En dépit de tout ce qu’elle avait espéré, le voyage en Suisse n’avait hélas pas pu avoir lieu. Pire, Elvia avait été dans l’incapacité pleine et entière de prévenir Dillon de ce changement impromptu de programme… et pour cause, elle avait fait un arrêt cardiaque durant la nuit et avait été conduite d’urgence à l’hôpital pour des examens complémentaires. C’était de justesse que son cœur s’était remis à battre. Lawrence lui avait pour ainsi dire sauvé la vie en attendant l’arrivée des secours. Résultat, la demoiselle avait passé pas moins d’un mois à l’hôpital, enchaînant les examens et, au final, sa greffe cardiaque. La jeune femme avait ordonné à son majordome unique et préféré de se rendre à Bâle tout de même, afin de ne plus être à la merci du père de la patineuse, mais aujourd’hui, Elvia se retrouvait sans soutien, sans quiconque à qui pouvoir se fier. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle avait laissé Dillon complètement de côté. La culpabilité lui sciait littéralement les entrailles alors qu’elle se rendait actuellement à son appartement en taxi, tout en priant pour qu’il y soit effectivement… la jolie suisse n’oubliait pas sa qualité d’homme d’affaires et l’emploi du temps allant avec. Pourtant, elle n’avait pas hésité une seconde, le jour même de sa sortie de l’hôpital, à se rendre directement chez lui afin de lui expliquer… finalement, la seule chose qui avait réellement changé, c’est qu’elle ne portait ni costume, ni chapeau, ni perruque et encore moins de vêtement masculin. Elvia portait une chemise féminine, un short démontrant ses belles jambes au galbe parfait et sa longue chevelure blonde virevoltait au gré du vent new-yorkais pour son plus grand plaisir. Pour un peu, Elvia aurait pu en rire à gorge déployée si seulement elle n’avait pas si mal à la poitrine et qu’elle ne redoutait pas l’éventuelle colère de Dillon… pouvait-elle le considérer comme un ami, après tout ?

« Bonjour Dillon… » Par une chance incroyable, le jeune homme avait effectivement ouvert la porte, même si elle avait dû insister de longues minutes avant d’obtenir une réponse. Elvia tenta un faible sourire afin d’adoucir les mœurs, tout en sachant que ce n’est pas comme ça qu’elle obtiendrait une quelconque magnanimité. « Je suis désolée de t’avoir fait faux bond alors que je t’avais invité à m’accompagner en Suisse… mais je sors d’un mois d’enfer. Je ne sais même pas comment je m’en suis sortie, au juste. Si ce n’est que… j’ai un cœur tout neuf. Une cicatrice abominable et anti-sexy au possible, mais il n’empêche… »

Elvia pouvait difficilement blâmer Dillon pour son accueil, surtout en sachant qu’elle lui avait tout de même posé un lapin on ne peut plus conséquent… l’homme d’affaires n’était pas spécifiquement connu pour sa grande magnanimité, cependant, la jolie suisse avait une excuse de taille. Comment diable aurait-elle pu prévoir que son cœur allait la lâcher juste à ce moment là ? Bien sûr qu’elle aurait préféré partir en Suisse, s’en tenir au plan prévu et ne plus avoir à supporter New York ! Mais il fallait se rendre à l’évidence… prendre l’avion dans l’état actuel des choses restait totalement exclu. Son médecin avait exigé un suivi régulier, lui imposait un régime ultra strict sans compter qu’elle ne pouvait plus s’entraîner au patinage non plus. La jeune blonde pétait déjà une durite à la simple idée de louper d’importantes qualifications dans quelques mois, mais sa santé fragile en dépendait hélas. Elvia demeurait sur un fil extrêmement fébrile, la moindre contrariété risquant de lui faire rejeter le cœur tout juste greffé. « La veille de notre départ pour la Suisse, j’ai eu une crise cardiaque. Lawrence a réussi à me réanimer mais ma greffe a été avancée, mon cœur ne tenant plus. Je sais que tu as dû soigneusement me rayer de ton existence et je ne peux pas t’en vouloir pour ça, mais… ce n’était pas de mon ressort et encore moins de ma faute. » Comme s’il s’agissait d’une preuve ultime, Elvia dégrafa les premiers boutons de sa chemise pour lui montrer l’imposant pansement recouvrant complètement sa poitrine. La douleur contre celle-ci était absolument insupportable mais ça, loin d’elle l’envie de s’en plaindre.

