Harlem. Quartier parfois mal fréquenté, vos parents vous ont probablement déjà dit de ne pas vous y promener tard la nuit. Même de jour, pour certains. Peut-être ont-ils raison, n'en est pas moins que, de son côté, Natasha adore marcher dans les rues de ce quartier. Du moins, lorsque le soleil est levé. Pour elle, cet endroit regorge de gens qui n'ont pas eu la vie facile et qui, tout de même, continuent à voir du positif autour d'eux. Lorsqu'elle va mal, qu'elle se sent déprimée, elle se promène dans ce quartier. Sans vouloir catégoriser les habitants d'Harlem, elle sait que plusieurs arrivent difficilement à joindre les deux bouts, contrairement à elle, mais qu'ils ne baissent pas les bras. De voir des gens plus malheureux qu'elle lui redonne la pêche et cela lui fait réaliser, par le fait-même, qu'au fond, elle mène une vie TRÈS facile. Ce qui l'a donc incité à devenir bénévole auprès d'une soupe populaire pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Depuis environ deux mois, à chaque mercredi midi, elle sert le repas pour plusieurs personnes défavorisées à qui elle espère donner un peu de chaleur grâce à son sourire contagieux. Elle y a aussi fait la rencontre de gens merveilleux, dont une mère et sa jeune fille de 5 ans, Suzy. Parfois, Natasha va passer une peu de temps chez cette femme pour lui laisser le loisir d'avoir du temps pour elle. Suzy adore la compagnie de la jeune Moscovite de 22 ans, n'ayant elle-même que très peu d'amis. Aujourd'hui, Natasha quitte l'édifice avec un sourire aux lèvres, comme d'habitude, et se dirige vers la station de métro la plus proche, au chaud dans son trench classique gris griffé Burberry. L'air extérieur est frais, comparativement à celle de la cuisine d'où elle sort, mais pas du tout désagréable. Un soleil timide rayonne à travers les nuages qui couvrent le ciel. C'est une belle journée d'automne à New York, de celles qui nous font encore rêver aux jours d'été passés. Alors qu'on sait très bien que la neige approche à grands pas !
Des souvenirs des derniers mois lui reviennent en mémoire et elle se met alors à penser à un ami qu'elle a beaucoup côtoyé durant la saison chaude. Ayant passé plusieurs soirées en sa compagnie, Natasha s'était plutôt rapprochée de Kostos, un jeune homme tout à fait adorable. Ensemble, ils avaient toujours bien du plaisir, et c'était souvent grâce à lui qu'elle était présente à des soirées mémorables. Elle avait aussi fait la connaissance d'un tas de gens en sa compagnie, ce qu'elle appréciait grandement. C'est à ce moment-là qu'elle réalise que le nom et le numéro de Kostos n'étaient pas apparus sur l'afficheur de son téléphone portable depuis un bon moment. Étonnant, lui qui la tenait au courant quotidiennement des fêtes à venir. Même que, lors de leur dernier entretien, elle l'avait trouvé différent, comme s'il manquait quelque chose à son éternelle joie de vivre. Natasha sort son cellulaire de son sac rectangulaire noir Balenciaga (un des seuls assez banals qu'elle avait pour qu'on n'ait pas envie de le lui voler dans ce quartier) et compose le numéro personnel de son ami, chose qu'elle ne fait pas souvent en général. Quelques coups se font entendre, puis une voix décroche, enfin.
Kostos se frotta le front et se mit plein de suie par la même occasion, il poussa un soupir après avoir réparé la voiture sur laquelle il bossait depuis 4 heures. Il appela son boss pour la forme et quand celui-ci eut fini l'inspection, il donna un bon coup sur l'épaule du jeune homme qui eut un sourire fier.
Dire qu'il y a un an, Kostos s'imaginait bosser dans un garage était assez utopiste, il ne rêvait pas ce genre d'avenir "manuel", trop snob et arrogant pour mettre la main à la pâte. Cela dit, un événement avait changé la donne et transformé ce qu'il était alors. Toujours bien habillé, toujours classe, comptant sur l'argent de papa et maman, il sortait plus qu'il n'allait à l'école, il se permettait de brosser et il sortait avec une fille qu'il aimait mais qu'il se permettait de tromper tout le temps... il n'était qu'un idiot dans le fond. Et il avait payé pour son apparente nonchalance. Il avait tué une femme. Il avait tué Cloé. Et ça, il ne pourrait jamais l'oublier.
