Au fin fond des cuisines du petit restaurant dans lequel il travaillait, Trevor s’affairait à nettoyer les plats et les assiettes que l’on voulait bien lui faire passer. Certes, son métier n’avait rien de très reluisant. Même en travaillant dans un restaurant, il lui était assez rare de toucher à la préparation des commandes. Son poste à lui, c’était la plonge. Mais pour le moment, l’italien ne se plaignait pas. Cela lui permettait de rester à l’abri, loin des regards et des clients qui auraient pu constituer une menace potentielle pour lui. Depuis qu’il était arrivé à New-York, Trevor se méfiait de tout et de tout le monde. C’était presque une question de survie pour lui puisqu’une seule mauvaise rencontre pouvait très, très mal tourner pour lui. Il le savait, et ne tenait pas particulièrement à ce qu’on lui fasse la peau sur son lieu de travail. En tant que commis de cuisine, le jeune homme ne gagnait pas une fortune, et il vivait dans des conditions totalement différentes de celles qu’il avait pu connaître à Milan. Mais sans aucun doute, Trevor préférait cette nouvelle vie. Ici, il tait loin des siens, loin de son pays, mais aussi loin de son passé et de tous ceux qui l’avaient rendu si douloureux. Alors si on lui avait demandé de choisir, l’italien aurait définitivement opté pour sa vie new-yorkaise. De plus, rien ne semblait lui être interdit ici, et il avait bon espoir de pouvoir un jour grimper les échelons afin de devenir, pourquoi pas, un véritable chef cuisinier.

Le jeune homme s’affairait donc à faire reluire les dernières assiettes du service du soir lorsqu’il sentit quelqu’un fondre sur lui. Sans même avoir le temps de se retourner ni de voir de qui il s’agissait, Trevor reçut une bise sur la joue. Et le son de la voix qui l’accompagna fit naitre un sourire au coin des lèvres du jeune homme. « Chouuu… j’ai faim !! Blodwyn. Il ne pouvait s’agir que de Blodwyn. Elle avait ses petites habitudes ici, et pour cause : la jeune femme avait travaillé dans ce même restaurant pendant quelques temps, et c’est d’ailleurs pour cette raison que Trevor la connaissait si bien. « Pas si fort ! » s’écria alors Trevor, soucieux de ne pas être entendu par son patron. L’homme n’était pas tyrannique, mais il n’était pas non plus le plus chaleureux des patrons. Alors pour éviter toute embrouille inutile, l’italien préférait rester discret. « T’arrives un peu tard… » avoua-t-il en essuyant une des dernières assiettes qui étaient empilées en face de lui. « Mais moi aussi je meurs de faim, j’espère qu’on va pouvoir se trouver un truc ! » En finissant sa phrase, Trevor reposa définitivement le torchon qu’il avait en main, puis se tourna enfin vers Blodwyn pour l’étreindre amicalement.

En vérifiant d’un regard circulaire que son patron n’était pas dans les parages, le jeune homme s’approcha des fourneaux pour tenter d’y dégoter quelques fonds de casseroles inexploités qui pourraient leur constituer un dîner. Ce faisant, il demanda : « Comment tu vas ? Ca fait longtemps qu’on ne t’avait pas vue ici ! »

Même si son arrivée avait été quelque peu fracassante, Trevor était heureux de voir son amie. A vrai dire, depuis qu’elle avait quitté son petit boulot dans le même restaurant que lui, il n’avait jamais retrouvé une collègue comme elle. En fait, elle était tout ce qu’il recherchait chez une amie : joyeuse, enjouée, drôle, mais aussi et surtout indifférente au mystère qu’il dégageait. Elle le connaissait depuis assez longtemps pour avoir remarqué son comportement, sa constante méfiance et pourtant, elle ne lui avait jamais posé de question. D’aussi loin qu’il se souvienne, Blodwyn n’avait jamais cherché à savoir ce qui le tracassait, ni même ce qui avait fait que son passé était aussi lourd à porter. Et Trevor avouait volontiers que c’était cette particularité qui avait fait qu’il s’était rapidement prit d’affection pour elle. Bien sûr, l’italien restait sur ses gardes et tâchait de ne pas trop se montrer en sa présence à l’extérieur. Il ne faisait pas cela par choix mais plus pour la sécurité de Blodwyn. Lui-même se savait en danger permanent, et s’il y avait bien une chose qu’il souhaitait éviter, c’était d’entrainer ses proches dans sa chute. Alors il s’évertuait à rester discret, en espérant pouvoir échapper aux griffes de ceux qui le recherchaient.

