Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce que je faisais là … C’était la question qui tournait en boucle dans ma tête, alors que cela devait maintenant faire une bonne dizaine de minutes que j’étais garé devant chez elle, toujours dans ma voiture. Je posais mes mains sur le volant avant de me pincer l’arrête du nez. Mais qu’est-ce que je faisais là ? La nuit commençait à tomber et ma journée venait de se terminer. Une plutôt bonne journée d’ailleurs. Enfin, comme l’était une journée où personne ne mourrait, j’imagine. Et alors que je rentrais chez moi, je m’étais rappelé que la veille Lexie m’avait invité à passer chez elle ce soir. Et après quelques hésitations, j’avais finalement pris la route vers la cinquième avenue, avant de me retrouver devant chez elle. Je savais que ce n’était pas une bonne idée. Encore plus alors que j’avais failli l’embrasser la veille, alors qu’elle attendait le pédiatre. Je ne savais pas ce qui s’était passé. Mais j’avais été comme envouté, comme hypnotisé même, et mon visage s’était rapproché du sien. Heureusement, j’avais récupéré la raison avant de faire quoique ce soit. Et elle avait récupéré la sienne en décidant de partir changer Saoirse – même si je doutais réellement que sa bambine en ait réellement eu besoin. Mais que se serait-il passé si je n’avais pas eu un moment de réflexion ? Il était probable que nous nous serions embrassé, tout simplement. Et cela ne pouvait vraiment rien donner de bon. Et pourtant, voilà que je me retrouvais devant chez elle, dans ma voiture, à ne pas savoir si je devais sortir de celle-ci ou non. Le plus raisonnable serait que je rentre chez moi. Même si, comme tous les vendredis soirs, ma femme n’était pas à la maison, tout comme ma fille d’ailleurs. Donc si je rentrais, je serais seul. Voilà qui ne m’aidait pas à me motiver pour rentrer chez moi. Si ma fille avait été présente, le choix aurait été bien plus facile. Je serais rentré, et aurais profité de sa présence, comme à chaque fois que je le pouvais. Mais ce soir, ce n’était pas le cas. Je prenais mon inspiration, avant de sortir de ma voiture. Fermant lentement les yeux avant de me mordiller les lèvres et de verrouiller les portes. Mais plus je m’approchais de chez elle, plus mon cœur battait fort, ce qui m’inquiétait. Est-ce que je serais raisonnable une fois chez elle ? Une fois que je goûterais au plat qu’elle avait dit qu’elle me préparerait ? Est-ce que je pourrais rester chez elle, simplement en tant qu’ami, et rien d’autre ? Le pire était probablement le fait que je sentais que c’était réciproque – et elle avait elle-même failli m’embrasser la veille, d’ailleurs. Si encore je n’avais senti aucun signe de sa part, cela aurait probablement été bien plus facile pour moi. Il n’y aurait eu aucune ambigüité et j’aurais simplement profité d’un bon repas entre amis. Mais ce n’était pas le cas. Et alors que je sentais mon cœur battre à tout rompre tandis que je me rapprochais de son domicile, je le savais d’autant plus. Arrivé devant sa porte, je fus de nouveau pris d’un doute. Je devrais faire demi tour et rentrer chez moi, avant de commettre une bêtise. Ce serait bien plus prudent, plutôt que de me retrouver seul en sa présence – Saoirse n’étant qu’un bébé, et dormant probablement à cette heure-ci. Allez, il fallait que je sois fort et que je fasse demi tour, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Il ne fallait surtout pas que je sonne. Allez, je rentre chez moi, et je ne sonne surtout pas. Trop tard … Avant que je n’aie eu le temps de me rendre compte, mon doigt pressa sur la sonnette. Impossible de faire marcher arrière maintenant …

