La soirée avait déjà commencé depuis un bon moment, et la nuit était tombée sur New-York sans que Kayla ne s’en aperçoive vraiment. En effet, du fin fond du bar dans lequel elle travaillait, il lui était bien difficile de savoir quel temps il faisait dehors. La salle était pleine à craquer, et l’agitation qui y régnait était un bon signe : ce soir encore, l’Awesome ferait un bon chiffre d’affaire et Kayla pouvait espérer en retrouver la trace sur sa prochaine fiche de paie. Pas que la jeune femme ne soit intéressée que par l’argent, mais comme elle était loin de rouler sur l’or, toutes les façons d’arrondir ses fins de mois étaient bonnes à prendre.

Cela faisait donc au moins deux heures que Kayla était postée derrière le comptoir, en compagnie de ses collègues du soir. La jeune serveuse s’évertuait à combler chaque client, et s’efforcer du même coup de garder le sourire ce qui n’était pas chose facile, surtout pour elle. Kayla aimait son métier, et aimait l’Awesome et l’ambiance qui y régnait. Mais les clients pouvaient être tellement stupides, bornés ou collants que par moment, elle rêvait simplement de démissionner et d’aller s’étaler sur le canapé de son appartement. Il faut dire que la jeune femme n’était pas du genre compréhensive, et le moindre des travers d’un client avait le don de l’agacer. Depuis qu’elle était arrivée à l’Awesome, elle avait du faire un énorme travail sur elle-même pour se retenir de mettre à la porte quelques pervers un peu trop entreprenants, mais aussi et surtout pour pouvoir travailler en équipe. Dans le bar où elle travaillait avant, elle était la plupart du temps seule à bord. Certes, son ancien patron l’exploitait, mais elle n’avait pas à composer avec les personnalités de ses collègues, qui étaient évidemment tous différents d’elle. Mais avec du temps et beaucoup de travail, Kayla l’avait fait : elle s’était intégrée dans l’équipe de l’Awesome, et dans ce monde indéniablement plus doré que celui qu’elle côtoyait auparavant.

Après avoir vérifié que chaque client autour du comptoir était servi, Kayla s’attela à laver quelques verres qu’une de ses collègues avait délaissé sur le bord de l’évier. Se laissant entrainer par la musique qui résonnait dans la salle, la jeune femme se dandinait tout en essuyant ses verres, jusqu’au moment où ses yeux se posèrent sur un client en particulier. Là, elle se figea pendant quelques instants, murmurant un « Oh non, merde. » quasi-inaudible grâce au brouhaha régnant dans la salle. Puis, Kayla fit rapidement volte-face en feignant de ne pas avoir vu Elijah qui approchait, et fit semblant d’être totalement absorbée par son travail pour ne pas se laisser distraire par ce qui l’entourait.

En temps normal, Kayla s’arrangeait pour ne pas avoir à recroiser ses conquêtes. Comme leur nom l’indiquait, il ne s’agissait que d’hommes de passage, qu’elle avait fréquenté pendant une nuit ou deux, et qu’elle n’avait aucune envie de revoir. Et la jeune femme avait ses raisons pour ça. En effet, elle avait pour habitude de se servir dans le portefeuille des dites conquêtes, en prenant grand soin de ne pas les réveiller en quittant leur appartement, et leur vie à tout jamais. New-York étant une grande ville où il y avait beaucoup de passage, la jeune serveuse n’avait jamais eu de problème majeur, et même les fois où elle avait failli se retrouver nez-à-nez avec l’une de ses victimes, elle s’était toujours débrouillée pour y échapper. Cela ne voulait pas non plus dire que Kayla avait la conscience tranquille. Bien au chaud dans le tiroir de sa table de chevet, chez elle, elle gardait un revolver enroulé dans un bout de tissu. Elle n’avait jamais eu à s’en servir, mais on n’était jamais trop prudent. Qui sait ce qui pourrait bien passer par la tête d’une de ses conquêtes qui découvrirait qu’elle avait littéralement vidé son portefeuille ?

