ezra & charles ❝ panique à bord ❞

« Sutherland ! Debout ! ». Un grognement lui échappa tandis qu’il se réveillait. La vision encore floue, il chercha à tâtons son portable qu’il était persuadé d’avoir posé près de sa tête sur le lit et le retrouva finalement par terre. Une heure … ça faisait uniquement une petite heure qu’il somnolait dans la pièce. Sa garde de nuit n’avait rien de passionnante et c’était bien là ce qui le fatiguait le plus. Charles passa une main sur son visage pour tenter de se réveiller un peu plus et se donner des couleurs avant de poser les yeux vers la personne qui venait de le sortir de son sommeil en lui lançant un regard afin qu’il parle. « On a besoin de toute l’aide possible aux urgences. ». Le jeune homme fronça les sourcils, mais ce fut bien la seule explication à laquelle il eut le droit. Il prit tout de même quelques instants de plus pour enfiler sa blouse, attraper son biper et quitter la salle sans la moindre précipitation, du moins pas avant de voir tout l’agitation qui pouvait régner dans l’hôpital. Emporté par la frénésie qui régnait, Charles préféra dévaler les escaliers menant aux urgences plutôt que de se risquer à prendre l’ascenseur et une fois sur place le jeune homme resta bouche bée en voyant tous les brancards entrer avec de multiples blessés.

Prenant quelques secondes pour se ressaisir, Charles se lança au beau milieu de ce bordel sans nom à la limite apocalyptique et se décida à s’occuper de la première personne venue. « Alyssa Miller. 32 ans. AVP, voiture contre camion. On l’a perdu quelques minutes sur le chemin. Elle est stabilisée mais sa blessure à l’abdomen est inquiétante. ». Tandis que le brancard roulait en direction du bloc le plus proche, Charles souleva la couverture qui recouvrait la jeune femme et grimaça légèrement en voyant sa blessure, mais ce n’était pas une première. « Très bien, il me faut des poches d’O négatif aussi vite que possible, il faut qu’on nettoie la plaie et qu’on voit l’étendue des dégâts. ». Charles lança un regard à travers la pièce, mais personne ne semblait vouloir aller contre ses décisions alors qu’il était supposé n’être qu’un infirmier, mais tous savaient ce qu’il valait, au Lenox Hill comme sur le front. « Elle est enceinte ? Il y a un problème avec son enfant ? ». Tandis qu’une infirmière l’aidait à enfiler ses gants et sa blouse, Charles posa les yeux sur le jeune arrivant, les sourcils légèrement froncés. « Y a aucune femme enceinte, mais puisque tu es là, tu vas pouvoir te rendre utile alors vient m’aider à nettoyer sa plaie ! ». Il avait conscience d’être autoritaire, mais ce n’était pas le moment d’être gentil, pas alors qu’il savait pertinemment qu’une fois cette femme sauvée – si possible – il allait immédiatement passer à un autre patient.

