J’essuyais rapidement mes larmes, mais d’autres revenaient rapidement prendre leur place. Je n’étais pas comme elle. Je n’étais pas comme elle. Je n’étais pas comme elle. Je revoyais la scène se dérouler devant mes yeux. Une énième dispute avec Joshua alors que j’étais pour une fois rentrée à la maison – enfin, si on pouvait appeler ça chez moi. Un énième verre de whisky pour lui. Des cris, toujours des cris. Et sa main claquant sur ma joue. Je savais qu’il le regrettait. Je savais qu’il n’avait jamais levé la main sur moi, et que ce n’était que notre vaisselle qui prenait tout. Mais pas ce jour-là. Il était vrai que je lui avais répondu ironiquement. Je ne le faisais pas d’habitude. J’étais juste compréhensive, je l’écoutais me répéter les mêmes choses qu’il me disait à chaque fois – soit que j’étais la pire des petites amies, jamais présente à la maison, qui passait son temps à l’hôpital, « responsable » de la mort de sa sœur, bla bla bla – mais cette fois-ci, j’avais été épuisée et j’en avais juste eu assez. Peut-être n’aurais-je pas dû ? Peut-être que ça aurait été différent si j’avais fait comme d’habitude. Personne n’était au courant de ce qu’il s’était passé, à part Elisa, qui sortait mon chien et qui venait de revenir. À part elle, personne ne le savait. Pas même ma psychiatre, à qui pourtant je disais tout – il était vrai que parler des souvenirs que j’avais et que je me remémorais en détail, m’aidait un petit peu. Non, là, j’avais gardé ça pour moi, et je revoyais la scène encore et encore. Et surtout maintenant, alors que je sortais de la chambre de la fille de madame Mayer. Il était clair que son mari abusait d’elle et passait ses nerfs sur elle. Heureusement – ou peut-être malheureusement finalement – sa fille n’était là à cause de maltraitance, mais pour un leucémie – comme je le disais, c’était plutôt malheureusement en fait. Mais voir sa mère m’avait donné un autre de ces espèces de flashback autobiographique – comme je les appelais – et dès que la visite avait été terminée, je m’étais presque sauvée pour me retrouver dans la cage d’escaliers. Je savais que tout n’allait pas pour le mieux entre Joshua et moi, et cela depuis que j’avais commencé mon internat. Mais la mort de sa sœur avait été le déclencheur en quelque sorte. Il avait besoin de blâmer quelqu’un, et c’était tombé sur moi. Et ce n’était pas comme si je pouvais le quitter alors qu’il traversait la pire période de sa vie, non ?

Lorsque Joshua avait commencé à noyer son malheur dans l’alcool et qu’il avait commencé à montrer des signes de violence envers notre vaissellerie, je m’étais toujours dit que s’il levait une fois la main sur moi, je romprais définitivement avec lui. Mais maintenant qu’il l’avait fait, je n’en étais plus vraiment sûre. Après tout, ce n’était qu’une gifle. Et il s’était énormément excusé, apparemment autant perdu que moi. Et vu la phase qu’il traversait, je me devais d’être à ses côtés non ? Cela faisait près de huit ans que nous étions ensemble maintenant, je ne pouvais pas le quitter et tourner la page de huit années juste parce que nous traversions une mauvaise passe. Peut-être que je pourrais lui poser un ultimatum. Du style, s’il veut rester avec moi, il doit aller faire une cure en centre de désintoxication, et arrêter l’alcool à jamais. Je n’aimais pas particulièrement les ultimatums. Déjà, je n’aimais pas qu’on m’en fasse, donc forcément « ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on ne fasses ». Et puis j’avais toujours fait un peu ce que je voulais, et n’aimais donc pas vraiment qu’on m’impose des choses. Si je l’acceptais dans le domaine du travail – en même temps, je n’étais encore qu’une interne, donc forcément – je ne l’acceptais pas dans ma vie privée, c’était certain. Mais là, est-ce que j’avais vraiment le choix ? Alors que j’avais maintenant peur de rentrer chez nous ? Surtout que cette situation durait depuis plusieurs mois maintenant. Et si avant je dormais la plupart du temps à l’hôpital pour éviter les disputes, maintenant c’était plus la peur qui m’empêchait de rentrer. Et puis, c’était pour son bien aussi. Ce n’était pas que pour nous deux. J’avais fait médecine, donc je pouvais citer tous les méfaits de l’alcool sans avoir à y réfléchir. Rien que d’y penser me faisait revoir dans tous les détails un de mes anciens livres de cours, donc je savais à quel point l’alcool pouvait être mauvais pour une personne. Je me figeais en entendant des bruits dans les escaliers. Je n’avais pas envie qu’on me voie ainsi ! Je séchais rapidement mes larmes, entendant une personne arriver. Elijah … Enfin le docteur Fitzgerald. « Dolce ? » demanda-t-il en se rapprochant encore. « Hum ? » fut tout ce qui sortit de ma bouche. J’avais l’impression que si je me mettais à parler, je ne pourrais définitivement plus m’arrêter de pleurer. Et si je n’aimais déjà pas pleurer devant un public, je voulais encore moins pleurer devant lui, c’était certain. « Qu’est-ce que vous faites ici…. Ça va ? » me demanda-t-il alors, ne me laissant pas vraiment le choix. « Oui oui, ça va. » répondais-je sans le regarder d’une voix cassée par les pleurs.