« Je suis sûre que tu vas réussir à nous faire un repas gastronomique mais si tu pouvais éviter les plats épicés je t’en serais reconnaissante. Je t’ai parlé de ma meilleure amie Summer ? Et bien figure toi qu’elle s’est mise en tête d’apprendre la cuisine mexicaine et depuis, je ne mange presque que de ça. » Trevor lança un regard mi-compatissant mi-amusé à la jeune femme en se mettant à la recherche de quelques restes comestibles. En attendant, Blodwyn s’installa sur le plan de travail voisin. Alors que le jeune homme commençait à rassemblait tout ce qu’il trouvait et qui pourrait s’associer convenablement, son amie lui fit part des dernières nouvelles concernant ses petits boulots. A ce propos, Trevor devait bien avouer qu’il était admiratif. La jeune femme était capable d’enchainer des journées plus qu’éreintantes sans jamais perdre sa bonne humeur et à ses yeux, cela constituait un véritable tour de force. « Je sais pas comment tu fais… J’espère que tu finiras par trouver un job qui te convient ! » avoua-t-il tout en s’affairant à leur préparer une assiette chacun. La jeune femme ne manqua d’ailleurs pas de lui demander si l’optique de devenir cuisinier commençait enfin à l’emballer… ou pas. Un petit sourire se dessina alors sur le visage de Trevor qui secoua la tête en répondant : « Non, toujours pas ! Le patron ne cherche pas de cuistot en ce moment, et puis… j’ai pas envie de me mettre à chercher du boulot… enfin, tu vois quoi. » conclu-t-il en haussant les épaules. Il s’accorda encore quelques secondes pour dresser ses assiettes, et en tendit ensuite une vers Blodwyn en grimaçant un peu. « Il faudra se contenter de ça ! » Une sorte de salade composée, digne d’un pique-nique quelque peu amélioré… c’était tout ce qu’il avait trouvé en cette fin de service. Trevor s’appuya alors contre le mur le plus proche et commença à manger avant de reprendre : « Alors comme ça tu es videuse ?! Où ça ? Tu veux dire que… tu fais le job de ces gros bras qui sont tout le temps à l’entrée des boîtes de nuit ? » déclara-t-il en posant sur elle un regard faussement moqueur.

A la base, Trevor était loin d’être un grand cuisinier. Plus habitué aux petits plats de sa mère, il n’avait jamais vraiment eu à se mettre aux fourneaux. Mais en grandissant, et surtout en débarquant à New-York, le jeune homme avait bien été obligé de se prendre en main. Alors il s’y était mis, tant bien que mal… Et le fait de côtoyer à longueur de temps les cuisines d’une restaurant, aussi médiocre soit-il, avait suffi à le fait progresser à la vitesse grand V. Aujourd’hui, l’italien devait bien avouer qu’il ne se débrouillait pas si mal, sans pour autant vouloir à tout prix faire de ce semblant de talent une véritable vocation. A l’heure actuelle, il avait bien d’autres problèmes à régler mais ça, peu de gens le savaient vraiment. Il fut néanmoins satisfait de la réaction que Blodwyn arbora en goutant à la salade improvisée qu’il lui avait préparée. Il la gouta à son tour et après avoir froncé les sourcils quelques instants, d’un air des plus critiques, Trevor avait finalement affiché un petit sourire avant de continuer sa dégustation. « C’est ça fiche-toi de moi ! Sachez monsieur, que je suis ceinture noire de karaté et ouais.. Ça t’en bouche un coin hein ? » lança alors la jeune femme lorsqu’elle capta le ton moqueur qu’avait emprunté Trevor pour parler de son nouveau job. Immédiatement, l’italien afficha une grimace qui se voulait faussement effrayée, sans pour autant quitter son petit sourire en coin. Il laissa alors Blodwyn lui expliquer plus en détails en quoi consistait son boulot, puis hocha finalement la tête bien plus sérieusement. « Tant mieux ! Je veux dire… si tu ne risques rien, que le boulot n’est pas trop dur et qu’en plus il te permet de gagner de l’argent… que demander de plus ?! » déclara-t-il sans pouvoir vraiment se détacher de cette tendance protectrice qu’il avait avec elle.

