Ils s’étaient pourtant promis que rien ne changerait, mais tout avait hélas changé. Elvia avait tenté de se pincer à de nombreuses reprises, de hurler ou même de sortir en affrontant le froid ambiant en petite tenue pour s’assurer que tout ceci n’était rien d’autre qu’un cauchemar… mais cela s’était passé. La porte était restée fermée, et le froid qu’elle ressentait vivait à l’intérieur même de son cœur. La belle blonde avait mis des jours avant d’accepter de reprendre le dessus et de sortir de chez elle. Mais afin d’oublier, si toutefois elle en était capable, elle s’était plongé dans son entraînement plus que jamais. Des heures durant, tous les jours, balayant de son existence tous ceux désapprouvant cette méthode de vie. Lawrence avait bien essayé de la raisonner, mais il avait été envoyé sur les roses au même titre que Dillon, son meilleur ami, ne l’ayant jamais vue aussi déterminée et en colère. Chaque jour, après ses deux heures de footing, Elvia se rendait pour des heures à la patinoire se trouvant tout près de son appartement, afin d’essayer de nouvelles chorégraphies sans cesse plus spectaculaires, plus dangereuses et plus difficiles. Elle avait besoin de s’éprouver pour s’assurer être au moins douée pour cela. Sauf qu’en ce jour fatidique, la jeune femme ne s’attendait pas à recevoir une visite des plus… déroutantes à la patinoire. Drew, ancien champion de bronze de patinage et son rival le plus ancien, la fit sursauter alors qu’elle terminait un triple salto à la perfection, celui-ci ayant été réglé au millimètre. « Tu es toujours aussi magnifique, ma rusée Elvia. J’ai eu du mal à te retrouver pourtant, comme ça fait un moment que tu n’as pas fait la moindre compétition… tu te remets en forme ? »

La jolie suisse ne lui accorda pas la moindre attention, refusant même de répondre à sa question avant de poursuivre son enchaînement de son côté. Mais il vint la surprendre plus encore en s’emparant de sa main, la faisant tournoyer sensuellement avant de la coller à son torse pour mieux la faire tanguer par la suite. Ils étaient extrêmement proches certes, et cette façon qu’il avait de la regarder lui faisait bien trop penser à Gabriel… d’où la gifle monumentale qu’elle lui asséna la seconde suivante. « Je ne sais pas ce que tu cherches Drew mais je ne suis pas intéressée. » Elvia s’éloigna aussitôt, cherchant à chasser la colère qu’il prenait toujours un malin plaisir à faire naître en elle à l’aide de cette arrogance insupportable dont il avait le secret. « Je veux simplement que tu gagnes la compétition de Berlin dans trois mois avec moi et… juste un dîner pour discuter des détails. Accepte Elvy… tu en meurs d’envie. Nous sommes deux champions toi et moi, et nul ne saurait t’égaler. J’ai besoin de toi et tu as manifestement besoin de moi pour mettre un peu de rock dans ta vie ! Regarde ton petit air de cocker triste… c’est pas comme ça que tu vas faire vendre des dizaines de magazines avec des photos de toi en magnifique patineuse. Oh ne te méprends pas, tu es toujours aussi sexy que dans mes souvenirs… mais les gens veulent rêver. Juste un dîner et si notre collaboration ne colle pas, tu pourras retourner à ta choré que personne ne pourra encore égaler. » Sa proposition était alléchante. Suffisamment pour qu’elle se laisse berner comme une débutante. « Un dîner. Et tu me parleras du plan que tu as en tête. » Drew lui accorda un sourire affreusement charmeur avant de disparaître soudainement : la raison ? Un regard particulièrement assassin provenant d’un homme impressionnant auquel Elvia tournait encore le dos. Et elle n’osait pas lui faire face, à vrai dire…

La fuite de Drew laissa Elvia un moment interdite tandis qu’elle n’en comprenait pas la raison. Elle s’attendait à ce qu’il ne lui donne un lieu et une heure, au moins… mais il avait comme pris ses jambes à son cou, et cette image lui donna un arrière goût amer, comme une impression de déjà vu. Pour ne rien arranger à son trouble, la voix qu’elle avait longtemps espéré à nouveau entendre dans ses songes fut soudainement captée par ses oreilles, l’obligeant à se retourner furieusement alors qu’elle voulait voir de ses propres yeux que tout ceci n’était pas juste un effet de son imagination. Mais ce fut un coup de poignard supplémentaire lancé contre son cœur déjà en morceaux que de le voir en chair et en os, une casquette sur la tête comme s’il avait souhaité l’espionner incognito. Elvia se refusa de tirer des conclusions hâtives et ravala ses larmes avant même qu’elles ne fassent mine de se montrer. Il fallait qu’elle reste digne à tout prix… même si elle avait plutôt envie de hurler à cet instant précis. « Que fais-tu ici Gabriel ? » La jolie suisse ne serait pas celle à l’accabler de reproches, elle respectait sa décision même si elle ne la comprenait pas et qu’elle aurait préféré que rien de tout ceci ne soit réel. Dans ses songes les plus tourmentés de ces quelques derniers jours, Elvia s’était même surprise à espérer ne jamais avoir croisé sa route… « Je pourrais te dire que tout va bien mais ce serait mentir et c’est une chose que je ne sais pas faire. »

