Plus que quarante-huit heures avant son départ pour Genovia, et Elvia s’emmêlait avec la totalité de sa garde robe, cherchant à éliminer toutes les tenues qui pourraient choquer et à privilégier celles qui justement conviendraient… diable, elle n’avait jamais été invitée à la cour pour quelqu’un de sang royal, cette simple idée la faisait paniquer littéralement. Pire, elle n’avait jamais été invitée à la cour par quelqu’un de sang royal se trouvant justement être son compagnon… ce qu’elle vivait actuellement avec Gabriel ne pouvait décemment être décrit par de simples mots. Il la comblait, tout simplement, et lui offrait bien plus que tout ce qu’elle s’était permis d’espérer dans sa vie. Qu’il soit capable de grogner des heures durant, la prenne pour un oreiller en pleine nuit et ait les mains baladeuses n’avait plus la moindre importance à ses yeux… elle l’aimait, tout simplement. Certes, Elvia n’avait pas encore eu le courage de le lui dire clairement, comme lorsqu’elle avait fait comprendre à son meilleur ami Dillon les sentiments qui l’animaient pour le beau journaliste, mais elle avait bien l’intention de le faire au cours de leur périple à Genovia. Les phrases semblaient d’ailleurs s’emmêler tout autant que ses vêtements sur son lit, alors qu’elle paniquait littéralement à l’idée que Gabriel puisse revenir de sa séance de shopping avec Charles-Henri avant qu’elle n’ait fini… il allait prendre peur devant le bordel, et la jolie suisse aurait honte jusqu’à la fin des temps. Mais ce n’était pas encore la fin des haricots. Pas alors que la sonnerie de la porte d’entrée de son appartement retentissait justement…

« Dillon ?! » demanda-t-elle, incrédule. Oh elle n’avait jamais été autant ravie de voir son meilleur ami qu’en cet instant, tant et si bien qu’elle le serra brusquement dans ses bras avec émotion, comme s’il revenait guerre. Elle s’écarta au bout d’un moment, tout en s’éclaircissant la gorge, pour mieux le laisser entrer. Il ne pouvait pas mieux tomber ! « Pitié, ne prends pas peur devant ce Tchernobyl vestimentaire… j’ai beaucoup de circonstances atténuantes. Je dois faire une valise avec des vêtements qui ne choqueront pas des majestés, il va falloir que tu m’aides ! Mais avant… tu n’as pas l’air bien, il ne t’est pas arrivé quelque chose de grave au moins ?! » Le beau visage d’Elvia avait soudainement blêmit. Diable, s’il avait quelque chose à lui demander, qu’il le fasse, elle était prête à se couper littéralement en quatre.

Effectivement, Elvia avait changé. C’était une véritable évidence et rien que le fait que Dillon le souligne lui arracha un léger sourire amusé mêlé à un adorable rougissement. En deux semaines, il s’en était passé des choses… la jolie suisse n’avait même pas pris le temps de lui raconter le baiser qu’elle avait donné à Gabriel avant son départ en reportage, un mois plus tôt. Mais depuis son retour, les choses s’étaient enchaînées et elle peinait à savoir par où commencer. Devait-elle tout lui confier ou simplement de petits détails insignifiants ? Hors de question, il était son meilleur ami. Il avait entendu bien pire de sa bouche et puis… il s’agissait de l’expression de son bonheur, elle ne pouvait pas le cacher comme s’il s’agissait d’une chose honteuse ! « Tu sais Gabriel, le journaliste dont je t’ai parlé il y a plus d’un mois… et bien il se trouve qu’il a retrouvé ses vrais parents et qu’il est prince. Oui, prince, rien que ça ! Je n’arrive pas à en croire moi-même… mais je dois t’avouer que deux semaines avant ton départ je l’ai accompagné à l’aéroport parce qu’il devait partir pour son reportage et je l’ai embrassé. » Ca sonnait affreusement midinette et il était fort probable que Dillon se paye sa tête à cause de cette première confidence, mais qu’importe. Elle n’éprouvait pas de regret… bien au contraire. « Lorsqu’il est revenu un mois plus tard, il est venu me trouver alors que je m’entraînais à la patinoire. Les choses se sont un peu enchaînées et… c’est mon ours maintenant, pour faire cours. » Elvia se mit à rougir plus violemment encore, preuve qu’en plus de tout le reste, elle dissimulait habilement ce qui s’était passé dans son appartement. Après tout, les détails lui appartenaient… à elle et à elle seule. « Je suis invitée en Genovia et… je suis un peu paniquée. Tu me vois, moi, en face de deux majestés ? Cela dit, va pour la beige… merci Didi. »

