Danjel venait de passer une soirée inoubliable entre potes et il avait été heureux de constater que personne n’avait manqué à l’appel cette fois-ci. C’était comme si rien n’avait changé. Pourtant, tout avait changé. Ses amis avaient mûri, devenaient plus responsables et songeaient à prendre des chemins différents ; même Kat s’était mariée. Et lui, dans tout ça ? Il avait l’impression de ne pas avoir évolué. Cette soirée avait été l’occasion de mettre tous ses doutes de côté, de s’amuser et de s’apercevoir que ses amis restaient fidèles à eux-mêmes malgré tout. Lorsqu’il était enfin rentré chez lui – ou plutôt dans l’entrepôt qu’il squattait et qui était devenu le QG de la crew – Danjel avait l’impression de flotter sur un petit nuage sans que cela ne soit forcément dû à l’alcool ingéré. Il s’était écroulé sur son lit et n’avait pas tardé à s’endormir sans se dépeindre de ce sourire qui ne semblait plus vouloir quitter ses lèvres. Réveillé quelques heures plus tard par le bruit métallique de la lourde porte, Danjel se redressa précipitamment de sa couche, cheveux en bataille et paupières à demi-closes. Son cœur battait toujours la chamade lorsqu’on frappait à sa porte ; il craignait constamment une descente de flics mais il connaissait assez leur méthode pour savoir que ces derniers se seraient annoncés. Le brésilien quitta alors le confort d’une paire de draps volés dans les hôtels qu’il fréquentait sous l’identité de son mystérieux double, enfila une tenue un peu plus chaude et fit coulisser la porte ; elle s’ouvrit dans un bruit métallique qui n’arrangea pas son mal de crâne... La température extérieure avait encore chuté, mais le vent glacé qui fouetta son visage l’aida à se réveiller. Danjel jeta un coup d’œil à droite, puis à gauche et y trouva un visage familier. « Kat ? » murmura-t-il, la voix percée de surprise et d’incompréhension. Que diable faisait-elle devant chez lui à une heure pareille, tenant à peine sur ses jambes groggys de froid ? Son premier réflexe fut de l’attirer contre lui et de refermer la porte derrière eux pour la protéger du vent glacial. « Qu’est-ce que tu fais là ? T’as oublié tes affaires ? » s’enquit-il en frottant énergiquement ses bras de ses mains. Se disant, il jeta un rapide coup d’œil derrière lui pour trouver l’objet en question, mais comprit rapidement que le problème ne venait pas de là. « Il s’est passé quelque chose ? ». Bien sûr, c'était une question purement rhétorique. Il sondant ses yeux bleus et y perçut une ébauche de réponse qui ne le laissa pas de marbre. Celle-ci le renvoya aussitôt quelques mois en arrière lorsqu’elle avait rompu avec Chris après qu'il l'eût trompé. « Vous vous êtes disputés, c’est ça ? » conclut-il enfin. Cette symbiose entre danseurs faisait qu'ils n'avaient pas forcément besoin de se parler pour se comprendre...

