Être garde-du-corps était un métier assez intéressant. Bien entendu, Neven – ou plutôt Lucas – était sur la brèche, à l’affût du moindre danger et prêt à sacrifier sa vie pour celle d’un(e) inconnu(e) cependant, cela ne changeait pas grand-chose du métier qu’il exerçait avant sa perte de mémoire. On lui avait appris qu’il faisait partie du MI-6 et qu’il avait été élevé dans le seul et unique but de service son pays. Neven en était donc arrivé au constat suivant : il vivait pour protéger les autres. Exercer un tel métier ne le dérangeait pas le moins du monde. Il avait ça dans le sang. Même avant de s’enrôler il avait tendance à tout analyser lorsqu’il foulait le sol d’un territoire inconnu et, qu’on se le dise, Neven adorait sentir l’adrénaline circuler dans ses veines lorsqu’il était en service pour la simple et bonne raison qu’il se sentait beaucoup plus vivant. Le britannique aimait aussi la diversité des personnes qu’il avait à surveiller ; ça allait parfois des politiciens ou personnalités beaucoup plus mondaines comme des acteurs voire des chanteurs. D’ailleurs, un certain Loukas Petridis s’était payé ses services. Neven – en plus d’être très professionnel – s’intéressait peu à la vie de ses clients alors, forcément, pour lui le jeune homme n’était ni plus, ni moins qu’un contrat de plus.

Une fois à l’intérieur du véhicule, le jeune homme remit correctement son costume et desserra légèrement sa cravate pour se mettre un peu plus à l’aise. Sa surveillance était presque terminée et il lui tardait d’enlever l’uniforme obligatoire pour parader chez lui dans une tenue beaucoup plus confortable. Il fallait dire que, même si le costume le rendait plus charismatique et intimidant, ce n’était pas vraiment très pratique pour envoyer un adversaire au tapis. Lorsque le chauffeur eut enfin regagné sa place, Neven jeta un coup d’œil à son client. « Vous m’avez l’air soucieux… » lança-t-il pour amorcer la conversation, le plus posément du monde. C’était pour ainsi dire l’une des rares fois où il ouvrait la bouche depuis le début de son service. D’ordinaire, Neven n’était pas le genre d’homme à bavasser, mais il devait bien admettre que son compagnon de fortune l’intriguait au plus haut point. Il avait un pressentiment. Un mauvais pressentiment. Celui que, peut-être, son client n’était pas du genre a être entourée par un nimbe. Pas très recommandable, quoi...

Une énième soirée de charité dont je ne comptais même plus le nombre. Je crois que depuis que cette femme qui se faisait passer pour ma mère m’avait adopté et sorti de mon orphelinat grec, je n’avais connu que cela. L’argent, le pouvoir, les sourires de façades et cette hypocrisie dont j’avais fait mon métier. Un bel escroc qui se faisait passer pour un riche homme d’affaires spécialisé dans les marchés financiers. Une belle couverture pour blanchir l’argent des grandes pontes qui payaient rubis sur l’or mes services. Toutefois, ce soir, je sentais la solitude écraser mes épaules mais également soucieux pour un certain nombre de raisons dont je n’osais plus dénombrer. Il y en avait tellement comme les serbes. Ces derniers étaient la plaie de mon existence depuis que j’avais perdu quelques centaines de leurs milliers de dollars à cause de la crise. J’avais pourtant été certain d’avoir de bons renseignements mais la fluctuation de la scène économique avait eu raison de mes placements et depuis, je sentais la désagréable sensation d’être poursuivi mais également d’avoir un couteau sous la gorge près à m’égorger au moins faux pas. C’est pourquoi je m’étais résigné à engager un garde du corps bien que la manœuvre était risquée. Je craignais bien trop que sa présence quotidienne ou presque ne finisse par me porter préjudice mais en même temps, sans lui, je risquais bien plus gros. Cruel dilemme.  

# Soucieux ? Peut-être. Si j’avais la conscience tranquille, vous ne seriez pas à mes côté monsieur Rhodes. D’ailleurs à ce sujet, avez-vous remarqué des faits importants qui requièrent mon attention ?

Le ton était posé et calme, ni froid ni chaleureux. Il était neutre. Je continuais de contempler le paysage urbain qui défilait devant mon regard à mesure que la voiture remontait les rues New Yorkaise vers Central Manhattan où j’avais établi mes quartiers en attendant de trouver meilleur. D’ailleurs, il serait peut-être tant que je relance cet agent immobilier pour savoir si elle avait trouvé des biens à visiter. Il me tardait de savoir si New York exaucerait mes vœux les plus chers ou si, comme à mon habitude, j’allais rapidement me lasser de cette ville qui ne dormait pourtant jamais.

# J’ai une nouvelle soirée la semaine prochaine, pourriez-vous vous libérer ? Je suis prêt à y mettre le prix si ce n’est qu’une question de dédommagement.