Alors que je me trouvais devant sa porte d’entrée, j’étais submergé de doutes. Qu’est-ce qui m’était passé par la tête ? Pourquoi est-ce que j’étais venu ? Mon meilleur ami trompait sa femme, et je savais parfaitement qu’il s’était mis dans une situation bien compliqué – surtout qu’il la trompait avec la sœur de son épouse, ce qui n’arrangeait rien, bien au contraire. Parler avec Vitaly m’avait tout de même fait réaliser quelque chose. Je n’étais pas heureux. Vraiment pas. Bien sûr, mon travail me passionnait, et je profitais de chaque instant passé en compagnie de ma fille. Mais ce n’était pas la même chose. Je ne touchais même plus Melissa, c’était dire. Et surtout, je nous imaginais parfaitement dans cinquante ans, toujours marié, dans une maison sans bruit, sans vie, sans rien. Je m’imaginais parfaitement repenser à ma vie, penser aux regrets que j’avais. Penser au fait que j’étais passé à côté de ma vie, tout simplement, parce que je n’avais pas eu le courage de demander le divorce et de retrouver ma liberté. Je savais bien que le divorce n’était pas reconnu dans la religion catholique, mais même mes parents, très pratiquants, n’avaient jamais accepté mon mariage, pensant que je gâchais ma vie en l’épousant. Ce qui était probablement le cas d’ailleurs. Et si je ne regrettais pas de l’avoir épousée puisque cela m’avait permis de profiter de ma fille le plus possible, maintenant qu’elle était proche de la majorité, je me demandais réellement pourquoi je ne demandais pas le divorce, tout simplement. Attention, si ma rencontre avec Lexie avait peut-être provoqué ces réflexions, je ne me voyais pas divorcer pour une personne dont je ne savais même pas si une relation pourrait fonctionner. Nous, si je devais divorcer, c’était pour moi. Pas d’excuse, pas pour une autre, mais simplement pour moi. Et puis, si j’avais envie de tenter quoique ce soit avec la jeune brunette, il fallait également que je sois libre de chaînes. Après tout, Lexie était une jeune mère célibataire, et je ne pouvais pas la mettre dans une situation où elle serait la maîtresse d’un homme marié. Il en était hors de question ! Mais donc, qu’est-ce que je faisais ici, devant chez elle, m’apprêtant à diner en sa compagnie ? Pourquoi je n’attendais pas d’être au moins en instance de divorce ? Parce que je n’étais pas stupide, je savais parfaitement que ce n’était pas une bonne idée. Je savais bien que cette fois-ci, alors que personne à l’exception de sa bambine ne serait présent, quelque chose finirait par se passer. J’avais envie de croire que nous pouvions diner simplement entre amis, mais je n’étais pas assez naïf pour cela. Mais il était trop tard pour faire marche arrière maintenant, alors que je venais de sonner à sa porte. « Hey… » me salua-t-elle dans un sourire timide. « Hey … » répondais-je tout aussi timidement, ne sachant pas quoi faire exactement. Je me penchais vers elle pour déposer un rapide baiser sur sa joue, avant de me reculer tout aussi rapidement. Ne pas penser à la sensation de sa peau contre mes lèvres ! Ne pas penser à la sensation de sa peau contre mes lèvres ! « Je ne savais pas si tu allais venir. Entre. » me dit-elle tout en se décalant pour me laisser passer, ce que je fis. Je fermais doucement la porte derrière moi, avant de retirer mon manteau. « Je t’avais dit que je viendrais … » commençais-je dans un petit sourire. « Et puis, tu m’as bien trop tenté. » continuais-je, avant de reprendre immédiatement. « Tu m’as bien trop tenté en parlant de nourriture je veux dire. Je suis un éternel gourmand, je le serais probablement toute ma vie. » me rattrapais-je avant de rire doucement.