La jeune femme plaça soigneusement la robe pliée sur un coin de son lit avant de s’asseoir à côté de Dillon, le soutenant du regard. Il n’était pas en pays ennemi ici… « Tu as promis de me confier les détails de ta vie en retour ! Pourquoi ta vie est-elle un merdier ? Tu peux me faire confiance, rien ne sortira de cette pièce. »

« Tu veux me faire dire que tu es le meilleur ? Comme si ce n’était pas déjà suffisamment évident ! » lança-t-elle tout en haussant légèrement les épaules. Elvia n’avait jamais douté qu’il puisse avoir raison, à vrai dire, elle avait pleinement confiance en son jugement… mais elle n’avait pas confiance en elle. Ce défaut la poursuivait depuis des lustres et des années de thérapie n’avaient rien fait. Pour un peu, elle avait presque envie de dire que c’était même pire. Une chance que Dillon l’ait toujours mise à l’aise sans quoi elle était partie pour ne jamais se confier à qui que ce soit au cours de sa morne existence dissimulée derrière des frusques masculines. « Ce n’est pas parce que tu es un phobique de l’engagement que ma belle famille ne serait pas formidable… tu sais combien j’ai du mal à m’exprimer face à des gens nouveaux, je ne pense donc pas que la belle famille soit vraiment le problème. Je ne sais même pas si je le verrais cinq minutes d’à filée, à vrai dire. Mais c’est normal, il va retrouver ses parents… il a beaucoup de chance. » Pour un peu, elle l’envierait presque. Mais Elvia n’était pas de cette race là et préférait mille fois se concentrer sur le bonheur de Gabriel plutôt que sur le reste… à commencer par la lingerie qu’elle allait apporter en Genovia ! « Didi, c’est très mignon… autant que toi quand tu fais un effort » rétorqua-t-elle tout en lui pinçant légèrement la joue. Elvia était toujours assez… maternelle avec lui au final. C’était plus fort qu’elle. Et cela n’allait pas s’arranger avec ce qu’il s’apprêtait à lui confier.

L’espace de plusieurs secondes, elle demeura bouche bée. Décidément, ils n’aimaient la simplicité ni l’un ni l’autre… mais loin d’elle l’envie de souligner ce point. Elle se contenta de s’asseoir sur son lit, afin de lui prouver qu’elle serait toujours là sans pour autant envahir son espace vital et se montrer trop pesante. Il l’avait bien aidée à sa sortie de l’hôpital et lui avait même avancé une somme considérable d’argent… pourquoi ne pourrait-elle pas lui rendre la pareille cette fois-ci ? « Tu es marié à la femme que tu aimes… ce n’est pas une bonne chose ? D’accord, tu ne vois pas forcément les choses de cette manière et ce n’est pas dans ton caractère, mais… il faut voir le côté positif des choses. Quant à ton autre souci… si je te disais que je traîne le même depuis des années et que j’ai du mal à le combattre depuis mon opération, ça t’aiderait ? » Elvia n’en n’avait jamais parlé à personne et était tellement discrète que personne ne s’en doutait, bien évidemment. « Tu es un personnage public et moi nettement moins… mais si tu veux que l’on aille ensemble voir un groupe en toute discrétion tu peux toujours me faire signe. Ou si tu veux… juste en parler, tu sais que je ne te lâche pas quoi qu’il advienne, hum ? Je pars deux semaines logiquement mais je serai joignable à tout moment. »

Elvia émit un bref rire tandis que Dillon lui confiait des détails supplémentaires sur son état d’esprit vis-à-vis de ce mariage. Effectivement, un mariage à la sauvette avait oublié d’être romantique mais de nos jours… qui célèbre une cérémonie en grandes pompes ? Ce n’était pas le genre de la maison et ça, la jolie suisse l’avait compris depuis un lustre. Dillon était l’archétype du non romantique, mais cela ne manquait pas forcément de charme. Tout dépend du point de vue de la fameuse Shaelynn… il faut dire que la jeune blonde rechignait à poser des questions de peur d’être indiscrète d’une part, mais également d’embarrasser l’homme d’affaires plus qu’il ne l’était déjà. Elle avait bien trop conscience du poids que représentait un problème d’alcool pour enfoncer le clou, surtout qu’elle était logée à la même enseigne… elle aurait rêvé pouvoir l’aider, et en soit le fait d’être un garde fou restait une solution envisageable, mais était-elle capable de s’aider elle-même, déjà ? Si elle pouvait faire ne sorte que Gabriel ne découvre jamais le pot aux roses… elle en serait ravie de son côté ! « D’accord, ce n’est pas le summum du romantisme mais qui a dit que vous ne pourrez pas faire une deuxième cérémonie ? Tu es un être humain, pas un dieu, et donc pas à l’abri de faire des erreurs. » Elvia ou « je vois toujours le côté positif des choses ». C’était bien ce qui avait plu à Gabriel, n’est-ce pas ? Elle continuait à être fidèle à son innocence non dissimulée, surtout si cela pouvait aider son meilleur ami à sortir la tête hors de l’eau.