Je détestais pleurer. Réellement, je n’aimais pas ça. Et encore moins devant un public. Si je pouvais à la rigueur accepter de craquer lorsque j’étais seule, je ne voulais pas que des personnes assistent à ce spectacle. Donc généralement, je m’isolais, pleurais un bon coup, puis faisais comme si rien ne s’était passé. Les escaliers étaient généralement un bon endroit pour cela, peu de personnes – voire personne – ne les utilisaient. Je devais d’ailleurs être l’une des seules à le faire, ne pouvant plus monter dans un ascenseur depuis que je m’étais retrouvée coincée dedans pendant deux jours. Mais alors que j’entendais des bruits de pas dans les escaliers, je savais que je ne serais pas seule aujourd’hui. Elijah … enfin le docteur Fitzgerald. Je n’avais pas envie qu’il me voit dans cet état, pas encore. C’est donc vainement que je tentais d’essuyer les larmes qui coulaient, même si elles étaient rapidement remplacées par d’autres.

Et c’était aussi pour cela que lorsqu’il me demanda si j’allais bien, je lui répondais par la positive. Bon, vu l’état dans lequel je me trouvais, et vu la voix que j’avais, il ne serait probablement pas dupe. Mais je ne trouvais rien de mieux à dire. Je pensais qu’après cela, il me laisserait seule, mais il était vrai que ce n’était pas vraiment dans son caractère de faire cela. Il s’installa donc à côté de moi, sur la même marche, dans un soupir. « Une opération qui s’est mal passée ? Un problème avec un patient ? » me demanda-t-il après quelques instants de silence, en regardant droit devant lui. En même temps, les seules fois où il m’avait vue en train de pleurer, c’était après une opération qui s’était mal passée. Normal que cela rentre dans ses propositions. « Non, c’est un problème plus personnel. » répondais-je d’une petite voix, qui trahissait toujours autant mes larmes. J’aurais pu dire plus, plutôt que de rester vague comme je l’étais, mais dire à haute voix que j’avais des problèmes avec mon petit ami, et que ce dernier m’avait giflée après une énième dispute, ne rendrait la situation que plus réelle encore. Et j’avais assez de mes souvenirs clairs et précis pour cela. J’allais laisser tomber ma tête sur son épaule, avant de me reprendre au dernier moment, trouvant ce geste déplacé au vu de la situation. Je soupirais lentement, avant d’essuyer de nouveau quelques larmes qui continuaient de tomber. Au moins, je commençais à me calmer, c’était déjà ça.