Je n’aimais définitivement pas ce que je ressentais. Le simple fait de la voir dans l’entrebâillement de sa porte d’entrée fit augmenter intensément les battements de mon cœur. Venir ici n’était définitivement pas une bonne idée, c’était certain. Et pourtant, je n’avais pas pu m’en empêcher. C’était comme si je ne contrôlais plus rien, lorsque je pensais à elle. J’avais voulu empêcher ma voiture de me rendre chez elle, et je n’avais pas pu, comme si celle-ci était mise en conduite automatiquement et que je ne pouvais pas la déprogrammer. Et lorsque je m’étais retrouvé devant sa porte, là aussi, j’avais voulu faire machine arrière, mais j’en avais été incapable. Et c’était probablement ce qui me faisait le plus peur. Lorsqu’il s’agissait d’elle, je ne contrôlais plus rien, même pas moi-même. Passer une soirée en sa compagnie était donc réellement une très mauvaise idée. Et l’embrasser délicatement sur la joue pour la saluer, en était une bien pire, tant son contact m’électrisa. J’allais faire une réellement connerie ce soir, c’était certain. Et mes premiers mots à son égard furent bien pires que ce que j’avais prédit. Et pourtant, il était vrai que c’était plus elle qui me tentait, que l’idée de diner, même si je me rattrapais rapidement en mettant la faute sur ma gourmandise, ce qui eut le mérite de la faire rire. Je fermais doucement les yeux, me concentrant sur son rire si particulier. « T’aurais pu avoir d’autres choses à faire. Plus importantes. Ou simplement préférer ne pas venir. » commença-t-elle, me tirant un petit sourire. « Ça aurait été un autre jour, je ne dis pas. Mais le vendredi, je suis seul chez moi toute la soirée. Donc non, je n’avais rien de plus important de prévu. » répondais-je, en toute sincérité. Après tout, ma femme avait son club de lecture, et ma fille son club de journalisme. Généralement, je dinais donc seul devant la télévision. Autant dire qu’à choisir, je préférais largement passer la soirée en compagnie de la jeune femme – même si cette idée ne devrait pas me ravir autant. « Mais je suis vraiment contente que tu sois là. » continua-t-elle dans un sourire en coin. Ne pas regarder son sourire ! Je détournais le regard, n’aimant pas du tout les pensées que son sourire – et donc ses lèvres – me donnaient. « Je suis également très contente d’être venu. » lui avouais-je, même si la partie raisonnable de mon cerveau pensait tout l’inverse. L’effet qu’elle me faisait était incroyablement étrange, c’était certain. Et si ma raison me disait de fuir, mes jambes n’avaient décidément pas envie d’être coopérative ce soir. Comme toutes les fois où elle était dans les parages en fait, ce qui expliquait pourquoi à chaque fois que je la croisais, je ne pouvais m’empêcher d’aller à son encontre et de lui parler. « Je suis désolée, ce soir tu ne verras surement pas la petite princesse. Elle dort déjà. » m’informa-t-elle en souriant. « Quoique, j’apprécie le calme… » ajouta-t-elle dans un rire qui m’enchanta de nouveau. « Dommage, j’aime vraiment les enfants. La tienne en particulier … » dis-je dans un petit sourire. C’était la vérité, j’avais même toujours rêvé d’une grande famille. Mais bon, en cette soirée, je ne savais pas si cette nouvelle m’enchantait ou non. Après tout, si elle avait été présente parmi nous, peut-être que me contrôler aurait été plus simple ? Je n’en savais rien. « Fais comme chez toi… Qu’est-ce que je te sers à boire ? » me proposa-t-elle. Je m’installais alors sur son canapé, avant de lui répondre. « Je veux bien un verre de vin rouge, si tu en as. » lui demandais-je dans un sourire.

« Alors j’imagine que je n’ai qu’à me réjouir d’avoir choisi la bonne soirée… » me répondit-elle. Je ne pus m’empêcher de la regarder se mordiller la lèvre inférieure, comme hypnotisé par cette image. J’avais envie de lui remonter la tête de mon doigt, mais je me retins à temps. Si je voulais que la soirée se passe bien, il valait mieux éviter tout contact physique. Même si je doutais clairement qu’il n’y ait pas de dérapage. Je voyais bien que l’attirance était mutuelle, malheureusement d’ailleurs. Après tout, si elle m’avait semblé totalement indifférente, cela aurait probablement été plus facile. J’aurais ignoré ce qu’elle me faisait ressentir, et nous aurions pu être simplement amis. Mais ce n’était pas le cas, et elle semblait aussi perdue que je l’étais. « Et je m’en réjouis tout autant. » lui dis-je dans un petit sourire. Je me demandais si nous allions