« Si elle était enceinte, alors quoi ? » Il allait se tirer une balle bien sûr ! La jeune femme connaissait d’ors et déjà la réponse, mais qui sait, peut-être avait-il changé d’avis entre temps, c’est beau de croire à la poupée qui tousse ! « Oublie l’histoire des réunions… même si je t’avoue que personnellement, ça ne me fera sûrement pas de mal dans un premier temps. Je n’ai aucune envie que Gabriel l’apprenne et justement, je veux être là et bien là alors qu’il traverse une période compliquée de son côté. Mais je peux être un garde fou pour toi aussi longtemps et souvent que tu le souhaites. Tu sais bien que tu ne me déranges jamais ! » Elvia lui donna un bref coup d’épaule pour essayer de le faire sourire en lui offrant sa plus belle marque de joie. Ce n’était pas grand-chose… mais il n’était pas tout seul. « Tu as essayé de la recontacter pour en parler au moins ou tu t’es terré dans ta solitude tel le brun ténébreux que tu sais si bien être ? »

Elvia leva aussitôt les mains en signe de protection dès que Dillon eut ouvert à nouveau la bouche. Elle savait pertinemment que cette colère froide n’était nullement dirigée vers sa petite personne, mais elle connaissait suffisamment son meilleur ami pour savoir qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Surtout maintenant qu’il était marié et que la situation s’avérait plus complexe encore que tout ce qu’elle avait imaginé jusqu’à lors. « D’accord, d’accord, tu ne veux pas être marié je pense avoir saisi » ironisa-t-elle sans l’ombre d’une méchanceté. Mais Elvia ne s’attendait pas à l’entendre se confier de cette manière, aussi ne manqua-t-elle pas de s’asseoir juste le temps de son discours, pour lui faire comprendre implicitement qu’il pouvait se lâcher sans crainte : elle ne serait pas celle qui le jugerait. La jolie blonde avait sûrement beaucoup de défauts, mais pas celui d’émettre des jugements face à quelqu’un en détresse. Elle avait une capacité d’écoute plutôt impressionnante –Gabriel le lui disait souvent d’ailleurs, et bien que Dillon ne soit absolument pas coutumier de ce genre de réflexe, elle appréciait sa confiance. Cela lui permettait non seulement de relâcher la pression semblant peser sur ses épaules mais aussi de s’apercevoir qu’en dépit de tout ce qui pourrait se passer… la jolie suisse serait toujours une oreille attentive et disponible. « Est-ce qu’elle t’a dit pourquoi elle ne voulait pas divorcer ? Il y a peut-être une raison objective… je ne pense pas que lâcher tes avocats comme des chiens affamés sur un seul os soit une excellente solution. La situation n’est pas idéale il est vrai… mais tu as cherché à établir le dialogue depuis ? C’est sans doute cela, le vrai problème… »

Elvia avait l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, surtout qu’elle savait pertinemment que de son côté, le dialogue n’était pas non plus son fort. Elle rougissait à la moindre action de Gabriel en face d’elle et peinait à ouvrir son cœur de peur que celui-ci ne soit brisé d’un seul mot de sa part… ridicule, vu qu’ils s’aimaient l’un l’autre et que cela ne pouvait pas être plus évident mais Dillon avait malheureusement raison : le journaliste n’était plus seulement son ours ; il était aussi le prince de Genovia. « Il est fort probablement que mon père soit un jour au courant mais… chaque chose en son temps. J’essaye de ne pas trop y penser, et puis il m’a fait subir tellement pire ! Je règle chaque problème quand il se présente. J’essaye d’être forte pour qu’il sache qu’il peut se reposer sur moi. »

