Clairement, mon meilleur ami et moi-même ne voyions pas les choses de la même façon. Mais bon, cela avait toujours été le cas. Cela avait probablement même été le cas au jardin d’enfance, c’était dire. Nous avions donc l’habitude de ne pas être d’accord sur la façon de faire ou de voir les choses de l’autre. Mais bon, si nous pensions exactement pareil, nous ne serions pas les mêmes, de toute façon. Et notre amitié était basée sur le fait que nous étions là, l’un pour l’autre. Même si nous ne nous voyions pas autant que nous le souhaitions, à cause de nos activités professionnelles, et même si nous n’étions pas d’accord avec l’autre. Et concernant Lexis, apparemment, de nouveau, nous n’étions pas d’accord. Lui me conseillait de me jeter à l’eau, de me lancer avec la jeune femme. Tandis que de mon côté, je n’étais vraiment pas certain. Après tout, et si je ne m’étais que fais un film ? Et si je n’étais qu’un médecin pour elle ? Ou et si elle me trouvait trop âgé ? Je n’avais que trente cinq ans, je n’étais donc pas forcément vieux non plus, mais elle avait onze ans de moins que moi, donc peut-être que cela comptait aussi. Bref, j’étais totalement perdu. Et puis, je n’avais même pas encore demandé le divorce. J’allais le faire, d’ici peu de temps. J’attendais juste les dix-huit ans de ma fille, qu’elle puisse choisir chez qui elle voulait vivre. Mais peut-être qu’elle ne me choisirait pas moi ? Après tout, je serais la personne qui divorcerait de sa mère. Et même si elles ne s’entendaient pas, j’étais celui qui briserait notre famille. « Et si elle ressent pareil que moi, mais que ma fille ne l’accepte pas ? » énonçais-je à haute voix, plus pour moi que pour lui.

Je savais que je me prenais bien trop la tête. Surtout lorsque je comparais ma situation avec celle de mon meilleur ami. Il avait trompé sa femme avec la sœur de celle-ci, mineur à l’époque, sans sourciller. Autant dire que, comparativement, j’exagérais énormément les choses. J’allais divorcer. Dès que ma fille aurait dix-huit ans, je demanderais les papiers du divorce à mon avocat. Enfin, peut-être pas le jour-même non plus. Hors de question que je lui gâche sa journée. Mais le fait était que j’allais divorcer. Donc je ne tromperais pas ma femme. Je ne l’avais jamais trompée d’ailleurs. Je ne l’avais jamais aimée, mais j’avais toujours refusé de la tromper. Puis j’avais rencontré Lexie et les doutes s’étaient émincés dans mon esprit. Elle n’était pas la raison de mon divorce, mais elle avait fait avancé les choses, c’était certain. Mais j’étais submergé de doutes, c’était le cas de le dire. Entre le fait qu’elle était plus jeune que moi, plus proche de l’âge de ma fille que du mien, que j’avais, en quelques sortes, été son médecin lors de sa grossesse, que je n’avais aucune idée de si elle ressentait la même chose que moi ou non, et surtout, de comment prendrait ma fille cette histoire, ce n’était pas les doutes qui me manquaient. Et je les énumérais tous à mon meilleur ami, qui n’avait pas l’air de penser comme moi à ce sujet. Clairement même, au vu de sa réponse. « Je pourrais peut-être lui en parler avant de commencer quoique ce soit. Histoire de ne pas la prendre par surprise … » proposais-je dans un haussement d’épaules, pas vraiment certain de ce que je disais. J’aurais tellement aimé être plus comme lui, dans cette situation. Les choses auraient alors été bien plus simples.