finir par nous voir tous les vendredis. C’était techniquement possible, puisque le vendredi, personne ne m’attendait à la maison, et je passais donc généralement la soirée à lire un livre en attendant ma fille avant d’aller me coucher. Oula, il ne fallait pas aller aussi vite en besogne. Nous n’aurions pas à nous voir le vendredi, puisque j’allais tenir bon, et ne craquerais pas. Il fallait que je retrouve un peu confiance en ma raison. Celle-ci m’empêcherait de tenter quoique ce soit ce soir. Il fallait que j’y crois, parce que si je partais déjà perdant, il était certain que quelque chose se passerait. « J’espère bien ! » me dit-elle après que je lui ais dit que j’étais très content d’être venu. Je lui faisais un petit sourire pour simple réponse. J’étais probablement bien trop content d’être ici, ce soir, pour mon propre bien. Elle me laissa seul quelques instants, le temps d’aller déposer ma veste dans sa chambre. Ne pas regarder sa chambre. Détourner le regard. Oui voilà, comme ça, très bien. Je soufflais doucement. Dans quelle position je m’étais mis, sérieusement ? Elle m’informa alors que sa fille dormait déjà. Si d’un côté cette nouvelle me rendait heureux – Lexie et moi serions donc seuls – de l’autre côté, cela me faisait un peu peur – Lexie et moi serions donc seuls. Et puis je l’aimais bien sa petite. Ce fut d’ailleurs ce que je lui répondais – enfin, que j’aimais bien sa petite bien sûr, pas le reste. Bon, j’aimais probablement tous les enfants. J’avais même toujours voulu d’une grande maison remplie d’enfants, c’était dire. Même si ce rêve s’était amoindri au fil du temps, alors que j’avais compris que Melissa n’en voulait pas d’autres – elle ne l’avait pas dit clairement, mais son avortement avait été une réponse plutôt claire et précise. « Qui sait, peut-être que son estomac se manifestera. Et crois-moi, dans ces cas-là, on l’entendra… » affirma-t-elle, me tirant un rire franc. Oh oui, je connaissais ça. Bon, cela faisait quelques années maintenant, mais je me rappellerais toujours des nuits quasiment blanches que je faisais lorsque Jamie était bébé. Heureusement, je n’étais qu’étudiant en médecine à ce moment-là, et non interne. En plus d’avoir plus de temps pour elle, je n’avais pas de vies entre les mains – ce qui était plutôt incompatible avec le fait de ne pas pouvoir dormir plus de deux heures d’affilées. « Je veux bien te croire ! » répondais-je sans perdre mon rire. Elle me demanda alors si je souhaitais quelque chose à boire. Je lui demandais donc un verre de vin, tout en m’installant sur son canapé. Après quelques minutes, elle revint avec deux verres de vin, dont un qu’elle tendit, avant de s’asseoir sur le même canapé. Ma respiration se bloqua quelques secondes, le temps de m’habituer à cette nouvelle proximité. « Merci. » la remerciais-je sans oser la regarder, ma respiration retrouvée. « A cette soirée, que tu as gentiment décidé de passer avec moi. » dit-elle en levant légèrement son verre. Je fis de même, avant de lui répondre. « À cette soirée, pour laquelle tu m’as gentiment invité. » répondais-je tout en me mordillant les lèvres de gêne. « Comment s’est passé ta journée ? T’es venue en aide à d’autres femmes enceintes paumées ? » fini-t-elle par me demander, me tirant un nouveau rire. « Non, je n’ai pas rencontré de nouvelles femmes enceintes paumées. » commençais-je, sans perdre mon rire. « Et ma journée s’est très bien passée. Aucun mort, ce qui est signe d’une réussite. Et la tienne ? »

Je n’avais pas pu m’empêcher de rire lorsque Lexie m’informa que peut-être Saoirse finirait par avoir faim et qu’à ce moment-là, nous serions au courant. Après tout, j’étais moi-même père et j’étais donc passé par cette période. Les nuits blanches, je ne connaissais cela que trop bien. Mais étrangement, cela ne m’avait jamais dérangé, contrairement à Melissa. Peut-être que j’avais plus la fibre paternelle qu’elle n’avait la fibre maternelle ? C’était fort probable, étant donné que j’avais majoritairement été la personne me levant plusieurs fois dans la nuit pour nourrir Jamie. Et puis finalement, cela n’avait pas été si contraignant que cela. Surtout que cela m’avait permis de m’habituer aux nuits blanches, puisque quelques années plus tard, j’étais devenu interne en chirurgie. Et pendant mon internat, les nuits blanches n’étaient pas rares. Lexie revint alors avec deux verres de vin. Je la remerciais, puis nous trinquèrent à cette soirée. « Avec plaisir ! » répondit-elle dans un rire. Elle me demanda alors si ma journée s’était bien passée. Et ce fut surtout la deuxième partie de sa question qui me fit lâcher un rire franc, alors qu’elle me demandait si j’étais venu en aide à d’autres femmes enceintes paumées – faisant référence à notre propre rencontre. Je répondis alors par la négative. « J’ai le droit de dire que ça ne me déplait pas ? » me demanda-t-elle dans un petit sourire en coin, me faisant me mordiller doucement la lèvre inférieure. « Oui, tu as le droit j’imagine. » lui répondais-je dans un petit sourire, tout de même gêné par la situation. Je soufflais lentement, avant de répondre à la première partie de sa question, l’informant donc que ma journée s’était très bien passée – principalement dû au fait qu’il n’y avait pas eu de morts aujourd’hui. « Oui forcément, vu comme ça… » lâcha-t-elle, me tirant un petit rire. En même temps, dans mon métier, ne perdre personne était considéré comme étant une bonne journée. Ou même sauver le plus de personnes possible d’ailleurs. Après tout, même lorsqu’une personne venait à nous quitter, nous étions obligés de nous concentrer sur les vies sauvées, sans quoi nous ne tiendrions pas, psychologiquement parlant. « Je n’ai sauvé la vie de personne. » me répondit-elle à propos de sa journée, me faisant lâcher un nouveau rire. « Mais mon frère était là. J’ai passé une grande partie de la journée avec lui. Il est reparti quelques jours en Australie. » ajouta-t-elle. « Il ne me laisse jamais seul bien longtemps depuis… » commence-t-elle avant de prendre une petite pause. Depuis l’accident de son ex, j’imagine, même si elle ne s’était jamais épanchée sur ce sujet. « … enfin surtout depuis que Saoirse est là. » reprit-elle alors. « Oh c’est bien ! » commençais-je avant de reprendre. « Ça fait un bon moment que je n’ai pas vu mes sœurs, malheureusement. Ou même mes parents. J’imagine que c’est ça, être une famille de médecins. On ne peut se voir qu’à de rares occasions. » continuais-je, nostalgique. En même temps, c’était la vérité. Avec moi qui ne prenais jamais mes jours de congés lors de Noël ou Thanksgiving – qui étaient malheureusement les fêtes comptant le plus de tragiques accidents – et ma famille qui n’était pas forcément plus disponible que je ne l’étais, il était compliqué de nous voir souvent. « Mais c’est bientôt les dix-huit ans de Jamie, donc normalement on se réunit tous, sauf exception. » reprenais-je dans un sourire. Oui, les dix-huit ans de ma fille arrivaient bientôt. J’avais l’impression de ne l’avoir pas vu grandir, tant toutes ces années s’étaient passées rapidement. Mais oui, cela nous permettrait de tous se voir, aussi. « Et puis, je vais bientôt reprendre le boulot. Ca me manque mais… je sais pas… J’aurais moins de temps pour Saoirse. » annonça la jeune femme. Je ne pouvais que la comprendre, c’était certain. Des fois, je me demandais comment aurait été notre vie, à Jamie et à moi, si j’avais moins travaillé. Mais la plupart du temps, je ne faisais que secouer la tête après y avoir pensé quelques secondes, sachant pertinemment que Jamie adorait le fait que je sois chirurgien, malgré le fait que cela me prenait une bonne partie de mon temps. « Je pense que l’on se dit tous cela, avant de reprendre le travail. Mais je pense aussi que ta fille préférerait que tu sois une travailleuse active, pour te prendre plus tard comme modèle. Enfin je sais que c’est comme ça pour Jamie. Elle préfère le fait que je travaille, par rapport à Melissa qui ne travaille pas, par exemple, même si elle peut passer plus de temps avec sa mère. »

J’imaginais parfaitement qu’elle devait être heureuse d’avoir vu son frère, donc elle était apparemment très proche, surtout depuis qu’elle était tombée enceinte de Saoirse. Je ne connaissais pas vraiment l’histoire qu’elle avait eue avec le père de sa fille. Je ne connaissais que la base on va dire, donc qu’il n’avait pas été présent lorsqu’elle était tombée enceinte et qu’il n’était pas plus présent maintenant que la petite était venue au monde. J’essayais de ne pas juger, et pourtant … Je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait abandonner son enfant. Et qu’on ne me parle pas d’âge. Parce que si la jeune femme avait 24 ans, son ex petit ami ne devait pas avoir moins. Et surtout, j’étais resté, moi, lorsque j’avais appris à 17 ans que Melissa était enceinte. Et si j’étais malheureux en mariage, je ne regrettais rien. Jamie était vraiment