A partir de cette date, tout se bouscula dans sa vie, ou tout du moins, il fit en sorte que les choses changent. Il partit en France afin de s'éloigner de New York, afin de pouvoir changer et accepter toutes ses erreurs. Il estimait avoir grandi, avoir pris en maturité afin d'accepter l'erreur qu'il avait commise et qu'il ne se pardonnerait jamais dans le fond...
Quand il entendit son cellphone sonner, Kostos fronça les sourcils. Lilly ne l'appelait pas spécialement au boulot et ses amis évitaient un maximum aussi. Kostos s'essaya les mains sur son t-shirt blanc déjà bien sali et prit l'appareil pour voir le prénom de Natasha clignoter sur l'écran, il fut tellement surpris qu'il lâcha l'appareil technologique avant de le rattraper dans un réflexe qui l'impressionna lui-même... Kostos fronça les sourcils. Natasha était une amie "d'avant"... Kostos avait trié ses amitiés avant qu'il tue Cloé et "après"... évidement, il ne criait pas sur les fenêtres, la plupart de ses connaissances l'ignoraient tout bonnement... du coup, il avait perdu contact avec une grosse partie des gens qu'il croisait surtout en soirée. Le jeune grec avait arrêté alcool et sorties... il se sentait en dehors de tout ça, il voulait se consacrer à sa famille, à sa femme et à sa futur fille. C'est avec tout cela en tête qu'il hésita à répondre. Il aimait bien Natasha mais elle faisait partie de son passé... cela dit, elle n'était pas comme tous les autres. Ni scandaleuse, ni complètement bourrée à chaque fois... il avait toujours eu plus de respect pour elle que pour une autre et il l'avait amené à ses soirées afin de la "décoincer" un peu...
Il répondit finalement d'une voix légèrement enrouée tout en sortant du vacarme du garage pour se mettre dehors. Il faisait plus frais depuis quelques temps et le jeune homme regretta aussi tôt de ne pas avoir de pull sur lui...
Kostos : Allô ? Natie c'est toi ? Comment tu vas ?
Le ton de Kostos était à la fois calme et posé. Il s'appuya contre le mur avec un sourire nostalgique aux lèvres. Il ne regrettait pas vraiment son passé. Il regrettait seulement quelques amis... dont Natie avec qui il avait perdu quelque peu le fil.
Une petite bourrasque de vent se lève et passe sous le manteau de Natasha, ce qui en fait ensuite virevolter les rebords. Tout en essayant de retenir avec son menton son cellulaire contre sur son épaule, elle abaisse le tissu qui se laisse porter en tout sens, vulnérable. Lorsqu'elle entend la voix de Kostos au bout du fil, Natasha se sent rassurée : quelques instants auparavant, elle était prête à imaginer le pire quant à son ami, et refusait de croire qu'il pouvait ne pas aller bien. Sa voix, un peu enrouée, mais calme, est alors des plus agréables à entendre. Puis, ne sachant pas trop quoi lui dire pour engager la conversation, elle bredouille cette phrase en anglais approximatif, saccadé par un accent russe très prononcé :
« Euh, ça va bien ! Et toi ? Ça fait longtemps que je n'ai pas eu de tes nouvelles ! Que deviens-tu ? »
La descente la plus proche pour prendre le métro est à quelques coins de rues d'où Natasha se trouve, ce qui la fait hésiter quant à prendre un taxi ou à marcher encore. Elle porte aujourd'hui des bottes ne dépassant pas ses chevilles, plus ou moins chaudes, avec des talons de 3 pouces. Ce n'est pas parce qu'elle n'a pas l'habitude de marcher avec ce genre de chaussures, elle en porte souvent qui ont des talons beaucoup plus hauts, même. Mais comme elle a oublié ses souliers plats chez elle ce matin, elle a dû travailler avec ces dites bottes, qui ne sont pas tout à fait appropriées pour rester debout plusieurs heures d'affilée. Marcher avec les pieds qui vous font souffrir, ce n'est jamais une partie de plaisir ! C'est à ce moment qu'elle se rappelle qu'en achetant ces botillons, elle s'était dit qu'elle souffrirait probablement un peu en les portant. Elle n'avait donc pas tort ! Mais on dit qu'il faut parfois souffrir pour être belle. Et là, je vous arrête : Natasha n'est pas de celles qui sont toujours sous leurs plus beaux jours, douleur ou pas, détrompez-vous! Sauf qu'il arrive de temps en temps qu'on ait envie de se sentir belle, quels que soient nos plans de la journée, non ? Eh bien, en se levant ce matin, Natie avait envie de se sentir rayonnante, bon !
