Trois heures, trois longues heures que le supplice duraient et Coleen avait de plus en de mal à tenir éveillée. Pas qu’elle ait fait le moindre effort depuis le début, la tête appuyée contre ses bras, elle n’attendait qu’une chose de s’endormir. Mais le sommeil la fuyait, l’empêchant de fuir la voix monotone de l’homme devant elle. Une fille quelque part devant elle semblait passionnée parce ce qu’il disait et avait pris une quantité de notes hallucinantes depuis le début du supplice. Sa voisine en revanche semblait bien décidée à refaire le vernis de chacun de ses ongles et Coleen ne pensait pas avoir déjà vu quelqu’un mettre autant de temps et d’application dans cet exercice, pas même Anaïs.

Enfin, après une éternité, à ce qui lui semblait, Coleen put enfin quitter l’endroit haït et se hâta de sortir au dehors. Dehors, c’était le reste de l’université. Et Coleen ne souhait vraiment pas s’attarder non plus, ici. Elle voulait simplement rentrer chez elle. Et du reste, il n’y avait pas grand-chose pour la retenir ici. Après quelques mots échangés avec une fille qui suivaient quelques cours avec et dont elle connaissait à peine le nom. Elle se dirigea vers le chemin qu’elle devait emprunter pour rentrer chez elle.

Elle posa son sac sur son épaule, manqua de laisser tomber son portable et en rattrapant ce dernier, écrasa le pied d’un malheureux qui passait par là. « Désolé. » fit-elle par pur politesse, parce qu’elle n’était en vérité pas le moins du monde désolé. Elle leva alors la tête et se sentit pâlir en voyant qui se tenait devant elle. Parce que cette personne là n’était pas censée se trouver là enfin pas à sa connaissance. Elle n’était pas sûre avec exactitude de son identité mais si elle ne se trompait pas, il s’agissait de Peter. Or, un léger problème se posait là parce que, Peter était mort. Ou du moins c’est ce qu’on lui avait dit. Il y avait eu un accident, elle ne savait plus dire comment, elle ne pensait pas avoir jamais connu les détails à ce sujet. A vrai dire, on n’avait pas du juger qu’elle connaissait assez le garçon pour les lui conter. C’était vrai après tout, elle avait travaillé avec lui sur un projet pour un cours et même si elle l’avait trouvé sympathique pendant ce temps et qu’elle l’avait apprécié – et pas juste parce qu’il faisait bien à manger – le fait était que Coleen ne connaissait pas beaucoup Peter.

Elle ferma les yeux avant de les rouvrir histoire de s’assurer qu’il était toujours là ou quelque chose d’autres dans ce goût là. Elle put constater qu’il n’avait pas bougé et fronça les sourcils. Elle ne croyait pas vraiment aux revenants, aux fantômes ou aux choses dans ce genre-là, c’était des balivernes pour elle. Pourtant, elle aurait eu honte d’avouer qu’à ce moment précis c’était la seule explication possible qui lui apparaissait devant l’apparition du garçon. C’était ridicule, elle en avait conscience mais c’était comme ça. Elle eut envie de tendre la main pour voir si elle allait rencontrer du vide ou si sa présence était vraiment réelle. Mais elle s’abstint, le spectacle qu’elle offrait actuellement devait déjà être suffisamment ridicule comme ça sans qu’elle ne vienne en rajouté. A la place de ça, elle posa un regard interrogateur sur lui avant de demander simplement : « Peter, c’est toi ? »

Peter était sorti de l'hôpital depuis quelques semaines à peine, et déjà le jeune étudiant tournait en rond dans son appartement. Il s'ennuyait, et même si tout ce qu'il faisait le fatiguait beaucoup, il avait prit la décision de reprendre ses cours à l'université. Pete était ce que l'on peut qualifier d'étudiant modèle, et le fait d'avoir raté plusieurs mois de cours le mettait tout simplement hors de lui. D'un naturel très studieux, il n'avait qu'une seule envie : rattraper tout son retard histoire de ne pas gâcher ses chances de réussir son année.