la merveille de ma vie, et elle valait tous les sacrifices que j’avais pu faire depuis que j’avais appris son existence. Je lui parlais alors de ma propre famille, que je voyais bien peu à cause de nos métiers respectifs – nous étions tous médecins en même temps. « Je comprends…  Je vois mes sœurs rarement. Enfin, ce n’est pas non plus l’amour fou, même si on essaie d’améliorer les choses. Quant à mon autre frère, c’est différent d’avec Soren… Nikolaï est plus… distant. Enfin, c’est sa manière d’être. Pour ce qui est de mes parents, c’est tendu avec ma mère, et hm… mon père est décédé quand j’avais douze ans. » répondit la jeune femme. Même si j’avais envie de faire un commentaire sur son père, je me doutais que la jeune femme n’avait pas dit cela pour que je lui montre de la compassion ou autre du style, mais avait simplement annoncé un fait. « Oui je vois. C’est dommage quand même. La famille c’est tellement … Enfin je ne sais pas, c’est vrai qu’on ne choisit pas sa famille, mais personnellement si je pouvais les voir plus souvent, je n’en serais que plus heureux. » annonçais-je dans un haussement d’épaules, avant de parler des dix-huit ans à venir de ma fille. A cette occasion, tout le monde avait pris un jour de congé. En effet, ce n’était pas tous les jours qu’une personne fêtait sa majorité, sa future entrée à l’université, son futur départ pour entrer dans la vie adulte. Il ne fallait pas que je pense ça tout ça. Il fallait que je me concentre sur la fête d’anniversaire que je lui préparais et sur le cadeau que je lui offrirais. Le reste, je verrais ça le temps voulu. « Oh ça va être sympa ! Tu lui souhaiteras un bon anniversaire dans ce cas. » dit la jeune femme, me ramenant sur terre. J’espérais qu’elle n’avait pas vu mon trouble à propos de cette histoire. « Oui, je ferais ça. » lui répondais-je, toujours un peu dans mes pensées. Il ne fallait pas que je pense au fait que Jamie allait bientôt rentrer à l’université et nous abandonner. Bien sûr, ce serait alors le moment pour moi de divorcer, n’ayant plus aucune excuse pour rester avec Melissa. Mais comme je l’avais toujours pensé, rester proche de ma fille valait tous les sacrifices, mon mariage y compris. « Oui j’imagine. Enfin, c’est ce que j’espère. J’ai seulement peur de… je sais pas. De ne pas réussir à combiner les deux, à trouver le bon équilibre. » partagea-t-elle ses craintes à propos de reprendre le travail. J’acquiesçais doucement, avant de lui répondre. « Je pense que ce sera compliqué au début. Qu’elle te manquera et que tu auras du mal à la laisser le matin quand tu partiras. Puis petit à petit, tu trouveras le bon équilibre. Ça ne se fera pas d’un coup, dès le début, c’est certain, mais au fil du temps. » tentais-je de la rassurer, partageant la propre expérience que j’avais eu lorsque j’avais commencé mon internat. Bien sûr, Jamie avait alors sept ans, donc cela avait probablement été plus facile que si elle n’avait été qu’un bébé. Mais tout de même, la séparation avait été très difficile, du moins pour moi. « Tu as faim ? Ou tu reveux du vin ? » me demanda la jeune femme en se levant d’un bon, avant d’aller vérifier que tout se passait bien dans la chambre de sa fille. Quand elle revint dans le salon, je pouvais percevoir son stress, mais décidais de ne faire aucun commentaire à ce sujet. « Oui je veux bien. Enfin, oui je commence à avoir faim, et je reveux bien du vin s’il te plaît. »

« Des fois… Je crois que si j’avais eu à choisir, j’aurais préféré naître ailleurs. Certains diraient que j’ai eu de la chance. Financièrement parlant, je n’ai jamais manqué de rien. Mais les titres de ma famille viennent avec des responsabilités et des obligations. Ce que je déteste par-dessus tout. » avoua la jeune femme après que je lui ais dis qu’on ne choisissait pas notre famille. « Oui c’est vrai que tu as plus de responsabilité. Enfin, notre situation n’est pas comparable. Même si tu n’es pas l’enfant d’un pédiatre et d’une psychologue. Non parce que je ne te raconte pas notre enfance avec eux. Ils analysaient tout. Si j’étais malade, mon père tentait d’en connaître la cause médicale tandis que ma mère me demandait comment je le vivais. » répondais-je sans cacher mon rire. Bon, j’exagérais un peu les choses, mais à peine. Ce qui bien sûr ne m’empêchait pas de les aimer énormément. J’étais d’ailleurs d’être toujours très proche de mes parents et de mes sœurs, même si je les voyais bien trop peu souvent à mon goût.