« Je suis simplement venue aujourd’hui pour m’excuser. Je n’ai pas pu le faire avant, je sors juste de l’hôpital. Et je ne pouvais pas envoyer Lawrence non plus… pour des raisons que tu connais, je l’ai obligé à se rendre en Suisse tout de même. C’était la meilleure solution. » Elvia fixait soudainement ses pieds, confuse, désorientée, la douleur se mêlant à une angoisse nouvelle de ne pas être crue ou de se prendre la porte en pleine figure. Connaissant un peu Dillon, il aurait été tout à fait capable de s’adonner à ce petit jeu stupide… libre à lui de le faire. La jolie suisse se sentait désormais bien moins coupable puisque des deux, elle s’était présentée à l’autre pour lui exposer la situation. Jamais elle n’aurait pu le faire plus tôt.

Elvia n’avait pas encore rouvert la bouche, bien trop étonnée que Dillon la laisse rentrer sans autre explication. Sans doute avait-il perçu l’extrême sincérité de la voix, car en moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, la jolie suisse s’assit sur un canapé particulièrement confortable, juste en face de l’homme d’affaires. Avec le recul, elle bénit justement le fait de s’être assise, car l’aveu qu’il ne manqua pas de lui faire dans les quelques secondes qui suivirent lui arracha une large expression de surprise. Il était amoureux ? Mais en voilà une bonne nouvelle ! Les traits d’Elvia s’étirèrent d’ailleurs en un joli sourire ravi, comme si elle avait toujours cru qu’il méritait un bonheur parfait, même s’il s’était toujours défendu d’y goûter d’une certaine façon. Pour un peu, la proposition qu’il lui avait faite juste avant était presque passée à la trappe… pour l’instant du moins. « Amoureux ?! Mais en voilà une nouvelle qu’elle est bonne ! Raconte, raconte ! Je ne sais pas du tout en quoi je vais bien pouvoir t’être utile vu que je n’ai jamais été amoureuse de ma vie, mais si je peux t’aider d’une quelconque façon tu peux compter sur moi bien sûr. » Elvia avait vécu une seule histoire, très brève, avec Billy, un suisse ayant obtenu une médaille d’argent aux Jeux Olympiques où ils avaient tous deux participé. Cela avait été une brève mais non moins sulfureuse liaison. La jolie blonde avait eu quelques autres histoires, mais toujours d’une seule nuit, et c’était avant que son père ne durcisse son emprise sur sa personne. Cela faisait des années que la demoiselle était seule à crever. Dure réalité… mais cela ne voulait pas dire qu’elle serait de mauvais conseil, bien au contraire. Des deux, elle était probablement la plus humainement ouverte.

« Lawrence va bien. Il a du mal à se faire à sa retraite anticipée, il s’inquiète beaucoup pour moi et j’ai dû faire des pieds et mains pour qu’il ne revienne pas ici, mais… il est sauf c’est le principal. » Elvia n’avait pas envie de s’étendre davantage sur son opération, à vrai dire. Cela impliquerait de parler de Catherine et ça, si elle n’en n’était pas disposée en présence de Gabriel, soit le premier concerné, elle ne le serait pas davantage en présence de Dillon. « Mais… tu es sûr que ça ne va pas te déranger ? Ne me regarde pas comme ça je me doute que tu ne souffriras aucune réponse négative ! Mais je n’ai aucune affaire, ici… et puis mes soins sont lourds, comme tu t’en doutes. » Disons que sa proposition la surprenait. Elle était visiblement touchée, comme l’attestait son expression confuse et émue, mais il n’empêche…