Danjel ne pouvait pas prétendre lire en elle comme dans un livre ouvert, mais ce n’était pas non plus la première fois qu’il prêtait oreille attentive aux problèmes de la jeune femme alors forcément, rien qu’en voyant la moue de Kat, le brésilien avait rapidement compris que son couple battait de l’aile. Non pas qu’il soit un expert en amour – bien au contraire – mais au fil du temps et des épreuves traversées, l’anglo-russe était malheureusement devenue transparente lorsqu’il s’agissait de l’homme qui partageait sa vie. « Je peux rester ici cette nuit ? » demanda-t-elle finalement. Le brésilien pencha légèrement la tête sur le côté ; avait-elle seulement besoin de lui poser la question ? Il opina du chef et l’invita à pénétrer dans son antre. « Ne reste pas là. Entre. ». Sur ce, il l’entraîna aussitôt dans la partie la mieux chauffée du bâtiment et où se trouvait le cœur de la « maison ». Ca n’était pas du Schmitt, mais c’était son chez lui. Danjel n’avait jamais connu de véritable foyer alors il avait fait des pieds et des mains pour que cet entrepôt soit habitable et chaleureux. C'était également un spot d'entraînement idéal pour la danse de rue : des centaines de figures avaient germés entre ces quatre murs. Aujourd’hui, il n’était pas peu fier du résultat obtenu et s'y sentait à l'aise. « Je te dis tout de suite, j’ai pas envie d’en parler. J’ai pris… n’importe quoi en partant, je crois qu’il y a la bouffe du chat là-dedans. ». Pauvre chat, pensa-t-il. Danjel esquissa un sourire que l’anglo-russe ne put apercevoir ; elle était dans un tel état que la séance de déballage serait de toute façon inévitable. « Ca me va. Je n’ai pas la tête d’un conseiller conjugal, de toute façon. Pour ce qui est du chat, tu l’as peut-être mis dans ton sac lui aussi ? Tu aurais pu en tout cas, ce n’est pas la place qui manque… » sourit-il. Si Kat n’avait pas envie de parler, le brésilien ne chercherait pas à lui tirer les vers du nez. Bien qu’expressif, Danjel n’était pas forcément un grand bavard. Disons qu’il évitait d’entrer dans des conversations où il était inexpérimenté ; les conquêtes d’un soir ça le connaissait, mais les relations stables beaucoup moins ! Peut-être que son heure viendra, mais pour l’instant il avait trop la bougeotte pour se poser avec quelqu’un. Et puis, il vivait dans un entrepôt désaffecté ce qui était loin d’être attirant. Oh, il y avait toujours les chambres d’hôtel loués sous le nom d’Enzo Donovan, mais sa récente visite ne lui donnait plus vraiment envie de retenter l’expérience d’usurpation d’identité. « Je suis désolée de débarquer comme ça, je savais juste pas où aller, et je peux pas rentrer chez Ben… Enfin, je t’ai vu partir seul alors je me suis dit que je dérangerais pas trop, quoi. ». Effectivement, mis à part les réunions improvisées avec la crew qui avaient généralement lieu ici, Danjel était un vrai loup solitaire. « Tu as bien fait. » la coupa-t-il aussitôt. Le brésilien l’avait déjà dit et répété une centaine de fois : sa porte restait grande ouverte pour ses amis dans le besoin. Il s’approcha d’une rangée d’armoires en fer – qui devaient sans doute servir de vestiaires dans le passé – et en tira une paire de draps et de couvertures ainsi qu’un oreiller. « Je te laisserais le lit pour la nuit, je vais dormir dans le canapé. » précisa-t-il en posant le tout sur le convertible en question. « Tu as besoin de quelque chose ? J’ai de l’aspirine, si tu veux. » proposa-t-il en voyant l’état d’ébriété avancé de la demoiselle ; il fallait dire que lui non plus n’était pas très net…