Mais alors qu’il continuait à manger tranquillement, Blodwyn ne tarda pas à reprendre la parole, dans un discours bien plus long cette fois. Au fur et à mesure qu’elle lui exposait son problème, Trevor se fit plus attentif. Même si elle lui parlait d’un membre de sa famille, la seule chose qu’il avait retenue était que ce gars-là avait trempé dans des histoires de drogue. Lui-même ne pouvait pas se targuer d’être un homme sans histoires, bien au contraire ! Mais s’il pouvait éviter quelques déboires à Blodwyn, autant dire qu’il le ferait sans hésiter ! Seulement voilà, il n’était pas certain de saisir où elle voulait en venir. Le dilemme qu’elle s’imposait n’était pas spécialement évident, et l’espace d’un instant, l’italien dut essayer de se mettre à la place de la jeune femme pour trouver quelque chose à lui répondre. « Je te dirai bien de rester loin de lui mais… Tu n’as vraiment aucune idée de ce dont il veut te parler ? Il n’a rien dit de plus ? » demanda-t-il en fronçant une nouvelle fois les sourcils, tentant de dénicher le piège qui se trouvait peut-être là-dedans.

A vrai dire, Trevor ne savait pas précisément pourquoi il n’avait de cesse de s’inquiéter pour Blodwyn. Après tout, elle était assez grande pour se débrouiller seul et quand on y pensait, il était lui-même assez mal placé pour « protéger » qui que ce soit. Mais le fait était qu’il ne pouvait tout simplement pas s’en empêcher. Il discernait en elle ce côté fragile qui le poussait à vouloir être là, à vouloir veiller sur elle en toutes circonstances. Et puisqu’elle n’y opposait aucun refus ni aucune résistance, Trevor continuait de jouer les grands frères auprès de celle qu’il considérait comme une de ses amies les plus proches. Alors lorsqu’il s’agissait de garçons qui tournaient autour d’elle, et ce même s’ils faisaient partie de sa famille, l’italien avait tendance à sortir les griffes. C’est donc avec une grande méfiance qu’il lui demanda quelques détails supplémentaires sur ce cousin qui cherchait à la voir pour lui parler.

Autant dire que le fait que cet homme ait trempé dans des histoires de drogue ne jouait pas en sa faveur, et bien que Trevor comprenne le dilemme auquel était confrontée son amie, il ne voulait qu’une seule chose : la protéger. Empêcher que ce cousin, aussi proche soit-il, puisse lui faire du mal d’une quelconque manière que ce soit. « Aucune idée. Il m’a simplement dit qu’il voulait me parler, que c’était urgent et important. J’ai vraiment senti de l’urgence dans sa voix et comme un appel à l’aide. Je sais que je suis naïve avec les gens mais s’il avait envie de changer ? S’il voulait enfin se reprendre en main ? Je me vois mal lui refuser une conversation et puis, il reste mon cousin et je sais ce que c’est d’être continuellement rejetée par sa famille » D’un naturel méfiant, Trevor n’aurait certainement pas interprété l’urgence dans la voix de son cousin comme une forme d’appel à l’aide ! Mais après tout, il ne l’avait pas entendu et ne le connaissait même pas, alors il n’était certainement pas en droit d’en juger. En silence, l’italien acquiesça non sans afficher un air des plus contrariés. Il ne la regardait plus vraiment, et ce parce que son esprit était en train de carburer à plein régime pour lui trouver une solution miracle. Mais ce fut finalement le son de la voix de Blodwyn qui lui fit relever les yeux vers elle : « Dis, cela ferait-il de moi une mauvaise personne si je l’envoyais chier ? Au pire, je peux toujours lui donner rendez-vous dans un lieu public comme un bar par exemple ? Qu’est-ce que tu en penses ? » Le soupir qu’elle lâcha en reposant son assiette traduisit à merveille la détresse qu’elle devait ressentir à ce moment précis, et Trevor ne put s’empêcher de s’approcher d’elle en déclarant : « Non, non, bien sûr que non ! Ca ferait juste de toi une fille prudente… Et crois-moi, c’est pas plus mal ! Mais, écoute, c’est ce que j’allais te proposer. Si tu veux, donne-lui rendez-vous dans un bar. Un endroit pas trop fréquenté hein ! Mais… comme ça, je pourrai me tenir pas trop loin de vous, et garder un œil sur toi. Enfin… garder un œil sur lui plutôt. » Pour être un peu plus convaincant, il planta son regard perçant dans celui de son amie, et ajouta : « En tous cas, il est hors de question que tu le voies si tu es seule. »