« Non, non, je peux rester ici ! J’ai été suffisamment seule pour avoir bien besoin d’une compagnie. » Elvia esquissa un petit sourire malicieux, à la fois amusée et émue que Dillon la considère comme une amie. La seule et unique, probablement, mais l’inverse était tout aussi vrai… on ne pouvait pas dire qu’avec le manège de son père la jolie suisse ait eu beaucoup d’opportunités pour se lier d’amitié avec qui que ce soit. Pire, on la fuyait souvent parce qu’elle était une « fille de » ou bien n’était-elle collée que par la gent féminine cherchant un mari friqué, chose qu’elle ne pourrait bien évidemment jamais être. Elvia sentait sa propre existence s’écrouler à chacun de ses pas et le pire… c’est que sa nouvelle fragilité physique la rendait littéralement malade. Ne plus pouvoir s’entraîner du tout, pas même en cachette, l’attristait bien plus qu’elle ne saurait dire. « D’accord, d’accord… j’accepte. C’est adorable de ta part. » Elvia sentait qu’au moins, sa convalescence risquait d’être bien moins morose et déprimante, chose qui n’était pas plus mal à vrai dire. Son père ne risquait pas de la harceler si elle se retrouvait chez Dillon pendant un temps et de son côté, l’homme d’affaires allait pouvoir libérer tout ce qui semblait peser sur sa conscience. « Une chose à la fois… tu es amoureux, non ? » La jeune patineuse se redressa légèrement sur le canapé où elle s’était assise au préalable, en vue de raccrocher tous les wagons ensemble. Effectivement, douze enfants ça pouvait être considéré comme une tribu… ou une équipe de foot avec remplaçants. Malheureusement pour Dillon, ses conseils ne pourraient jamais être qu’une toute petite piste, elle-même ne sachant pas ce qu’elle ferait dans son cas.

« Pourquoi est-ce si risqué ? » osa-t-elle demander sans forcément prendre énormément de gants, comme d’habitude. Ma foi, ce n’était pas le moment d’éviter les électrochocs, surtout si cela pouvait faire avancer l’homme perdu se trouvant en face d’elle. « Tu sais, moi, je porte le cœur d’une personne que j’ai rencontrée à l’hôpital. Elle m’a confié son histoire troublante et… j’ai rencontré l’homme dont elle me parlait tant. Brièvement, bien sûr, mais il est troublant. Je ne sais pas, un seul de ses regards est touchant. Je crois que je suis plus pathétique que toi, parce qu’en prime, il est déjà avec quelqu’un. Joyeux, n’est-ce pas ? Mais toi, tu es sûr que tu n’aimes pas du tout les enfants ? Je veux dire… tu as essayé ? »

« Amoureuse ?! Tout de suite les grands mots ! » s’indigna Elvia tout en paniquant à moitié. Jamais elle ne se permettrait une chose pareille, de toute évidence, surtout en le sachant en couple et heureux en ménage. Jamais elle ne pourrait supporter d’être une briseuse de bonheur… elle ne pourrait plus se regarder en face de cette manière. « De toute manière, ce ne sera jamais possible, alors inutile de s’attarder dessus. » Même si techniquement parlant, elle maudissait le fait de ne pas avoir croisé la route de quelqu’un n’étant pas heureux avec quelqu’un… à croire que le mot « bonheur » devait être d’urgence balayé de son vocabulaire puisqu’elle n’en saisirait jamais le sens véritable. Elvia soupira à cette pensée, presque heureuse que Dillon passe à son tour par la case confidence, chose qui fit dévier le projecteur sur lui. Ladite confidence lui arracha une large expression surprise bien qu’elle n’en fut pas choquée pour autant. « Tu ne ressens rien pour lui parce qu’il lié à une trahison et que tu ne peux pas le voir autrement… que crois-tu que je rêve de faire avec mon père ? J’ai même commencé… l’homme dont je viens de te parler, il est journaliste. Je compte disons… dénoncer certaines choses. Ma foi, si je dois faire UNE chose bien dans mon existence toute entière, autant que cela ait l’effet d’un coup de poing. Ce n’est pas comme si j’avais autre chose à perdre ! » Mais Elvia ne s’en plaignait pas. Elle relevait la tête et attendait que la douleur ne passe, comme toujours.

