »

Cela me faisait étrange de me retrouver en présence de Laïsha. Cela devait bien faire cinq bonnes années que nous ne nous étions pas vu. Depuis la rupture de mes fiançailles d’avec Lela, la grande sœur de Laïsha. Lela avait été une des rares femmes avec laquelle je m’étais imaginé un réel futur. Bien sûr, nous étions différents – presqu’à l’opposé d’ailleurs – mais justement, à l’époque, le contraste de nos deux personnalités me convenait parfaitement. Mais j’aurais dû me douter que cela se finirait. Au bout de trois ans de relation et quatre mois de fiançailles, elle avait fini par me poser un ultimatum : elle ou l’océan. Elle ne voulait pas que je passe ma vie entre terre et mer et d’après elle, j’avais un choix à faire. Le choix avait été rapide à faire. Et nos fiançailles furent annulées. Après tout, quelle personne pouvait demander à l’homme qu’elle aime d’abandonner sa passion de toujours ? Son métier même ? Pour moi, l’amour ce n’était pas ça, bien au contraire. Je n’avais que peu de fois été réellement amoureux, mais pour moi, l’amour c’était justement d’accepter entièrement sa compagne, tel qu’elle était. Avec ses qualités, ses défauts, ses passions, … On ne pouvait pas juste aimer une partie de la personne et pas le reste. Ou on aimait entièrement la personne, ou on ne l’aimait pas. C’était aussi simple que cela. Mais jamais, au grand jamais, on essayait de la changer. Puisqu’après tout, si on la changeait, elle ne serait plus elle, non ? Elle serait différente de la personne dont on est tombé amoureux en premier lieu, non ? Bref, c’était quelque chose qui me dépassait totalement. Donc depuis notre rupture, je n’avais plus revu sa famille. Ni Laïsha, malgré son amitié avec ma sœur. Mais finalement, je n’étais pas gêné en sa présence. Surtout que ce n’était pas de ma faute si je n’étais plus avec sa sœur, mais bien de la sienne. Bien sûr, je n’avais pas pu m’expliquer avec sa famille et malgré que j’aie été proche d’eux lorsque je sortais avec elle, ils avaient totalement coupé les ponts avec moi. Et puis, ce n’était pas plus mal finalement. Après tout, les diners auraient été gênants, non ? « Photographe ? » répétais-je, réellement intéressé. « Et tu photographies quoi ? Parce que tu sais que je suis justement à la recherche d’un photographe pour faire une espèce de roman photos ? » lui dis-je dans un petit rire, surpris par la coïncidence. Bon, travailler avec elle pourrait tout de même être gênant. Pas pour moi, mais plutôt pour elle et sa famille. Après tout, cela voudrait dire être dans mon bateau, seule avec moi, pendant au moins deux mois. Pas sûr que sa famille apprécie. « Moi aussi je suis content de te voir. Et pour tout avouer, quand j’ai entendu mon nom, je croyais que ça allait de nouveau être une personne qui a aimé mes livres. Je sais que ça devrait me faire plaisir et tout, mais tu me connais, j’aime ma solitude et ma routine. » avouais-je, un peu embarrassé. « Oui, je comptais faire une ballade. Partir un peu au loin pour la journée. » acquiesçais-je dans un petit sourire. Puis sans réellement m’en rendre compte, je lui proposais de m’accompagner. « T’as envie de venir avec moi ? »

« Désolée mais, vraiment, je te ferais perdre ton temps. Je suis loin d'être une professionnelle, on m'a mis un appareil photo dans les mains y'a trois ans et depuis, j'appuie sur les boutons d'engins beaucoup trop perfectionnés pour mon savoir-faire. » me dit la jeune sœur de mon ex fiancée, même si je ne la croyais pas vraiment. « Je suis sûr que tu es bien trop modeste. » lui dis-je dans un rire, même si j’étais grandement soulagé qu’elle refuse mon offre. Après tout, partir trois mois en mer avec la petite sœur de son ex petite amie, il n’y avait pas moins gênant, non ? Même si bien sûr, je n’avais rien fait de mal lors de notre séparation – après tout, elle n’avait qu’à pas me demander de choisir entre elle et ma passion non plus, alors que l’océan faisait parti intégrante de ma vie, de mon histoire, de ma personnalité, bref de moi – et j’aurais même préféré que nous restions tous en bons termes. Après tout, j’avais toujours apprécié les De Alvear et j’avais été triste qu’ils ne veuillent plus de ma présence, ni m’adresser la parole. Bien sûr, je les comprenais. J’avais fait souffrir leur fille en rompant avec elle, mais j’avais également souffert de cette séparation, et réellement je ne me voyais pas le méchant de l’histoire. D’ailleurs, il n’y avait probablement pas de méchant dans cette histoire. La conversation dériva ensuite sur mes livres. Je me demandais si elle les avait lus. Probablement pas. Je l’imaginais mal se balader chez elle avec des livres ayant une photo de moi en page de couverture. Même si j’espérais réellement que Laïsha ne m’en voulait pas d’avoir rompu avec sa sœur, je me doutais bien qu’il serait mal opportun pour elle d’avoir mes livres chez elle si cela avait été le cas. « Oui, je sais... et j'ai entendu parler de tes livres, félicitations pour ça ! » me félicita-t-elle. Baissant, la tête, gêné comme à chaque fois qu’on me félicitait – ou même me complimentait d’ailleurs – je la remerciais. « Merci … Enfin c’est pas grand chose hein. J’ai commencé à les écrire pour moi, comme un journal en quelque sorte. Et c’est Toni qui m’a forcée à aller voir un éditeur. Elle est tombée dessus, l’a lu et à partir de ce moment-là, je n’ai plus vraiment eu le choix. » répondais-je dans un grand rire. Je n’avais jamais pu refuser quoique ce soit à ma petite sœur. Autant je n’avais aucun problème avec mes frères, autant je passais tout à ma cadette. Mais bon, avec l’océan, elle était ce qui m’importait le plus dans ma vie. Donc comment pouvais-je lui refuser quoique ce soit ? « Si l'homme solitaire que tu es peut me supporter, avec plaisir ! » l’entendais-je accepter ma proposition de m’accompagner en mer pour l’après-midi. Dans un rire, je commençais donc à défaire les liens de la corde, avant de l’inviter à monter. « Tu sais, je t'envie, toi & ton bateau – tu peux disparaître quand tu veux, aller au calme, ou t'éclater sur les vagues en fonction de ton humeur...  » avoua-t-elle, m’entrainant un petit sourire par la même occasion. « Et c’est d’ailleurs pour ça que j’aime l’océan. Quand je suis sur mon bateau, plus rien d’autre n’importe. Je suis moi, je suis vivant. »