J’enchaînais sur l’anniversaire à venir de ma fille. Dix-huit ans. Je n’arrivais toujours pas à y croire. Et d’un coup, je me demandais si ça ne gênait pas Lexie. Enfin, elle n’avait que six ans de plus qu’elle. Techniquement, elle était plus proche de l’âge de ma fille que du mien. Puis je secouais la tête. Lexie et moi n’étions que des amis et rien ne se passerait entre nous. Donc l’âge de ma fille importait peu. Puis la conversation dériva vers la propre fille de la jeune femme. J’avais eu la chance de n’être qu’un étudiant lorsque Jamie était venue au monde. Bien sûr, étant étudiant en médecine, mes études me prenaient beaucoup de temps, mais j’en avais bien assez pour pouvoir rester avec ma fille lorsque j’étudiais. Si j’avais été interne en chirurgie lorsqu’elle est née, les choses auraient été bien plus compliquées. En effet, je passais alors plus de quatre vingt heures par semaine à l’hôpital. Heureusement, lorsque mon internat avait commencé, Jamie était alors âgée de sept ans, soit beaucoup plus mature pour comprendre les choses. Et la séparation avait donc été plus facile. Je ne savais donc pas vraiment comment aider Lexie à ce sujet, les choses étant bien différente lorsque je m’étais retrouvé dans la même situation. « Et puis, je travaille quand même beaucoup à la maison… Mais le problème reste le même. Si je suis focalisée sur mon travail, elle n’aura pas énormément d’attention… » dit-elle avant de passa une main sur sa nuque. Je lâchais un petit soupir, comprenant ce qu’elle voulait dire. « C’est un peu lorsque j’étudiais à la maison. J’allais en cours et lorsque je rentrais, j’étudiais. Donc elle était dans ma pièce, mais forcément, je me concentrais sur mes cours. Ce que je peux te dire c’est que tu le sauras lorsqu’elle réclamera de l’attention. Et elle aura toujours plus d’attention que si tu travaillais à l’extérieur. Là, tu vas pouvoir travailler tout en restant avec elle. C’est une bonne chose non ? » lui répondais-je dans un petit sourire que je voulais réconfortant. La jeune femme se leva pour aller voir sa fille, avant de revenir vers moi et de me demander si je voulais manger, chose à laquelle je répondis par la positive. Elle commença par remplir mon verre de vin, avant de poser une main sur mon épaule en me le rendant. Je sentis comme un coup de jus à ce contact, qui traversa tout mon corps.« Je m’occupe de la cuisine. » m’annonça-t-elle alors en reprenant la route de la cuisine, comme si de rien n’était. Peut-être que pour elle c’était le cas, et que rien ne venait de se passer. « J’espère que tu n’as rien contre du blanc le blanc de dinde ? » me demanda-t-elle. Je pris une grande inspiration, me rendant compte que j’avais tout simplement arrêté de respirer, avant de lui répondre. « Non c’est parfait. Si tu veux que je t’aide, n’hésite pas. »

Je n’avais pas pu m’empêcher de parler rapidement de mon enfance, avec mon père pédiatre et ma mère psychologue. Bien sûr, j’en riais à l’heure actuelle mais cela avait moins été le cas lorsque j’étais enfant. C’était d’ailleurs probablement pour cette raison que j’étais chirurgien traumatique, et non spécialisé en pédiatrie. J’aurais eu bien trop peur pour ma fille, si j’avais été autant en contact avec des enfants malades que mon père l’avait été. Après tout, voir des enfants avoir toutes sortes de maladies, cela rendait forcément parano au moindre petit rhume. Déjà que lorsque ma fille avait mal au ventre, j’avais plutôt tendance à imaginer l’hémorragie plutôt que simplement la mauvaise période du mois, qu’est-ce que cela aurait été sinon. Puis la conversation dériva sur le fait que Lexie reprenait le travail. Et