La voix de la jeune femme n’était pas froide, ni même colérique, elle était simplement triste. On lui avait arraché son rêve en même temps que son cœur, tandis que Gabriel avait froidement manqué à la promesse qu’il lui avait faite. Au fond, Dillon avait raison… à trop donner sans condition, elle avait été considérablement désillusionnée au passage. « Je voudrais que tu t’en ailles, s’il te plaît. Je ne sais pas pourquoi tes pas t’ont conduit ici mais je ne peux pas y arriver si tu reviens me hanter comme ça. Je ne peux pas mentir sur le fait que je t’aime toujours mais il faut à tout prix que j’apprenne à te désaimer. Il serait charitable que tu me laisses essayer. S’il te plaît. »

« Mais je ne suis pas avec quelqu’un d’autre ! » lança soudainement Elvia avant de fermer les yeux pour reprendre contenance. De toute évidence, elle allait du mal à garder son sang froid face à Gabriel mais il fallait à tout prix qu’elle y parvienne. Avait-il seulement idée de l’enfer qu’il lui avait fait vivre pendant ces quelques derniers jours ? La belle blonde avait complètement perdu l’esprit, et son calme tant chéri par la même occasion. Elle peinait à trouver le sommeil, ses propres cauchemars devenant peu à peu une réalité qu’elle se refusait de voir en face : Gabriel était parti et ne reviendrait plus. Il ne se tournerait plus jamais vers la jeune femme, ne lui sourirait plus jamais, n’apaiserait plus ses peurs. Il fallait qu’elle se rende à l’évidence… hormis le patin, il ne lui restait réellement plus rien. Même Lawrence n’avait pas réussi à la voir plus de trente secondes tant Elvia refusait de voir qui que ce soit. Elle se sentait vide, inerte. Comme une coquille que l’on a ouverte et qui ne peut plus se refermer. Mais de tout ce qu’elle avait pu vivre, le discours de Gabriel fut certainement le pire. Elle recula d’un pas pour essayer d’apaiser le poids de ces mots mais elle peinait ne serait-ce qu’à respirer dans ces conditions. Une partie d’elle voulait céder, mais l’autre s’y refusait, pour se protéger… quelle bataille dans son être ! « Je ne te demande rien Gabriel. Je ne t’ai même jamais rien demandé aussi loin que je me souvienne. Mais je pense que j’avais plus besoin de toi que ce que je n’osais dire et à la première occasion tu as juste… filé. Tu m’avais promis que tu ne m’abandonnerais pas et moi comme une idiote, je t’ai cru ! Oui, je t’ai cru parce que j’avais l’impression que mes années d’agonie allaient enfin prendre fin ! J’aurais tout supporté de ta part, tout. J’aurais pensé tes blessures, qu’elles soient visibles ou non… je t’aurais veillé nuit et jour jusqu’à ce qu’il ne reste pas une once d’énergie en moi ! Je ne t’aurais pas abandonné, JAMAIS ! »

Elvia avait eu une crise de panique lors de leur voyage en Genovia mais elle lui avait promis que cela ne se reproduirait jamais et quand bien même, sûrement serait-elle revenu implorer son pardon et mettre tout ceci sur le compte de son extraordinaire idiotie… mais là, il l’avait complètement évincée sans raison apparente. Sûrement en mettant ça sur le compte de sa fragilité… mais dans tous les cas, elle vivait un enfer depuis. « Tu n’as préservé personne, Gabriel. J’ai essayé de te le dire avant que tu ne me claques la porte au nez : tu ne pourras pas revenir en arrière et faire en sorte de ne pas avoir simplement pris mon cœur en otage pour mieux le piétiner ! Si tu reviens tu recommenceras. J’ai déjà du mal à me dire que mon existence en vaut le coup alors arrête. Par pitié, arrête de me tourmenter… » Pourtant Elvia aurait rêvé qu’il se batte pour elle. Oui, elle en aurait littéralement rêvé…

