« 208 Park Avenue, appartement 14, 23h. » Ana fut tirée de sa rêverie par le son de son téléphone. Un nouveau message d’une de ses amies mannequins, Chloé, une blonde longiligne avec des jambes de rêves à faire baver tout un troupeau de mecs. Elles s’étaient connues en Australie, lors d’une campagne pour Dior qu’elles avaient faite ensemble. Elles avaient depuis gardé contact. C’était d’ailleurs unes de ses seules amies dans cet univers, où tout le monde jalousait tout le monde. Honnêtement, Chloé n’avait pas de quoi être jalouse, de personne. Un sourire naquit sur le visage d’Ana, et elle haussa nonchalamment les épaules. Pourquoi pas, après tout ? Elle n’avait rien de mieux à faire chez elle, la maison de ses parents était désespérément vide et William était-elle ne savait où. Pour dire, elle dormait sur son canapé – elle avait trouvé une énième rediffusion de Dawson sur une chaine du câble – depuis au moins une heure. Elle se leva donc d’un bon, plutôt enthousiaste, sans oublier de jeter un coup d’œil à l’heure qu’il était. Vingt-deux heures. Elle avait une heure pour être prête. C’était largement jouable. Elle faisait presque toujours démentir le cliché qui disait que les filles mettaient au moins trois heures à se préparer. Ana était rapide et efficace. Et elle en ressortait toujours absolument parfaite. Vingt-trois heures, et elle sortait tout juste de chez elle. Bon, si on l’avait invité pour vingt-trois heures, c’était que la fête commençait vraiment à cette heure-là. C’était en tout cas à cet horaire que Chloé s’y rendrait. C’était bien connu, qu’une vraie princesse se faisait toujours un peu désirer. Ce n’était pas non plus comme si elle mettrait deux heures à traverser Manhattan – quoi que, à cette heure-ci, les rues étaient pleines… Eh, tant pis, elle mettrait le temps qu’elle mettrait.

La jeune n’arriva qu’avec une demi-heure de retard sur son rendez-vous. On la laissa entrer sans problème : son nom avait été placé sur la liste, par son amie certainement. Ana sourit en voyant l’ambiance. Ca promettait. C’était une fête plutôt huppée, où les gens étaient bien habillés et semblaient savoir se tenir. Il y avait bien sûr de l’alcool, et peut-être un peu de drogue dans les toilettes, mais aucun scandale ne semblait pouvoir éclater. Puis ce n’était pas une de ces fêtes de jeunes dépravés, où l’alcool coulait de toutes parts, et où l’appartement, chaque pièce de l’appartement, était sans dessus-dessous. Non, pour le moment c’était idéal. Elle ne connaissait pas grand monde par contre, et parcourait la pièce principale, autant qu’elle le pouvait parce que l’endroit était noir de monde, des yeux histoire de trouver un visage connu. Pas de Chloé à l’horizon. Elle attrapa une coupe de champagne sur un plateau en argent qui passait à côté d’elle, puis alla se poser dans un coin. Là, elle sirotait tout en continuant de scruter la pièce. Elle se laissait trente minutes pour voir si cette soirée valait vraiment le coup, et si elle commençait à parler à quelqu’un. Sinon, elle partirait, et trouverait bien quelque chose d’autre à faire. Elle n’était pas si mal sur son canapé à somnoler, après tout. Pendant les dix minutes qui suivirent ce moment, elle repéra deux ou trois canons qu’elle aurait volontiers abordé, mais chacun avait été rejoint bien vite par une belle plante, ou plutôt sangsue, qui ne les avaient toujours pas lâchés. Elle commençait à désespérer, et pris une troisième coupe de champagne. C’est là qu’elle repéra un objet légèrement brillant au sol. Elle se baissa pour le ramasser, et découvrit une carte de visite plastifiée. Un numéro était inscrit dessus. C’était une agence de call-girl. Celle-ci portait le nom de Clover. Une idée lui vint alors à l’esprit.