Trevor semblait réellement prendre à cœur ce dilemme qui se posait devant Blodwyn, et pour cause. Il la considérait comme une véritable petite sœur, et ne tolérait pas qu’elle soit contrarier ou pire, qu’elle soit en danger. Alors, il faisait son affaire de tous ses malheurs, et ce retour inopiné de son cousin toxico en faisait partie. Comme s’il s’était agi de sa propre vie, le cerveau de l’italien s’était mis à carburer à plein régime pour trouver une solution. Et la meilleure qui lui soit venue à l’esprit, c’était d’être là avec elle, d’assister au rendez-vous que Logan lui avait donné et ainsi de pouvoir intervenir à tout moment, si elle avait besoin de lui. Mais alors qu’il lui exposait son « plan », Blodwyn vint brusquement se blottir entre ses bras, laissant un Trevor tout d’abord surpris mais finalement bien content de ce rapprochement soudain. Il esquissa un minuscule sourire avant de la serrer contre lui, la laissant poser sa tête contre son épaule et continuer : « Je te promets d’être très prudente chou’ mais attend.. tu veux venir au rendez-vous ? Tu as sûrement mieux à faire que de poireauter à une réunion de famille et puis je m’en voudrais de te faire perdre une soirée de repos » murmura-t-elle, faisant une nouvelle fois sourire l’italien qui ne tarda pas à répondre : « T'en fais pas pour ça va… Dis-toi simplement que je n’ai rien de mieux à faire ! C’est pas négociable de toute façon, je veux être là. Juste au cas où… »

Et alors que leur étreinte s’éternisait, pour la plus grande satisfaction de Trevor, la jeune femme lui avoua qu’elle avait enfin échangé son premier baiser, comme ça, de but en blanc. L’italien ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux et fut même tenté de se reculer pour pouvoir observer le visage de Blodwyn, mais il ne put se résoudre à rompre leur étreinte. D’ailleurs, la jeune femme continua son récit avant même que Trevor n’ait besoin de le lui demander. « C’est Jay que j’ai embrassé. C’est mon meilleur ami et je l’ai embrassé, cela devrait me laisser indifférente mais je n’arrête pas d’y repenser et j’ai des papillons au creux du ventre si tu vois ce que je veux dire.. Laisse tomber je suis trop conne » déclara-t-elle alors qu’un sourire radieux venait peu à peu éclairer le visage de l’italien. Prêt à lui faire comprendre que non, elle n’était pas conne mais juste amoureuse, Trevor ouvrit la bouche mais une fois de plus, elle le coupa en lui demande ce que tout cela signifiait. Il ne put retenir plus longtemps un petit éclat de rire, plus attendri que véritablement moqueur. « Ok, je ne suis certainement pas le mieux placé pour te donner des conseils là-dessus mais… Si tu veux mon avis, ça signifie que tu en pinces pour lui ! » déclara-t-il sans pour autant s’éloigner d’elle. Au contraire, il la serra un peu plus fort en sentant qu’elle était véritablement épuisée et ajouta : « Ce n’est pas parce que tu le connais depuis toujours que tu ne peux pas ressentir des trucs pour lui… Est-ce que vous en avez parlé ? » Trevor se sentait à la fois content pour elle, mais aussi terriblement méfiant. Si elle connaissait ce gars depuis toujours, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, et pourtant. L’italien connaissait assez bien les hommes pour savoir à quel point ils pouvaient être imprévisibles. Néanmoins, il ne put s’empêcher de penser que ce garçon devait être totalement stupide pour refuser les avances d’une fille comme Blodwyn, et ce même s’il la connaissait depuis toujours.

