milo & bonnie ► tuesday evening - morningside park.

Milo tira le fermeture de sa veste jusqu'à son menton, avant de prendre une grande inspiration d'air frais. Bon dieu ce qu'il faisait froid ici, tellement froid, surtout à cette heure de la journée lorsque Milo quittait son travail pour rentrer chez lui. Quelquefois, il était tenté de prendre les transports en commun car il avait trop de mal à s'accomoder au climat New Yorkais. Mais le plus souvent, il préférait rentrer à pied, même s'il vivait très loin de Columbia, il adorait marcher longtemps, pas très vite, il adorait ça parce qu'il prenait tout le temps de regarder autour de lui et de savourer ces architectures, ces paysages qui s'offraient à lui. Il se sentait minuscule, et même si c'était effrayant il aimait ça, parce que chaque jour il découvrait de nouveaux endroits, comme un enfant émerveillé. Milo balaya l'horizon du regard, fixant rapidement deux garçons qui jouaient là, puis une femme qui passait avec une poussette. Il marchait toujours, regardant un peu partout, un léger sourire sur les lèvres. Morningside Park, l'air était plutôt agréable finalement, et le début de la soirée se faisait sentir. Milo avait l'esprit vide et calme, et il n'avait pas hâte de rentrer chez lui.

Rentrer chez lui, c'était trouver une maison vide, calme, bien trop calme, c'était s'endormir le plus vite pour commencer une nouvelle journée demain, une journée de travail mais au moins une journée remplie. Milo sortait peu le soir, voire jamais, les nights clubs New Yorkais l'impressionnaient et il ne s'y sentait pas à sa place, il avait l'impression d'être dévisagé par tout le monde. Ce soir, il rentrerait, mangerait un bout il irait dormir parce qu'il était crevé d'une part, et d'autre part, il n'avait pas de meilleur projet. Milo marchait toujours, il savait qu'il était loin d'arriver mais cela lui était égal, il aimait rester dehors jusqu'à ce que la nuit tombe totalement, il aimait regarder les New Yorkais pressés qui, eux, avait sûrement des projets et des obligations, des femmes à retrouver, et des enfants à aller embrasser avant qu'ils s'endorment. D'un pas nonchalant il avançait sans fixer de point précis. Et puis il leva les yeux, et une silhouette se dessina peu à peu, une silhouette féminine qui était encore très loin de lui. Il constata qu'elle le regardait déjà, et qu'elle marchait plus vite que lui, d'un pas déterminé, plein d'assurance. Milo plongea ses mains dans les poches de sa veste, détourna son regard de la jeune femme sans pourtant cesser d'entendre le bruit de ses bas qui résonnaient au loin.

Parfois, il lui arrivait de se demander pourquoi diable elle avait accepter de marcher dans le plan de son père. Certes, si elle réussissait, elle pourrait gravir les échelons en un claquement de doigt et le patriarche Fitzgerald serait encore plus fier d'elle qu'il ne l'est déjà. Mais cela valait-il vraiment toute cette quasi torture? Les tâches merdiques et faire la potiche, elle en avait plus que marre. Heureusement que son patron n'était pas trop dégueulasse physiquement.

Là, Bonnie venait de terminer sa journée : elle l'avait passée assise à son minuscule bureau à tailler des crayons et à regarder les gens passer, écoutant d'une oreille attentive les discussions autour d'elle. Elle n'avait pas récupéré beaucoup d'informations, Lynch ne devait pas encore avoir assez confiance en elle pour qu'il lui fasse de telles confidences. Ça ne saurait tarder, elle attachait une très grande importance à sa mission séduction.

Dans la rue, il faisait froid évidemment. L'automne. Elle détestait par dessus tout cette période de l'année déprimante et morose. Les jours se faisaient de plus en plus courts et d'ailleurs la nuit allait tomber sans tarder. Il n'y avait pas énormément de monde dans la rue, elle se surpris à sourire en voyant une mère et son enfant passer. Après ça, elle ne prêta plus grande attention à ce qui se passait autour d'elle : elle n'avait qu'une hâte, arriver chez elle et passer la soirée devant un bon film. Un plaisir simple, bien loin de ses occupations habituelles.

Un bruit de klaxon lui fit relever brusquement la tête. Un stupide gamin avait traversé sans regardé, et un taxi arrivait juste en face. Un peu mieux et c'était l'accident. Mais ni le gosse ni le taxi jaune ne retinrent son attention. Au lieu de ça, elle vit apparaitre par hasard, dans son champ de vision, un jeune homme qu'elle avait déjà croisé par ici auparavant. Elle le croisait même très souvent à vrai dire. Elle le trouvait attirant avec son teint halé et ses cheveux bouclés, mais jamais elle ne s'était décidée à aller lui parler, ce qui ne lui ressemblait pas vraiment soit dit en passant.