« Bonsoir ? Vous-êtes bien Clover ? » Ana avait trouvé un coin reculé, à l’écart du bruit et des gens. Une voix féminine lui répondit par l’affirmative. « Vous êtes libre maintenant ? Je ne connais pas votre tarif, mais peu importe, j’ai du liquide sur moi, et j’ai vraiment besoin de vos services. Vous « servez » aussi les femmes ? » Vraiment besoin d’elle était peut-être un peu exagéré… Mais c’était la seule solution qu’elle avait trouvé pour ne pas rester seule. Elle n’arrivait pas à trouver quelqu’un qui l’intéressait un tant soit peu pour engager une conversation. Donc du coup, elle allait s’acheter une amie. Chacun ses moyens, hein. « 208 Park Avenue, appartement 14. Je vous attendrai à l’entrée. Merci ! » Puis elle raccrocha, finissant d’un coup sa coupe de champagne.

Ana n’était pas du genre à abandonner, ni à s’apitoyer sur son sort. Quand elle était quelque part où elle ne connaissait personne, elle faisait toujours des efforts pour engager la conversation avec quelqu’un, partager un verre, une danse, peu importe. Mais elle se débrouillait toujours pour ne pas rester pitoyablement seule dans un coin, à boire verre sur verre et à finir bourrée sans personne pour lui tenir les cheveux lorsqu’elle aurait des soucis d’estomac. Avec son charme fou, elle arrivait facilement à attirer l’attention à se faire accepter dans les cercles d’amis, ou par des inconnus, seuls eux aussi. Elle attirait aussi pas mal de garçons, souvent déjà en train de draguer une fille, qu’ils laissaient donc en plan pour s’attaquer à la jeune femme. Mais il s’agissait d’Ana, sitôt qu’elle entrait quelque part, la plupart des regards se tournaient vers elle. Elle avait un charisme énorme et était une sorte d’aimant. Du coup, elle n’avait pas l’habitude d’être seule comme elle l’était là. C’était dommage, parce que la soirée lui plaisait. Puis elle venait à peine d’arriver, elle n’allait quand même pas rentrer si tôt ! C’est pourquoi elle dans l’entrée, à attendre la call-girl qu’elle venait d’appeler. C’était la première fois qu’elle faisait ça, et ça faisait peut-être trop genre « je m’achète des amis » mais elle n’avait pas vraiment eu le choix. Ça pouvait être sympa, c’était un moyen comme un autre de faire une nouvelle connaissance. Bon, elle n’était pas sure que cette Clover ait de telles demandes très souvent, pour une raison aussi risible, mais Ana n’allait pas faire perdre tout son temps à la jeune femme parce qu’elle allait la payer gracieusement.

La jeune femme attrapa une autre coupe de champagne, puis sortit de l’appartement, attendant à côté du « videur ». Enfin, de la personne qui contrôlait les entrées et la liste quoi. Elle était contente que Clover ait accepté de la rejoindre. Bon en même temps, c’était son travail. Mais elle aurait très bien pu déjà être avec un client. Ou en congé. Elle avait bien de sortir parce qu’elle venait juste de réaliser qu’elle ne s’était pas présentée au téléphone. Du coup, sa « nouvelle amie » n’avait pas beaucoup de moyens de la retrouver. Après quelques minutes, plutôt longue en fait, Ana avait eu le temps de finir sa coupe et d’aller en chercher une nouvelle, elle vit une jeune femme, blonde arriver. Celle-ci s’avança vers elle, lui demandant si elle attendait quelqu’un. Elle n’eut pas le temps de répondre que l’inconnue recula, presque gênée. Ana jeta un coup d’œil à la carte de visite, puis à la jeune femme, et encore à la carte de visite. C’était la jeune femme que j’attendais. La française s’avança donc vers elle. « Je pense que c’est vous que j’attendais. Vous êtes Clover c’est bien ça ? » Cette fois ce fut à son tour de ne pas la laisser répondre, elle savait qu’elle avait raison. Ana l’attrapa par la main et l’entraina dans l’appartement. Là, sans lui lâcher la main, et l’emmena dans le coin où elle se trouvait tout à l’heure, près du bar, pris deux coupes de champagne, puis lui en donna une. « Et voilà ! Merci d’être venue. » Elle fit tinter sa coupe contre celle qu’elle venait de donner à son invitée. « Je ne sais pas trop si c’est adéquat de parler tarif si tôt, mais sachez que votre prix sera le mien, peu importe le montant. » lui dit-elle avec un grand sourire. Elle avait conscience qu’en disant ça cette Clover en profiterait surement pour gonfler un peu son revenu. Mais cela n’avait pas vraiment d’importance, elle était loin d’être sur la paille.