D’après le portrait que dressait Dillon de la jolie Shaelynn, cela semblait être une femme de caractère. Elvia écouta tout le récit de son meilleur ami sans même l’interrompre une seconde, mais elle avait l’impression de connaître ce mieux en mieux cette jeune femme qu’elle aurait pourtant été bien en peine de reconnaître dans la rue… surtout en n’ayant jamais vu son visage. Effectivement, il semblait plus atteint qu’avec n’importe quelle autre demoiselle et c’était bien ce qui compliquait foncièrement la chose… face à elle, Dillon n’avait plus droit à l’erreur, et fatalement, il semblait se montrer diablement maladroit. La belle blonde l’imaginait regretter de ne pas juste être en train de négocier un gros contrat avec d’importants investisseurs, situation qui lui serait apparue comme une promenade de santé… mais Elvia était très bien placée pour savoir que les histoires d’amour ne sont jamais simples. N’en n’était-elle pas un exemple parfait ? Gabriel était prince, et elle une simple roturière sans fortune aucune. Certes, ses nombreux prix et son talent en tant que patineuse olympique pouvaient jouer pour elle mais si son ours devait monter un jour sur le trône… il n’était pas dit qu’elle soit toujours considérée comme sa compagne véritable. « Le problème fondamental Monsieur Wolf c’est que vous voulez tout, tout de suite… tu es beau, riche à milliards et à la tête d’une grande entreprise mais il n’en demeure pas moins que ces choses là prennent du temps. Peut-être que Shaelynn est un peu refroidie par tout le remue ménage qui se fait autour de toi dès que tu poses un pied par terre… je ne connais pas sa vie bien sûr et je ne fais pas du tout de jugement tu me connais, mais je crois plutôt que tu es simplement tombé… sur une femme de caractère. Lorsque l’on n’est pas habitué, ça loche ! »

Elvia préférait tourner la chose très légèrement en dérision afin de ne surtout pas tomber dans le mélodrame, chose pour laquelle Dillon n’était ni à l’aise ni fanatique. Mais elle dû bien admettre que le changement radical de conversation ne la mit pas dans d’excellentes dispositions de son côté. La jolie suisse n’était pas quelqu’un aimant être sur le devant de la scène. Elle ne se mettait pas en avant, ne réclamait rien pour elle et profitait de ce que les autres lui laissaient… à savoir pas grand-chose bien souvent. « D’accord, d’accord, ne crie pas avant d’avoir mal ! Je te le promets et la réciproque est aussi vraie, monsieur le milliardaire. Tu sais, je me considère comme chanceuse que quelqu’un comme Gabriel se soit retourné sur moi. Je ne pensais pas la chose possible… et même si ça m’effraie énormément, j’essaye de profiter sans trop me poser de questions. D’accord je m’en pose quand même quelques unes mais… c’est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis ma première médaille tu sais. »

Ah, Elvia et son manque cruel de confiance ! Celui-ci ne datait pas d’hier et il y avait fort à parier pour que cela n’aille pas forcément en s’arrangeant mais elle faisait des efforts, c’était l’évidence même. On ne peut hélas changer l’intégralité d’un tempérament en une seule journée, même avec énormément de volonté, et Dillon devait être le premier à en avoir conscience. N’était-il pas parti pour faire des bonds en avant considérables alors qu’il n’avait pas foncièrement à se préoccuper d’autre chose que de lui-même lors de ces quelques derniers mois ? Elvia savait à quel point sa vie n’avait pas été aisée, voilà pourquoi elle trouvait cela d’autant plus méritoire. Sauf que là, ce n’était plus seulement de lui dont il était question mais bien aussi de la jolie suisse, pour laquelle il semblait s’inquiéter alors qu’elle se persuadait qu’il n’y avait pas la moindre raison. « Je ne suis même pas sûre qu’il veuille se marier et encore moins avec moi mais ce n’est pas le plus important de toute manière ! Dillon, on va te trouver une solution digne de ce nom, d’accord ? Mais en attendant, que dirais-tu que je me mette aux fourneaux, que tu continues à déballer tout ce qui te dérange pendant que je t’écoute et que l’on satisfasse d’abord nos estomacs avant de penser à tout le reste ? » Elvia esquissa un petit sourire encourageant, persuadée qu’elle aurait bien le temps de finir sa valise avant que Gabriel ne revienne de son shopping avec Charles-Henri. Et quand bien même, son meilleur ami avait besoin d’elle et il serait dit que la jolie suisse ne laisserait pas tomber un ami dans la panade ! « Je sais, c’est comme si je ne t’avais pas écouté il y a cinq minutes mais je suivrai ton conseil après que l’on ai mangé, d’accord ? Ca peut bien attendre quelques minutes… »