LOU & MANUELA • IT'S GOOD TO SEE YOU.

Ces derniers mois n'avaient pas été faciles à vivre pour moi. Entre l'arrivée de Soraya, mes nouvelles responsabilités de mère, ma vie et mes habitudes qui avaient changé du tout au tout et, plus encore mon nouvel handicap, j'avais eu du mal à encaisser et à gérer toutes ces choses, force était de le constater. Après tout, je n'avais pas l'habitude de me préoccuper de quelqu'un d'autre que moi c'est vrai. Si je rentrai complètement ivre un soir ou même si je ne rentrai pas, ça n'avait aucune espèce d'importance, aucune incidence au final, mais maintenant que ma fille était à ma charge, la moindre petite décision, la moindre erreur pourrait conduire à un drame. Je devais faire extrêmement attention, me montrer irréprochable et c'était juste: compliqué, je crois. De même, il y avait eu trop d'émotions, de drames d'un coup et, j'avais été dépassée par les évènements, j'avais maladroitement géré tout ça, je le réalisais maintenant. Bien que j'ai essayé de prendre un maximum sur moi, je finissais toujours par craquer et me montrer exécrable avec mon entourage; tout particulièrement avec ma famille et mes amis proches. Pourtant, je savais pertinemment que leurs faits et gestes partaient d'un bon sentiment, mais je ne sais pas, au fond, je crois que j'en pouvais plus de tout ça, de ce regard différent qu'ils portaient sur moi. Et cette compassion dégoulinante, cette générosité débordante elles ne représentaient absolument rien de positif pour moi, rien, si ce n'est une pitié qui me mettait hors de moi. Du moins c'est-ce que je pensais au début, mais j'avais eu tort. J'avais été stupide et bornée et à cause de ça, j'avais heurté pas mal de personnes qui comptaient pour moi, en plus de perdre mon temps. Qu'est-ce qui m'avait poussé à changer d'avis ? A reprendre ma vie en mains ? Je ne sais plus très bien. Disons simplement que le temps a suivi son cours. J'ai fait quelques progrès physique qui m'ont redonner la motivation nécessaire malgré tout - parfois par volonté de vaincre, parfois presque malgré moi il fallait bien l'avouer -. Et puis, un beau matin je me suis réveillée en me disant qu'au final ma vie n'était pas si mal. Et à cet instant, c'est comme si un semblant de cette rancœur, de cette haine constante et de cette honte de soi, s'était dissipé. J'ai réussi à descendre de mon lit par mes propres moyens ce jour-là, je me suis installée dans mon fauteuil et j'ai naturellement rejoins la chambre de Soraya. C'est en la regardant dormir - paisible et heureuse - que le véritable déclic s'est produit je crois. A ce moment-là, je me suis dit que je n'avais plus le droit de lui faire subir tout ça. Elle avait déjà tellement souffert à cause de moi. Elle faisait tellement d'efforts, elle était si adorable que je me devais d'être digne de l'amour qu'elle m'offrait, je me devais d'être digne d'elle, voilà. Parce qu'elle le méritait, parce qu'elle en avait besoin et que ça ne pouvait plus continuer comme ça. Quoi qu'il en dise, mon père non plus ne le supporterait pas. Mes amis eux-mêmes finiraient par se lasser de moi et je me retrouverai seule au final. Je ne voulais pas de ça. Je ne voulais pas être comme ça, plus maintenant. C'est pour cette raison que j'allais enfin me battre et que je remontrai la pente, vaille que vaille. Et j'allais commencer dès aujourd'hui. Comment allais-je m'y prendre ? J'allais fournir un effort considérable, en acceptant enfin de me rendre dans un immense centre commercial, d'être vue de tous, d'être jugée peut-être; pour le plus grand bonheur de ma bonne amie Lou qui me tannait depuis des semaines déjà pour qu'on se voit. Au fond, c'était stupide, je ne comprenais pas pourquoi j'avais honte de moi. J'avais honte d'être en chaise roulante, mais pourquoi ? Il n'y avait aucun mal à ça. Je n'étais en rien fautive n'est-ce pas ? Je veux dire, je m'étais trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, ça aurait pu arriver à n'importe qui d'autre. [...]