« Tu as changé depuis la dernière fois que je t’ai vu. Tu as l’air plus… paniqué, je me trompe ? Peut-être que c’est un pas vers une évolution plus grandiose. Tu ne pouvais pas me voir quand tu m’as rencontrée, n’est-ce pas ? Peut-être que parce que ses enfants sont liés à cette fille que tu aimes… tu peux aussi les aimer. Transfert, tu disais ? » La jeune femme esquissa un sourire franc, bien que fragile, avant de grimacer légèrement. La douleur dans sa poitrine allait et venait, mais par moments, elle en devenait presque insupportable. Si seulement elle n’avait pas eu besoin de greffe…

« Peut-être mais jusqu’ici c’est exactement le résumé que possède ma vie ! » Elvia esquissa un sourire qui se voulait moqueur mais c’était presque une désespérante vérité qui s’opposait à elle. Elle aurait aimé que les choses soient différentes. Ne pas avoir été un « homme » pendant tant d’années pour mieux oublier tous les réflexes normaux que sont censées posséder les femmes. Sa seule idylle remontait à tellement loin d’elle n’avait plus du tout de notion de séduction… et aujourd’hui que sa solitude en devenait presque insupportable, cette vérité s’imposait durement à sa personne, en plus de tout le reste. Le reste ? A savoir son opération entre autre. Elvia elle-même ne savait pas comment elle avait eu la force de venir jusqu’ici pour s’excuser alors que sa faiblesse physique n’avait jamais été si grande. Elle soupira doucement face aux questions assaillantes de Dillon, manifestement inquiet de sa personne, interrogations qu’elle finit par accueillir d’un sourire. « Essaye d’imaginer, rien qu’une seconde… que l’on t’ouvre la poitrine en deux et qu’on te la referme à grands coups de pieds de biche. Je crois que ça pourrait te donner une idée de la douleur. »

La jolie patineuse n’était pas une grande plaignante d’ordinaire, c’était même plutôt l’inverse. Mais là, elle avait subit LA chirurgie la plus importante de sa vie, sans compter qu’il restait un risque de rejet du cœur. Avoir subit tant d’épreuves pour un résultat pareil, voilà qui serait une pitié. « Ca va aller. Je suis plus robuste que j’en ai l’air… mais à priori j’aurais dû rester deux bons jours supplémentaires à l’hôpital, seulement je ne voyais pas l’intérêt. Une infirmière passait simplement voir l’état de mes constantes quatre fois par jour ainsi que l’état de mes fils… bon il faudra aussi que je fasse plusieurs prises de sang pour être sûre qu’il n’y a pas de rejet mais rien de « morbide » en soi. J’ai dépassé le pire… j’espère. »

« Cupidon ? Et… il est vieux ton père ? Ne me fusille pas du regard, c’était évidemment une plaisanterie ! » Elvia éclata de rire avant de ne se mettre à tousser, comme s’il s’agissait du remord frappant durement contre sa personne. Elle avait beau tourner son manque affectif en dérision, il n’empêche qu’elle restait un être humain ayant besoin d’amour, d’attention, d’être désirée. La cicatrice qui était désormais présente contre sa poitrine ne donnait pas forcément des envies folles, elle en avait bien conscience, mais la jolie blonde ne pensait pas mériter le moindre dégoût de la part de la gent masculine pour autant. Hélas… les hommes sont aveugles et couillons, parfois. « Tu es désespéré avec douze enfants, moi je suis désespérée tout court. Tu te rends compte que… non je ne vais pas te dire le chiffre, tu risques d’être horrifié et de te moquer de moi. Sûrement que tu préfèrerais être greffé du cœur, pour le coup ! » Cela faisait des années. Des années de solitude, plus de quatre ans à vrai dire, puisque Billy était son dernier amant en date. Elvia n’avait jamais eu d’autre possibilité étant donné qu’elle était restée déguisée en homme le reste du temps. Comme quoi, les Jeux Olympiques avaient toujours été salvateurs pour sa personne.