Mais évidemment, ce soir Kayla travaillait, et elle n’avait pas emporté son arme avec elle. A vrai dire, elle ne pensait pas en avoir besoin ailleurs que chez elle, bien trop habile pour éviter les gens qu’elle ne désirait pas croiser. Et pourtant, un homme avait été plus malin qu’elle. Et pas n’importe quel homme. Elijah. Kayla avait réellement apprécié les moments passés en sa compagnie, peut-être même plus que d’habitude. Mais ce qu’elle avait tout particulièrement aimé était la liasse de billets qu’elle avait fini par extirper de son portefeuille alors que le jeune homme dormait. Puis, comme à son habitude, elle avait lancé un regard empreint de malice vers sa victime, le laissant sommeiller bien tranquillement et espérant ne jamais le revoir. Cette fois, c’était raté, et elle n’avait aucune échappatoire. D’ailleurs, elle trouva elle-même sa façon de se retourner assez pathétique, et terriblement inutile puisqu’Elijah avait déjà remarqué sa présence. Un « Salut. » des plus glacial planta le décor, et pourtant Kayla feignit de ne rien avoir entendu, toujours faussement absorbée par le travail qui l’attendait au bord de l’évier. Mais c’est en entendant qu’il ne supporterait pas d’être snobé une deuxième fois que la jeune serveuse lâcha prise. Après avoir fermé les yeux quelques instants et soupiré, elle se retourna et afficha un sourire aussi craquant que commercial.

« Je prendrais un whisky sur ta note. » Bien. Le coup du sourire n’avait pas marché du tout. Le regard du jeune homme était dur, et Kayla comprit instantanément que la partie n’allait pas être facile. Néanmoins, elle ne se laissa pas démonter et arqua un sourcil amusé. « Pardon ? Désolé, je ne fais pas ça moi… Elle savait qu’elle jouait avec le feu, mais c’était sa façon à elle de procéder. « Mais t’as bien fait de sortir, t’as l’air aigri ! Va danser ça te détendra… » Nouveau sourire, puis, mine de rien, Kayla fit un pas de côté et prit la commande d’un nouveau client juste sous le nez d’Elijah, sans s’en préoccuper plus que ça.

Uuuuh pardon, j'avais pas vu que tu avais répondu il y a si longtemps

Spoiler:

Alors que la jeune serveuse s’attelait à prendre d’autres commandes, elle s’évertuait à ignorer Elijah. Pourtant, elle sentait son regard rempli de haine et de colère sur elle, mais elle avait décidé qu’il ne parviendrait pas à la faire céder. Il avait déjà réussi à la surprendre, à la « retrouver » alors qu’elle espérait ne jamais le revoir, alors elle n’allait pas lui faire le plaisir de flancher devant lui. Kayla était forte, et le jeune homme allait devoir s’en accommoder. Alors pour le lui montrer, la jolie blonde tentait de garder son sourire, de faire comme s’ils étaient en train d’entretenir une conversation normale, presque comme s’il était un de ses amis. Mais à l’intérieur, Kayla se sentait bouillir, prête à lui sauter à la gorge pour le faire taire ou le faire déguerpir au plus vite. « Tu aurais dû me dire qu’il fallait payer tes services pour coucher avec toi et je t’aurais réglé sans problèmes, mais voler l’argent qui – au passage – n’était pas à moi… » Pendant une fraction de seconde, la jeune femme stoppa toute activité, et du cligner des yeux pour revenir à la réalité et encaisser ce qu’il était en train de lui dire. A quoi jouait-il ? Etait-il en train d’essayer d’inverser les rôles ?! Il s’était fait avoir comme un bleu, et désirait se venger en lui faisant gober n’importe quoi. En même temps, plus Kayla y réfléchissait et plus elle trouvait la situation plausible. Son penchant pour les bad boys semblait encore une fois lavoir mise dans de beaux draps, et elle était contrainte de faire marcher son esprit à toute vitesse afin de trouver une éventuelle solution.

« Enfin, le côté positif de cette histoire c’est que maintenant je peux te vendre en pâture à mes clients qui recherchent désespérément leur fric. » Cette fois, Elijah marquait clairement un point, et Kayla se devait de trouver une solution pour lui faire passer cette idée qu’il venait d’avoir. Ignorant tout ce qu’il pouvait bien lui dire par la suite, la jeune femme le fusillait du regard tout en restant figée derrière son comptoir. Il venait de voler le whisky du client voisin, mais Kayla n’en avait absolument rien à faire. Même si ce dernier lui lançait un regard presque implorant, elle le laissa glisser sur elle, attendant qu’une de ses collègues veuille bien s’occuper de ce pauvre type à sa place. Pour l’heure, ses priorités étaient ailleurs. Lorsqu’Elijah lui annonça qu’il allait suivre ses conseils, elle se décida enfin à réagir. Quittant le comptoir, elle le contourna pour se retrouver en face du jeune homme qu’elle agrippa par le col de sa chemise. Sans se soucier de sa réaction et avec une poigne qu’elle ne se connaissait pas, elle le força à la suivre en faisant preuve d’une autorité sans faille.