« Maman, quand est-ce qu'elles arrivent Lou et Emma ? ». Assise à côté de moi, Soraya commençait à s'impatienter bruyamment. Il fallait dire qu'elle mourrait d'envie de voir la petite Emma, elle en était complètement gaga; un peu comme nous tous je crois. Moi ? J'étais ravie de pouvoir voir ce petit ange, mais plus encore de pouvoir passer un moment avec celle que je considérai désormais comme ma propre sœur. Quand on y repense, c'était assez drôle la manière dont les choses avaient évolué entre Lou et moi. Au départ de simples connaissances, nous avions fini par nous rapprocher par le biais de Mathis et en l'espace de quelques mois à peine, elle était devenue si importante pour moi que s'en était presque incroyable. « Elles ne vont pas tarder ma puce, ne t'en fais pas. Et puis nous avons près d'un quart d'heure d'avance, regarde ! ». Posant ses yeux sur ma montre, la petite fille soupira un chouilla avant de gigoter un tant soit peu, se résolvant finalement à attendre en silence. Nous n'étions pas les seules à cheval sur la ponctualité à ce que je vois, car la silhouette de Lou, précédée d'une poussette, se dessinait déjà devant moi. « Les voilà ! ».

C’est lorsque les problèmes arrivent, que les vrais amis arrivent eux aussi, c’est exactement le cas de Manuela. Cette fille est géniale, au début c’est vrai je ne pensais pas trop à elle, ce n’était qu’une connaissance après tout, une simple fille dont je ne connaissais rien. Mais cette fille qui me paraissait si simple, fut enfaite une fille incroyable avec un cœur remplit de bonne volonté et d’amour, et ça je regrette de ne pas l’avoir vu dès le début. Pourtant malgré ma personnalité ouverte, entre Manuela et moi ce n’était qu’un bonjour de temps en temps, sans vraiment prendre le temps de sourire ou même de demander comment ça aller, mais pourquoi ? Au final, c’est l’une des personnes que j’apprécie le plus, et sans elle, je ne serais pas ce que je suis. Elle m’a aidé, beaucoup, à chaque fois je peux compter sur elle, et maintenant, elle sait qu’elle peut aussi compter sur moi, car au niveau de tout, je lui dois beaucoup, que ce soit pour avoir été avec moi à l’hôpital lors de ma grossesse, ou même avoir été là pendant mon coma pour Mathis, tout cela c’est grâce à elle que l’on a pu le surmonter. Souvent je m’amuse à appeler Manuela, mon ange gardien, car à mes yeux c’est ce qu’elle est, et je ne peux m’arrêter de la remercier pour tout. Comme toujours, on avaient décidé de se voir aujourd’hui, alors ce fut avec une immense joie que je me préparai à aller la voir, elle et Soraya. Soraya, qu’elle est belle, et surtout qu’est-ce qu’elle est gentille, c’est totalement la même que sa mère, parfaite dans tous les sens du terme. Enfilant mon jeans tout en regardant Emma gigotait à côté de moi, me fit sourire, car j’étais si fière de ma fille et si heureuse qu’elle soit en pleine santé, que tout ce qu’elle fait me rend heureuse et me fait sourire. Une fois prête, je pris ma voiture en direction du centre commercial, où je devais y rejoindre mes deux princesses, de plus je sais que ce n’allait pas être facile pour Manuela, car depuis qu’elle est en fauteuil roulant, sa vie a changé, tout a changé, mais je reste là, car pour moi cela ne change rien, il faut juste la soutenir moralement. Le centre commercial, c’est une épreuve pour elle, et je serais là pour l’aider, pour lui montrer qu’il n’y a rien de grave à être en fauteuil roulant. Une fois garée dans le parking du centre commercial, je pris la poussette avec Emma dedans, et commença à marcher en direction du point de rendez-vous, en sachant bien que mal que j’étais en avance, mais peu importe il vaut mieux être en avance qu’en retard. Les roues de la poussette s’arrêtèrent alors, et je vis Manuela et Soraya déjà là, alors Lou s’empressa d’aller vers elle tout en souriant du fond de son cœur. Lou arriva devant Manuela, et se jeta presque sur elle pour aller se blottir dans ces bras tout en lui disant un léger bonjour. Soraya s’approcha alors de moi et je fis de même avec elle tout en l’observant, elle avait encore tant grandit, que cela me paraissait magique. Tout en prenant place, avec Emma sur mes genoux, je regardai Manuela et Soraya, cette journée allait être superbe.
« Alors comment ça va? Tu tiens le coup? » Dis-je tout en bercant doucement Emma dans mes bras, Soraya elle était à côté de moi et regarder Emma avec un léger sourire.