Même s’il ne souhaitait pas lui forcer la main, Danjel était tout de même curieux de savoir ce qu’il s’était passé entre eux ; était-ce une simple crise de couple ou quelque chose de beaucoup plus grave qui l’avait incité à déambuler dans les rues de la Grosse Pomme par un temps pareil et à une heure aussi avancée ? De base, leur relation était compliquée et Danjel commençait à se demander sérieusement si Kat n’était pas un aimant à problèmes. Dernièrement tout s’était bousculé dans sa vie. Elle lui semblait différente. Quelque chose l’avait changé, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Certains de ses amis avaient mûri, mais tout portait à croire que le comportement de Kat était plus d’ordre psychologique. Il avait peut-être été surpris lorsqu’elle avait consenti à reprendre ses études de médecine, puis à s’enrôler dans une équipe de Médecins Sans Frontières, mais elle était revenue éprouvée et les choses s’étaient précipitées ensuite ; elle avait épousé Chris & sa famille l’avait renié. Ben y compris. Pour lui qui avait vécu sans attaches, ça lui paraissait complètement insensé et il se félicitait parfois de n’avoir aucun lien de sang ; la famille qu’il s’était choisie lui suffisait amplement même s’il commençait à se rendre compte que cela ne durerait pas éternellement.  « Mh, de l'aspirine, je veux bien. ». Danjel lui sourit et acquiesça d’un signe de tête avant de s’éloigner. Il revint quelques minutes plus tard avec un verre d’eau d’où se dégageait le pétillement de l’aspirine et le posa sur ce qui lui servait de table de chevet pendant que la jeune femme fouillait dans son sac. « Euh, t'aurais pas... un tee-shirt, pour dormir ? » demanda-t-elle enfin. Elle avait dû partir à toute hâte, sûrement pour que Chris ne cherche pas à la rattraper. Il n’aimait vraiment pas cette situation, mais se retint de soupirer. Ce n’est pas ton problème, pensa-t-il. Seulement Kat était plus qu’une amie. Elle était une ex avec qui il gardait un lien très fort – se plaisant parfois à quelques joutes verbales séductrices et taquines - et ne supportait pas l’idée de la savoir malheureuse. Kat était d’ailleurs la seule à connaître son histoire avec Enzo Donovan ; c’était elle qui avait suggéré l’hypothèse de jumeaux. Honnêtement, il n’avait toujours pas compris ce qu’elle trouvait à Chris. Il n’avait pas été le seul à conclure que les deux tourtereaux n’avaient aucun point commun. Elle avait tout, il n’avait rien. Ca ne différait pas de leur courte relation, après tout. Peut-être avait-elle un faible pour les marginaux. Danjel chassa vite toutes ces pensées sordides pour s’intéresser au confort de son invité. « Je vais te chercher ça. » dit-il en se dirigeant droit vers l’armoire où se trouvait ses affaires. Il en tira un T-shirt, hésita et prit également un sweat-shirt. Il était habitué à la température de son foyer d’infortune, mais ce n’était pas le cas de tout le monde et bientôt l’alcool quitterait son organisme. « Il risque de faire un peu froid alors je t’ai pris un sweat. » dit-il en lui tendant les vêtements. Danjel avait les sourcils froncés. Malgré toutes les soirées entre membres de la crew, c’était la première fois qu’il voyait Kat dans un état aussi lamentable. S’il s’en inquiétait ? La question ne se posait même pas, mais il n’allait pas jouer les paternalistes avec elle. Pas après être venue le trouver pour éviter toutes discussions sur un sujet houleux. « Tu as faim ? Je peux aller te chercher quelque chose... » demanda-t-il en pointant son pouce vers l'arrière. Le brésilien ne savait pas pour elle, mais dans un état d'ébriété avancé il était rapidement pris d’une faim de loup et, pour Kat, Danjel était prêt à braver le froid pour lui ramener un McDo au beau milieu de la nuit.