L’hémorragie ne semblait pas vouloir s’arrêter, mais Charles ne perdait pas espoir. Il était habitué à ce genre de situation, c’était bien triste à dire même si le plus souvent il ne se trouvait pas dans un hôpital mais bien au milieu d’un chassé-croisé de coups de feu. Plus concentré que jamais sur sa tâche et bien aidé par le jeune homme qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, il s’appliqua à nettoyer la plaie le plus vite possible et s’empressa quasiment aussitôt de s’assurer qu’aucun des organes vitaux n’étaient touchés. « Et vous êtes? ». L’infirmier posa les yeux sur le jeune homme, mais ne prit pas le temps de lui répondre immédiatement, leur patiente était loin d’être sortie d’affaire, pas en ayant perdu autant de sang et pas alors qu’elle continuait d’en perdre sans que le jeune homme ne parvienne à trouver la source de cet afflux d’hémoglobine. « Elle est ici depuis combien de temps ? Vous avez déjà fait quoi ? ». Le jeune homme ne prit pas le temps de lever les yeux vers lui une nouvelle fois et continua de chercher la source de la blessure plus concentré que jamais. Il avait cette habitude de faire abstraction de tout ce qui l’entourait lorsqu’il travaillait, il laissait même de côté son altruisme naturel pour se focaliser autant que possible sur son travail ce qui ne lui était pas donné de faire tous les jours lorsqu’il ne dépendait pas de l’armée. « Charles Sutherland … Elle vient d’arriver des suites d’un carambolage à la sortie de la ville. Pour l’instant je n’ai pas fait grand-chose mais je peux vous dire que si on ne trouve pas vite la source de cette hémorragie, elle n’en a plus pour très longtemps. ». Il était conscient qu’il ne pouvait pas sauver tout le monde, mais ce n’était pas ce qu’il l’empêchait d’essayer de sauver le maximum de personne lorsqu’il en avait l’occasion. Finalement, l’infirmer leva brièvement les yeux vers le jeune homme face lui et s’efforça d’être un peu plus aimable. « Y a plus agréable comme scène dès le réveil, n’est-ce pas ? ». Tout comme lui quelques instants plus tôt, le jeune homme avait tout de la personne qui venait de se réveiller et Charles doutait que mettre ses mains dans une blessure béante et pleine de sang soit ce qu’il y avait de plus agréable au réveil.

« Je l’ai. Là c’est de là que vient l’hémorragie, passer moi un clamp qu’on la stoppe et qu’on voit ensuite par où commencer. ». Charles ne put cacher son soulagement lorsqu’il annonça le fait d’avoir enfin trouver la source l’hémorragie de cette pauvre jeune femme qui n’avait probablement pas demandé à finir sa journée sur une table d’opération à deux doigts d’une mort certaine. Mais bien qu’il fut ravi, il ne s’arrêta pas pour autant dans son travail et profita du fait que le médecin devant lui s’occupait de clamper la blessure pour s’assurer qu’il n’y en avait pas d’autres ailleurs et nettoya sa plaie pour y voir plus clair en aspirant de temps en temps le sang qui restait dans la plaie. A première vue il n’y avait pas d’autres dégâts, la blessure que le jeune homme face à lui avait su trouver semblait être la plus grave, toutefois Charles s’appliqua à vérifier une dernière fois que tout allait bien pour ne rien laisser passer, d’autant plus avec sa tendance perfectionniste au travail. « En effet, il y a mieux comme petit déjeuner mais on fait avec… On en voit des pires en pédiatrie ! ». Difficile de l’apercevoir à travers le masque qui lui barrait le visage, mais tandis qu’il levait les yeux vers lui, l’infirmier lui adressa un léger sourire qui se devinait uniquement aux plissements de ses yeux. Il ne doutait pas une seule seconde de ses dires, même s’il était habitué à sans doute bien pire que tout ce que les médecins du Lenox Hill pouvaient voir ici, mais ce n’était pas une compétition et ce encore moins à ses yeux.

« Et au fait, je suis désolé mais votre nom ne me dit rien, n’y voyez aucune prétention là-dedans, je ne connais pas tout le monde mais j’aime bien savoir à qui j’ai à faire quand je travaille avec quelqu’un sur un cas. ». Charles posa un regard suspicieux sur le jeune homme sans pour autant arrêter de travailler et sans arrêter de désinfecter la plaie de la jeune femme à présent qu’il était certain qu’elle ne courait plus aucun risque. « Je suis infirmier ici et médecin pour l’armée … Jenny il ne reste plus qu’à recoudre tu peux t’en occuper ? ». La jeune interne acquiesça d’un bref mouvement de tête et le rejoignit au même moment où un médecin poussait la porte battante entre deux blocs. « Charles j’ai besoin de toi de ce côté, j’ai une adolescente de seize ans qui s’enfonce. ». Le jeune homme acquiesça à son tour et fit face au jeune homme en s’apprêtant à le saluer poliment – malgré le fait qu’il n’avait pas aimé qu’il insiste vis-à-vis de son poste – lorsque le médecin refit son apparition. « Ezra pendant que t’es là, elle est enceinte on va avoir besoin de toi. ». Génial … ce fut sa première pensée, mais Charles ne prononça pas un seul mot tandis qu’il changeait de bloc, de blouse ainsi que de gants avant de rejoindre sa nouvelle patiente.