En décidant de quitter l’Italie, Trevor avait également tiré un trait sur tous ses proches, et sur toute sa famille qui était restée là-bas. Bien sûr, le fait d’abandonner ses proches qui faisaient partie de la mafia ne lui avait fait ni chaud ni froid. Au contraire, il était bien content de pouvoir enfin se séparer d’eux. Mais en ce qui concernait sa mère, c’était une autre histoire. Pour des raisons de sécurité évidentes, il ne lui avait absolument rien dit au moment de partir, il ne lui avait laissé aucun indice ni envoyé aucune nouvelle après son atterrissage aux Etats-Unis. A ses yeux, ce silence radio avait été la meilleure des solutions mais chaque jour, Trevor se prenait à douter. Et si les hommes de son père s’en étaient pris à elle en croyant qu’elle savait où il se cachait ? Et même si ce n’était pas le cas, elle devait être morte d’inquiétude pour lui… Bref, ce départ sans adieux avait été un véritable déchirement pour l’italien qui se retrouvait aujourd’hui seul et sans aucune famille. Alors, lorsqu’il avait rencontré Blodwyn pour la première fois, il avait tout de suite vu en elle une petite sœur, une fille fragile à protéger et dont il s’était fait un devoir de s’occuper du mieux qu’il pouvait. Le jeune homme ne faisait pas cela par pitié, bien au contraire ! Il s’était tout simplement prit d’affection pour cette fille, et elle le lui rendait plutôt bien. Quand elle était à ses côtés, Trevor se sentait important, utile, et ça lui faisait un bien fou. Alors lorsque sa petite sœur de cœur lui parla de son cousin, l’italien n’eut même pas besoin de réfléchir et lui proposa instinctivement ses « services », en lui précisant que l’offre n’était de toute façon pas négociable. « D’accord mon Trevor » murmura-t-elle en se frottant contre lui, ce qui eut pour effet de le faire sourire. Il fit glisser sa main jusqu’au dos de Blod et y appliqua quelques caresses rassurantes, alors qu’elle enchainait sur un autre sujet d’autant plus intéressant…

« Je peux pas être amoureuse de lui, ce n’est pas possible ! » s’écria-t-elle alors que Trevor avait tiré les conclusions évidentes de ce qu’elle venait de lui raconter. Au son de sa voix, il comprit toute la panique et l’émotion qui l’étreignaient et ne tarda pas à se détacher délicatement d’elle afin de pouvoir capter son regard. Mais avant même qu’il n’ait pu ajouter quoi que ce soit, la jeune femme débita un nouveau discours à une vitesse qui lui laissait à peine le temps de respirer. Silencieusement, Trevor l’observa en affichant une petite mine désolée, et finit par passer une main dans ses cheveux. « Hey hey… Calme-toi, d’accord ? Tu n’es pas pathétique, c’est pas de ta faute ! Et puis… si vous n’en avez pas encore parlé, tu ne peux pas vraiment savoir ce qu’il en pense, hm ? Ecoute, si tu veux on peut aller chez moi, on sera certainement plus au calme pour en parler… si tu en as besoin. »

Pour une fois, Trevor n’était pas certain de pouvoir être de très bon conseil, ni même de pouvoir aider son amie et pourtant, il faisait de son mieux pour essayer de la rassurer. Il fallait dire que ses propres histoires d’amour n’avaient absolument rien d’une romance. La seule véritable relation stable qu’il avait eue s’était même terminée de façon plutôt dramatique. En effet, son père avait utilisé Elena comme moyen de pression pour faire craquer Trevor et le convaincre de se mettre à son service. Pour la sauver, il n’avait eu d’autre choix que de capituler et de se soumettre aux ordres de son géniteur. Mais la jeune femme avait fini par le quitter et son père, conscient qu’elle en savait beaucoup trop sur leurs agissements, avait prit soin de se débarrasser d’elle, en faisant passer cet énième règlement de comptes pour un banal accident de voiture. Alors non, l’italien n’était pas le mieux placé pour conseiller Blodwyn. Cependant, il prenait son rôle de grand frère tellement au sérieux qu’il n’avait aucune intention de la laisser tomber. Même s’il ne pouvait rien faire pour elle, il serait au moins là pour l’écouter, et c’était déjà pas mal !

Blod ne voulait pas se prendre un râteau, et c’était tout à fait compréhensible. Mais très franchement, Trevor avait un peu du mal à concevoir qu’une fille comme elle puisse se prendre un râteau. Après tout, elle avait tout pour elle et même si elle connaissait ce garçon depuis toujours, il considérait que tout n’était pas perdu. « Oui.. Dis, cela te dérange si je dors chez toi ce soir ? Summer n’est pas là et je n’ai pas furieusement envie d’être seule. Je comprendrais si tu as autre chose à faire » demanda-t-elle alors, presque timidement. Aussitôt, le jeune homme afficha un sourire mais avant qu’il n’ait pu dire quoi que ce soit, son amie reprit la parole, visiblement prête à tous les sacrifices pour lui faire accepter sa proposition. Trevor l’écouta déblatérer tout son discours sans cesser de sourire, et en portant même sur elle un regard des plus amusés. « Et puis, je suis sûre que tu as plein de choses à me raconter, une demoiselle dans le placard ? Ne me dit pas qu’un beau-gosse comme toi est toujours célibataire depuis le temps. D’ailleurs, me suis toujours demandée : tu préfères les brunes, les blondes ou les rousses ? » Cette fois, l’italien laissa échapper un petit éclat de rire en s’éloignant pour récupérer ses affaires. Et ce ne fut que lorsqu’il se rapprocha de Blodwyn qu’il daigna lui répondre : « Bien sûr que tu peux venir ! Je suis presque vexé que tu oses poser la question ! Et je ne te demanderai même pas de contrepartie figure-toi ! » Trevor salua ensuite ses collègues, et sortit de l’établissement après son amie. En se remémorant la dernière de ses questions, un nouveau sourire prit place sur son visage, et tout en entamant son chemin vers son appartement, il continua : « Tu risques d’être déçue ! Même en aimant les brunes, les blondes ET les rousses, il n’y a personne dans le placard ! Enfin… rien de bien intéressant quoi… »