rapidement, je tentais de la rassurer étant donné qu’elle travaillait de chez elle. Elle pourrait donc doucement couper le cordon, et non brusquement. Cela avait été la même chose pour moi. Et je devais bien avouer que j’étais finalement bien content d’avoir eu Jamie si jeune. En effet, si je l’avais eu une fois installé professionnellement parlant – donc maintenant – j’aurais raté énormément de choses de sa vie. Alors que là, elle avait eu 8 ans quand j’avais commencé mon internat, et comprenait donc déjà très bien ce qui était en jeu, et pourquoi je la voyais moins souvent qu’avant. « Oui c’est vrai… C’est nettement mieux que si je bossais à l’extérieur. » affirma-t-elle alors. Je lui fis un petit sourire en retour. « Tu vois, il faut que tu vois les choses positivement. C’est vrai qe reprendre le travail avec un enfant en très bas âge, cela peu faire peur, mais tu as la chance de pouvoir travailler de chez toi et donc d’être toujours avec elle, tout en travaillant. » lui répondais-je dans un sourire. C’était tout du moins ainsi que je voyais les choses. En même temps, j’avais une résidente qui reprenait tout juste le travail après un congé maternité et … enfin c’était bien plus difficile. Elle travaillait soixante-dix heures par semaine à l’hôpital, et la rupture avec son fils se voyait sur son moral. « Je suis désolée de t’embêter avec tous mes… doutes. C’est juste que… enfin… » commença-t-elle. Je m’apprêtais à lui répondre que cela ne m’embêtait pas du tout, mais elle reprit avant que je n’ai eu le temps de dire quoique ce soit. « … j’ai du mal à me confier mais avec toi c’est… différent. » rajouta-t-elle alors. Je penchais doucement ma tête sur le côté, pour mieux la voir, avant de reprendre ma respiration qui s’était apparemment arrêtée. Il fallait vraiment que cela s’arrête, où je finirais par manquer d’air avant que la soirée ne se termine. « Tu ne m’embête pas du tout … Et puis … J’aime les enfants donc en parler ne me dérange pas du tout. » lui répondais-je, un peu gêné.

Elle partit alors voir si tout allait bien du côté de sa fille, avant de revenir auprès de moi dans le salon et de me servir de nouveau du vin. Et lorsque nos peaux rentrèrent en contact, ma respiration se coupa à nouveau. Je sentais les battements de mon cœur pulser dans mes veines, et je ne pouvais pas dire que cela ne m’inquiétait pas. Elle avait un effet sur moi qui … me faisait peur. Réellement peur. J’avais peur de ce qui pourrait bien se passer durant le reste de cette soirée. Je lui proposais alors mon aide pour la cuisine, tentant de penser à quelque chose d’autre. Même si, avouons-le, me retrouver seul un peu trop proche d’elle, dans une cuisine, ne serait pas l’idée du siècle. « Je pense que ça ira, merci. » me remercia-t-elle, tout en se mettant à la tâche. Je restais donc sur le canapé, tranquillement installé, appréciant la distance qu’il y avait entre nous en cet instant. « Surtout, si c’est un vrai désastre, n’hésite pas à me le dire. Je te promets que je ne me vexerai pas. » me dit-elle en riant. « Je suis sûr que ce sera parfait ! » m’exclamais-je en réponse. Et puis au pire … Et bien c’était fait avec amour – enfin amitié ; enfin on s’en moque, c’est qu’une expression ! – donc cela ne pouvait qu’être bon de toute façon. Elle revint alors dans le salon et dressa la table, avant de se retourner vers moi. « Si monsieur veut bien passer à table… Ce sera prêt dans quelques minutes… » m’invita-t-elle à m’installer d’une manière professionnelle, me tirant un rire par la même occasion. Je m’installais donc, avant de m’adresser à elle. « Merci mademoiselle. Alors, qu’avez-vous au menu ce soir ? »