« Oh d’accord ! Vous avez donc dû voir des choses bien pires que ce cas et que ce que je peux voir en pédiatrie ! ». Charles acquiesça d’un bref mouvement de la tête. C’était le cas, mais c’était également le genre de chose dont il n’aimait pas parler, des images qu’il préférait garder pour lui même s’il était forcé de les confier à sa psychologue. Le pire ? C’était qu’il allait avoir de nouvelles images à ajouter dans son esprit et pourtant il ne parvenait pas à détester l’idée de repartir. Le jeune homme n’eut toutefois pas le temps de s’étaler plus longtemps sur le sujet – déjà qu’il ne le souhaitait pas – que le titulaire de pédiatrie, un homme qu’il appréciait, vint leur demander de l’aide. Les urgences étaient débordées, Charles n’eut besoin que d’un rapide coup d’œil hors du bloc pour le remarquer et s’il pouvait aider il le ferait. « Oh putain ! ». Cependant, l’image qui s’offrit à lui manqua de lui donner la nausée. L’image du médecin supérieur de son unité lui revint de plein fouet en tête, mais l’infirmier la chassa rapidement pour se focaliser sur la pauvre jeune femme devant lui.

« Charles vous vous occupez d’elle ? Il faut la stabiliser pour que je puisse sortir le bébé ! La carrosserie lui a presque détaché un bras mais il est encore vivant ! ». Sans prononcer le moindre mot, il alla près de la jeune femme pour voir ce qu’il pouvait faire pour la stabiliser. Malheureusement, l’accident l’avait plutôt bien amoché et il savait au fond de lui qu’elle était déjà morte, mais il fit de son mieux pour la stabiliser le temps pour Ezra de s’occuper du bébé. « Il va falloir faire vite, je vais pas pouvoir la maintenir longtemps et … merde elle s’enfonce ! ». Déjà autour de lui les autres médecins et infirmiers se reculèrent. Le seul moyen de s’assurer que le bébé reçoive toujours de l’oxygène afin de le sauver était de faire en sorte que le cœur de sa mère continu de battre et pour ça Charles n’eut d’autre moyen que de commencer un massage cardiaque. « Charles ? ». L’intéressé tourna la tête vers la porte battante de la sortie du bloc pour voir apparaitre l’une des infirmières qui se trouvait le plus souvent à l’accueil tout en continuant ses gestes. « J’ai pas le temps ! ». Ces mots suffirent à la jeune femme pour repartir directement d’où elle venait tandis que le regard de l’infirmier se posait sur le résident qui s’occupait de l’enfant. « Vous, vous en sortez ? ».

« Charles c'est bon je l'ai ! Occupez-vous d'elle, ce bébé a besoin de sa mère ! ». Charles leva les yeux vers Ezra qui s’éloignait déjà avec le bébé de cette pauvre femme sur qui il s’acharnait pour tenter un tant soit peu de faire battre son cœur. Son regard se posa d’ailleurs sur cette dernière et malgré le fait qu’il savait qu’elle n’avait plus aucune chance de revenir dans le monde des vivants, l’infirmier s’acharna sur son massage cardiaque presque dans l’attente d’un miracle. Malheureusement, ce dernier ne venait pas et il savait qu’il pouvait continuer ainsi longtemps sans pour autant lui sauver la vie. Un soupire lui échappa alors tandis qu’il s’éloignait de la pauvre patiente et ses yeux se portèrent sur l’horloge du bloc. « Heure du décès … 01h18. ». Le jeune homme ôta ses gants plein de sang ainsi que son masque et quitta les blocs en passant une main dans ces cheveux bruns pour rejoindre l’infirmière qui était venue le chercher, mais ce fut sur Henry qu’il tomba. Sourcils froncés il regarda son aîné qu’il voyait pleurer pour la première et immédiatement il senti son estomac se retourner. « Elle est où ? ». Bras croisés, une main sur sa bouche pour tenter de se calmer, son frère lui désigna un des blocs des urgences et Charles ne prit pas même le temps de prononcer autre chose que déjà il courait dans la direction indiquée par Henry.