Neutre. Ce devait être son mot d’ordre pour la soirée. Il ne devait pas s’en mêler, encore moins montrer sa frustration, mais il savait que ne pas prendre partie lui serait extrêmement dur. Danjel devait être l’un des rares à se soucier de ses ex. Ou plutôt de son ex. Kat était comme qui dirait l’exception qui confirme la règle. « Il comprend pas que… j’ai besoin de changer d’air, parfois. D’être avec vous, avec Ben… » reprit-t-elle, abattue. Par réflexe, Danjel crispa la mâchoire. Voilà que ça lui reprenait, cette envie de lui arracher la tête. Pourquoi ? Parce que tout indiquait que Chris doutait de l’amour de Kat. Et pour le brésilien, après tout ce qu’ils avaient enduré – et plus particulièrement la jeune femme – s’était tout bonnement inconcevable. Même lorsqu’ils étaient ensemble, Danjel n’avait jamais douté des sentiments de Kat à son égard et, aujourd’hui encore, ils restaient très proches. En toute honnêteté, l’anglo-russe faisait partie des rares pour qui le brésilien était prêt à sacrifier sa vie. « Je sais que j’aurais dû l’appeler pour le prévenir, et je lui ai bien dit que je l’avais pas invité parce que, de toute façon, il était pas adepte de ce genre de fêtes, mais… J’ai juste… l’impression que tout le monde avait raison, et que finalement, on a rien à voir l’un avec l’autre. Que sur le long terme, on ne se comprend pas… ». Danjel fit la moue. Il n’aimait pas du tout l’entendre parler comme ça même si une partie de lui était assez satisfaite d’apprendre que Chris en bavait avec l’anglo-russe. Il avait connu ça lui aussi. Plus ou moins. Danjel avait surtout dû faire face à sa jalousie dont il jouait parfois. Il n’avait pas évolué depuis ; le brésilien était toujours aussi gamin. « Finalement, on s’est mariés juste après s’être remis ensemble, et après ça il y a toutes ces préoccupations de logement et de travail, qui a fait qu’on a pas pu se concentrer sur nos vies et… maintenant que c’est le cas, j’ai peur qu’on… veuille aller dans des directions différentes. Rien ne semble facile… On aime pas les mêmes choses, on a pas les mêmes passions, les mêmes passe-temps, je te dis pas comme ça a été difficile de faire la déco de l’appartement… ». Il voulait intervenir mais ne trouva rien de probant à lui dire. Danjel fut même tenté de sortir un vieux dicton du style : « Les contraires s’attirent », mais, ayant toujours 2g dans chaque œil, il craignait que les mots ne se déforment en franchissant la barrière de ses lèvres et ne forment un : « Qui se ressemble s’assemble » lourd de sens. Le brésilien s’abstint : il n’était que l’oreille attentive et n’avait aucun droit de regard sur la vie sentimentale de son amie. « Remember how it came easy with us ? I mean I was crazy jealous, and that made me a pain in the ass most of the time, but… I miss the easy part… I miss knowing exactly what the other thinks, or what the other’s gonna do, not because I’m used to it, just because I feel it… ». Bien qu’il fut surpris de ce résumé de leur ancienne vie de couple, Danjel ne put s’empêcher de rire en acquiesçant d’un signe de tête. « Je t’avoue que j’en jouais parfois. J’ai toujours été taquin et j’adorais te voir piquer un fard. Ca te rendait… Spicy. » dit-il en haussant plusieurs fois les sourcils, affichant un air de nigaud attendrissant. « Si tu veux mon avis, ta plus grande qualité c’est aussi ton plus grand défaut. Tu es passionnée. Tu vis pour la passion et comme nous partagions la même, c’était plus facile. » dit-il en haussant les sourcils comme si cela coulait de source pour lui. « Et puis, on s’est séparés. Sûrement parce que nous avions sondé tout notre potentiel, la passion en amour n’est pas différente que celle de la danse. On ne s’en lasse jamais, mais on a parfois besoin de faire une pause pour reprendre notre souffle, réfléchir au prochain mouvement... » termina-t-il. Danjel ne voulait pas parler d’eux – enfin si, peut-être un peu ? – mais il voulait lui faire comprendre implicitement que prendre un peu de recul vis-à-vis de Chris l’aiderait déjà à y voir plus clair, dans le meilleur des cas, à se rappeler ce qui lui avait plu chez lui at the first place et se demander si tourner le dos à sa famille en valait vraiment la peine ou si elle n'avait pas fait tout cela dans le seul et unique but d'affirmer son indépendance.