On ne pouvait pas dire que tout allait bien entre Joshua et moi, et cela depuis un petit moment maintenant. Déjà lorsque j’avais commencé mes études de médecine, il n’avait pas bien compris mon choix. Peut-être croyait-il alors que je resterais mannequin et que ce serait mon métier ? Je n’en savais rien. Mais ne pouvait-il pas comprendre que vu la mémoire que j’avais, cela serait du gâchis ? Je retenais tout ce que je lisais, écoutais, ou même voyais. J’étais capable de citer une encyclopédie de A à Z, mot à mot, en citant même les pages. C’était donc normal que je veuille que cela serve à autre chose qu’apprendre des petites chorégraphies servant à présenter des vêtements, non ? Et pourquoi pouvait-il faire des études de droit pour ensuite entrer dans le cabinet de mon père, et moi non ? Je n’étais pas une femme au foyer et n’avais pas été éduquée ainsi. Je savais que sa mère était restée à la maison pour s’occuper de lui et de son mari, mais ma famille était différente. Ma mère était également avocate et il n’était pas rare qu’elle rentre tard pendant mon enfance. Puis ensuite mon internat en chirurgie avait commencé, et je n’avais tout simplement plus une minute de libre. J’enchaînais des semaines de quatre-vingt-dix heures, sans rechigner, voulant toujours en apprendre plus. Et comme nous n’habitions pas encore ensemble, nous ne nous voyons qu’une soirée ou deux par semaine. Et là les enguelades avaient vraiment commencées. Les critiques et reproches aussi, comme quoi je n’étais pas une bonne petite amie. Et les sous-entendus, encore et encore des sous-entendus. Lorsque j’avais accepté de vivre avec lui l’année dernière, je pensais que ce serait une bonne idée. Nous nous verrions lorsque je rentrerais le soir – soit bien plus qu’avant. Et au départ, cela avait été une très bonne idée. Nous étions presque redevenus comme avant. Et puis il avait retrouvée sa sœur, avant de la perdre définitivement. Et depuis, il noyait son chagrin dans l’alcool. Et la situation s’était dégradée. Je n’aurais jamais cru qu’il lèverait la main sur moi, et pourtant …

Mais ce n’était pas comme si je pouvais dire tout ça à mon supérieur. Et c’est pourquoi je commençais par lui dire que ça allait – même si je n’étais pas vraiment crédible et que je le savais parfaitement – avant de lui dire que c’était des soucis personnels. Et quelque chose d’assez étrange arriva. Sans savoir pourquoi, j’avais envie de poser ma tête sur son épaule, comme si je pensais que cela me calmerait. Mais je m’étais aperçue à temps de ce que je faisais, et me repris en me redressant, avant de laisser échapper un soupir. « Je… Désolé, ça ne me regarde pas, vous n’avez certainement pas envie d’en parler à n’importe qui… » me dit-il en commençant à se lever, me faisant déglutir. J’ouvrais la bouche pour lui demander de rester, ayant comme besoin d’être en sa présence, surtout en ce moment. Mais refermais ma bouche presque aussitôt. La situation était déjà bien assez étrange comme ça, sans en rajouter. « Mais je ne peux pas vous laisser là…  Ca va aller, n’est-ce pas ? » continua-t-il en se rasseyant à mes côtés, me faisant échapper un soupir de soulagement. « C’est juste que … » commençais-je en regardant droit devant moi, les yeux dans le vague, avant de secouer la tête. « C’est tellement stupide. Enfin on voit tellement de choses, et je pleure pour ça. Tellement stupide … »

Je savais parfaitement que je pourrais parler de mes problèmes de couple avec mon psychiatre. Mais avouons-le, si je voyais un psychiatre à l’hôpital, ce n’était pas vraiment à propos de Joshua, mais bien à propos de ma mémoire qui déraillait. Bon, apparemment, elle ne déraillait pas vraiment, elle avait juste évoluée. Lorsque ces enfants étaient morts les uns après les autres à la suite d’un accident de car, j’avais eu un SPT et malheureusement, celui-ci rendait ma mémoire trop précise. Même pour moi, qui avais été habituée à me rappeler de tout ce que je lisais dans les moindres détails. Mais ce n’était plus des livres de cours que je pouvais réciter mot à mot. J’assistais carrément à des flashback – enfin, c’était comme cela que je les appelais, mon psychiatre n’ayant pas un autre terme médical à me proposer – où je me voyais revivre une scène que j’avais déjà vécue. Et autant dire que c’était un peu plus important que ma relation avec Joshua, non ? Donc après avoir éliminé la tumeur – j’en étais même venue à espérer à en avoir une ; bégnine bien sûr, mais quand même – je n’avais pas eu d’autre choix que celui de consulter. Et finalement, cela avait été une assez bonne idée. Je pouvais parler de ces « flashback », et cela m’aidait beaucoup.