En arrivant dans un coin de la salle que personne ne fréquentait, Kayla se retourna sans pour autant lâcher sa proie. Elle se redressa au maximum pour être à la hauteur d’Elijah, et s’approcha à quelques centimètres seulement de son visage. Son regard glissa d’abord sur les lèvres du jeune homme, puis remonta vers ses yeux. Les traits de Kayla étaient durs et son regard perçant, et c’est d’un ton glacial qu’elle déclara, tout en esquissant un sourire mesquin : « Tu tiens vraiment à ce que tes clients sachent que tu t’es fait plumé par une simple petite serveuse ? Que tu n’as rien vu venir et que tu t’es fait avoir comme un bleu ? C’est certain, ils te feront confiance après ça… » Elle le provoquait, elle prenait des risques, mais au point où elle en était elle ne craignait absolument plus rien. Si elle devait mourir bientôt, autant s’amuser un peu avant !

Pour la toute première fois depuis des lustres, Kayla semblait prise au piège dans une situation à laquelle elle ne trouvait aucune issue. Et pourtant, elle savait bien qu’elle avait de la ressource, ce n’est tout de même pas pour rien qu’elle ne s’était jamais faite prendre auparavant ! Mais fasse à Elijah, tous ses arguments lui paraissaient erronés, ou pas assez convaincants. Même lorsqu’elle l’attira à l’abri des regards pour jouer la carte de la séduction, et de la provocation, elle-même ne semblait pas particulièrement y croire. Sans comprendre de quoi il s’agissait exactement, le jeune homme avait un petit quelque chose qui la déstabilisait. Cette espèce d’assurance à toute épreuve qui lui faisait perdre pied. Et ce regard… Kayla devait bien avouer qu’il était terriblement sexy, et probablement l’un des meilleurs coups qu’elle n’avait jamais connu. Et elle en avait connu pourtant ! Mais les autres avaient été beaucoup plus faciles à oublier pour elle. Premièrement, ils n’étaient pas tous aussi séduisants. Et surtout : aucun d’entre eux n’avait été assez malin pour la retrouver après qu’elle lui ait gentiment vidé son portefeuille. Ce jour marquait donc une grande première, que la jeune femme aurait préféré éviter.

Elijah n’avait pas tort, même si elle se donnait un genre comme ça devant lui, Kayla ne connaissait absolument rien à l’univers dans lequel il trempait. D’ailleurs, elle ne savait même pas exactement ce qu’il faisait, et qui étaient ces fameux clients à qui elle avait indirectement piqué des sous. Tout cela l’inquiétait un peu (et c’était légitime), mais pas question pour elle de le montrer et de perdre la face devant Elijah. Le jeune homme profita de leur proximité soudaine pour caresser le visage de la blonde qui faillit bien se laisser aller à fermer les yeux sous la douceur de ses gestes. Mais fort heureusement, elle se ressaisit juste à temps pour apprécier à sa juste valeur le baiser qu’il était en train de lui voler. Peut-être était-ce le dernier mais c’était toujours ça de prit, songea-t-elle. Du même coup, le jeune homme l’avait enlacée et ce n’est que lorsqu’il s’écarta, un grand sourire aux lèvres, que Kayla découvrit sa supercherie. Au bout de ses doigts pendouillait son badge, sans même qu’elle n’ait senti quoi que ce soit lorsqu’il le lui avait subtilisé. Ok, cette fois-ci, la jeune pickpocket avait trouvé un adversaire à sa taille. A cette pensée, elle manqua d’ailleurs de sourire mais se rappela que la situation était bien trop tendue pour cela. Elle préféra donc froncer les sourcils et agripper fermement le poignet de son voisin. « Rends-moi ça… Francis » ajouta-t-elle d’un ton rieur. Oui, sa petite fouille dans le portefeuille du jeune homme lui avait également permit de faire cette découverte pour le moins… amusante.

S’approchant une nouvelle fois au plus près de lui, la jeune femme planta son regard azur dans celui d’Elijah. Elle savait que ses yeux pouvaient être une arme de poids lorsqu’elle se trouvait en face d’un garçon, et elle comptait bien en user le plus possible ce soir. « On doit bien pouvoir trouver un arrangement tous les deux… » déclara-t-elle alors d’une voix remplie de mystère. « C’est vrai regarde… Tu t’es fait avoir. Moi aussi. On peut remettre les compteurs à zéro… ! » C’était osé et pathétique à la fois. Jamais, d’aussi loin qu’elle se souvienne, Kayla n’avait trouvé un argument qui la décevait autant. Mais elle n’avait malheureusement pas si faire mieux, et comme pour appuyer un peu plus ses dires, la jeune femme se permit d’attraper la ceinture qui tenait le pantalon d’Elijah. Une de ses mains étant toujours accrochée à son poignet, elle le maintenait cette fois près d’elle, le plus fermement possible, pour ne pas le laisser s’échapper tout de suite. Malgré tout, elle voulait le garder encore un peu, sans savoir si c’était pour ses beaux yeux, ou simplement pour lui arracher quelques informations supplémentaires.