A l'heure actuelle, Peter ne comprenait pas encore tout à fait ce qui lui arrivait. Quelques semaines plus tôt, il s'était réveillé dans une chambre d'hôpital, entouré d'une horde de médecins qui le prenaient tous pour un autre homme. Le choc avait été particulièrement brutal pour le jeune homme, et il avait mis un certain temps avant d'éclaircir la situation. A l'hôpital, il avait pu compter sur le soutien d'une des infirmières, Zélie, qui lui avait plus ou moins raconté sa propre histoire. C'est ainsi qu'il prit conscience de la gravité de la situation. Tout le monde le croyait donc mort et enterré, alors qu'il était bien là, à attendre depuis des mois dans cette chambre blanche. Les raisons de cette erreur monumentale lui échappaient encore un peu, mais il devait aujourd'hui recommencer à vivre « normalement ». Peter reprenait donc tant bien que mal son train-train habituel... Et pour se faire, la meilleure solution qu'il avait trouvée était de reprendre ses cours à la fac.

Ses premiers pas dans les allées de l'université avaient été plutôt... étranges. Peter s'efforçait de paraître normal mais bizarrement, il ne se sentait pas à sa place ici. Lui qui aimait tant errer aux alentours de l'université s'y trouvait particulièrement mal à l'aise aujourd'hui. Pourtant, rien n'avait changé : les mêmes graviers, les même arbres, la même pelouse parfaite... Non, le problème venait automatiquement de lui. Sur son chemin, il croisa quelques regards en coin, suivis de quelques chuchotements plus ou moins discrets à son sujet. Décidément, rien n'était fait pour qu'il se sente à sa place ici. En s'agrippant à son sac en bandoulière, le jeune homme pressa un peu le pas afin de rallier un bâtiment au plus vite. Avec un peu de chance, tous ces coups d’œil en travers et ces réflexions étonnées cesseraient, et il pourrait ainsi continuer paisiblement.

Peter essayait d'éviter le plus possible les groupes qui étaient dispersés ça et là, et tout en les surveillant, il en oublia de regarder devant lui. L'irlandais tourna la tête et se retrouva nez-à-nez avec une chevelure féminine. Il s'arrêta net et grimaça en sentant le pied de la jeune fille écraser le sien. Au moment où elle leva la tête pour s'excuser, le visage de Peter s'illumina d'un sourire. Enfin quelqu'un de connu ! Celle qui se trouvait en face de lui était une de ses anciennes « coéquipières ». Avant l'accident, les deux jeunes gens avaient du mener à bien un projet scolaire ensemble, et Peter se souvenait avec amusement qu'il devait user de tout un tas de stratagème pour la faire travailler comme il le désirait. A sa plus grande surprise, Coleen ne parut pas très emballée de le rencontrer ici. Aucun sourire ne parcourut son visage et au contraire, ses sourcils se froncèrent. Qu'avait-il donc fait pour mériter ça ? Aussi loin qu'il se souvienne, la jeune fille semblait l'apprécier !

Après quelques instants de silence absolu, Coleen se décida à parler. Mais Peter fut pour le moins décontenancé par ce qu'elle lui demanda. « Euh.. oui, bien sûr que c'est moi ! » Il la regarda alors d'un air suspicieux. « Ça va ? »

Coleen s’en voulut quelque peu de l’accueil qu’elle lui faisait. Elle aurait du se montrer bien plus heureuse après tout, elle l’avait cru mort et il était vivant – oui parce qu’elle avait définitivement exclue l’idée qu’il puisse être un fantôme, elle voulait bien se montrer ouverte d’esprit mais là, cela dépassait vraiment trop la réalité. Quoiqu’il en soit, elle était trop surprise, perturbée, pour montrer réellement ce qu’elle pensait. « Euh.. oui, bien sûr que c'est moi ! » Il avait dit cela comme si c’était évident. Forcément pour lui, ça l’était mais ce n’était sûrement pas le cas de tous. Coleen sentit une once de colère se répandre en elle. Comment elle pouvait savoir elle qu’il était vivant si il ne le lui disait pas. Certes, il n’était peut-être pas ami ni très proche mais dans ce cas là, qu’il ne la regarde pas comme si elle était à moitié folle ou autre chose dans ce genre là.