Je n’avais encore même pas fait appel à mon avocat pour le divorce que je stressais déjà. Pas par rapport à ma femme, non. Je n’allais de toute façon pas la mettre à la rue ni autre. Et même si nous avions fait un contrat de mariage et que, normalement, elle ne devrait rien avoir de ce que j’ai gagné et acheté, je ne la laisserais pas sans rien. Cela ne se faisait pas, tout simplement. Donc je lui achèterais probablement un appartement, et lui donnerais de quoi commencer sa nouvelle vie. C’était bien la moindre des choses que je puisse faire. Donc non, je ne stressais pas par rapport à elle. Mais plutôt par rapport à ce qui se passerait après mon divorce. J’étais … attiré par Lexie, il fallait bien l’avouer. Et ce n’était pas que de l’attirance d’ailleurs. Je l’aimais beaucoup. Ce n’était pas encore de l’amour. Quoique je n’en savais rien, je n’avais jamais été amoureux en fait. Et c’était d’ailleurs cela le problème. Melissa était la seule femme avec laquelle j’avais été. Il n’y avait eu personne d’autre. Bien sûr, il y avait eu quelques flirts au lycée, mais cela n’allait pas plus loin, et elle était la seule relation sérieuse que j’avais eu. Je ne savais donc pas du tout ce qui se passerait, et cela me faisait sérieusement peur. Et en plus, je ne savais pas comment ma fille réagirait. Elle prendrait bien mon divorce. Du moins, je l’espérais. Mais bon, elle n’avait jamais été proche de sa mère, et savait que je n’étais pas amoureux d’elle. D’ailleurs, cela ne la surprendrait pas que je divorce après sa majorité. Mais comment prendrait-elle le fait que j’ai de nouveau quelqu’un dans ma vie ? « Oui, c’est sûrement le mieux. Peut-être que je pourrais être seul un moment, rester avec ma fille et lui amener les choses en douceur. Si tant est que Lexie ressente la même chose que moi, bien sûr. » répondais-je à mon meilleur ami, avant de hausser doucement des épaules, pas certain de mes propos.

Lorsque mon meilleur ami confirma que cela me ferait du bien d’être un peu seul, je ne pus m’empêcher de tapoter nerveusement mes doigts sur son bureau. J’acquiesçais vaguement pour seule réponse. Je ne savais même pas ce qu’être seul signifiait. C’était bien simple, je n’avais jamais été seul en fait. Sauf lorsque je n’étais pas en âge d’être en couple, bien sûr. Mais au lycée, même si je ne m’engageais pas, j’étais toujours avec des filles. Puis j’avais rencontré Melissa et elle était enceinte. Et depuis mes dix-sept ans, j’étais donc avec elle. J’avais passé plus de la moitié de ma vie avec elle en fait. Je ne savais donc pas du tout ce à quoi « être seul » pouvait ressembler. Et peut-être que ce serait bien que je l’apprenne avant de tenter quoique ce soit avec Lexie. Je ne savais pas du tout si la jeune femme ressentait la même chose à mon égard que ce que je ressentais pour elle, mais il valait mieux attendre. Rien que pour ma fille d’ailleurs. Si je voulais que cette dernière l’aime, il valait peut-être mieux ne pas me mettre en couple avec elle dès le divorce prononcé, ou elle risquerait de penser que mon divorce était lié à la jeune femme, ce qui n’aiderait peut-être pas à créer un lien entre les deux. Je lâchais un petit rire nerveux en entendant mon meilleur ami. Je ne croyais pas un mot à ce qu’il disait, mais bon. « Et bah voyons, bien sûr. Bientôt tu vas m’annoncer que je suis un vrai Don Juan. » lançais-je en roulant des yeux. Mais bon, ses paroles me rassurèrent au moins un peu à propos de la brunette qui hantait mes pensées, et c’était déjà ça.

Je ne comprenais pas un mot de ce que disait mon meilleur ami. Comme si j’avais un quelconque charme, n’importe quoi. Comme si les femmes succombaient dès que je leur parlais. Il croyait que nous avions fait un changement de personnalité ? Parce que de son côté, c’était en effet le cas. Pas que je l’enviais pour cela. Après tout, son charme l’avait poussé à tromper sa femme avec la propre sœur de celle-ci. Et à se faire harceler par une femme à la limite psychopathe. Autant dire que ce n’était pas vraiment le genre de choses qui m’intéressaient. Mais clairement, il avait dû fumer quelque chose avant que j’arrive pour dire de pareilles sornettes, ce n’était pas possible autrement. J’essayais tout de même de réfléchir à quand une femme aurait pu être séduite par moi. Ce qui n’était pas vraiment facile à faire, étant donné que ma propre femme, future ex femme, ne l’avait jamais été elle-même. Je plissais des yeux, et non, je ne trouvais personne. « Alors non, je n’en ai pas conscience. Je ne trouve aucune femme qui aurait pu être charmée. » lui répondais-je en fronçant des sourcils. Même Lexie, je n’étais absolument pas certain qu’elle puisse ressentir une quelconque attirance à mon égard. Peut-être faudrait-il que je rentre dans la fosse aux lions, une bonne fois pour toute, pour savoir si nous pouvions vivre quelque chose ensemble. Mais pas maintenant, ni dès que mon divorce serait prononcé. Je n’avais jamais été seul, et il faudrait peut-être que j’apprenne à l’être. « Ce n’est pas que je ne m’en rends pas compte. C’est que je ne vois personne qui l’aurait été. Même ma femme n’a jamais été séduite par moi. Et nous sommes mariés depuis 18 ans. » rétorquais-je en haussant des épaules, pensant vraiment qu’il délirait un peu.