Même si son attitude pouvait laisser penser qu’elle était à l’aise, le cerveau de Kayla carburait à pleine vitesse pour tenter de se sortir de cette situation sans trop de dégâts. Et pour le moment, l’arme la plus pertinente qu’elle avait trouvée était la séduction. Par expérience, elle savait que le jeune homme n’était pas tout à fait hermétique à son charme, puisque c’est de cette façon qu’elle l’avait eu la première fois. Mais elle était aussi bien consciente que cette fois, sa méfiance devait être décuplée et qu’il ne serait pas si facile de s’en sortir. Néanmoins, elle ne se dégonfla pas et attrapa fermement la ceinture d’Elijah pour le forcer à se coller à elle… ce qu’il fit bizarrement sans rechigner. Elle pouvait désormais sentir son souffle contre ses cheveux, et elle se surprit même à réprimer un léger frisson qui s’insinuait au creux de ses reins. Le sentir si près d’elle malgré le danger qu’il représentait, ça lui plaisait plus que ce qu’elle l’aurait imaginé. L’adrénaline, cette sensation que tout pouvait basculer et mal tourner à tout moment… c’était un sentiment qu’elle affectionnait.

Et pour l’instant, son audace avait l’air de payer. Ou plutôt, c’est ce qu’Elijah voulait lui faire croire car elle n’était pas dupe, et elle sentait bien qu’il se jouait d’elle autant que ce qu’elle avait pu le faire quelques semaines plus tôt. Mais après tout, c’était de bonne guerre. D’un air intéressé, il accepta son deal tout en lui laissant le choix de la manière dont elle voulait trouver un arrangement. Et cette petite liberté constituait à la fois une chance mais aussi un terrible piège dans lequel, elle le savait, il voulait l’attirer. Néanmoins, un sourire en coin se dessina sur ses lèvres et Kayla secoua la tête comme pour lui signifier qu’elle voyait très clair dans son petit jeu. Elle lâcha alors son poignet pour venir faire glisser sa main le long du torse d’Elijah dans un geste des plus langoureux. Puis, après un temps d’arrêt, elle leva les yeux vers lui. Il la dominait clairement et devait même se baisser pour la voir, mais elle avait toujours une main fermement agrippée à sa ceinture. A vrai dire, elle ne savait pas exactement dans quel but elle s’y tenait toujours, mais elle se disait aussi que ça pourrait lui servir selon comment les choses allaient tourner. Kayla adopta finalement cet air malicieux si caractéristique, et déclara : « Tu ne me suis pas… Je n’ai rien à te proposer puisqu’on est déjà quitte ! On s’est fait avoir tous les deux… comme des débutants… Je ne vois rien à ajouter. » Elle avait débuté les hostilités en le séduisant et, comme à son habitude, en lui dérobant l’argent qu’il gardait dans son portefeuille. Et lui, il l’avait retrouvée. Aux yeux de Kayla, c’était un juste retour des choses qui suffisait à remettre les compteurs à zéro. Elle connaissait sa véritable identité, il connaissait à eu près la sienne, alors ils étaient tous les deux sur un certain pied d’égalité. Au fond, elle savait bien qu’il voulait récupérer son argent, mais jamais elle ne s’abaisserait à rendre quelque chose qu’elle avait volé. Et puis de toute façon, cet argent était dépensé depuis bien longtemps ; il lui était tout bonnement impossible de rembourser quoi que ce soit. « Ecoute, si tu me dénonces à tes « clients », je pourrai en faire de même avec des gens qui se feraient un plaisir de te coffrer. Alors autant oublier toute cette histoire, tu ne crois pas ? » Pour se sortir de là, le fait d'aller jouer les pauvres petites malheureuses devant un cortège de policiers ne lui faisait pas peur, bien au contraire. Là encore, son charme pourrait l'aider et elle était quasiment certaine d'arriver à se faire passer pour la victime. Elle s’avançait sur un terrain glissant, mais le fait de connaître le véritable nom du jeune homme lui donnait une impression de toute-puissance qu’elle espérait bien exploiter jusqu’au bout.