Danjel aimait son indépendance. Il le criait sur tous les toits à qui voulait bien l’entendre, mais il n’en restait pas moins humain ; lui aussi avait besoin d’attention de temps en temps surtout si l’on considérait ce qu’avait été sa vie jusqu’à maintenant. Au bout du compte, le brésilien n’avait été heureux qu’auprès de ses amis, de cette famille qu’il avait créée de toute pièce et à laquelle il tenait énormément. Danjel ne les avait pas seulement accueillis au sein du groupe, il les avait carrément pris sous son aile et était prêt à tout pour les préserver. Cela expliquait sûrement pourquoi il se sentait à la fois colérique et impuissant. Le brésilien parvenait néanmoins à se contrôler et à ne pas trop laisser entrevoir sa frustration ; il faisait partie de ceux qui pensaient que les deux époux n’étaient pas fait pour être ensemble et, aux vus des évènements actuels, Danjel le pensait toujours. D’après lui, Kat s’était éprise de Chris à un moment de sa vie où elle cherchait à fuir son monde et à explorer d’autres horizons. Il ne voulait pas insinuer que leur histoire n’était pas sincère car il ne connaissait que les grandes lignes que Kat avait bien voulu partager avec lui, mais de la façon dont l’anglo-russe mentionnait son couple aujourd’hui, Danjel se disait qu’il n’avait peut-être pas eu tort à son sujet. Quant au canadien qui partageait sa vie, le danseur de rue n’en savait pas grand-chose. Il l’avait croisé une ou deux fois à son bras, mais n’avait pas pris l’initiative d’engager la conversation avec lui car, après tout, il était un ex de Kat ce qui le rendait probablement ennemi numéro 1. Non ? Sérieusement, il ne savait pas comment tout cela fonctionnait. Il n’avait jamais connu d’histoire sérieuse avant Kat et le fait qu’ils soient restés en bon terme rendait justement la situation délicate. Sa pensée fut interrompue par la petite tape que lui adressa une Kat un tantinet plus souriante. « Hey, I never needed anything to be spicy. ». Danjel pouffa de rire à son tour, amuse et soulagé de constater qu’elle n’avait pas perdu son sourire malgré tout. « Oh, I never had any doubt about that !  » renchérit-il aussitôt avant de se lancer dans un discours plutôt étrange. Le brésilien n’avait pourtant aucun attrait pour la psychologie et l’alcool ne l’aida pas vraiment à contrôler ses dires. Il se mit à parler de danse, de passion, de potentiel, de respiration et tout ça formait une phrase assez drôle à entendre. Danjel se sentait con. Vraiment con. Et pourtant, Kat lui donna l’impression que c’était tout ce qu’elle avait besoin d’entendre – ou de revivre – en ces temps difficiles. « I think I just figured that next move… » souffla-t-elle avant de se redresser. Son regard croisa alors le sien et avant même qu’il ait pu anticiper quoi que ce soit – merci l’alcool - ses lèvres se retrouvèrent tout contre les siennes.

Si, à cause de l’effet de surprise, il resta de marbre pendant quelques instants ; ses sens ne mirent pas très longtemps avant de s’éveiller à son contact. Il se souvenait de tout, de ce qu’elle aimait dans un baiser ou du goût de ses lèvres lisses et expertes. Danjel clôt alors les paupières et s’appliqua à lui répondre avec autant de passion et de douceur, mais bientôt le simple contact de ses lèvres ne lui suffit plus et sa main glissa dans sa chevelure dorée pour la rapprocher de lui. Sa conscience lui aurait sûrement murmuré d’y couper court, mais depuis quand Danjel était raisonnable ? Pour l’instant, ça n’était rien qu’un baiser. Par contre, il n’était pas certain d’avoir la force de lui refuser quelque chose de plus intimiste. Danjel se souvenait de ça, aussi. Comment pourrait-il seulement l’oublier ? Tandis qu’il repassait en revue tous les bons souvenirs de ses moments passés avec l’anglo-russe, son baiser se faisait plus entreprenant et ses mains, guidées par sa mémoire intacte, s’aventura sous son vêtement d’emprunt pour venir caresser ses hanches résistant à l'envie de l'attirer encore plus contre lui.

