Début de journée maussade pour le jeune Jaden Clayton Woods. Espérant être réveillé par les rayons du soleil, ce n'avaient été que le bruit de la pluie sur les baies vitrées qui entouraient presque tout son rez-de-chaussée qui le tira durement de son sommeil. Sentant soudainement le froid s'insinuer dans sa couverture, il la resserra contre lui en pensant à la fameuse expression « mamaaaan, laisse-moi dormir ! », ce qui le mit de fort mauvaise humeur. Maman n'était plus là, depuis longtemps maintenant. Tout à coup énervé, le jeune homme se leva de son lit, complètement nu, et se dirigea rapidement vers la salle de bain reliée à sa chambre. L'eau chaude sur son corps sembla presque le faire retomber dans le sommeil, mais il en sortit rapidement pour se sécher et, en serviette, prendre les premiers vêtements qui lui tombaient sous la main. En descendant dans le salon, sa mauvaise humeur reprit lorsqu'il remarqua l'océan agité en face de lui. Les journées d'été, il aimait ouvrir les portes-fenêtres de la pièce, sentir l'air marin et se laisser emporter par ses souvenirs d'adolescence, lorsqu'il passait ses jours et ses nuits sur les plages de Cairns, en Australie, à surfer et à fumer des joints. Évidemment, aujourd'hui était différent, et c'est en prenant une pomme dans l'éternelle panière à fruits et les clefs de sa voiture de sport — celle qui avait les sièges chauffés, il détestait vraiment le froid —, en enfilant son manteau, qu'il reprit enfin un semblant de sourire.

En s'arrêtant devant l'immense magasin Bergdorf, Jaden songea à la stupidité qu'avait eu son premier concurrent de placer son bureau au dernier étage de cet immeuble de mode. La chimie, la pharmaceutique n'étaient pas si complémentaires. Lorsqu'il sortit du bureau, une heure plus tard, il dût descendre chaque étage avec un groupe de filles surexcitées par une nouvelle paire de chaussures qu'elles venaient d'acquérir. Vraiment, Jaden ne comprendrait jamais les femmes.

En sortant, il fut brusquement secoué par une jeune femme qui lui fonça dessus. Par réflexe, alors qu'elle s'accrochait déjà à lui pour ne pas tomber, le jeune homme enroula ses bras autour de la frêle jeune fille pour la retenir.

ELIZABETH - Navrée, navrée. Je m’excuse…

Jaden lâcha un léger sourire pour la rassurer et argumenta avec quelques paroles.

JADEN - Ce n'est rien, est-ce que ça va ?

Comprenant bien vite que la proximité devait être gênante pour la jeune femme, Jaden la relâcha, ce qui lui permit de s'éloigner. Néanmoins, son regard était étrange, et Jaden tourna légèrement la tête en fronçant les sourcils, se demandant ce qui pouvait bien passer par la tête de cette magnifique jeune femme qui, il fallait le dire, débarquait de nulle part en plein dans sa trajectoire.

ELIZABETH- ... Je pourrais savoir qui vous êtes?

Cette fois, ce fut un rire franc qui sortit des lèvres entrouvertes de Jaden alors qu'il se détendait d'un coup. Cette fille était vraiment étrange, mais il ne lui en tint pas rigueur et haussa les sourcils en lui adressant un sourire charmeur.

JADEN - Aux dernières nouvelles, c'est vous qui venez de me foncer dessus comme un boulet de canon durant la Seconde Guerre Mondiale, je pense donc que c'est à moi de poser cette question.

Il lui adressa un clin d'oeil complice en attendant sa réponse, songeant un instant à sa magnifique voiture garée en double file depuis une heure sur la Cinquième Avenue.

ELIZABETH - ... TOI !

La première réaction de Jaden fut de répondre un "Moi ?" mais il se retint et se contenta de lui lancer un regard étonné.Il remarqua alors que la jeune femme commençait sérieusement à avoir le cerveau en surchauffe, et il tenta de se concentrer. Est-ce qu'ils se connaissaient ?

ELIZABETH - Espèce de... de...