Anastasia venait d’emmener Clover, sa call-girl pour la soirée, dans un coin reculé de l’appartement où se déroulait la fête. Elle voulait qu’elles soient au calme pour pouvoir tout mettre au point tranquillement. Bon après, il n’y avait surement pas grand-chose à mettre au point étant donné qu’elle l’avait juste appelée pour être moins seule. Une part d’elle-même se demandait toujours pourquoi elle avait fait ça. Ce n’était pas vraiment dans ses habitudes, pas du tout même. Jamais elle n’avait eu besoin des services d’une « prostituée » de luxe. C’était une toute nouvelle « expérience » pour elle, et comme à chaque fois qu’elle tentait quelque chose de nouveau, elle était d’excellente humeur. Clover n’avait surement pas l’habitude de recevoir des requêtes telles que celle qu’Ana s’apprêtait à lui faire. Il y avait une première fois à tout, non ? La blonde énonça son prix. 400$ dollars cela lui semblait correct. Enfin là encore, elle n’avait pas l’habitude de ce genre de choses alors peut-être que la call-girl lui mentait et avait haussé son tarif. Peu lui importait. Par contre elle n’avait aucune idée de quels suppléments elle pouvait bien parler. Ana hocha la tête, et répondit avec le même sourire. « Bien, ça devrait aller. » Elle regarda vite fait à l’intérieur de son sac. Sur elle, elle avait de quoi payer deux heures. Au besoin, elle irait retirer de l’argent.

Le fait de vouloir dépenser autant d’argent pour une personne qui ne ferait que vous tenir compagnie pendant deux petites heures, peut-être plus, elle ne pouvait pas savoir ce qui allait se passer lors de cette soirée et même après, pouvait paraitre un peu exagéré. Le genre de cliché que se permettaient toutes les Paris Hilton du monde, nées dans un tas de billet et jetant toujours l’argent par les fenêtres parce qu’elles ne savent pas quoi en faire. Après, encore une fois, Ana ne pouvait pas savoir ce que la soirée lui réservait. Donc peut-être que son argent serait bien dépensé et qu’elle s’en ferait une véritable amie. Pour le moment, il fallait juste qu’elles apprennent à se connaitre, très vite, pour faire illusion, et qu’Ana lui explique ce qu’elle attendait d’elle. Clover lui demanda son prénom. « Anastasia, mais personne ne m’appelle pas comme ça. » A part sa mère, son père ou William quand ils étaient énervés après elle. « Appelle-moi juste Ana. » De ce fait, elle venait en plus d’accepter l’idée qu’elles se tutoient. C’était plutôt logique en y pensant, la jeune femme voyait mal deux amies se vouvoyer. Au 17ème siècle, à la limite… « Et toi ? Je t’appelle Clover ou bien… Ton vrai prénom, c’est quoi ? Si je peux me permettre et si ça ne te dérange pas. » Clover lui posa ensuite la question auquel Ana allait répondre avant même qu’elle ne la pose. « Rien de special. » Elle se mordit la lèvre, comme si elle était désolée de lui faire perdre son temps. C’était futile comme demande. « Je veux juste que tu sois mon amie pour la soirée. Qu’on passe un bon moment, qu’on discute si tu le veux, qu’on se moque des autres pourquoi pas. Qu’on soit amies, comme si on se connaissait depuis toujours. C’est bon ? »