« Un régime particulier ? Éviter de manger des quantités déraisonnables et de boire le moindre excitant comme la caféine. Trop gras non plus, évidemment, mais oserais-je dire pour ma défense que je suis une sportive de haut niveau… je suis habituée à ces conditions précises. » Elvia finit par s’allonger doucement sur le canapé de Dillon, non sans pousser un pénible soupir. C’était bien la première fois que l’on prenait soin d’elle à ce point. C’était à la fois grisant et… addictif. Elle risquait de s’y faire, à la longue. « C’est étrange pour moi d’avoir un ange gardien. En tout cas, n’aie pas honte de ton père. C’est un saint contrairement au mien ! »

« Tu veux ta dose de potin ? Je ne savais même pas que ça pouvait se flanquer en intraveineuse, tu viens de m’apprendre quelque chose… et elle t’a souhaité la varicelle ? Mais c’est charmant tout ça dis-moi ! » Bon, d’un autre côté, peut-être l’avait-il mérité, Elvia ne se permettait pas alors qu’elle n’avait qu’un son de cloche en main. Néanmoins, s’il fallait l’écouter des heures durant se lamenter sur des sentiments nouveaux le grisant littéralement, la jolie suisse était tout à fait prête à remplir le rôle. Plutôt deux fois qu’une, même. Ne venait-il pas de lui sauver la mise en lui évitant de supporter son père et ses lubies durant sa convalescence ? Cela n’avait aucun prix, et Elvia elle-même ignorait comment elle allait pouvoir lui renvoyer l’ascenseur. « J’ai déjà eu des petites idylles, en fait. Toujours pendant les Jeux Olympiques et autres compétitions car je n’étais pas déguisée en homme mais bien moi-même. Et puis… l’adrénaline, tout ça, bref. Mais il y en a une en particulier qui m’a marquée. C’était avec un boxeur, Billy… il y avait quelque chose de violent et de torturé chez cet homme, mais j’ai tout de suite aperçut ses failles. Hélas, je ne l’ai jamais revu. La dernière fois que j’ai croisé sa route, c’était il y a quatre ans, alors que je l’ai conduit à l’hôpital dans un état proche du coma… il venait de se faire tabasser par des concurrents jaloux. Je ne sais plus exactement comment j’ai fais pour les éloigner, mais j’ai réussi. Je ne sais pas ce qu’il devient, s’il va bien… ça me revient en tête, parfois. »

Cela ne donnait pas réellement LE potin auquel elle avait pensé en premier, mais Elvia avait eut soudainement envie de s’ouvrir et de partager sa petite historiette sans importance avec Dillon. Pour une fois qu’il était en phase d’écouter des potins… ce ne serait peut-être pas toujours vrai ! « Et pour le potin, cela fait un peu plus de quatre ans très exactement que je n’ai pas été touchée, désirée, courtisée. Mine de rien, même pour quelqu’un n’ayant guère l’occasion d’y penser, cela finit par faire long… tu songes toujours au fait que ta « sorcière » te fait vivre une torture insupportable ? » Il allait se moquer d’elle. C’était une certitude certaine !

« Je suis censée avoir peur quand tu dis que tu veux t’occuper de mon cas ? » Bon, d’accord, Elvia ne dirait certainement pas non à certains conseils d’un pro de la séduction, c’était l’évidence même. Cela ne voulait pas dire que cette option ne lui avait jamais traversé l’esprit, mais plutôt qu’elle n’avait pas pris le temps d’y penser de façon sérieuse. L’intrigue avec son père était bien trop envahissante et ne lui avait guère laissé le temps de respirer à vrai dire. « Bien sûr que si j’y ai pensé… mais séduire en étant habillé d’un costume masculin, j’ai connu plus pratique ! Peut-être que je ne suis pas douée pour ça, aussi. Je ne m’imagine pas du tout accoster quelqu’un en ayant une idée en tête. Mes rares moments intimes, c’était toujours pendant les compétitions. Là, c’est facile… je suis dans mon élément, rien ne m’arrête, rien ne me gêne. Mais en dehors… je ne suis rien du tout ! Mais comme il n’est pas dit que je puisse un jour revenir sur des patins, autant écouter ce que tu peux bien avoir à m’apprendre… vu qu’à t’entendre mon cas est désespéré ! » Elvia n’en n’était pas choquée, elle en avait tout à fait conscience. Quatre ans, c’est foutrement long. Mais avait-elle eut un autre choix que celui d’attendre que sa situation ne s’améliore ? « Franchement, je ne sais même pas ce que tu vas bien pouvoir faire de moi. J’ai le mariage en horreur quant au fait d’avoir des gosses… au secours !! »