Même si ce n’était a priori pas prévu au programme, Trevor était bien content d’accueillir sa petite sœur de cœur chez lui. A vrai dire, il ne recevait pas grand monde, pour ainsi dire personne dans son appartement. Mises à part quelques filles qu’il ramenait de temps en temps, il préférait en général éviter de montrer où il habitait. Pas que son appartement ni même son quartier lui fasse honte, loin de là ! S’il restait aussi secret en ce qui concernait son lieu de vie, ce n’était que par simple mesure de sécurité. Car quoi il arrive, à aucun moment Trevor n’oubliait qu’il était en cavale. L’italien avait atterrit à New-York dans le but de s’y cacher et de se protéger des mafieux qui étaient certainement à ses trousses depuis des mois, et il ne comptait pas se faire avoir aussi facilement. Cependant, avec Blodwyn tout était différent. Il la connaissait depuis un bout de temps, il avait confiance en elle et savait pertinemment qu’elle n’avait rien à voir avec ses anciens « collègues » de travail. Jamais elle ne le trahirait, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il se sentait si bien avec elle.

« Attends, tu vas pas me dire qu’il y a pas une femme dans ton entourage qui ne te fait pas des frémissements ? Ne cherche pas pourquoi je parle de frémissements, c’est Dawn, une de mes meilleures amies qui ne jure que par ce terme. » Qu’est-ce qui lui prenait tout à coup à vouloir à tout prix parler de ses histoires de cœur ? Etait-ce ce Jay qui la rendait ainsi ? En tous cas, même s’il s’agissait d’elle, Trevor n’avait absolument aucune envie de lui parler de ça, et pour cause. Sa première et dernière histoire d’amour s’était tellement mal terminée ! Le simple fait de repenser à cette époque malheureuse suffisait à lui serrer le cœur, et il éluda une première fois la question de la jeune femme en levant les yeux au ciel. Mais malheureusement pour lui, elle ne semblait pas décidée à le lâcher aussi facilement. Alors qu’ils avançaient vers l’appartement du jeune homme, Blod n’avait de cesse de le questionner. Elle lui affirma même qu’il était sexy, ce qui eut pour effet de le faire éclater de rire. En fait, elle n’était pas la première à le lui dire, et l’italien devait bien avouer qu’il se servait souvent de cette caractéristique pour séduire. « Moi, je suis sûre que sur cette Terre, y a une femme qui a grave le béguin pour toi et j’espère que vous vous trouverez car même si l’amour fait souffrir, ça tient chaud » Une fois de plu, Trevor leva les yeux au ciel en ajoutant d’un air amusé : « Dois-je te rappeler que tu parles à un italien pur jus ? Crois-moi, l’amour c’est vraiment pas pour moi ! Je préfère profiter encore un peu, tant que je peux le faire ! » Son discours était lourd de sens et pourtant, Trevor adopta un ton très bien calculé pour que cela passe inaperçu.

Il ne leur fallut que quelques minutes pour parvenir jusqu’à l’appartement de Trevor qui, après avoir laissé entrer Blod’ chez lui referma soigneusement la porte derrière eux. « Voilà… fais comme chez toi ! » déclara-t-il ensuite en se débarrassant de son blouson, puis de ses chaussures afin d’aller se laisser tomber dans son canapé. Décidément, l’italien adorait ce moment : sa soirée de travail terminée, une nuit réparatrice qui se profilait… et en prime, la présence de Blodwyn à ses côtés ! Trevor esquissa un sourire satisfait qui s’effaça presque aussitôt, lorsqu’il se mit bien malgré lui à repenser à toutes les questions qu’elle lui avait posées en chemin.