Je rendais son sourire à Laïsha, avant de commencer à lâcher les voiles. Les voyant se mettre en place, je ne pus m’empêcher d’avoir les yeux émerveillés. C’était la même chose à chaque fois, et la sensation ne disparaissait jamais. Voir le vent faire son travail me remplissait toujours d’un sentiment indescriptible, comme si chaque chose était à sa place, dans son milieu. « Ahaha, tu ne peux toujours rien lui refuser, hein ? » entendais-je la jeune femme plaisanter sur mon incapacité à refuser quoique ce soit à ma sœur cadette, ce qui me fit revenir à la réalité. « Je pense que ma cause est perdue d’avance. » commençais-je dans un rire. « Je n’ai jamais réussi à lui dire non et je crois que je n’y arriverais probablement jamais. » continuais-je, sans perdre mon rire, avant de rentrer l’ancre et de me placer devant le gouvernail. Nous éloignant enfin du port, j’expliquais ce que j’aimais tant dans l’océan. Je me demandais si la jeune femme comprenait. Je savais que le surf avait été sa passion à un moment – passion qu’elle partageait avec Toni et qui les fit se rencontrer – mais elle avait arrêté. Et puis, sa sœur m’avait bien demandé de choisir entre elle et l’océan, ce qui avait fait rompre nos fiançailles … Mais je n’arrivais pas à imaginer Laïsha comme Lela. Cette dernière était bien plus terre à terre, bien plus femme d’affaires que ne semblait l’être sa petite sœur. Mais peut-être n’était-ce qu’une impression ? C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’insistais pas plus que cela en lui expliquant ce que l’océan me faisait ressentir. Et puis, peut-être était-elle au courant de la raison de notre rupture, et je ne voulais pas la mettre dans une situation plus gênante qu’elle ne l’était actuellement. « Tu as un plan, ou on va où le vent nous porte ? » me demanda-t-elle, me faisant échapper un nouveau rire. « Je n’ai jamais de plan quand je suis sur mon voilier. Je laisse faire l’océan son travail et je profite simplement des beautés qu’elle a à m’offrir … » répondais-je rêveur, comme probablement à chaque fois que je parlais de naviguer.

