La nuit précédente m’avait parue plus difficile que jamais, alors que j’étais restée dans l’ombre, ma perruque blonde retombant distraitement sur mes traits, un type insipide ayant déjà un degré d’alcoolémie plus haut que la limite autorisé qui avait son regard braqué dans mon décolleté tandis qu’il me parlait. J’avais suivi Zacchariah jusqu’à cette boîte, le Pacha, pour vérifier qu’il n’était lui-même pas suivi, que je pourrais prochainement l’approcher, et je n’étais pas parvenue à l’abandonner, comme si j’avais cette crainte tenace qu’il ait fini par me remplacer, même si les bimbos qui trônaient à ces côtés ressemblaient bien plus à des potiches juste bonnes à s’allonger, incapable de tenir une véritable conversation, ou de parvenir à lui arracher un vrai rire comme j’en avais connu… Dieu qu’il pouvait me manquer, ses bras, sa chaleur, sa présence… cela faisait près de deux ans et je me languissais toujours de l’homme pour lequel j’avais par deux fois tout sacrifié. La première parce qu’il avait été le coup de foudre pour lequel j’avais envoyé valsé les trucs en toc, les cages… comme dirait Ruiz. La seconde lorsque j’avais découvert être le fil d’Ariane qui le ferait capturer, alors pour le protéger, j’avais agi sous le coup d’une impulsivité et fait exploser un centre commercial, arrachant la vie à d’innocentes personnes au passage.
En soit, j’aurais dû choisir une autre manière de maquiller ma mort, mais ce qui était fait ne pouvait plus être effacé, les ardoises n’existaient que dans l’imaginaire théorique des bancs d’école que j’avais quitté depuis bien longtemps. Ainsi, j’avais à mon tour pénétré à l’intérieur par un léger tour de passe-passe en m’accrochant au bras d’un homme qui visiblement allait passer le cordon de sécurité sans faire la queue lui aussi, mon corps de blonde se lovant adroitement contre le sien… Jusqu’à finir par disparaître une fois à l’intérieur, telle une gamine capricieuse qui avait subitement trouvé meilleur parti pour la soirée ou la nuit, ou demoiselle opportuniste comme ma mère avait pu l’être autrefois. Disons que j’avais toujours été débrouillarde, capable de briser les chaînes et les difficultés grâce aux ressources que je pouvais posséder.
A présent, la musique laissait les corps onduler sur la piste sur laquelle je m’étais égarée le temps de repérer à nouveau Zacch… dans le coin VIP et de finir par aller m’asseoir dans un recoin du bar qui me laissait une vue imprenable sur l’arrière salle, un verre à mes côtés que je faisais glisser entre mes doigts manucurés… mais ce que j’avais entrevu par la suite était Rose… Rose et l’homme que j’aimais qui la rejoignait sur cette piste comme s’il se connaissait d’une manière qui me laissa subitement avoir une gorge sèche. M’avait-il remplacée par celle qui avait été durant quelques années mon amie, et que j’avais retrouvée un matin au café où je travaillais ?
FLASHBACK
« Ey Bunny ! » se crut malin de m’interpeler l’un de mes nouveaux collègues avec lequel je m’entendais finalement plutôt bien, ayant développé une relation de franche camaraderie, comme un frère et une sœur, après qu’il ait compris qu’il n’avait véritablement aucune chance de me ramener un de ces soirs chez lui, même s’il ne se gênait pas pour s’extasier sur mes fesses. « Hey Lapin Crétin ! » Bien sûr, nous ne nous connaissions pas assez pour parler d’amitié, ni même de confiance, et au fond, notre relation, qu’elle puisse être négative ou positive ne serait jamais fardée que du plus gros mensonge de mon existence… ce faux nom qui était le mien, cette fausse histoire que je connaissais par cœur, cette autre vie qui était aujourd’hui la mienne. J’avais l’habitude de mentir à longueur de temps, d’inventer certains détails pour rendre la vie de Lola, de Juliet, de Maria, … et à présent d’Ebony plus crédible. J’étais elles sans l’être, elles étaient moi sans vraiment exister. Le seul point commun qui était leur n’était autre que mon visage, quand tout mon être criait dans le silence opiniâtre de mes pensées.
Enfin, là n’était pas vraiment la question, puisque j’étais Ebony depuis que j’avais mis les pieds à New York, serveuse venue chercher une autre vie dans cette grosse pomme bien juteuse. Et ce fut d’un sourire amusée aux lèvres que je terminais d’attacher mon tablier avant de m’introduire en salle, et de retourner le panneau dans le sens où CLOSED me regardait, invitant les éventuels clients à entrer. C’était ma seconde semaine en ville, et la première fois où j’étais du matin. Petit à petit, le café se remplissait… passant derrière le comptoir ou bien dans la salle elle-même… se désemplissait. Prendre une commande, puis aller faire un café, un chocolat ou bien un moka, c’était mon quotidien, et avec le sourire je vous en prie. Néanmoins, après que j’eus servi un énième client, je revins rapidement au comptoir pour répondre à la commande d’une jolie blonde qui y attendait. Mais lorsque je levai enfin les yeux sur elle, j’eus ce prodigieux réflexe de sourire en me disant mentalement… et merde.
« Vous désirez ? »
Et alors que le souvenir de nos retrouvailles m'était revenu, j'étais restée, ou plutôt je m'étais contrainte à ne pas réagir, à ne pas me rendre auprès d'eux et crier cette frustration qui m'avait oppressée, alors que je les avais vu repartir ensemble. Mes doigts s'étaient crispé sur ce verre que j'avais vidé avant d’aller marcher dans la solitude malsaine des rues voisines du Pacha, et de finir par prendre un taxi pour rentrer chez moi.
Ainsi, aujourd’hui… au lieu de profiter de mon temps libre, j’attendais devant l’école de danse dont Rose m’avait parlé, adossée contre le mur, comme si j’écoutais de la musique, mais en réalité je scrutais la porte par laquelle je savais qu’elle allait finir par sortir. Et lorsque je la vis enfin, je m’approchai rapidement…
« Rose ? » demandais-je pour l’inciter à me regarder et à se diriger vers moi alors que je me rapprochais de ces mêmes marches. Et une fois à portée de voix sans que je n'eusse à la hausser sous peine d'attirer trop l'attention, ma question ne fut rien d’autre qu’un…
« C’est sérieux avec Clyde ? » … d’un timbre qui n’avait pas l’air indifférent, bien au contraire. Je ne savais même pas comment je n’étais pas intervenue la vieille, comment j’étais parvenue à mariner toute une nuit avec ces questions qui me dévoraient littéralement de l’intérieur.