Mais je ne parlais pas de Joshua. Même si je revoyais entièrement la scène de lui me giflant. Je n’étais pas une victime, je n’étais pas une femme battue, donc pourquoi en parler ? Ce n’était pas vraiment important, non ? Et pourtant, je me retrouvais dans cette cage d’escaliers sans pouvoir m’arrêter de pleurer, malgré la présence du docteur Fitzgerald. Je faillis poser ma tête sur son épaule, avant de retrouver mes esprits. Et lorsqu’il me demanda si j’allais bien, je commençais à lui répondre, avant de réaliser à quel point mon petit problème personnel était stupide, par rapport à tout ce que nous vivions en chirurgie.   « Non… non, ça n’a rien de stupide. Justement, on voit tellement de choses ici, qu’on a parfois besoin de lâcher prise, c’est tout à fait normal Dolce. Il suffit de pas grand-chose parfois… ça arrive à tout le monde, croyez-moi… » me dit-il dans un soupir. Alors qu’il tentait de trouver mon regard, j’ouvrais la bouche pour parler, avant de la refermer immédiatement. Il n’avait pas vraiment tort, mais je ne pouvais pas m’empêcher de trouver mes problèmes de couples bien insignifiants par rapport à une mère à qui l’on annonçait que son enfant était mort, par exemple. « Est-ce que je peux vous demander ce qu’il s’est passé ? Enfin… vous n’êtes pas obligée… encore une fois, ça ne me regarde pas vraiment mais… je préfère largement vous voir sourire alors… si ça eut vous faire du bien d’en parler, n’hésitez pas. » réitéra-t-il sa demande, me faisant lâcher un petit sourire, bien que faible. « J’ai juste des problèmes avec mon petit ami. » commençais-je avant de plisser des yeux et de secouer la tête, devant le ridicule de la chose. « Je vous l’avais dit que c’était stupide. » rajoutais-je en me mordillant les lèvres.

Cela faisait maintenant près de huit années que j’étais avec Joshua. Il était en fait le seul petit ami que j’ai eu. En effet, je n’étais jamais sortie avec quelqu’un d’autre que lui. Il était même mon premier vrai baiser. Donc, finalement, cela semblait logique que nous ayons des problèmes de couple, non ? J’avais entendu dire que la septième année était la pire, et que si un couple traversait la septième année, le couple fonctionnerait pas la suite. Donc logiquement, notre septième année étant bientôt terminée, les choses devraient s’arranger entre nous, non ? Enfin, comment pouvaient-elles s’arranger alors que j’avais peur de rentrer chez moi, de rentrer chez nous ? Et pas seulement depuis la gifle. Même avant. Depuis qu’il avait commencé à sombrer dans l’alcool et que nos disputes étaient devenues bien trop fréquentes. Déjà là, je n’avais pas envie de rentrer à la maison, n’ayant pas envie de me disputer après une longue journée. Et malheureusement, cela n’arrangeait pas les choses, puisqu’il me reprochait de ne pas me voir. Et donc, quand je rentrais, les disputes étaient encore plus puissantes. Bref, c’était un cercle vicieux. Depuis qu’il avait commencé l’alcool et qu’il passait ses nerfs sur notre vaissellerie, je m’étais toujours dite qu’à l’instant où il passerait ses nerfs sur moi, je romprais avec lui. Mais est-ce qu’une gifle signifiait qu’il avait passé ses nerfs sur moi ?

Je regardais le docteur Fitzgerald rapidement, et répondis vaguement à sa question, disant que j’avais des problèmes avec mon petit ami. Mais dire cette phrase à voix haute me semblait tellement ridicule que je ne pus m’empêcher de secouer la tête et de me reprendre, en disant que je l’avais prévenu que c’était stupide. Parce qu’en soit, au vu de notre métier, cela l’était. Et puis même, j’avais déjà giflé Joshua, non ? Je me rappelle de cette fois, au début de notre relation, où je l’avais vu flirter avec une autre. Je l’avais giflé. Donc était-ce réellement différent ? Pourquoi je prenais si mal sa gifle, alors que moi-même je l’avais déjà giflé par le passé ? Peut-être justement parce que notre couple traversait une crise, et que l’alcool n’arrangeait rien. « J’espère que… enfin, que ce n’est pas trop grave… » finit-il par me dire. Je mordillais doucement ma lèvre inférieure, mais ne répondis rien. Surtout que j’avais l’impression que c’était moi qui faisait tout un fromage de cette histoire. Quand je comparais avec la mère de notre patiente, qui avait des bleus partout, et bien ce n’était pas vraiment comparable. « Ça finira par s’arranger n’est-ce pas ? » me demanda-t-il alors, me faisant lâcher un petit soupir. « Je suis sûr que ça va aller… » rajouta-t-il. Je prenais une petite inspiration, comme pour me donner du courage. « Il boit. Il boit beaucoup. Depuis que sa sœur est morte, il noie ses ressentiments dans l’alcool. Et je ne sais pas quoi faire pour l’aider. » finissais-je par lui répondre, sans être capable de le regarder. Je ne lui avais pas dit qu’il avait levé la main sur moi, mais finalement, le vrai problème était l’alcool, et non cela.