Apparemment, oui, ils se connaissaient, sinon la jeune inconnue que Jaden avait trouvé si charmante quelques secondes auparavant ne serait pas en train de labourer de coups son torse parfait. Par réflexe plus que par peur d'avoir mal, le jeune homme contracta ses muscles sans penser à empêcher la jeune fille de le frapper, bien qu'il se demanda si il pouvait bien qualifier ceci de frappe. A vrai dire, il était tellement concentré pour essayer de savoir d'où ils se connaissaient qu'il ne prenait pas vraiment attention à ses coups.

ELIZABETH - Mr. Woods, je suis navrée d'avoir croisé votre chemin. Mes plus profondes excuses.

Cette fois-ci, c'était plus que sur, ils se connaissaient. Jaden se retint de rire lorsqu'elle se retourna brusquement pour partir vers la rue et que, finalement, elle avait fait volte-face pour retourner vers lui. Jaden lui adressa un sourire amusé alors qu'elle lui indiquait qu'elle devait passer par là de toute façon. Il en profita pour lui bloquer le passage et enfin en placer une, bien décidée à ne pas laisser le dernier mot à cette inconnue.

JADEN - Ecoutez, j'ignore qui vous êtes mais vous venez d'endommager sérieusement un torse qui vaut plusieurs millions de dollars à lui seul, alors je pense que j'ai droit à un semblant d'explications !

La jeune homme croisa les bras sur sa poitrine, toujours aussi amusé, lorsque le vent changea de direction et que la pluie s'infiltra juste au-dessus de leurs têtes. A cet instant, il aurait pu tout simplement partir et oublier ce petit incident, mais la jeune fille avait réellement piqué sa curiosité, et c'est donc naturellement qu'il posa ses mains sur ses épaules en plongeant son regard dans le sien.

JADEN - Apparemment, j'ai quelque chose à me faire rattraper, alors pourquoi ne pas m'accabler de tous les reproches que vous devez sûrement avoir à mon égard devant un bon café chaud ? Ma voiture est à quelques pas à peine !

Jaden se demanda si son argumentation suffirait, la jeune fille semblait vraiment désappointée de le retrouver ici. Il passa une main dans ses cheveux, scrutant la pluie de plus en plus forte — et de plus en plus mouillée, est-ce utile de le préciser ?

ELIZABETH Mouais, pourquoi pas ? C'est sûr que ça serait mieux que sous la pluie...!

Le visage de Jaden s'éclaira immédiatement d'un sourire et il n'attendit pas une seconde de plus pour prendre doucement mais sûrement le poignet de la jeune fille entre ses doigts, prenant sa propre veste pour recouvrir ses cheveux, sans lui demander son avis - aurait-elle osé dire non à un parapluie ? -, pour finalement l'entraîner vers sa voiture. Il ouvrit la porte côté passager, laissa le temps à la jeune fille de s'asseoir, fit rapidement le tour et prit lui même place côté conducteur.

JADEN - Sale journée, hein !

Ces paroles, plus prononcées pour faire la conversation qu'autre chose, accompagnèrent un passage de sa main dans ses cheveux mouillés pour les ébouriffer. Il jeta un regard à la jeune fille, remarquant non sans fierté qu'elle était complètement sèche - grace à qui, hein, hein, c'est qui l'boss ? - .

JADEN - Il y a un café à quelques blocs d'ici, on y sera tranquilles.

Le jeune homme mit la clé dans la serrure et enclencha le contact en souriant. Aussitôt, une chaleur agréable se propagea dans l'habitacle et le volume fort fut rapidement baissé presque au minimum. En entamant son arrivée sur la voie, il ne put s'empêcher de caresser le cuir du volant. Il adorait vraiment trop cette voiture, ne regrettait absolument pas l'investissement. A vrai dire, il n'avait pas le permis, mais c'était facultatif pour quelqu'un comme lui. Il lui suffisait de sortir la fameuse carte diplomatique, et la police le laissait partir comme il était arrivé. C'était toujours comme ça, et Jaden devait bien avouer qu'il arrivait à son père de servir à quelque chose, parfois. Évidemment, tout serait plus facile sans les inconvénients, mais bon ; on ne pouvait pas tout avoir.

JADEN - Alors... Si je ne peux pas connaître ton identité - je te tutoie, je peux ? D'après ta réaction, j'en déduis qu'on a passé assez de temps ensemble pour ça, n'est-ce pas ? -, est-ce que je peux savoir ce que je t'ai fait ?