Sans plus d'hésitations Lou commença a accélérer le pas et, une fois à notre hauteur, elle se jeta bientôt dans mes bras. Naturellement, je lui rendais son étreinte, lui soufflant à l'oreille à quel point elle m'avait manqué et comme il m'était agréable de les revoir, elle et Emma. Puis, me lâchant, elle serra à son tour ma fille dans ses bras. De mon côté, je m'avançais vers la poussette de l'adorable bébé qui se présentait à moi et je lui caressais doucement la main, en signe d'affection, à défaut de pouvoir me lever et la serrer tout contre moi. Encore une chose qu'être en fauteuil roulant ne me permettait pas. « Alors comment ça va? Tu tiens le coup? » me demanda Lou tandis que nous reprenions notre place initiale. « Je suppose, oui. Disons qu'il y a du mieux. Je fais de mon mieux. Mais il était grand temps, n'est-ce pas? ». Tout en énonçant ces mots, je laissais échapper un sourire maladroit. Il fallait dire que je n'avais pas été tendre ces derniers mois. Lou faisant partie de mes plus proches amis, avait elle aussi - tout comme Mathis d'ailleurs - fait les frais de mes sautes d'humeur et de ma mauvaise foi. J'avais pu me montrer si cruelle, si égoïste parfois, que j'en avais presque du mal à la regarder en face. D'un autre côté, je savais pertinemment qu'elle ne m'en voulait pas, qu'elle comprenait, ou du moins qu'elle s'efforçait de comprendre pourquoi je m'étais montrée si brutale ces derniers mois. Il n'empêchait que je me devais de lui présenter mes excuses. Avant toute chose, je voulais que l'on en reparle, même brièvement, histoire de mettre les choses au clair et de repartir sur de bonnes bases. « A propos » balbutiais-je mal à l'aise « je voulais te dire, je suis sincèrement désolée pour mon comportement depuis l'attentat. J'ai essayé d'être forte au début, pour toi, pour Mathis, parce que tu ne te réveillais pas; pour mon père et pour Soraya aussi, mais je n’ai pas supporté de me trouver dans cet état. Je me suis sentie si inutile que, je ne sais pas j'ai pété un câble. Toutefois, je me suis souvenue la manière dont j'ai pu me comporter avec vous, le ton sur lequel je vous ai parlé, la façon dont je vous ai traité, rembarré et ignoré alors que vous vouliez simplement être là pour moi et... j'ai honte. Véritablement, j'ai honte de moi ». Touchée par mes propos Lou commença à ouvrir la bouche pour réagir, je l'empêchais pourtant - et poliment- de rétorquer quoi que ce soit. « Laisse-moi finir, s'il te plaît. Ce que je veux dire, c'est que je m'en veux de m'être montrée si égoïste et ingrate. Comme si vous n'aviez pas suffisamment souffert avec ton coma et tout le reste, il a fallu que j'en rajoute une couche en me montrant dépressive et exécrable. J'espère que tu ne m'en voudras pas trop. Qu'on va pouvoir repartir sur de bonnes bases, tu vois? D'autant plus que Soraya et moi, nous sommes littéralement fans de ce bijou que tu as là » énonçais-je en souriant tendrement à Emma. « N'est-ce pas Soraya ? ». Du tac au tac, mon trésor répliqua « Oh oui maman, elle est trop jolie. Comme Lou. Et comme toi. Enfin, je crois qu'elle vous bat ! ». Amusées, nous rîmes toutes deux à cette remarque, puis, me saisissant du sac accroché au dos de ma chaise roulante, je le tendais à Lou, en souriant : « Avant que j'oublie. Voici vos cadeaux de Noël. Ce n'est pas grand-chose, mais j'espère qu'ils vous plairont à tous les trois et, que ... bref. Ouvres-les, vas-y ! ». Pourvu qu'elle désire toujours autant ces bottes et qu'elle aime la tenue que j'avais dessiné et créé pour Emma, pensais-je tandis qu'elle me donnait la petite et commençait à déballer les paquets.