Elvia soupira avant d’éclater de rire. Effectivement, son cas était réellement désespéré. Surtout si ses sentiments pour le journaliste s’avéraient réels. Cela ne pouvait vouloir dire qu’une chose : sa vie ne serait jamais qu’un champ de ruines dont personne ne pouvait rien faire et dont personne ne voudrait jamais. « Et puis j’ai peut-être un derrière extra, mais la cicatrice sur la poitrine… je vais avoir du mal à rendre ça sexy ! Et pour répondre à ta question, si opportunités il y a eut, je dois être aveugle. »

" Sérieusement, tu as cru que tu avais viré gay ? Dis donc, tu as une capacité de retenue plutôt extraordinaire, parce qu'aussi loin que je me souvienne, tu n'as jamais rien tenté. " Elvia s'était doutée de quelque chose mais n'avait jamais donné suite non plus à la chose. A quoi bon ? Elle ne comptait pas devenir une serial loveuse et préférait mille fois compter ses amants sur les doigts d'une main mais s'en souvenir. Question de logique personnelle. Bien sûr, Dillon était l'exact inverse, mais Dillon is Dillon. " Tu me rassures. Je ne compte pas nécessairement devenir vieille fille, pas si je peux l'éviter, mais le mariage et les enfants... très peu pour moi. Sinon il faudrait garder le spécimen pour la science. " Elvia ne comprenait pas comment son père et elle pouvaient partager le même sang. Ils n'avaient aucun point en commun. L'une était relativement sensible, libre comme l'air et jugeait le sport comme un art à pratiquer avec assiduité, tandis que son père ne jurait que par ses affaires... quitte à écraser tout ce qui porte palpitant en état de fonctionnement autour de lui. Elle trouvait ce genre de comportement abject. " Alors quel est le remède magique pour séduire quelqu'un ? Fais-moi une démonstration, que je sache si ça me laisse complètement froide ou si, effectivement, tu as du talent ! " Après tout, peut-être que Dillon pourrait lui aussi apprendre deux ou trois petites choses en compagnie d'Elvia... choses qui pourraient certainement lui être utiles en présence de la jolie Shaelynn, sorcière sur laquelle il avait désespérément jeté son dévolu. Ils n'étaient pas fauchés, l'un comme l'autre...

" Quel genre d'homme m'attire... c'est drôle, je ne me suis jamais posé la question. S'il aime le sport, c'est tout bénéfice à vrai dire, puisqu'il s'agit tout de même de ma passion. Qu'il ait un minimum d'esprit et n'ait pas peur de ses opinions. Je préfère presque quelqu'un d'un peu brute de décoffrage qui ne laisse aucun équivoque passer plutôt que quelqu'un de trop délicat parsèment les malentendus aux quatre vents ! S'il est capable de rire même de son propre malheur... alors c'est l'homme parfait. " Elvia n'avait pas besoin de grand chose pour être séduite. Il suffisait d'un moment particulier, d'une seconde privilégiée et son coeur tout neuf pourrait très bien s'emballer. " Il m'a proposé que je lui envoie des mails de soutien... " murmura-t-elle d'une voix extrêmement fugace. Elle avait beau tenter de résister, difficile de se le sortir de l'esprit.