Danjel était étrangement satisfait de voir Kat tout aussi réceptive que lui. Cela faisait-il de lui une mauvaise personne ? Méritait-il vraiment le titre d’ami proche que la jeune femme avait bien voulu lui attribuer au fil des années ? Etait-ce seulement sain pour eux de garder cette relation au vu de leur passé ? Et pourtant, c’était lui que la jeune femme était venue trouver. Il devait être raisonnable. Seulement, il n’en avait pas la force et sûrement pas l’envie. Il avait besoin de ce moment sûrement autant qu’elle mais se refusait de l’avouer. Lorsqu’elle posa sa main glacée sous son haut, le jeune homme ne put réprimer un frisson doublé d’un gémissement ; il n’aurait su dire si ce frisson était réellement dû à la froideur de ses mains ou au simple contact de celle-ci sur sa peau. Instinctivement, dans l’optique de la réchauffer, Danjel l’attira un peu plus contre elle. Ce qui ne fit qu’accroître son désir… Même si l’ambiance y était propice, une part de Danjel refusait tout de même de céder pleinement à la tentation. Comme il sentait que Kat y mettrait un terme avant que les choses ne deviennent trop incontrôlables pour tous les deux, le brésilien faisait passer toute sa frustration dans leur baiser. Les lèvres de Kat subissaient un traitement particulier ; il les effleurait, les pressait un peu plus contre les siennes, les mordait avec douceur…

A ce moment précis, il cherchait plus à satisfaire son besoin de tendresse que sa libido.

Danjel ne voulait pas trop pousser l’initiative. Et Kat lui donna raison en se séparant de lui, le fixant avec une expression dont il devinait le sens. Le brésilien réprima un soupir et fit de son mieux pour ne pas laisser transparaître sa déception. « I'm sorry... that was super unappropriate... » dit-elle dans un souffle et tandis qu’elle scrutait son visage, Danjel détourna le sien en acquiesçant d’un signe de tête juste pour lui donnait l’impression qu’il comprenait. Elle ôta la main de son ventre pour la poser sur sa joue et Danjel se surprit à fermer les yeux. « Remember when he did that to me ? He was drunk, and slept with that Lucja bitch... I can't do the same... I wouldn't wish that to anyone, no matter how mad I am... And you deserve much better too... I don't want it to be like I'm playing you or anything, I... really wanted to kiss you, but... ». Le moins que l’on puisse dire, c’était que la jeune femme – même alcoolisée – gardait une sacrée maîtrise de ses actions. Ca venait peut-être du fait qu’elle avait été l’héritière d’une marque de vodka mondialement connu, le sang russe qui coulait dans ses veines, tout ça. En tout cas, elle gérait mieux que lui !

Danjel eut besoin d’un certain temps pour retrouver ses esprits, apaiser son égo tout de même blessé d’avoir ainsi été rejeté et ouvrit de nouveau les yeux lorsqu’il fut de nouveau prêt à affronter son regard. Il saisit délicatement la main toujours posée sur sa joue et déposa un baiser dans la paume de celle-ci avant de lui sourire le plus tendrement du monde tout en frottant ses mains dans les siennes afin de les réchauffer au maximum. « It’s ok. You came to me because you felt bad and I don't want you to leave this place with a heavy heart. I don't want to hurt you neither, you're too important to me. ». Il attendit un instant puis, sur ces mots, se redressa pour l’embrasser sur le front. « You should get some sleep. I’ll turn on the extra heating. » acheva-t-il en se levant aussitôt pour l’installer le chauffage d'appoint.