L'émotion était au rendez-vous. Touchée par mes propos, Lou s'empressa de me dire qu'elle ne m'en voulait absolument pas; qu'ils ne m'en avaient jamais voulu, d'ailleurs. Continuant sur sa lancée, elle ajouta à quel point je m'étais montrée forte et courageuse et comme elle pouvait m'admirer. Au fond de moi, j'en avais conscience, je ne méritais pas d'être ainsi complimentée. Parce que s'il y avait une femme forte et déterminée à s'en sortir ici c'était bien elle, à n'en pas douter. Elle avait traversé tant de choses l'année passée qu'il m'arrivait de me demander par quel miracle elle était encore sur pied. Mais j'étais très attachée à Lou et, par conséquent, ces mots m'avaient quand bien même bouleversé. Et, tandis qu'elle me serrait dans ses bras, nous nous mîmes toutes les deux à pleurer. Mêlant notre soulagement à nos larmes, nous amusant de cette scénette spontanée. Quelques secondes plus tard, pourtant, je me détachais délicatement de son étreinte et, attrapais les paquets que je lui avais apportés. Il faut dire que c'était assez embarrassant de craquer de cette manière. Tout d'abord, parce que ce n'était pas vraiment dans mes habitudes de me laisser aller, ensuite parce que le centre commercial était bondé et, qu'un attroupement autour de nous, s'était presque formé. « Il ne fallait pas ! Voilà pour vous, ce n’est pas grand-chose non plus, mais sache que cela vient du fond de cœur » ajouta-t-elle en me tendant à son tour quelques paquets. Lui faisant comprendre au moyen d'un petit sourire que cela n'était pas nécessaire, je décidais d'attendre quelques minutes avant de découvrir ce qu'elle nous avait offert, appréhendant la manière dont elle allait réagir en découvrant ce que j'avais choisi pour elle et sa petite famille. Que cela fusse par simple hasard ou non, elle commença par son cadeau personnel. Et sa réaction ne se fit pas attendre. A la découverte de la paire de bottes dont elle rêvait tant et, desquels elle m'avait tant rabâché les oreilles, elle commença à sautiller sur place, telle une enfant. J'esquissais un sourire amusé et accueillais son étreinte avec une joie démesurée. J'avais passé des heures à arpenter la ville pour les trouver et un temps considérable à dessiner la tenue pour Emma: alors oui, j'étais ravie de voir que Lou appréciait. « Mais de rien, voyons ! Tout le plaisir est pour moi, puis cela a été un réel bonheur de créer une tenue à ta poupée. Il m'a suffi de penser à elle et, d'emblée j'ai été inspirée ! » dis-je, tandis que j'ouvrais à mon tour, mes paquets. « Oh Lou, c'est magnifique » poursuivais-je, émue, tandis que je découvrais les adorables petites moufles qu'elle avait choisi pour ma fille et l'écharpe et, le bonnet qui l'accompagnaient. Rose. La couleur préférée de ma petite Soraya. Et cette matière: si douce. « Ca te plaît ? » demandais-je à ma fille, en tournant la tête. Pour toute réponse, la petite fille alla se blottir dans les bras de Lou, la couvrant de bisous. Ne voulant en rien interrompe ce moment de complicité, j'ouvrais le second paquet. Cette fois, j'en restais bouche-bée. Bon sang ! J'avais rêvé, à de maintes reprises, de pouvoir m'offrir cet ensemble, mais... Prada. C'était trop cher, beaucoup trop cher et, avec les affaires qui reprenaient à peine je... Mais, elle l'avait fait ! Elle était folle! « Lou. Ca a dû te coûter une fortune. Tu es folle! Je ne peux pas accepter un cadeau pareil! » minaudais-je en zieutant les articles, émerveillée. Lou s'empressa alors de me faire comprendre que je n'avais d'autre choix que de les accepter. Elle refuserait de les reprendre ou de se les faire rembourser de toute façon! Déplaçant mon fauteuil de quelques centimètres à peine, j'en profitais pour serrer sa main, en guise d'amitié. Avant de l'enlacer une nouvelle fois, pour la remercier. « Merci. Vraiment. J'en rêvais. Mais je persiste et te répète que tu n'aurais pas dû. C'est beaucoup trop, ça me gènes! ». Comment ça je me répétais ? [...]

L'épisode des cadeaux laissé derrière nous, nous décidions de faire un tour rapide des boutiques aux alentours, juste histoire de nous dégourdir les jambes. « Tu sais » dis-je tandis que nous progressions dans l'allée du centre-commercial « les journées comme celles-ci m'ont énormément manqué. Ça fait du bien de pouvoir te retrouver ». Je toussotais légèrement, histoire de changer de sujet. « Mais assez de pleurs et de grandes déclarations pour la journée. Quoi de neuf dis-moi ? Comment ça va, Mathis, au travail ? Vous avez de nouveaux projets? ».

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