Le jeune homme glissa un regard malicieux vers la jeune femme, mais se mordit la lèvre inférieur de tourment. Il n'aimait pas particulièrement faire souffrir les autres, et si il ne s'en souvenait plus, ça ne rendait cette sensation que plus puissante.

ELIZABETH - Ouais, tu peux me tutoyer.

Jaden adressa un sourire à la jeune fille, pendant soudain qu'il était beaucoup plus à l'aise que ce qu'il était d'habitude. Certes, il était déjà naturellement à l'aise avec les personnes avec qui il discutait, plus particulièrement les filles, mais peut-être étais-ce la carrure frêle de la jeune fille, ou sa petite voix presque timide, mais il se réjouissait que sa journée ai pris un tel tournant.

ELIZABETH - Bah, on s’est connu il y a longtemps, à Londres. Je crois que tu sortais avec cette fille dont le nom m’échappe…

Jaden fronça immédiatement les sourcils. Londres. Instinctivement, il appuya sur l'accélérateur et dépassa trois taxis, profitant d'avoir l'air concentré pour réfléchir. Il n'avait presque plus de souvenirs de Londres ; seulement la douleur qu'il avait éprouvé lorsque, perché sur Trafalgar Square, il avait appris le suicide de sa mère, à des milliers de kilomètres de là. Il avait à peine quinze ans, il se souvenait encore du visage rempli de larmes de sa petite soeur, Kay, lorsqu'il était rentré et qu'elle avait couru se réfugier dans ses bras. Un énorme creux se forma dans le coeur du jeune homme, qui accéléra encore, jusqu'à voir enfin le café où il comptait se rendre. Il se gara rapidement, heureux de constater que sa place était toujours vacante, et éteignit le moteur avant de passer une main sur son visage, de s'éclaircir la gorge et de répondre à la jeune fille.

JADEN - Hm, on est arrivés.

Il sortit immédiatement de la voiture, claquant sa portière pour faire le tour et ouvrir la porte à la jeune inconnue. Il lui tendit sa main pour l'aider à s'extirper de la voiture basse, et l'entraîna rapidement à l'intérieur en verrouillant son engin d'un geste du doigt. A l'intérieur, l'air était beaucoup plus chaud et l'atmosphère plus accueillante. A la fois moderne et intime, ce café était trop méconnu, même des new-yorkais, et Jaden s'était fait une réelle habitude de venir ici au moins deux fois par semaine. Le jeune homme salua le patron, occupé à nettoyer des verres derrière le bar en marbre, et plaça sa main dans le creux du dos de l'inconnue pour la guider vers la table qu'il affectionnait le plus, un peu à l'écart mais tout de même éclairée. Avant de s'asseoir, il tint la chaise de la jeune fille pour qu'elle s'assoit. Ces manies, aussi petites soient-elles, était le résultat d'une enfance péroxydée de "paraître" et de "code de la société". Quand on était le fils de l'ambassadeur d'Australie, il fallait au moins ça. Lorsqu'il fut installé, il reprit enfin la parole.

JADEN - Londres... C'était il y a longtemps. Ecoute, je sais que ça doit être frustrant pour toi que je ne me souviennes de rien, mais quand j'ai dû quitter la ville pour retourner dans mon pays d'origine, j'ai fait abstraction de tout ce qui avait précédé mon départ, j'ai eu... pas mal de trucs à régler.

Le jeune homme glissa un regard qu'il voulait neutre mais qui laissait transparaître une légère douleur enfouie au plus profond de lui, celui d'un enfant abandonné trop tôt, qui n'avait pas pu profiter de sa mère pendant qu'elle était envie et qu'il regrettera jusqu'à sa propre mort. Néanmoins, il reprit rapidement une contenance et adressa un sourire naïf à la jeune fille en reprenant la parole.

JADEN - Attends, une fille ? Je ne me souviens d'aucune fille... Elle était comment ? Ahah, la pauvre, si elle savait, j'ai peut-être été, qui sait, son premier petit copain, ou sa première fois ! et je ne m'en souviens même pas. Dur !

Jaden sourit pour lui-même, (le gros con, n'est-ce pas ?) avant de prendre possession de la carte puis de la tendre à la jeune fille, lui adressant un énorme sourire.

JADEN - Tu veux qu'on commande ?