Elvia était totalement perdue. Ce qu’elle entendait l’horrifiait bien sûr, mais faisait également naître chez elle une culpabilité impossible à contrôler. Soudainement, elle avait l’impression d’être terriblement injuste, et d’être au final la seule fautive à retenir quant à l’échec de leur relation… pourtant elle n’avait aucunement souhaité le naufrage de leur relation. Ce n’était pas faute d’avoir répété à Gabriel qu’elle souhaitait qu’ils regardent ensemble dans la même direction, quoi qu’il advienne, mais cela n’avait pas suffit. Pour un peu, elle se surprit même à se moquer éperdument du fait qu’il aurait pu la frapper tant cela lui paraissait diablement dérisoire par rapport au trou béant que son absence avait laissée dans son cœur. « Je ne sais pas exactement comment je dois le prendre Gabriel… que de toute évidence tu as voulu me protéger alors que je n’avais aucune crainte à tes côtés ou que tu ne m’aies pas suffisamment fait confiance pour me confier ce point essentiel de ton passé ? Pourtant tu sais à quel point j’ai eu une enfance difficile moi-même, mais je me suis confiée parce que tu es le pilier de mon existence ! Je n’arrive pas à comprendre comme cela a pu t’échapper. J’aurais voulu que tu m’en parles… que tu acceptes de t’ouvrir à moins et non que tu laisses une distance se mettre entre nous pour mieux me laisser toute seule ! Je suis censée faire comment, maintenant ? Avec un cœur tout neuf, de l’amour à revendre et la seule personne qui pourrait mettre de la joie dans ma vie qui a fuit ce que nous avions… » Elvia était sûrement naïve, mais elle était persuadée qu’ils auraient pu surmonter ça ensemble, avec du temps, de la patience, mais avant tout le fait d’être là l’un pour l’autre. « Oui j’ai eu peur. Je ne m’en cache pas, j’ai été pétrifiée sur place. Mais je n’ai pas crié, je n’ai pas fuit ni même bougé parce que tu avais besoin de moi ! J’aurais voulu que tu te tournes juste vers moi et que tu me voies. »

Mais une fois encore, Gabriel prenait la fuite. Oh Elvia ne l’avait pas encouragé à agir différemment et c’était bien ce qui la tuait littéralement. Le voir s’éloigner à nouveau la poussa à agir, grimpant avec ses patins dans les gradins pour mieux l’attraper fermement par le bras afin de le forcer à la regarder. Elle ne lâcha aucunement son bras, le regardant quelques minutes sans trembler, l’air particulièrement décidé avant qu’elle ne vole littéralement ses lèvres. C’était de la pure folie et elle le savait… mais ce baiser lui rendit son souffle. Elle avait l’impression de respirer à nouveau… du moins jusqu’à ce que Drew ne refasse son apparition pour mieux énoncer d’une voix forte : « Elvy, je me rends compte que je ne t’ai pas donné l’heure ni le lieu pour notre dîner ! » Et forcément, la jeune femme se détacha doucement de Gabriel en lui lâchant également le bras. A nouveau, la peur qui l’abandonne prenait le pas sur tout le reste, y compris ce sentiment de vivre qu’elle venait tout juste de ressentir…

Pour la première fois de sa vie, Elvia se permit de maudire Drew et de sa façon extraordinaire de gâcher un moment privilégié avec Gabriel… mais la réaction du journaliste lui glaça littéralement le sang. Comment pouvait-il lui balancer des choses pareilles en pleine figure alors qu’elle ne pourrait jamais regarder un autre homme ? Elvia voulut le lui faire comprendre mais elle n’eut à peine le temps de défaire ses patins que déjà, il revenait à la charge après avoir soigneusement reculé pour mieux l’emmener dans un endroit à l’abri des regards, beaucoup plus calme. Mais cette fois-ci, la jeune femme n’était plus seulement blessée, elle était également vexée. Oui, la douce et paisible Elvia, capable de rougir même pour un grain de riz, était vexée. Il venait de mettre en doute ses sentiments pour lui alors qu’elle n’aurait jamais osé faire de même… oh la jolie suisse l’écouta jusqu’au bout sans même chercher à l’interrompre, mais elle sentit son cœur devenir de plus en plus vide et sec au fil des minutes. Sans doute c’était à elle de prendre une décision capitale maintenant. « Tu n’es qu’un idiot Gabriel Renaldi. Tu accuses la seule personne qui n’aurait jamais mis tes sentiments en question ni été jalouse !! Drew n’est pas quelqu’un que je vois comme un homme, c’est simplement un patineur comme j’en ai vu tant d’autres dans ma vie… comment tu peux croire ne serait-ce qu’une seconde que je pourrais regarder un autre homme que toi ? Ca prouve bien qu’au fond de toi que tu n’as pas la moindre confiance en moi justement ! »

Elvia n’avait de cesse de s’écarter, pas après pas, malgré l’air ambiant qui la faisait frissonner. Elle se dégoûtait d’être si faible, de ne pas être en mesure de se battre davantage mais au final, qui cessait de se battre ? Difficile à dire. « Ce n’était pas un baiser d’adieu. Pendant l’espace d’une minute, j’ai vraiment pensé que tout ceci n’était rien et que si j’étais assez forte pour tout oublier, rien ne serait plus fort que ça, que ce que l’on a… ou plutôt avait. Mais peut-être que je ne suis pas assez forte. La dernière chose dont j’avais besoin c’est l’image de toi questionnant mes sentiments. Tu vois, tu as gagné. Tu n’auras plus à te battre pour moi. Je te laisse gagner cette partie, mes félicitations, tu pourras dire que j’ai lâché prise et te gargariser… mais tu as claqué la porte en premier et brisé mon cœur le premier. » Elvia tourna les talons et se mit à courir, pieds nus, jusqu’à attraper le premier taxi qu’elle put trouver sur la rue dans laquelle elle déboucha. Mais le pire, c’est que la culpabilité ne la lâchait pas…