Une nausée s’empara de lui lorsqu’il vit sa belle-sœur à sept mois de grossesse allongée sur la table. « Qu'est-ce qu'on a Charles ? Pourquoi vous faites cette tête ? ». Le jeune homme regarda brièvement le jeune résident qui venait d’entrer sans pour autant être capable de dire quoi que ce soit. La scène qui se déroulait sous ses yeux l’empêchait de réfléchir correctement et pourtant il savait qu’il devait se reprendre et si ce n’était pas pour lui, il fallait qu’il le fasse pour son frère et sa belle-sœur. L’infirmier serra les poings et ferma les yeux l’espace de quelques secondes et s’empressa d’enfiler de nouveaux gants, un nouveau masque et rejoignit les médecins apparemment soulagés de voir de l’aide arriver et fit signe à Ezra de venir. « Allison Sutherland … Elle en est à son septième mois de grossesse. Le bébé a pris un choc au cours de l’accident et on attendait quelqu’un pour ôter le morceau de verre dans son épaule. ». Charles dû serrer la mâchoire lorsqu’on leur fit rapidement le tour des blessures de la jeune femme qu’il connaissait si bien. Son regard se posa alors sur Ezra. « Vous vous chargez du bébé … ». Ce n’était pas une question, mais bien un ordre et aussitôt l’infirmier se mit au travail commençant tout d’abord par ôter le verre de l’épaule de sa belle-sœur en espérant qu’il n’avait pas fait de dégâts.

La pression n’était pas une nouveauté pour lui, c’était même ce qui lui permettait de travailler le mieux, même si sans pression il s’en sortait tout aussi bien. Seulement, cette fois elle était tout à fait différente. Ce n’était pas n’importe qui sur cette table d’opération et dans ce bloc. Il savait d’ailleurs qu’il aurait dû sortir de là et aller se trouver un autre bloc, elle était de sa famille et être objectif allait être difficile voire même impossible, mais il n’avait pu se résoudre à l’idée de ne rien faire. Il savait que son frère voulait qu’il soit en charge d’Allison – bien que ça ne soit pas à lui de décider – et Charles ne comptait pas le décevoir tout comme il ne comptait pas lui annoncer le décès de sa femme ou de leur enfant. Elle était la mère de ses nièces et celle de son futur neveu, la laisser partir n’était pas même envisageable. « Charles... C'est votre sœur ? Vous ne pouvez pas... ». Son regard bleu se posa sur le jeune homme face à lui, mais il ne prit pas le temps de lui répondre et se concentra immédiatement sur le cas de sa belle-sœur en aidant l’autre médecin qui était avec eux. « Sa blessure à l'épaule est la seule blessure vraiment importante ? Elle est stable depuis combien de temps ? ». A première vue sa blessure à l’épaule était bien la seule qu’elle avait, mais c’était surtout la plus visible et Charles devait s’attendre à tout.

Ce fut donc avec une extrême délicatesse qu’il ôta le morceau de verre logé dans son épaule et ce geste effectué les machines commencèrent à s’affoler et l’infirmier avec. Pourtant il ne prononça pas la moindre parole et se contenta de rechercher la source de cet afflux de sang qui forçait sa belle-sœur à s’enfoncer. « Charles, il faut qu'elle remonte bordel, où je vais devoir sortir le bébé ! C'est trop tôt ! ». Sa mâchoire se crispa tandis qu’il posait les yeux sur Ezra, mais il préféra ne prononcer aucune parole se connaissant bien trop pour savoir que sous la pression il risquait d’être plus désagréable que jamais. Alors, le jeune homme continua sa recherche et trouva la source, un muscle qui s’était salement déchiré lorsqu’il avait ôté le verre et cette trouvaille permis à l’infirmier de stabiliser sa belle-sœur juste avant de jeter un coup d’œil à l’un des médecins qui prit le temps de répondre à Ezra. « Elle aura quelques hématomes, mais c’était la seule, oui. ». Rassuré, Charles laissa échapper un soupir de soulagement en reculant de quelques pas avant d’ôter son masque et ses gants. « C’est ma belle-sœur … je dois aller voir mon frère. ». Sur ces mots, il quitta le bloc et ne tarda pas à retrouver Henry qui une fois la nouvelle annoncée s’effondra dans les bras de son cadet avant d’être accompagné par une infirmière auprès de sa femme. Trop d’émotions pour une seule nuit … un avant-goût de ce à quoi il allait devoir faire face en Afghanistan, mais au moins tous les blessés étaient pris en charge et le jeune homme en profita alors pour sortir du Lenox Hill et se calmer dans la fraîcheur de la nuit.