Les rencontres dues au hasard étaient tout de même assez étranges. Voilà qu’après des années sans la voir, ni sa famille, Laïsha s’était retrouvée sur mon chemin. Et que, toujours un peu par hasard, je lui avais proposé de venir avec moi en mer. Mais parler avec elle était réellement plaisant.  Surtout lorsqu’il s’agissait de parler de Toni, ma petite sœur à qui je ne refusais jamais rien. Après tout, les deux jeunes femmes étaient amies, et puis surtout, j’avais l’impression que Laïsha comprenait ce que je vivais, cette incapacité à pouvoir dire non à ma cadette. Ce qu’elle me confirma, d’ailleurs. « Oh, t'en fais pas, je suis exactement pareille avec Lana. » me répondit-elle, ce qui me fit lâcher un rire. « Me voilà rassuré alors ! Je ne suis pas le seul à vivre sous la tyrannie d’une petite sœur ! » exagérais-je – à peine – en riant. Je n’avais pas réellement beaucoup d’amis. Quelques uns, mais on ne pouvait pas dire que je tirais mon épingle du jeu non plus. Je n’étais pas la personne la plus sociable existante sur Terre, c’était un fait. Je n’allais que rarement vers les autres et préférais tout simplement ma solitude, d’ailleurs. Mais quelques fois, parler à une oreille amicale me manquait, c’est vrai. « Bien, partons à l'aventure alors ! » s’exclama-t-elle après que je lui ai avoué que je n’avais jamais de plan lorsque j’allais en mer. Je me tournais vers elle dans un sourire, avant de regarder de nouveau le gouvernail – même si, avouons-le, je ne faisais pas grand chose d’autre que le tenir. Puis la conversation dériva. « Tu sais, je voulais te dire... à propos de... Lela et toi. » commença la jeune femme, ce qui me fit serrer la mâchoire, plus que je ne l’aurais voulu. « Je veux juste te dire que... je suis pas là pour te juger, ou la juger, ou m'immiscer dans des histoires d'il y a longtemps. Elle a tourné la page, kind of, et toi aussi, et... voilà, j'ai jamais vraiment osé reprendre contact avec ça et puis, je suis partie en Argentine, puis je suis venue ici, mais ça veut pas dire que je prends une quelconque position dans cette histoire ou que je t'en veux d'avoir rompu vos fiançailles. » J’aurais peut-être dû me douter que nous finirions par en parler. J’avais également tourné la page, ce n’était pas le problème. Mais j’avais été très … déçu, on va dire, du comportement de Lela. Et maintenant, je ne savais plus vraiment quoi répondre à la jeune femme. Je me tournais vers elle, pour la regarder. « Ça me fait plaisir que tu ne m’en veuilles pas d’avoir rompu nos fiançailles. J’imaginais qu’elle avait fait de moi le méchant de l’histoire, ou autre chose du style. Sache que je n’aurais jamais rompu si les fiançailles si je ne m’en été pas senti obligé. J’aimais réellement ta sœur. Mais apparemment, ce n’était pas son cas. Enfin, pas entièrement. Elle voulait que j’arrête la navigation. Et, je sais pas, dans ma tête je me suis dit qu’elle ne devais pas réellement m’aimer pour me demander ça … » lui avouais-je en me mordillant les lèvres de gêne.

Parler de ma sœur me faisait du bien, réellement. J’adorais parler d’elle en fait, et du fait qu’elle passait son temps à me taquiner, et à me faire craquer aussi, puisque j’étais incapable de lui dire non. Ce n’était pas quelque chose qui me gênait, au contraire, puisque je préférais prendre cela avec humour, comme je le faisais actuellement avec Laïsha, une amie de cette dernière justement. Mais la jeune femme n’était pas que l’amie de ma cadette, mais bien la sœur de mon ex fiancée. Et même si le sujet mis du temps avant d’être abordé, elle finit par le faire. Je lui expliquais alors la raison de notre rupture, même si je me disais qu’elle avait probablement une toute autre version. Après tout, elle avait dû faire de moi le méchant de l’histoire, non ? Le méchant qui avait osé choisir l’océan à elle. Mais quand on savait que l’océan était ma passion, était ma vie, peut-être que ce choix ne surprenait pas tant que ça. Et c’était probablement pour ça que Laïsha ne semblait pas m’en vouloir d’avoir mis fin à mes fiançailles avec sa sœur.   « Je suis au courant... Lela n'a pas vraiment été discrète, après ton départ. Tout Hawaii doit encore s'en souvenir. » me dit-elle, me faisant lâcher un petit rire. Oui, c’était bien ce que je pensais aussi. Mais si cela avait pu l’aider à tourner la page de notre histoire, tant mieux pour elle. Et c’était ce que je décidais de répondre à sa jeune sœur. « Si le crier sur les toits a pu l’aider à tourner la page, c’est tant mieux écoute. » répondais-je sans perdre mon petit rire. « Encore une fois, je suis pas là pour juger, et je respecte que tu aies fait ce que tu as fait... pour ne pas dire que je suis d'accord avec toi, personne n'a besoin de savoir ça, mh... » continua-t-elle, me tirant un nouveau rire. Bon, au moins je n’étais pas le seul à penser que j’avais eu raison de mettre fin à notre histoire, vu l’ultimatum qu’elle m’avait posé. C’était assez rassurant. J’acquiesçais lentement pour réponse, dans un sourire. « Enfin... De l'eau a coulé sous les ponts, je pense qu'il en faudrait beaucoup à Lela pour te pardonner vraiment mais je peux t'assurer qu'elle a continué d'avancer de son côté et que les choses sont sûrement mieux comme elles le sont maintenant ; surtout si toi aussi tu t'épanouis dans ce que tu fais. » termina-t-elle. J’étais heureux qu’elle ait pu tourner la page. Ce n’était pas que je n’avais pas pu – après tout, je ne pensais même plus à elle depuis longtemps – mais cette expérience avait vraiment été mauvaise pour moi, et j’étais resté près des femmes après. « Je suis heureux pour elle, sincèrement. J’espère qu’elle a trouvé l’homme qui lui faut, qui la passera en premier. J’en étais incapable, mais chaque pot a son couvercle, non ? » finissais-je dans un haussement d’épaules.