Mes parents m’avaient toujours appris qu’il ne fallait pas craquer en public. C’était quelque chose qui ne se faisait pas, tout simplement. Seules les personnes les plus proches de nous pouvaient nous voir dans un tel moment de faiblesse. Puisque les personnes les plus proches de nous ne nous jugeraient jamais et nous épauleraient en cas de besoin. Il était donc très rare que je craque ainsi. Et pourtant, j’avais pris mes précautions, me rendant dans la cage d’escalier que je savais très peu – voire pas du tout – fréquentée. Et lorsque j’avais vu le docteur Fitzgerald, cela avait au moins eu le mérite de me calmer un peu. Il m’avait déjà vu pleurer une fois, après une opération qui avait échouée. J’avais alors dû annoncer aux parents de la fillette que leur enfant, que la chair de leur chair n’était maintenant plus de ce monde. Et autant dire que j’avais à peine pu rester neutre lorsque je leur avais annoncé cela. Et que j’avais craqué dans les bras de mon supérieur peu de temps après. Donc pleurer devant lui ne me gênait pas tant que cela, tant qu’il y avait une bonne raison derrière. Mais pleurer devant lui parce que j’avais des problèmes de couples ? Si, ça c’était gênant.

Je finis par lui avouer que Joshua buvait depuis quelques mois. Depuis que sa sœur était morte en fait, il noyait ses ressentiments dans l’alcool. Et même si j’étais très gênée d’avouer cela alors que nous avions des choses bien plus importantes pour lesquelles pleurer dans notre métier, le dire à voix haute me soulagea d’un poids. Même ma meilleure amie ne savait pas qu’il était devenu alcoolique. Elle savait que nous passions notre temps à nous disputer, mais elle n’en savait pas beaucoup plus. Et avouer à voix haute qu’il avait un problème me libéra d’un poids. « Est-ce qu’il serait prêt à être soigné pour ça ? Je veux dire… il y a des thérapies pour ça ici… » me demanda mon titulaire. Je soufflais lentement, avant de replacer une mèche derrière mon oreille pour me donner une quelconque consistance. « Je n’en sais rien … Je ne lui ai pas encore demandé. Ça a traversé mon esprit de lui poser un ultimatum mais … Il a besoin de moi … Maintenant plus que jamais.  » expliquais-je avant de secouer doucement la tête. Quelle type de personne serais-je si j’abandonnais mon petit ami au moment où il avait le plus besoin de moi ? Il vivait la pire période de sa vie. Je ne pouvais pas le quitter. J’aperçus le regard inquiet du docteur Fitzgerald sur moi, même si je tentais d’éviter son regard justement. « Est-ce qu’il est violent ?! Est-ce qu… il vous a fait quoi que ce soit ? » me demanda-t-il, l’inquiétude pouvant se ressentir dans sa voix. Je me mordillais la lèvre inférieure avant d’expirer de nouveau pour tenter de calmer les battements de mon cœur. «  Je ne suis pas une femme battue. » fût tout ce qui sorti de ma bouche.