Charles avait beau aimer son métier et l’idée de sauver des vies, par moment il en venait tout de même à se demander pour quelles raisons il pouvait être aussi sadique avec lui-même. Côtoyer la mort de si près, s’occuper de malades qui parfois n‘avaient aucune chance de s’en sortir, tout ça était beaucoup et pourtant il continuer d’être passionné par ce qu’il faisait. Sauver des vies était une chose très importante à ses yeux, c’était ce pour quoi il avait prêté serment lorsqu’il avait entamé ses études de médecine et c’était un serment qu’il ne comptait pas violer de sitôt. Toutefois, des soirées comme celles-ci il devait bien avouer que c’était éprouvant et si le jeune homme n’avait pas tellement dormi depuis le début de sa garde de nuit, cette crise aux urgences l’avait totalement vidé de son énergie et il savait qu’une fois son petit tour à l’extérieur fait il allait s’effondrer en salle de repos. L’air lui fit le plus grand bien et Charles alla se laisser tomber sur le banc le plus proche. Sa tête tomba en arrière et ses paupières se fermèrent d’elles-mêmes comme si ces dernières tenaient absolument à ce qu’il s’endorme sur ce banc alors que lui savait que ça n’était pas prêt d’arriver.

La panique qu’il avait lue dans le regard de son frère aîné, voir sa belle-sœur dans ce bloc et voir Henry pleurer lui avait donné un sacré coup sur la tête et le jeune homme avait encore bien du mal à s’en remettre. Aussi loin que remontait sa mémoire, Charles n’avait pas souvenir d’avoir vu son frère pleurer de la sorte, pas même à l’enterrement de leur petite sœur où il savait qu’il avait été fort pour leur mère, alors forcément le choc se dissipait difficilement. « Dure soirée pas vrai ? ». L’infirmier se redressa et tourna la tête en direction de l’endroit d’où provenait la voix qui s’adressait à lui. Ses yeux se posèrent sur Ezra et Charles pouffa nerveusement avant de détourner le regard droit devant lui. « Et ne vous inquiétez pas, je surveille particulièrement votre belle-sœur, votre neveu va bien et il va rester au chaud encore un long moment. ». Son regard bleu se posa de nouveau sur le résident à ses côtés et Charles se contenta d’abord d’un mouvement de la tête en guise de réponse avant de finalement opter pour la parole. « Merci … Et désolé pour la manière dont j’ai pu vous traiter tout à l’heure, sous la pression j’ai tendance à vite devenir autoritaire et parfois désagréable. ». Ce qui était extrêmement rare lorsqu’on le connaissait bien. Charles était plutôt le genre d’homme altruiste, attentif et patient, mais ce soir avec la fatigue et la pression il en avait été bien loin.