Trevor ne tenait pas spécialement à s’épancher sur sa vie amoureuse, tout simplement parce qu’il la trouvait sans intérêt. Depuis qu’on lui avait enlevé Elena, le jeune homme n’avait vécu aucune autre histoire sérieuse. Bien sûr, il y avait eu Ashton. Et malgré le fait qu’ils n’aient passé que quelques heures ensemble, l’italien se surprenait encore de voir à quel point elle restait présente dans ses pensées. Autant dire que depuis qu’ils s’étaient retrouvés à New-York, il ne se passait pas une seule journée sans qu’il ne pense à elle, et à Shaun. Mais en ce qui concernait d’éventuelles histoires amoureuses, Trevor considérait que son passé était bien trop lourd, et sa vie bien trop dangereuse pour s’autoriser quoi que ce soit. Face aux questions de Blodwyn, l’italien se contenta donc se défiler habilement tout en la conduisant chez lui.

A peine arrivés dans son appartement, Trevor se laissa tomber dans son canapé, rapidement rejoint par son amie qui vint se blottir contre lui. Instinctivement, il passa son bras autour de ses épaules, comme si ce geste pouvait suffire à la rassurer et à lui signaler qu’elle n’avait pas besoin de s’excuser. Puis, alors que comme à son habitude l’italien préférait le silence aux grands discours, Blodwyn se lança dans un récit pour le moins inattendu. Elle commença par lui expliquer ce qui faisait que leur relation était si spéciale à ses yeux. Surpris par ce soudain trop-plein d’affection, le jeune homme ne sut pas exactement quoi répondre, et se contenta de déposer délicatement un baiser sur le front de son amie. Et avant même qu’il n’ait eu le temps de trouver quelque chose à dire, Blod enchaine avec une révélation encore plus surprenante : « J’ai été adoptée » lâcha-t-elle d’une voix fébrile. Immédiatement, Trevor fronça les sourcils et se recula légèrement d’elle pour tenter de capter son regard. Mais, trop absorbée par ses pensées, elle continua son discours, imperturbable. « Tout le monde croit que je l’ignore mais je l’ai découvert quand j’avais treize ans. Depuis, je me suis toujours dit que finalement si mes sœurs ne m’aimaient pas ou même ma grande tante, c’était tout simplement parce que je n’étais pas une véritable Harper » Cette fois, le cœur de l’italien se serra et il ne put que serrer Blodwyn un peu plus fort contre lui. « Je… je ne savais rien de tout ça… » Trevor était sincèrement attristé par cette nouvelle et voulait à tout prix la rassurer, mais les circonstances faisaient qu’il avait bien du mal à trouver les mots justes. « Tu n’en as jamais parlé avec tes sœurs, c’est ça ? C… comment est-ce que tu as découvert ça ? »

Même s’il n’était pas certain de la marche à suivre, Trevor avait voulu en savoir plus. Connaître la véritable histoire de celle qu’il considérait comme sa petite sœur, et qu’il ne connaissait visiblement pas aussi bien que ce qu’il aurait pensé. L’italien voyait bien que le fait d’en parler, et de faire ressurgir tout un tas de souvenirs était douloureux pour elle, mais il voulait savoir. Et puis au fond, le jeune homme était persuadé que Blodwyn se sentirait mieux après lui en avoir parlé. Alors, il la laissa faire un long monologue en se contentant de la maintenir tout contre lui, pour lui prouver qu’il était là, même s’il ne trouvait pas grand-chose de rassurant à dire. Trevor profita simplement d’une courte pause qu’elle marqua pour passer une main sur sa joue, essuyant du même coup les quelques larmes qu’elle commençait à verser. Son histoire le touchait, et il aurait aimé pouvoir la réconforter comme il se devait. Malheureusement, Trevor se sentait terriblement empoté, et incapable de trouver la moindre petite phrase appropriée. Mais y en avait-il seulement une ? Dans des cas comme celui-là, l’italien doutait que quiconque puisse trouver les mots justes pour réparer les blessures dont Blodwyn venait de lui faire part. « Voilà, tu sais tout de ma vie » lâcha-t-elle finalement, en laissant échapper un petit rire qui fendit le cœur de Trevor, qui grimaça d’un air désolé. Puis, il haussa un peu les épaules et après réflexion, s’autorisa à déclarer : « Tu sais… parfois les liens du sang ne sont pas les plus forts… Regarde-nous par exemple ! Peut-être que si on avait été de la même famille, on ne s’entendrait pas aussi bien… » L’italien savait malheureusement précisément de quoi il parlait, puisque le lien qu’il avait lui-même entretenu avec son père avait su lui démontrer que l’esprit de famille n’était pas toujours au rendez-vous. « Si tu te sens bien avec ta famille actuelle, c’est tout ce qui compte, non ? »