Je n’aurais jamais cru que voir une femme battue me mettrait dans un état. Parce que c’était bien le fait de voir la mère d’une patiente qui m’avait mise dans un tel état et m’avait amenée à m’isoler dans la cage d’escaliers. Pourtant, je n’étais pas une femme battue. Réellement, je n’en étais pas une. Ma situation n’était pas comparable avec celle de la mère de ma patiente. Leur seul point en commun, c’était que nos compagnons buvaient, et ne buvaient pas qu’un peu. C’était le seul point en commun à nos situations. Parce que si son mari passait visiblement ses nerfs sur elle, ce n’était pas le cas de Joshua. Joshua s’en prenait plutôt à notre vaisselle et préférait hurler. Et il n’avait levé la main qu’une seule fois sur moi. Une gifle, rien qu’une gifle. Etait-je une femme battue pour autant ? Non, sinon il avait été un homme battu avant que je n’en sois une. J’aurais simplement préféré que le docteur Fitzgerald ne me voie pas dans cet état. J’avais beaucoup d’admiration pour le chirurgien, et pleurer devant lui n’était pas vraiment quelque chose qui allait me faire monter dans son estime.

Mais je devais bien avouer, qu’alors qu’il était installé à mes côtés, je me sentais bien, un peu comme si la terre s’était arrêtée de tourner et que mes problèmes n’avaient plus vraiment d’importance. Ou alors c’était peut-être le fait que nous opérions souvent ensemble et que le voir me permettait de relativiser mes problèmes. Parce qu’alors que je lui avouais que mon petit ami buvait, je réalisais à quel point mes problèmes de couples pouvaient être insignifiants à côté de ce que nous vivions tous les jours au sein de cet hôpital. Et lorsqu’il me demanda s’il était violent, je ne pus m’empêcher de réagir vivement en affirmant que je n’étais pas une femme battue. Ce qui apparemment le fit douter. « Dolce ? Vous… Il l’a déjà fait ? » me demanda-t-il alors, me faisant soupirer. Je trouvais ça tellement stupide de me focaliser sur cette petite gifle que je ne savais plus vraiment où me mettre. Je baissais alors la tête, lâchant un petit soupir de nouveau, ne sachant pas quoi lui répondre. « Ecoutez, si c’est le cas il faut absolument en parler. Ca peut être très grave ce genre de choses ! Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour ça mais, faites-moi confiance, vous devez en parler quelqu’un. » reprit-il après un instant de silence. Je me mordis la lèvre inférieure de gêne, et relevais la tête vers lui, pour le regarder. Il semblait vraiment inquiet pour moi. En réalisant cela, j’eus comme une petite bouffée de chaleur, probablement lié au fait que j’étais touchée que quelqu’un comme lui s’inquiète pour moi. Puis je réalisais alors qu’il fallait que je le rassure, parce que ne rien dire ne pouvait que lui faire s’imaginer toutes sortes de scénarios différents. «  On s’est disputés et il m’a giflée. Puis il s’est excusé. C’est pas … grave. Enfin je l’ai déjà giflé aussi quand je l’ai surpris en train de flirter avec Morgane Heaster au lycée. Il m’en a pas voulu, donc voilà, jevois pas pourquoi je devrais lui en vouloir. »

Je savais bien qu’en soit, le fait que Joshua m’avait giflée n’était pas « grave ». Après tout, moi-même je l’avais déjà giflé sous le coup de la colère lorsque je l’avais surpris avec Morgane Heaster. Nous étions à peine en couple depuis quelques mois qu’il flirtait déjà avec une autre. Je n’avais donc pas pu m’en empêcher. Et Joshua ne m’avait jamais blâmée de l’avoir giflé. Non, il s’était même excusé d’avoir flirté avec ma coéquipière des cheerledears. Alors pourquoi est-ce que je n’arrivais pas à me sortir cela de la tête ? Pourquoi est-ce que je revoyais cette scène, encore et encore, se dérouler devant mes yeux ? Peut-être que la différence entre nos deux gifles, c’était que Joshua ne m’avait giflée que parce qu’il était sous l’emprise de l’alcool, et pour aucune autre raison. Oui, je lui avais répondu ironiquement sous le coup de la colère, mais ce n’était pas une raison suffisante, du moins pour moi. Donc c’était plutôt parce qu’il était alcoolique qu’il m’avait giflée. Et que j’avais peur qu’il le refasse. Après tout, cela commençait par une gifle, non ? Et s’il m’avait giflée sans aucune raison, juste parce qu’il était alcoolisé, qu’est-ce qui me disait qu’il ne recommencerait pas ?