Elle décide donc de héler un taxi, même si ce n'est pas un coin où il en passe des tonnes, comme au centre-ville. Postée au coin d'une rue qu'elle juge plus fréquentée, elle attend, fixant les voitures défilant devant elle comme un vautour observe sa proie... Bon, moins goulûment, quand même !
[Désolée pour le temps de réponse, ma connexion Internet me lâche constamment ces temps-ci!]
Une des choses que Kostos aimait le plus chez son amie russe était sa franchise. Elle était telle qu'elle était, elle n'abusait pas spécialement d'artifices, elle restait incroyablement simple et ne faisait pas tout pour plaire à tout le monde. Elle faisait uniquement ce qu'elle aimait et c'était une des qualités que Kostos appréciait le plus. Naturelle, elle avait tout fait pour rester une fille simple et décontractée. Elle avait même gardé son accent russe qu'elle trouvait vraiment touchant en un sens, elle ne se forçait pas pour perdre ce qui faisait d'elle une "étrangère", elle revendiquait ses origines par son accent. Enfin, toutes ces petites choses faisaient que quand on devenait l'ami de Natie, au final, on avait envie de protéger cette personne si douce.
Quand la russe lui demanda ce qu'il devenait, il eut une sorte d'hésitation. Dire la vérité? Omettre une partie? Il n'avait pas envie qu'on le juge trop sévèrement pour ses erreurs passées... mais il n'avait pas non plus envie d'oublier ou de se pardonner son erreur. C'était une sorte d'éternel dilemme qu'il n'arriverait sans doute jamais à résoudre.
Kostos : Oh, et bien... ça va. Tu sais, j'ai arrêté l'école, je bosse dans un garage dans Brooklyn depuis quelques mois. Et hum... je me suis marié aussi. Et heu... voilà, sinon, rien de bien passionnant.
Il avait dit ça d'un ton anodin, mais il savait que pour beaucoup, c'était un choc. Kostos Prokopios travaillant était déjà quelque chose, personne ne le voyait faire un métier aussi manuel. Pourtant, il devait dire qu'il aimait ça... réparer les voitures, vérifier que tout était correcte. Il faisait très attention, il savait qu'une perte de contrôle d'un véhicule pouvait coûter des vies...
Mais l'autre choc était tout aussi bizarre à encaisser. Kostos, 17 ans, homme marié. Comment? Il avait été émancipée peu après son 17ème anniversaire. Lui qui avait longtemps prôné que le mariage n'était qu'une utopie dépassée et vieillotte se trouvait être dans un couple fidèle & parfait d'apparence. Mais les apparences sont trompeuses certaines fois. Cela dit, c'était son secret, et il n'avait pas fait ça non sans penser à une chose de façon permanente...
Le jeune grec se passa la main dans les cheveux et posa à son tour des questions à son amie.
Kostos : Et toi Natie, qu'est-ce que tu deviens ? il garda un instant le silence et regarda sa montre, il venait de finir sa journée. Dis, ça te dit qu'on aille boire un café ensemble? Où tu veux, je peux venir te rejoindre avec ma moto. Enfin, si t'as le temps uniquement.
Après tout, il était plus facile de parler à une personne lorsqu'on était en face d'elle plutôt que par téléphone. Pas que le moyen l'incommodait, mais il n'avait pas envie qu'une oreille externe entende tout ce qu'il voulait juste dévoiler à son amie. Pas à une oreille indiscrète et extérieure.
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