Souffler lui fit le plus grand bien et l'air frais de la nuit qui venait lui mordre la peau lui permettait de faire disparaitre petit à petit ce trop plein d'émotions qui l'avait envahi ce soir. Charles ne pouvait pas dire être habitué à ce genre de situation. Ce n'était peut-être pas la première fois que les urgences du Lenox Hill avaient besoin d'autant de personnel ou qu'il voyait des horreurs, mais l'écossais n'y était pas habitué simplement parce qu'il était impossible de s'y faire. L'infirmier savait que le jour où il commencerait à penser l'inverse il sera temps pour lui de rendre son tablier et de prendre sa retraite car s'habituer à la mort signifiait avoir totalement perdu son altruisme et ça il le refusait. Assis sur l'un des bancs extérieurs près des urgences, le jeune homme contempla un long moment le ciel sombre au-dessus de lui jusqu'à être rejoint par Ezra. Ce jeune résident l'avait impressionné malgré la froideur dont Charles avait pu faire preuve avec lui et ce bien malgré lui. Il avait peut-être paniqué dans les débuts, mais il s'en était parfaitement sorti sans se laisser envahir par la crainte de mal faire quoi que ce soit, ce qui aurait probablement été catastrophique étant donné l'urgence qui les avait pressés.

« C’est pas grave, ne vous inquiètes pas, enfin ne t’inquiètes pas si tu permets qu’on se tutoie même si on n’a pas gardé les cochons ensemble ! Tu as pris les bonnes décisions ce soir, il fallait rétablir l’ordre et que quelqu’un prenne la tête des opérations, avec ton expérience tu étais la seule personne à pouvoir le faire ! J’ai été vraiment content de faire ta connaissance et travailler avec toi ce soir, j’ai beaucoup appris en peu de temps en te regardant ! ». Un sourire amusé étira les lèvres de l'écossais tandis qu'il pouffait. Rire un peu n'allait pas leur faire de mal et il appréciait la pointe d'humour dans les paroles d'Ezra, de quoi détendre l'atmosphère. « Va pour le tutoiement. », dit-il en opinant du chef tout en s'enfonçant un peu plus contre le dossier du banc sur lequel ils avaient pris place. « Je te retourne le compliment. C'est rare de voir un résident en pédiatrie faire preuve d'autant de sang-froid, la plupart se mettent à paniquer d'un coup ... enfin de ceux que j'ai pu rencontrer, je doute que vous soyez tous comme ça. ». Et surtout, Charles n'était pas le genre d'homme à juger sans connaître. Néanmoins, puisque ce n'était pas la première fois que les médecins de garde étaient demandés en renfort aux urgences, le jeune homme avait vraiment pu voir quelques résidents en pédiatrie à l'œuvre et plus d'une fois il avait eu peur pour les patients, mais Ezra ne rentrait pas dans cette catégorie et l'écossais voyait ça comme un plus pour lui. « Puisqu'on en est rendu à se tutoyer, boire un café au Starbuck du coin ça t'intéresse ? J'invite et ça nous permettra de décompresser un peu. ». D'autant plus qu'il éprouvait le besoin de s'éloigner quelques minutes de l'hôpital pour ôter de son esprit l'image de son frère et de sa belle-sœur qui tournait en boucle dans sa tête.

Il était étrange de voir comme l’extérieur du Lenox Hill pouvait être calme comparé à ce qu’ils venaient de vivre. C’était monnaie courante aux urgences, Charles en avait bien conscience, toutefois il avait tout de même la sensation qu’entre les murs de l’hôpital et l’extérieur de ce dernier il s’agissait de deux mondes complètement différents dont un qui le fatiguait bien plus vite que l’autre. Néanmoins, ils avaient fait un bon travail ce soir, peut-être même excellent mais l’écossais devait bien avouer que les urgences de l’hôpital avait déjà connu pire bien que pour lui voir sa belle-sœur blessée et en danger était pire que tout. « En pédiatrie on a toujours le stress, je ne dirais pas plus qu’ailleurs mais on travaille sur des choses plus petites alors on a plus peur de faire une bêtise à chaque instant mais justement pour ne pas en faire il faut rester zen… Mais je ne pense pas que je serais resté aussi zen ce soir si tu n’avais pas été là ! En me levant, la tête dans le brouillard, je pense que face à tout cela j’aurais paniqué si on ne m’avait pas recadré de suite comme tu l’as fait ! ». Attentif aux paroles d’Ezra, Charles lui adressa un léger sourire. Effectivement, il avait dû avoir la malchance de tomber sur les plus mauvais résidents et internes en pédiatrie s’il suivait la logique des paroles de l’américain à ses côtés. S’occuper d’être aussi fragiles que des enfants devaient mettre pas mal de pression sur les épaules des médecins comme son voisin. Ils étaient plus fragiles et parfois moins résistants que les adultes et l’écossais saisissait parfaitement le fait qu’un métier comme celui-ci devait être pas mal oppressant.