Coleen ferma les yeux, quelques minutes, histoire de se calmer un peu et les rouvrit bientôt. Peter était toujours là, évidemment et il venait de lui demander si elle allait bien. L’air suspicieux qu’il arborait à l’instant actuel montrait très bien qu’il disait plus ça parce qu’il devait s’inquiéter pour sa santé plutôt que par pure politesse. Un air exaspéré se peignit alors sur le visage de Coleen. « Ca allait très bien. » répondit-elle en insistant bien sur le allait. Elle aurait pu ajouter : jusqu’à ce que je te vois, mais elle s’abstint, de peur qu’il l’interprète mal. Le bref instant de colère qu’elle avait ressenti retomba aussi vite qu’il était venu et Coleen s’en voulut de nouveau de son comportement face au jeune homme. Le ton de sa voix avait été tout sauf sympathique, pourtant, Peter n’était responsable de rien, du moins elle le supposait. Elle se sentit alors son visage s’empourprer. « Désolé. C’est juste que… je suis surprise de trouver là. Enfin tu vois quoi, non ? » Elle lui lança un vague regard interrogateur, elle espérait vraiment qu’il voyait où elle voulait en venir parce qu’elle ne se sentait pas de s’étendre plus sur ce sujet. Il devait bien être au courant qu’il était passé pour mort pendant une éternité quand même non ?

Elle regarda autour d’elle, pas vraiment très à l’aise. Elle ne savait pas vraiment quoi dire actuellement. Elle faillit lui demander comment c’était la vie de fantôme mais elle s’abstint, ça n’aurait pas été vraiment drôle. Pas du tout même. Coleen n’était pas vraiment douée pour faire de l’humour. Elle reposa son regard sur lui et finit par dire la première chose qui lui passait par la tête. « Je suis contente de te voir. » Etonnement, c’était aussi très sincère. Ca avait vraiment été étrange pour elle de ne pas le voir pendant aussi longtemps. « Tu vas bien ? »

Peu après qu'il lui ait répondu, Peter vit une soudaine expression de colère sur le visage de Coleen. Sur le coup, le jeune homme se demanda ce qu'il avait dit de mal, mais décida de ne pas se formaliser. Décidément, cette rencontre avait vraiment quelque chose d'étrange ! Premièrement, l'irlandais avait été interpellé par le regard que Coleen posait sur lui depuis le début. Puis, il sentait maintenant qu'elle s'énervait contre lui alors qu'il n'avait fait que lui répondre. En fait, ce n'était pas première fois que Peter se trouvait face à une situation pareille. Depuis l'accident, la plupart des personnes qu'il rencontrait le regardaient comme s'il était sorti de nulle part, comme s'il venait d'apparaître sous leurs yeux... Évidemment, le jeune homme était bien conscient que tous ces gens le prenaient pour mort jusqu'à ce qu'ils le rencontrent, mais à la longue, être observé comme un fantôme devenait quelque peu agaçant. Il n'en voulait pas à ces gens-là, bien au contraire, mais toutes ces réactions ne l'aidaient pas vraiment à reprendre sa vie normale.

« Ça allait très bien. » En entendant sa phrase, Peter arqua un sourcil. L'emploi de l'imparfait n'était certainement pas anodin, et quelque chose lui disait que tout était de sa faute. Une fois de plus, l'étudiant ne comprenait pas en quoi il était responsable de ça, mais il préféra se taire, et attendre la suite sans broncher. Et Coleen lui prouva qu'il avait bien fait, puisqu'elle s'excusa aussitôt et lui avoua qu'elle était surprise de le trouver ici. Peter acquiesça, et soupira longuement avant de répondre sans vraiment la regarder en face. « Oui, je vois... » Il haussa ensuite les épaules, et se reprit en affichant un léger sourire. « Tu es loin d'être la première à... enfin, toi aussi tu vois quoi... » A chaque fois c'était la même chose, Peter était heureux de retrouver quelqu'un, et d'une minute à l'autre tout s'écroulait. La réaction des personnes en face de lui avaient souvent le don de tout gâcher, et de le rappeler à la dure réalité. Et Coleen ne fit pas exception à cette triste règle. Mais avec le temps, l'irlandais avait appris à prendre tout ça avec philosophie, après tout son histoire n'était pas banale, et s'il avait été à la place de ces gens, il ne savait pas comment il aurait réagit.