Maintenant que l’excitation était retombée, Danjel prenait véritablement conscience de ce qui avait été à deux doigts de se produire et des conséquences que cela aurait pu engendrer. Et il ne parlait pas forcément de Chris débarquant un beau jour pour lui casser la gueule, mais de ce qu’adviendrait sa relation avec Kat. Kat qui était également son ex. Autrement dit, Danjel n’était pas dans les petits papiers du canadien et n’était sûrement pas prêt de l’être s’il venait à la savoir ici, dans son repère. D’ailleurs, il restait intimement convaincu que Chris le saurait car tôt ou tard, écrasée par le poids du secret, l’anglo-russe finirait par se confesser. Bien entendu, Danjel ne se détournerait pas du problème ; il avait également sa part de responsabilité même si ça n’avait été rien de plus qu’un baiser. Là, le brésilien se sentait vraiment mal, ce qui ne lui arriverait que très rarement. C’était dans ces moments comme celui-ci qu’il aimait se retrouver seul avec lui-même histoire de prendre un peu de recul et de faire le point sur ce qu’était sa vie. Jusqu’à présent, Danjel était plutôt content de ce qu’il avait accompli. La crew, ce repaire et même son petit boulot de vendeur lui satisfaisait amplement, mais il n’y avait aucune stabilité dans tout ça. Cette notion lui était même totalement étrangère, abstraite… « Thank you… » souffla-t-elle, le tirant un peu de ses pensées. Danjel lui adressa une énième grimace qui se voulait être un sourire rassurant et il passa une main nerveuse dans ses cheveux qui n’était déjà plus disciplinés depuis longtemps. Plutôt que de ressasser le moment atrocement gênant qu’ils venaient de vivre tous les deux, le brésilien se mit tout son cœur dans l’installation du chauffage d’appoint.

Danjel pensait que la discussion était close, qu’il n’allait plus aborder le sujet et faire comme si rien de tout ceci ne s’était produit, mais c’était sans compter sur Kat qui reprit aussitôt la parole. « And I meant what I said... you deserve a great story... and you're really – believe it or not – the bestest of the bestest person of all the persons I know, so, you deserve someone at least as good as that. ». Le brésilien arrêta de s’obstiner à vouloir mettre le chauffage sous un bon angle pour se concentrer sur ce visage aux traits tirés qui lui rappelait constamment plein de bonnes choses. Ils n’avaient jamais vraiment discuté à cœur ouvert, même jamais lorsqu’ils formaient encore un couple alors Danjel était vraiment touché de savoir quelle importance il revêtait pour elle. Le brésilien voulait lui dire quelque chose d’aussi gentil, mais il risquait fortement de s’attaquer à un point sensible en mentionnant Chris ; ça n’était pas le moment idéal. « Wow, you’re really drunk. » la taquina-t-il en riant doucement avant de retrouver son sérieux. « Mais merci. Ce qui me plait le plus chez toi, c’est sûrement ta foi inébranlable en l’être humain. » poursuivit-il. Conscient que ses paroles pouvaient porter à confusion et l’amener à penser de nouveau à cette situation pour laquelle elle était venue se réfugier ici, Danjel s’empressa d’ajouter : « I mean… Je persiste à croire que je suis un cas désespéré, mais je m’estime tout de même chanceux d’avoir une bande d’amis aussi géniaux que vous tous… Vous êtes ma famille, you know. ». Et il était sincère. A ses yeux, c’était ce que toute la crew représentait pour lui, y compris Cecilia, la petite dernière de la bande. « But let's not be ashamed of what just happened, okay ? You're too important to me too... ». Danjel fit mine de prendre le souvenir invisible de son cerveau et de le jeter dans la corbeille qui traînait un peu plus loin. « Pour moi, ça ne change rien. » la rassura-t-il en ponctuant ses propos d’un signe de tête. « Ca va, tu n’as pas trop froid ? Ca devrait chauffer d’ici quelques minutes, mais je m’en voudrais si tu pars d’ici avec la grippe. D’ailleurs, à ce propos, quand est-ce que tu vas l’affronter ? Je veux dire, je me suis promis de ne pas engager la conversation sur ce terrain là parce que ça ne me regarde pas et je suis mal placé pour donner des conseils, mais il va bien falloir que tu le fasses. En tout cas, je te le répète, tu peux rester ici autant que tu veux. »

« Uh, et c’est sûrement ce qui finira par me perdre. C’est ce que Ben arrête pas de me dire… » expliqua-t-elle. Danjel lui sourit ; il n’était pas 1/10° de l’anglo-russe, mais leurs petites différences ne les empêchaient pas de se comprendre. Le brésilien avait rapidement cerné la personnalité de Kat, et inversement. C’était un peu comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Par ailleurs, Danjel lui assura que ce moment de tendresse inopiné qui venait de se passer entre eux n’entacherait pas leur relation, mais influerait définitivement sur la façon dont Chris le percevait. Ceci dit, Danjel n’était pas du genre à tourner le dos à ses amis, encore moins à les laisser endosser les responsabilités seuls ; il n’avait pas l’intention de se défiler devant le canadien. Il assumait pleinement son geste, mais n’irait pas non plus jusqu’à lui avouer qu’il avait apprécié l’instant.

