Une blague … Oui c’était une plaisanterie qu’elle était loin de trouver amusante, vraiment pas. C’était sa première permission du mois et il trouvait le moyen de la passer de la pire manière et ce uniquement parce qu’il voulait faire plaisir à ses « amis ». C’était bien pour lui, mais pour quelles raisons devait-il la trainer là-bas comme lorsqu’elle était encore qu’une adolescente qui n’avait pas d’autres choix ? Oui, elle en avait d’autres, comme rester chez elle en caleçon et débardeur à manger un énorme pot de glace Ben & Jerry devant un téléfilm particulièrement niais. C’était ce qui lui semblait le plus intéressant dans tous les choix qui s’offraient à elle et qui se déroulaient – de toute manière – tous dans son appartement et pourtant elle avait accepté dès qu’il lui avait proposé. Loan ne savait pas lui dire non et c’était ce qu’il y avait de plus agaçant. Encore aujourd’hui, alors qu’elle était âgée de 25 ans, elle se rendait compte combien elle avait toujours autant besoin que son père fasse attention à elle, d’autant plus aujourd’hui que sa mère était morte. Alors, elle avait cédé au Colonel et elle avait accepté le fait de quitter son petit appartement juste pour une soirée qu’elle n’allait pas passé seule, mais qui ne serait pas uniquement en présence de son père. Par moment, Loan en venait à se demander si cet homme grâce à qui elle était en partie sur cette Terre n’avait pas peur d’être seule avec sa fille par crainte qu’elle lui balance toutes les horreurs qu’elle pensait à son sujet et lui fasse comprendre combien elle le détestait de l’avoir ignoré quasiment toute sa vie. Elle en aurait été capable, mais uniquement s’il s’était agi de quelqu’un d’autre, avec son père elle c'était impossible. La jeune femme avait tellement cherché à lui faire plaisir, à obtenir son attention et son amour que dès qu’il s’intéressait un tant soit peu à elle, elle sautait sur l’occasion et ce même si elle avait déjà prévu autre chose. Tout était bon pour passer du temps avec lui et lorsqu’elle y pensait quelques jours après, Loan ne pouvait pas s’empêcher de se trouver lamentable et même si elle se promettait de refuser la fois suivante, elle n’y parvenait pas et finissait toujours par céder … pitoyable.

Alors, elle lui avait dit oui et elle n’en revenait pas. C’était comme si ces paroles qui avaient été prononcées ne venaient pas d’elle, qu’une tierce personne avait pris possession de son corps le temps de cette discussion au téléphone. Loan avait accepté de se rendre à ce diner alors qu’elle était loin, très loin de le vouloir. Se mêler à ces personnes qui l’énervaient rien qu’en prononçant un mot très peu pour elle, et pourtant si, elle allait s’y rendre. Comme si son appartement n’était pas assez bordélique comme ça, la jeune femme rajouta quelques vêtements ici et là afin de pouvoir entrer dans son armoire – qui avait sérieusement besoin d’un grand ménage de printemps – et y trouver une robe adéquat pour ce diner qui arrivait bien trop vite à son goût. Mais pourquoi avait-elle accepté ? Elle aurait pu s’y rendre en uniforme, après tout son père allait sans doute le faire, alors pourquoi pas elle ? … Sans doute parce qu’elle doutait que son paternel apprécie ce geste et qu’à défaut d’avoir sa femme – du moins ex-femme – vêtue d’une somptueuse robe hors de prix, il allait exhiber sa fille. Cette pensée lui arracha une grimace. Il était horrible de se rappeler le fait qu’aux yeux de son père elle n’était qu’une sorte de trophée qu’il aimait montrer à tous, prouver que sa fille était brillante et jolie. Si elle faisait sa fierté c’était uniquement parce qu’elle était appréciée de ses supérieurs, qu’elle pilotait extrêmement bien et que pour couronner le tout son minois se faisait bien souvent désirer. En fait, elle n’était qu’un jouet pour lui et même si ça lui faisait mal de se l’avouer, elle allait quand même lui faire plaisir, comme toujours parce qu’au final il était le seul parent qui lui restait et celui pour qui elle s’était battue sans pour autant obtenir un seul « je t’aime » de sa part.

Un soupire lui échappa tandis qu’il zippait correctement la fermeture de sa robe sur le côté. Le regard porté sur le miroir face à elle, Loan renvoyait une bien triste image d’elle-même et même le maquillage léger qu’elle avait utilisé n’aidait pas à lui redonner ce petit éclat de joie de vivre qu’elle avait pu avoir dans le regard par le passé. Il fallait qu’elle sourit, mais pour l’instant, seule dans son appartement, c’était impossible. Attrapant son sac à main, elle quitta son appartement en faisant bien claquer la porte pour s’assurer que cette dernière était fermée et rejoignit le garage souterrain du petit immeuble où elle vivait pour prendre sa voiture et rejoindre son père sur le lieu du rendez-vous. Hors de question pour le Colonel Duke que sa fille arrive au volant d’une petite voiture toute minable – aux yeux du paternel – non, ils se devaient de faire grande impression et même si la Chevrolet Camaro grise qui les conduisit à l’hôtel où avait lieu le diner était magnifique, Loan était malade rien que d’imaginer le prix que son père avait pu mettre là-dedans. Évidemment, ce n’était pas un petit hôtel minable dans lequel ils pénétrèrent et à peine eut-elle mis les pieds à l’intérieur que l’envie de fuir l’avait déjà gagné. Toutefois, ce fut bien pire lorsqu’elle eut à saluer toutes ces personnes dont elle ne connaissait pas même le nom, se forçant à sourire un nombre incalculable de fois. Loan ignorait ce qu’ils étaient venus faire ici et ce sur quoi se basait le repas et très sincèrement, elle ne voulait pas le savoir, elle voulait juste fuir et le bar lui sembla être son échappatoire. Laissant le Colonel discuter tranquillement avec ses « amis » qu’il connaissait grâce à son ex-femme, Loan s’appuya au bar devant lequel elle était assise, s’occupant l’esprit en tournant tristement la touillette dans son verre de martini blanc. Même en sa présence, son père parvenait à l’ignorer complètement, comme quoi elle aurait vraiment mieux fait de rester devant sa télévision ce soir.