« Le séduire ?! Pouah, il ne sera jamais séduit par moi ! » s’exclama-t-elle, à moitié outrée. Bien sûr, elle aurait aimé qu’il en soit autrement, mais Elvia avait oublié de n’être qu’une nénette naïve et savait regarder les vérités en face quand celles-ci s’opposaient à sa personne. « Il est déjà avec quelqu’un. Et même si ça me torture de l’admettre, je ne veux surtout pas être une briseuse de couple… je pense que je vaux un petit peu mieux que ça, tu ne crois pas ? Il suffira juste que j’arrive à museler ce que je ressens. » Facile à dire ! Même en compagnie de Billy, la jolie suisse n’avait pas senti son cœur battre la chamade à ce point. Tout en lui était magnifique. Ses yeux, son sourire, son côté un peu brutal dans ses discours… Elvia secoua la tête de droite à gauche pour tenter de se reprendre ; si elle se mettait à songer à des choses pareilles, s’écarter ne risquait pas d’être une partie de plaisir… surtout que Dillon s’était approché sans même crier gare, la faisant automatiquement rougir comme si elle était prise en pleine faute. Il avait effectivement beaucoup de charme, et une façon de s’en servir extrêmement habile. Mais bientôt, un petit rire vint percer l’atmosphère particulière se jouant entre eux, Elvia étant parfaitement convaincue que cela devait marcher sur toutes les nénettes un peu naïves ou peu farouches que l’on pouvait trouver à New York… « Cela marche sur ta sorcière ? » se risqua-t-elle à demander avant de serrer sa main et d’y déposer un petit bisou encourageant. La jeune femme n’était peut-être pas une grande séductrice devant l’éternel, mais elle possédait une gentillesse et une sorte d’innocence proprement adorables. « Tu veux que je te donne des conseils à mon tour ? Je sais que c’est parfois dérangeant, mais les femmes savent très bien faire les aveugles. Il faut trouver un autre moyen de faire passer un message… un regard, un sourire, une caresse, c’est fabuleux Dillon, mais un discours inspiré par un sentiment précis, même bref, peut être encore plus efficace. Tu veux que je te montre ? » S’il avait la séduction, elle avait l’amour et la compassion.

« Je n’ai jamais été douée pour la pêche alors avant d’en ferrer un… » Elvia n’était pas douée pour cela. Parlez-lui de figures, de glace, ou même de grâce et elle sera votre homme… ou votre femme. Mais dès que cela incluait la gent masculine et qu’il fallait obtenir un brin d’attention, il n’y avait plus personne. La jolie suisse avait été longtemps enfermée dans sa petite bulle aseptisée, alors forcément, elle manquait cruellement de réflexes. Il y avait un gouffre couplé à une véritable Muraille de Chine entre Elvia et Dillon. L’une était toujours en retrait par rapport aux autres, le second un séducteur né, comme s’il ne pourrait jamais être doué qu’à cela. Vraiment, ils formaient une sacrée paire tous les deux ! « C’est bien ça le problème. D’un côté, je rêverais ne serait-ce que d’obtenir un baiser, même bref de sa part. Je suis certaine qu’il a des lèvres au goût… j’en frissonne rien que d’y penser ! Mais de l’autre, peut-être que je ne veux pas qu’il faute, parce qu’il se sentirait coupable et l’idée qu’il puisse souffrir… je ne pensais pas que c’était si compliqué les rapports humains ! Sans compter que pour couronner le tout, je porte le cœur d’une femme qu’il a aimée. Le danger, c’est qu’il ne m’apprécie pas moi, mais uniquement le cœur que j’ai en moi, tu comprends ? » Elvia soupira avant de s’asseoir sur le canapé après s’être doucement relevée. S’il fallait donner des conseils à Dillon, autant lui faire face et ne pas laisser le contact visuel se briser. Sans lâcher sa main, elle se racla sa gorge de façon proprement cérémoniale avant qu’un délicat sourire n’étire délicatement ses lèvres. Vraiment, elle mesurait de plus en plus sa chance d’obtenir l’amitié du businessman… tout en lui apportant également quelque chose de son côté.

« Il faudrait déjà comprendre pourquoi elle fuit, la mettre face à sa propre vérité. Peut-être qu’elle te fuit justement parce qu’elle ressent quelque chose pour toi, mais qu’elle considère que tu n’es qu’un coureur de jupons ? Cela va donc être à toi de faire en sorte de lui prouver que tu es bien plus que ta réputation ne le laisse entendre. Intéresse-toi à ce qu’elle aime, laisse-la s’ouvrir à toi petit à petit sans la presser. Elle veut fuir ? Au début, laisse-la. Puis après… faire preuve d’un tout petit peu plus d’indifférence ; le fameux fuis-moi je te suis ! Lorsqu’elle sera prête à t’entendre, montre-toi sous ton meilleur jour ; complimente-la sur sa tenue, sa coiffure, ses yeux, que sais-je ! A ce moment là, ce sera à toi de t’ouvrir. Sois naturel, dis tout ce qui te passe par la tête… même ce qui peut paraître ridicule est souvent le plus touchant. Tu veux qu’on fasse un essai ? J’essaye ou tu tentes padawan ? » Autant dire que la démonstration n’allait pas manquer de mordant…