Maintenant que toute ambigüité était levée, Danjel voulait savoir ce qu’elle comptait faire pour la suite. Il était évident qu’elle ne regagnerait pas son foyer le temps que l’orage passe et le brésilien n’avait aucune idée du temps que cela pourrait prendre. « Mh, je sais pas trop… Je pense pas y retourner demain, en tout cas. Je vais rester avec Ben, je pense, le temps de… reprendre mes esprits. Mais je pense que je finirais par le lui dire… Enfin, je dois, même… But it's not just... about the kiss. Don't you see it ? Maybe I was wrong from the beginning, maybe we went to fast, anyway... that means something's wrong with my marriage... So, I won't let him say or do anything to you. ». Au fur et à mesure que l’anglo-russe argumentait, Danjel acquiesçait sans pour autant l’interrompre. « Si, je comprends ton point de vue. Du moins, je ne peux pas me mettre à ta place parce que, le mariage ne fait pas partie de mes principes, mais j’ai saisi l’enjeu que ça représente pour toi, et la remise en question que ça implique. ». Il avait lu une fois : « Le mariage est la première cause du divorce », ça tombait forcément sous le sens, mais ça l’avait fait sourire et réfléchir. Selon lui, ce changement de statut matrimonial n’était malheureusement pas anodin chez certains couples. Et quel en était l’intérêt ? Ce n’était qu’une vulgaire signature sur un bout de papier ! « Et tu n’as pas à t’inquiéter, s’il vient me trouver je saurais quoi lui répondre… ».

J'ai fait petit

Depuis quand était-il devenu aussi compréhensif ? Danjel n’en était pas vraiment sûr, mais il avait l’impression que tout cela avait un rapport étroit avec la crew et plus particulièrement au contact de l’anglo-russe. Sans savoir comme elle s’y était prise, les traits qu’il avait longtemps admirés chez elle avait réussi à déteindre sur lui. Chacun des membres de son groupe de danse de rue lui apportait un petit quelque chose. Il n’envisageait pas se séparer d’eux un jour et, en cet instant précis, il était loin de se douter que c’est ce qui allait arriver lorsqu’il croiserait la route de Ren. Le monde qu’il s’était construit allait s’effondrer comme un château de cartes… « Seriously ? And what's that ? You can't fight with him, it wouldn't be fair. He's not... the sport type. Plus, I don't want it to be... a conflict ? Even though I'm pretty sure that if we get over it, it'll be pretty much impossible to get you guys to get along. » reprit Kat, à la fois moqueuse et dissuasive. Il fit mine d’être offusqué. « Je sais être diplomate et engagé une conversation sans jouer des poings, tu sais ? » dit-il, en secouant exagérément la tête en signe d’affirmation. Effectivement, Danjel était persuadé d’avoir assez de retenu pour ne pas user de la violence parce que ce choix s’était déjà offert à lui dans les favelas de Rio de Janeiro. « Bien que le fait que tu le vois comme un combat perdu d’avance pour l’autre partie, je préfère ne pas non plus faire de pronostic. Je préfère ne pas sous-estimer la force de d’un mari jaloux… » dit-il en riant. « Mais, de toute façon, comme je le disais toute à l’heure, ça ne sont pas mes affaires. Si j’interviens, je risquerais de faire pire que mieux. Tu vois bien que je sais faire preuve de retenu. » dit-il en passant son bras autour d’elle pour l’attirer un peu plus contre lui. Maintenant que ses reins commençaient à filtrer l’alcool de son sang, la fatigue – jusque là anesthésiée par l’excitation – se faisait de nouveau ressentir.