Puis soudain, sans prévenir, Blodwyn passa à un tout autre sujet, provoquant la surprise de Trevor qui ne put s’empêcher de sourire en la libérant de l’emprise qu’il exerçait toujours sur elle. Des crêpes ? Evidemment que ça lui disait ! Ce n’est d’ailleurs pas avec la pauvre petite salade qu’il leur avait préparé un peu plus tôt que l’italien avait été rassasié. Alors autant dire que l’optique de déguster de délicieuses crêpes en compagnie de son amie l’enchantait ! « C’est vrai ?! Génial, je veux que tu m’apprennes aussi ! Tu as besoin de quoi ? Prends ce que tu veux, tout est là ! » s’exclama-t-il avec enthousiasme tout en entrainant Blodwyn avec lui vers la cuisine, avant de lui désigner a pièce d’un vague este du bras, comme pour lui signifier qu’elle avait carte blanche pour préparer tout ce qu’elle voulait.

Une petite sœur bien trop casse-couille… Voilà comment Blodwyn se définissait elle-même, ou plutôt comment elle imaginait sa relation avec Trevor s’ils avaient vraiment été frère et sœur. Dans un premier temps, l’italien ouvrit la bouche pour protester et la rassurer, mais en reconsidérant la chose, il se mit finalement à sourire… et même à rire. Effectivement, peut-être que s’il avait eu à la côtoyer 24h/24 pendant des années entières, il aurait finit par la trouver un peu trop collante, voire même un peu chieuse. Mais là encore, Trevor reconnaissait tous les avantages de leur relation amicale et pourtant si intense. Un peu comme s’il n’héritait que des bons côtés de la chose, le jeune homme n’aurait cédé sa place de grand frère de cœur pour rien au monde. Sans qu’il ne sache exactement pourquoi ni comment, cette fille avait réussi à le « dompter » et à le mettre en confiance, ce qui n’était d’ailleurs pas une mince affaire. Devant elle, il avait appris à baisser la garde et savait aujourd’hui qu’il n’avait pas eu tort de se laisser aller à ce genre de fantaisie.

Soudain, la jeune femme eut une idée plutôt inattendue, et pourtant tellement bien trouvée… Elle proposa de confectionner des crêpes, nouvelle que Trevor accueillit avec enthousiasme, réclamant même quelques leçons pour apprendre à en cuisiner lui aussi. « Cool ! Alors petit scarabée, prêt à prendre ta première leçon ? » lança alors Blodwyn en se dirigeant vers la cuisine, entrainant l’italien à sa suite tout en lui précisant qu’elle essaierait de ne pas l’intoxiquer. Une nouvelle fois, Trevor laissa échapper un bref éclat de rire mais ne tarda néanmoins pas à se mettre au travail, s’affairant autour du saladier dans lequel ils commençaient à confectionner la pâte. Mais soudain, une brisque de lait à la main, Blodwyn stoppa sa préparation en adoptant un air légèrement contrarié. Intrigué, le jeune homme releva un regard interrogateur vers elle, et se mit instantanément à sourire en comprenant la source de ses tracas. « Je sais plus combien on met de lait. On fait au pif ? » D’une humeur soudainement taquine, Trevor haussa un sourcil, avant de flaquer un coup de main dans la brique de lait, en vidant ainsi une quantité plus ou moins adéquate dans le saladier. « On n’a qu’à dire que ça va comme ça ! » s’exclama-t-il alors en riant. Même s’il travaillait dans un restaurant, Trevor n’était pas spécialement un as des fourneaux, et cette affirmation était d’autant plus vraie lorsqu’il s’agissait de pâtisserie. « Alors ? C’est quoi la suite ? C’est quand qu’on les fait cuire ? Il faut bien les faire sauter hein ? Et puis… surtout… les gouter ! » L’italien retrouvait soudain des airs d’enfant qu’il croyait avoir perdu depuis une éternité. Et lorsqu’il en prit réellement conscience, il se trouva un peu bête mais terriblement bien. Décidément, Blodwyn avait bel et bien une sorte de pouvoir sur lui, un pouvoir qui faisait qu’en sa présence, le quotidien de l’italien lui paraissait bien meilleur qu’il ne l’était en réalité.