« Mein gott, j’ai vraiment l’impression d’être en mode prédatrice… c’est presque grisant ! » Elvia n’avait jamais été dans cet état d’esprit. La pauvre, en étant habillée en homme, elle aurait été bien en peine ! Mais en attendant, s’il lui donnait des conseils pour être plus entreprenante, sans doute plus sexy et fondamentalement elle-même, la jolie suisse comptait bien lui renvoyer l’ascenseur pour que son histoire avec la belle Shaelynn ne finisse par réellement se concrétiser. C’était bien tout le mal qu’elle lui souhaitait, et puis après tout… sans aller jusqu’à lui avouer, elle était curieuse de la rencontrer ! Qui ne le serait pas, alors qu’elle parvenait presque à mettre à genoux un requin comme Dillon Wolf ? Autant dire qu’Elvia se demandait ce qu’elle avait bien pu lui faire, quel sort elle lui avait jeté pour qu’il soit réduit au silence, à attendre ses attentions et, à la longue… peut-être même ses faveurs. Peut-être était-ce la meilleure chose pouvant lui arriver. De même, sans doute que sa rencontre avec Gabriel était un tournant décisif dans son existence. De toute évidence, il l’avait changée… Elvia n’était plus en retrait et avait envie de tenter sa chance. Quitte à être laminée et à avoir du mal à s’en remettre… elle ne pourrait pas regretter de n’avoir rien tenté ! Le regret, il n’y avait rien de pire en cette foutue vie. « Okay, je ne m’emprisonnerais pas derrière les bonnes mœurs. Mais puisque tu es un prédateur… tu dois sûrement détester le shopping, mais il me falloir repenser ma garde robe, vois-tu. Ton avis ne sera pas de trop… » Si elle voulait séduire, cela commençait sûrement par là.

« Voilà ce que l’on va faire : je vais tenter d’imaginer que tu es Gabriel, que je dois appliquer ma méthode et que… je veux toucher une partie de ta personne. Tu vas juste écouter ce que je vais te dire et après bah, tu me diras comment tu réagirais, okay ? Et sois honnête, hein ! » C’était presque étrange pour Elvia d’imaginer Dillon dans la peau du journaliste, mais après tout… pourquoi pas ! A cœur vaillant rien d’impossible, il lui faudrait bien se lancer un jour si elle que son cœur ne meurt pas de dessèchement à force d’être délaissé, oublié. « J’avais peur. Peur de ne pas trouver les mots, peur de dire quelque chose de déplacé. J’ai tourné un discours cent fois dans ma tête en partant du principe que rien ne pourrait jamais décrire avec exactitude tout ce qui me vient en tête quand je pense à toi. Mais… en laissant passer ce temps, ce temps nécessaire à trouver un discours approprié, juste, je me suis rendue compte que j’ai perdu des moments précieux. Des secondes gâchées durant lesquelles je me rendais compte que les mots me manquaient. Rien ne peut réellement décrire ce que je ressens. Je ne suis pas quelqu’un de parfait, je n’ai pas pour habitude d’être éloquente… mais de tout mon cœur fragile, j’ai espéré être cette épaule sur laquelle tu pourrais te reposer, cette oreille qui t’écouterait encore et encore, dans un silence parfait. Je t’offre ces moments avant de ne les gâcher à réfléchir… en échange, garde-moi juste une toute petite place. Je ne ferai pas de bruit… » Elvia avait sentit sa respiration se couper et reprendre à de nombreuses reprises, alors qu’elle avait l’impression de mettre son cœur sur un plat d’argent, avant que celui-ci ne soit offert en pâture dans une arène de gladiateurs. Elle se redressa donc, se raclant légèrement la gorge, avant de demander le rouge aux joues :
« Hem… alors ? »