« En fait, je pense que dans chaque service il y a une part assez importante de stress … on n’a pas choisi le métier le plus reposant. » affirma-t-il en pouffant légèrement. Même s’il arrivait que le jeune homme n’ait pas une minute à lui, jamais il n’en venait à regretter son choix qui remontait au jour où il avait perdu sa petite sœur et qu’il s’était promis d’essayer de sauver autant de vie que possible plus tard. « Un café ne serait pas de refus, d’autant plus que le Starbuck est tout près, si il y a le moindre problème je pourrais rapidement revenir ! ». Opinant du chef, Charles se leva du banc sur lequel ils étaient assis et attendit qu’Ezra en fasse de même avant de prendre la direction du Starbuck où l’attendait déjà son café qui le faisait rêver tant il pouvait sentir l’épuisement revenir en lui lentement. « En tout cas autant te dire que j’espère qu’on aura l’occasion de retravailler ensemble et cette fois-là c’est moi qui te payerait le café ! ». Quelque peu amusé et son sourire toujours aux lèvres, les deux jeunes arrivèrent assez vite à l’enseigne de leur choix et la main posée sur la porte du Starbuck, Charles fit face à Ezra afin de lui répondre. « Entendu, mais j’ai une excellente mémoire, je ne risque pas d’oublier. » dit-il visiblement amusé avant d’entrer une bonne fois pour toute dans le café et d’aller commander son Mocha. Une fois le tout payé, le jeune homme balaya l’endroit quelque peu désert du regard et trouva sans mal une table vide un peu plus loin autour de laquelle il prit place en posant ensuite les yeux sur Ezra. « Et sinon … ça fait longtemps que tu es à New York ? ». Quitte à faire connaissance autant continuer sur cette voix. Il laissait sa curiosité parler pour lui tout en sachant que le concernant, le fait qu’il ne soit pas américain s’entendait à son accent et à sa tendance à rouler les « r » comme un parfait écossais.

« Tant mieux ! ». Un léger sourire étira à nouveau les lèvres de l’Écossais qui gardait ses mains bien contre le gobelet de son mocha. Il ne faisait pas spécialement froid en cette soirée mais Charles avait toujours apprécié la chaleur bien que ça ne soit pas vraiment quelque chose d’habituel dans son pays natal. Néanmoins, puisqu’il vivait depuis un petit moment aux États-Unis le jeune homme avait eu le temps de s’habituer à ce climat bien plus clément que celui auquel il avait eu le droit à Inverness, non pas qu’il s’en plaignait, il aimait son pays natal. « J’ai toujours vécu à New York, je n’ai jamais vu une autre ville ! Et toi tu es originaire d’ici ? ». L’infirmier secoua doucement la tête d’avant en arrière sans se détacher de sa boisson qu’il amena rapidement à ses lèvres. Ainsi, Ezra était de la ville et n’avait jamais voyagé, du point de vue l’Écossais c’était un peu triste comme aveu néanmoins le jeune homme face lui était jeune et avait encore tout le temps de voyager et de vivre – peut-être – quelque temps loin de New York. Son mocha reposé sur la table devant laquelle ils étaient assis, pour commencer à répondre à la question du résident en pédiatrie il agita la tête de gauche à droite. « Je suis écossais, ce qui s’entend souvent dans mon accent. » Affirma-t-il avec un petit sourire. C’était un détail que ses collègues se plaisaient à remarquer assez régulièrement, mais Charles aimait bien trop ses origines pour tenter de prendre l’accent américain. « J’y ai vécu pas mal d’années et j’ai fais une partie de mes études à Londres. J’ai ensuite emménagé à Seattle puis à New York … et il y aussi l’Afghanistan et l’Irak mais c’est bien moins joyeux. ». C’était le cas de le dire bien qu’il ne laissa rien voir à travers son regard ou les traits de son visage, il ne voulait tout simplement pas s’étaler sur le sujet. « Bon je suis curieux alors je vais probablement continuer de te poser des questions, mais si ça te dérange dis-le moi. » Préféra-t-il anticiper avant qu’il ne mette involontairement le jeune homme mal à l’aise. La curiosité était probablement un vilain défaut, mais dans le cas de l’Écossais c’était surtout pour faire connaissance, rien de plus.