Non, malgré tout ce que pouvait dire mon meilleur ami, je ne croyais pas un seul des mots qui sortaient de sa bouche. Moi, ayant un charme ravageur ? Et bah voyons ! J’avais beau essayer de me triturer le cerveau pour tenter de trouver dans mes souvenirs une seule femme qui aurait été sous mon charme, je n’en trouvais aucune. Je jetais un regard noir à Vitaly lorsqu’il me dit de me sortir les doigts du cul. Il pourrait surveiller son langage quand même, il y avait différentes façons de dire ça. « Je ne suis pas coincé. Et au cas où que tu ne t’en rappelles pas, j’ai perdu ma virginité avant toi. » lui dis-je en croisant mes bras sur ma poitrine. Bon, clairement, je rentrais dans son jeu, mais je n’étais pas coincé. J’étais juste … poli. Et respectueux. Et oui, je ne considérais pas les femmes comme des objets, et alors, est-ce que cela faisait de moi une personne coincée ? Non. Je lâchais un soupir. Même ma femme n’avait jamais été séduite par moi. Okay, peut-être n’était-elle pas le meilleur exemple que j’avais, puisque nous nous étions mariés par obligation, et non parce que nous en avions envie. Enfin j’en avais eu envie, mais pour que notre fille vive avec ses deux parents ensemble. Pas pour vivre avec Melissa. « Je ne dis pas que c’est pareil pour les autres. Simplement, ma propre femme n’a jamais aimé que je la touche, c’est tout. » lâchais-je dans un soupir. Et quant à Lexie … Et bien, je n’en savais rien. Nous n’en avions pas parlé en même temps, et je ne savais pas du tout si elle me voyait comme le médecin qui l’avait aidée et soutenue pendant sa grossesse, pendant que personne d’autre ne le faisait. Ou si elle me voyait comme moi je la voyais : une possibilité d’être heureux.

Je m’empêchais d’éclater de rire en voyant la réaction de mon meilleur ami à la mention de la perte de notre virginité. C’était un coup bas, mais il l’avait bien mérité en me traitant de coincé. Moi, coincé ? Ce n’était pas parce que je respectais les femmes et ne les considérais pas comme des objets que j’étais coincé. J’étais juste … Romantique ? Probablement. Je l’avais toujours été. A l’adolescence, je m’étais déjà imaginé la demande en mariage parfaite, réglée dans tous les détails. Je m’étais imaginé la vie que j’aurais, avec un petit million d’enfants gambadant dans notre jardin. Je lâchais un soupir à cette pensée. Rien ne s’était passé comme je l’avais prévu, bien au contraire. Je ne m’étais pas marié par amour. Ou du moins, pas par amour envers ma femme, mais par amour envers ma fille. Rien de romantique là-dedans. Et lorsqu’elle était de nouveau tombée enceinte, elle avait préféré avorter, me mettant devant le fait accompli. Encore moins romantique. « Notre relation a beau avoir été particulière depuis le début, cela ne change rien au fait que cela fait des années qu’elle ne veut pas que je la touche. » commençais-je en roulant des yeux, avant de reprendre, tout en croisant mes bras sur ma poitrine. « Enfin, ce n’est pas vraiment comme si j’avais envie de la toucher non plus, de toute façon. » reprenais-je en faisant illusion à mon devoir conjugal absolument pas rempli. Bref, je n’avais pas vraiment eu la vie que j’avais espérée et imaginée. Mais peut-être que je le pourrais maintenant que ma fille allait être majeure et que j’allais enfin divorcer, enfin être libre. Sa question m’étonna. Non, en effet, je ne le croyais pas. Mais sa précision eu au moins le don de me faire rire, ce qui était déjà ça. « Je me doute bien. » lâchais-je dans un sourire amusé, avant de lâcher un soupir. « Et oui, j’avoue que j’ai dû mal à te croire. » terminais-je dans un haussement d’épaules.