C'est alors que Coleen lui déclara qu'elle était heureuse de le revoir. Aussi banale soit-elle, cette petite phrase fit réellement plaisir à Peter. Son interlocutrice semblait sincère, et le fait que la jeune fille ne soit pas une de ses amies les plus proches donnait encore plus de portée à ses sentiments. Dans un geste qu'il ne contrôla pas vraiment, le jeune homme s'avança et la prit dans ses bras en souriant. Peut-être une sorte de remerciement, ou une façon de lui montrer qu'il était bel et bien là... Quoi qu'il en soit, Pete resta un moment comme ça, le sourire toujours collé au lèvres. « Je vais bien. Enfin, je crois... Je ne comprends pas tout, mais ça va ! » Il n'était pas totalement sûr de ce qu'il avançait, mais Peter se voulait rassurant, autant pour ses proches que pour lui-même. Il lâcha enfin son étreinte, et se recula en la regardant. Le fait de revoir des têtes connues était certainement pour lui le meilleur des remèdes. Le jeune homme enfonça ses mains dans ses poches, et resta silencieux quelques instants. Il grimaça légèrement, puis reprit la parole sur un ton curieux : « Euh... Est-ce que... Hmm... Tu croyais que... » Pete ne savait pas vraiment comment tourner sa phrase, comment lui poser la question qui lui brûlait les lèvres... « Tu es au courant pour... tout ce qui s'est passé ? »

Il voyait. Coleen replaça une mèche de cheveux derrière ses oreilles. Elle aurait sûrement du se mettre un peu plus à sa place. Ca ne devait pas être facile de revenir soudainement dans un endroit où la majorité des gens vous croyait mort. Supporter le regard des autres et tout, parce que leur réaction ne devait pas être vraiment différente de la sienne. Ce qu’il confirma par la suite en reprenant la parole. « Tu es loin d'être la première à... enfin, toi aussi tu vois quoi... » Elle hocha la tête. Elle voyait, elle aussi. Enfin, elle ne pouvait que l’imaginer mais il suffisait qu’elle se remémore sa réaction pour imaginer ça très bien. Elle regretta d’avoir réagit ainsi, elle aurait vraiment aimé avoir eu une meilleure réaction que les autres : le saluer le plus naturellement du monde et lui dire qu’elle était contente de le revoir comme si il n’était jamais parti. C’est ce qu’elle aurait fait si actuellement, elle avait pu remonter le temps. Malheureusement, c’était aussi impossible que l’existence des fantômes.

Elle pouvait toujours se consoler en se disant qu’elle s’était bien rattrapée. Ou tout du moins, elle l’espérait. Et ça devait effectivement être le cas vu que Peter la prit soudainement dans ses bras. Coleen dut d’abord surprise, elle ne s’attendait vraiment pas à ce type de réaction mais elle n’en dit rien et ne s’écarta pas non plus. Au moins, maintenant elle avait vraiment la certitude qu’il était bien vraiment là et pas simplement un produit de son imagination. « Tu es bien réel. » Elle avait dit ça plus pour elle que pour lui mais elle savait qu’il avait très bien entendu ses paroles. Elle sentit le besoin pressant de se justifier et ajouta d’un ton penaud. « J’ai beaucoup d’imagination, alors on ne sait jamais. » Même si, quand elle y réfléchissait bien, il était peu probable que son choix ce serait porté sur Peter si elle avait du imaginer la présence d’une personne.

« Je vais bien. Enfin, je crois... Je ne comprends pas tout, mais ça va ! » Pas convaincu le moins du monde par ce qu’il avançait, Coleen acquiesça tout de même. S’il y avait quelque chose qu’elle voulait bien croire en revanche, c’est que Peter ne comprenait pas tout. Ca devait être extrêmement… perturbant. Elle essaya de se rappeler si elle avait déjà lu un livre parlant d’une histoire similaire, elle aurait sûrement eu beaucoup plus de facilités à se mettre à la place de Peter si ça avait le cas. Il le relâcha et elle lui sourit. Ce n’était pas grand-chose mais elle espérait que c’était suffisant, au moins elle ne faisait plus la même tête qu’un peu plus tôt.

Son état de choc passé, elle était maintenant curieuse de savoir. Avoir comment ça se faisait qu’il se trouvait là. Après tout on l’avait dis mort et puis maintenant… il y avait quand même bien une explication à tout ça. Mais elle ne voulait pas l’importuner avec ses questions et se contenta donc de réprimer sa curiosité. Plus tard, peut-être, elle lui en parlerait. Elle ne mentionnerait pas ce qui s’était passé avant qu’il le fasse lui-même. Et c’est ce qu’il fit à cet instant-précis. Du moins, elle crut deviner que c’était ce qu’il faisait malgré les nombreux blancs laissé dans ses phrases. Encore une fois, elle hocha la tête avant de prendre la parole pour développer. « Je savais… enfin vaguement quoi. Comme beaucoup de gens. Je pense qu’on ne m’a pas jugé assez proche de toi pour m’expliquer les détails. J’ai du me limité au fait que tu étais… enfin voilà quoi. »