Charles faisait rarement connaissance avec les internes et les résidents qui n’appartenaient pas au service auquel il était rattaché. Ce n’était pas par manque d’intérêt pour eux, mais bien par manque de temps. Même s’il n’était qu’un simple infirmer aux yeux de beaucoup d’entre eux, il y avait bien des choses qu’il avait à faire en plus des allers et retours dans les couloirs du service de traumatologie. Comme la plupart, il avait une vie à mener, des personnes dont il devait s’occuper en dehors de son travail et l’Écossais s’efforçait de jongler avec tout ça sans trouver le temps d’aller réellement vers les autres. Pourtant, altruiste et sociable comme il était, ce n’était pas ce qu’il lui posait de problème d’ordinaire si bien qu’il ne pouvait qu’apprécier le fait de pouvoir faire ce pour quoi il était doué en discutant avec Ezra, entre collègues.

« C’est génial d’avoir voyagé comme ça tu as pu en profiter, même si dire de profiter en tant de guerre ce n’est pas très approprié, enfin je pense que tu comprends ce que je veux dire ! Ca te fait pas mal de connaissance et puis de l’aplomb et de l’expérience ! Je suis admiratif je dois dire il faut avoir le courage de se lancer dans ce genre de truc ! Moi je pense que je me contenterais de voyager plus tard pour découvrir des pays touristiquement ! ». Les mains autour de son café, Charles porta ce dernier à ses lèvres pour en boire une longue gorgée tout en écoutant l’Américain face à lui. Il ne pouvait pas nier le fait qu’il était chanceux d’avoir autant voyagé, après tout ça lui avait permis d’apprendre bien plus de choses. Toutefois, le front – même si l’armée était aussi une passion à ses yeux – était une expérience qu’il aurait parfois préféré oublier comme lors de son dernier déploiement en Afghanistan où il avait vu son supérieur mourir sous ses yeux, une image sans doute gravée à jamais dans son esprit. « C’est peut-être pas plus mal. ». Non pas qu’il croyait Ezra incapable de s’en sortir au front, mais c’était uniquement parce que l’infirmier savait combien ce genre d’expérience pouvait être traumatisante et si les autres pouvaient y échapper Charles considérait que ce n’était pas plus mal comme ça.

Bien qu’être militaire soit une fierté, il faisait tout de même partie de ces personnes qui auraient préféré que les conflits cessent une bonne fois pour toute et que le monde soit en paix, une pensée totalement utopiste ce qu’il trouvait bien triste. « Tu peux continuer de poser des questions ça ne me dérange pas ! Je que très peu de secret à cacher alors je devrais avoir de quoi te répondre ! Mais d’abord à moi ! Je ne sais pas si tu as une vie de famille mais si c’est le cas, ce n’est pas trop dur d’associer voyage et famille ? ». Cette fois, un léger sourire étira les lèvres du jeune homme qui acquiesça d’un bref mouvement de la tête, ravi que le résident devant lui accepte ce jeu de questions et réponses qui était le meilleur moyen de faire rapidement connaissance autour d’un café. « Hm … jusqu’à il y a un an je n’avais pas vraiment de famille et puisque mon dernier déploiement remonte à deux ans je ne peux pas vraiment te dire. Enfin … l’idée du départ reste une angoisse, pour moi comme pour mon entourage, il y a toujours un risque de non-retour. » Avoua-t-il dans une grimace. « Tu as un ou des enfants je suppose pour me poser cette question ? ».