J’eus un petit sursaut de surprise en sentant la main de mon titulaire se poser sur mon épaule, avant de me relâcher et de soupirer doucement à ce contact. « Je vois… je comprends que ça ait pu vous blesser… Mais… Ca ne s’est produit qu’une seule fois n’est-ce pas ? » me demanda-t-il alors, me faisant acquiescer de la tête. « Oui, qu’une seule fois. Et lui-même a réalisé ce qu’il avait fait. Enfin il s’est immédiatement excusé. » tentais-je d’expliquer, avant de reprendre. « Mais c’est l’alcool qui a fait ça. Et je pense que c’est ça le problème. » continuais-je dans un soupir. « Ecoutez, peu importe les circonstances dans lesquelles c’est arrivé, il faut… faire quelque chose. Je peux vous aider à prendre contact avec les médecins dont votre petit ami a besoin… je… je veux que vous soyez en sécurité. » m’informa-t-il. Je lui jetais un petit regard, les larmes aux yeux, touchée par ses mots. Sans vraiment m’en rendre compte, je posais finalement ma tête sur son épaule. Et lorsque je réalisais, cette fois-ci je ne fis rien, et la laissais là. Ce n’était peut-être pas approprié, c’était peut-être étrange, spécialement au vu de la situation, mais je m’en moquais. Juste ainsi, je me sentais un peu mieux, et c’était ce dont j’avais besoin. « Et s’il refuse ? J’ai pensé que je pourrais lui poser un ultimatum, mais s’il refuse ? Je peux pas vraiment le laisser dans cet état. » murmurais-je sans bouger d’un millimètre, tout en espérant que lui-même ne serait pas gêné par ce contact.

Etrangement, poser ma tête sur l’épaule de mon titulaire réussit à me calmer. Sentir ses veines pulser, sentir sa présence surtout, sentir qu’il était là pour moi, en quelques sortes, me fit grandement du bien. Et j’étais rassurée qu’il ne me repousse pas. Il aurait pu. Il en aurait parfaitement eu le droit. D’ailleurs, il en avait un peu le devoir j’imagine. Après tout, je n’étais pas sûre que nous avions le droit d’être proches ainsi, même sans arrière pensée. Mais bon, je n’avais pas spécialement envie de penser aux règles là maintenant. Être ainsi me calmait, et cela me faisait du bien. C’était tout ce qui comptait. Mais cela ne m’empêchait pas de m’inquiéter pour Joshua et surtout pour son addiction à l’alcool. Je voulais être là pour lui. Cela faisait un moment que nous nous disputions et que nous nous étions éloignés, mais je ne pouvais pas le laisser alors qu’il avait réellement besoin de moi. Et même si j’avais peur qu’il réitère son geste, de nouveau sous l’emprise de l’alcool, je me devais de l’aider. « Vous vous aimez vraiment n’est-ce pas ? Depuis longtemps… S’il comprend qu’il peut vous perdre à cause de ça, il acceptera. » commença-t-il. Je n’étais pas si sûre de ça. Notre couple battait de l’aile depuis plusieurs années maintenant, et je n’étais pas certaine qu’il accepterait d’arrêter l’alcool pour moi. « Et si ce n’est pas le cas, je m’arrangerai pour mettre les meilleurs médecins sur le coup. Ils connaissent parfaitement leur métier, et rencontrent ce genre de situation tous les jours… je suis certain qu’ils pourront l’aider. » reprenait alors mon titulaire. Je sentis sa main venir caresser mon épaule et je relevais doucement la tête, sans pour autant me retirer complètement. « Ça va aller. » rajouta-t-il tout en continuant de caresser doucement mon bras. « Ça fait quelques années que … c’est plus au beau fixe entre nous. Depuis mon internat. Je passe trop de temps à l’hôpital selon lui. Je crois qu’il préférait quand je n’étais qu’une mannequin. » soupirais-je tout en reposant ma tête sur son épaule. Je sursautais alors que son biper se mit à sonner, me remettant les pieds sur terre. Je relevais ma tête, avant de m’éloigner un peu de lui. Il se leva alors et me présenta sa main pour m’aider à me lever. Puis il m’annonça qu’il y avait une urgence et me proposa de l’accompagner. « Merci. » le remerciais-je dans un sourire, avant de le suivre. La journée ne faisait que commencer après tout.