En une fraction de seconde, Bonnie accéléra légèrement le mouvement, se dirigeant droit sur lui. Il l'avait apparemment repérée puisqu'il fit mine d'éviter de la regarder. Tant pis pour lui, elle l'avait vu, elle n'allait pas le lâcher, oh non, ça c'était bien mieux qu'une soirée seule à la maison. Puis il faisait chaud aussi dans les bars. « Bonsoir. » dit elle tout en s'arrêtant juste devant lui, un grand sourire aux lèvres, le forçant à se stopper lui aussi. « Ça va vous paraitre totalement... bizarre, ringard, débile ou je ne sais quoi, mais je n'ai pas pu m'empêcher de vous remarquer. Enfin j'imagine que vous avez déjà dû l'entendre plus d'une fois mais ça fait un petit moment que je vous croise et je n'ai jamais osé vous aborder. J'imagine qu'aujourd'hui est votre jour de chance. »

Les pas de cette mystérieuse inconnue s'accèléraient, et bien qu'il n'y ait pas cru en premier lieu, il se rendait compte que ses suppositions se révèlaient être vraies : la jeune femme se dirigeait droit vers lui, et à mesure que Milo se préparait à cette confrontation pour le moins inattendue, l'espace entre eux rétrecissait de plus en plus. En une seconde elle se trouva face à lui, et des millions de pensées très confuses envahirent le jeune homme, une bouffée de surprise, de gêne aussi, vinrent le décrocher de ses songeries. Lui, si seul, si invisible dans ce vaste paysage, voilà qu'il se faisait aborder par une fille, une fille qu'il n'avait jamais vue, le portrait type d'une américaine intégrée et, il fallait bien l'avouer, une très jolie américaine. Milo tenta de se vider la tête, il fallait qu'il reste calme, ce n'était rien de grave, c'était juste une fille qui venait lui parler, sûrement pour un renseignement. Il la regarda avec un peu plus de soin qu'auparavant, tentant de deviner quelles genre de raisons l'avait faite venir ici à cette heure, quelle genre de personne elle était, mais il avait bien du mal à délibérer. Tout ce qu'il savait, à ce moment précis, c'est que cette fille, quelle qu'elle soit, avait d'ores et déjà imposé sa présence, et il s'arrêta définitivement à quelques mètres d'elle, posant ses yeux sur ses lèvres qui s'agitèrent aussitôt.

« Bonsoir. » Milo expira lentement, chercha à lui répondre avant d'abandonner. Il préférait la laisser parler pour le moment, à vrai dire elle avait l'air d'être partie dans sa lançée et il se contenta de sourire, dévoilant ses dents, alors qu'elle souriait aussi. Une bouffée de chaleur lui monta au visage; il savait qu'il rougissait, mais il savait aussi que son interlocutrice ne le remarquerait sûrement pas à cause de son teint halé, mais aussi parce que l'obscurité était de plus en plus forte.« Ça va vous paraitre totalement... bizarre, ringard, débile ou je ne sais quoi, mais je n'ai pas pu m'empêcher de vous remarquer. Enfin j'imagine que vous avez déjà dû l'entendre plus d'une fois mais ça fait un petit moment que je vous croise et je n'ai jamais osé vous aborder. J'imagine qu'aujourd'hui est votre jour de chance. ». Milo ne cessa pas de sourire pendant tout le long de son discours, pour le moins rapide, et il s'efforca de porter toute son attention sur la jeune femme pour bien comprendre ce qu'elle disait. Son anglais était bon, mais encore maladroit, et il fallait qu'il veille à faire un effort de concentration pour ne rien râter d'une conversation. Ce qu'il retint des paroles de la jeune femme le surprit au plus au point. Milo n'avait aucune assurance, du moins avec les filles, alors qu'elle lui dise qu'elle n'avait pas pu " s'empêcher de le remarquer ", cela lui faisait vraiment tout drôle, il laissa donc échapper un léger rire gêné à la suite de cette remarque. « Je ne sais pas ce que je suis censé dire mais ... merci, c'est ... très ... gentil de votre part. » L'assurance de l'inconnue l'impressionnait réellement, car à cet instant, il se rendit compte que jamais il n'aurait fait la même chose, à savoir aborder une inconnue. Milo repensa à ce qu'elle venait de dire, et se rendit compte que pour sa part, il ne l'avait jamais remarquée auparavant. Il se sentit légèrement coupable à cette idée, parce que d'ordinaire il faisait toujours très attention aux visages qu'il croisait. C'était vraiment son jour de chance oui, lui qui déprimait à l'idée de passer la soirée seul, voilà qu'il faisait une rencontre surprenante. « Je m'appelle Milo, et je suis très heureux de vous rencontrer. » Egal à lui même, chaleureux et souriant, Milo fit abstraction du froid parce qu'il sentait déjà son coeur se réchauffer par la joie de cette nouvelle rencontre. Peut être cette jeune fille s'attendait-elle à aborder un séducteur confirmé, assuré et sûr de lui, mais Milo était loin d'être ce genre de personne, il était un peu maladroit tout en restant charmeur, et il semblait aussi un peu cérémonieux dans sa façon de parler, mais c'était sa plus profonde nature.