« Mais franchement, il est TROP SEXYYYY !! » « Lily, s’il fallait que je compte le nombre de fois où tu as pu répéter ce magnifique refrain, probablement serais-je déjà morte d’inanition… » « Rhooo t’es pas drôle Nanaé ! Même pas tu veux le rencontrer ! J’te jure, pourtant… ce torse musclé plein de sueurs, c’est yeux qui hurlent l’envie… même, s’il te dit oui, tu dis pas non ! » « Oui à quoi, exactement ? » « Nanaé, tu me tues… t’es juste pas marrante ! » La mystérieuse brune arqua un sourcil surpris, bien qu’elle ait parfaitement compris la petite manœuvre de sa bien-aimée sœur. Lily était aussi claire qu’un livre ouvert, mais ce n’est pas pour ça que la princesse avait la moindre envie de rentrer dans son jeu. Au lieu de cela, Anaé attendit patiemment d’être seule et enfin tranquille pour agir comme elle l’entendait, toute en discrétion et en noblesse. Lily était partie à une soirée avec ses amies de la fac, pendant ce temps, la jolie réunionnaise au charme insaisissable avait pris un taxi pour se rendre à la caserne où elle imaginait trouver ce fameux Shaun ayant sauvé sa sœur chérie d’un terrible incendie. Il l’avait conduite jusqu’à l’hôpital et veillé à ce qu’elle ne manque de rien, d’où l’engouement évident de la demoiselle pour ce presque parfait inconnu. Cela faisait trois jours qu’elle était sortie de l’hôpital et depuis, elle n’avait pas eu de cesse de rebattre les oreilles de sa sœur aînée avec le pompier ayant changé sa vie. A plusieurs reprises, elle s’était rendue à la caserne pour faire de même avec Shaun en personne… lui parlant de sa sœur, de ses qualités, de son charisme absolu et en secouant sans arrêt une photographie d’elle, comme si les personnes normales faisaient des choses pareilles. A ceci près qu’Anaé était loin de se douter de la petite manigance de Lily… et si elle avait su, probablement ne se serait-elle pas rendue à la caserne directement, bien qu’elle soit habillée d’une simple chemise et d’un jean moulant, sa longue chevelure d’une jolie couleur châtain n’ayant pas davantage subit de traitement particulier. Une beauté naturelle… sans les artifices de la noblesse auxquelles Anaé était pourtant habituée.

« Veuillez excuser ma venue impromptue mais je suis à la recherche d’un certain Shaun… je n’ai pas l’honneur de connaître son nom de famille hélas je ne peux donc point vous renseigner mais si vous le connaissiez, auriez-vous l’extrême obligeance de m’indiquer son visage ? » Anaé tenta un faible sourire, sans savoir qu’elle s’exprimait face au sauveur de sa sœur. Elle ne l’avait pas reconnu, avec la sueur peuplant actuellement son beau visage, sans oublier qu’il était actuellement torse nu, en simple pantalon de pompier, dans une caserne presque déserte, à l’intérieur d’une véritable salle de sport. La princesse en venait presque à se demander ce qu’elle faisait là au juste… « Il est de coutume chez moi de remercier un sauveur avec un ballotin de chocolats. J’ai donc pensé remercier l’homme ayant porté secours à ma petite sœur de cette même façon… peut-être est-ce un tantinet étrange, je ne saurais dire. »

Ne jamais vendre la peau d’Anaé avant de l’avoir tuée, c’est une erreur que font souvent ceux qui croient la connaître et qui en vérité ne savent jamais à qui ils ont à faire. Au départ, la jolie réunionnaise se contenta de serrer franchement la main de ce fameux Shaun, avec une poigne parfaitement digne d’elle et non pas en jouant de la poignée de main molle que beaucoup de femmes de son monde possèdent. « Je m’appelle Anaé, charmée de faire votre connaissance » continua-t-elle avant de chercher à sonder la raison d’un tel refus. D’ordinaire, seul un fou pouvait dire non à un ballotin de chocolats… elle laissa donc échapper un petit rire cristallin et tout à fait franc, appréciant son franc parler contrastant totalement avec les airs pompeux que possédaient tous ceux qu’elle côtoyait à longueur de journée quand elle se trouvait encore à la cour de Suède. Il ne faut pas croire, si elle aimait parler de façon soutenue et extrêmement respectueuse, elle appréciait le fait qu’on ne tombe pas à ses pieds et qu’on la défie. Cela lui permettait de moins s’ennuyer dans son existence somme toute étrange… aussi, par défi, elle n’hésita pas à ouvrir le ballotin pour en manger un devant Shaun, accompagnant ce geste de ce charme fou dont elle était dotée de façon somme toute naturelle et qui n’avait strictement rien de vulgaire, contrairement à sa sœur. « Vous avez grand tort ! Ils viennent d’une charmante boutique appelée Wonka’sChocolate… le propriétaire est quelqu’un de virtuose et il serait dommage, si vous veniez à mourir demain par exemple, que vous vous soyez privé du seul petit péché que je vous offre, n’est-ce pas ? » Agréable façon de dire qu’elle ne venait pas pour autre chose que le remercier. Anaé avait des valeurs bien plus élevées que toutes celles des jeunes femmes de son âge. La mettre dans un moule semblable reviendrait à l’insulter…

« Faites-moi confiance… nul n’a essayé autant que moi de la comprendre, de canaliser cette folie dont elle fait preuve et qui souvent est adorable mais qui est également usante. Je pense que vous en avez eu un large aperçu lorsque vous l’avez sauvée… mais vous ne l’avez plus vue depuis et vous n’avez donc qu’une image partielle de ce tempérament que possède ma merveilleuse sœur. » Anaé prouvait par a+b qu’elle était à des lieues de s’imaginer le petit plan si bien fomenté par Lily. A la place, elle était venue en toute sincérité, sans masque ni armure, et n’hésita pas à éclater de rire lorsqu’un autre pompier s’occupa de la siffler de la façon la plus graveleuse qui soit…

La nouvelle fut comme un coup de massue pour Anaé. Elle demeura bouche bée quelques instants, ne sachant que répondre mis à part que sa sœur n’était rien qu’une petite idiote écervelée quand elle s’y mettait. Son visage parvint à trahir plusieurs émotions différentes, notamment la surprise, la peur ainsi que la colère, jusqu’à ce que cette dernière ne lui fasse froncer les sourcils pour de bon. Lily avait le don pour lui gâcher l’existence, parfois ! « Je vais la tuer » bougonna-t-elle tout en laissant sa politesse habituelle pour tourner légèrement les talons à son interlocuteur tout en s’emparant de son téléphone portable. Bien évidemment, sa jeune sœur avait éteint son téléphone, comme à chaque fois qu’elle se rendait à une petite soirée chez des amies, laissant la jolie réunionnaise dans une rage noire qu’il lui serait difficile de calmer de sitôt. « Lily je ne sais si tu as perdu quelques neurones dans la bataille ou si tu es tombée sur la tête, mais je n’ai aucunement besoin de tes services pour trouver quelqu’un qui me convienne ! A l’avenir, par pitié, dispense-toi de ce genre de peine qui vient de me rendre diablement ridicule ! Bien que ce message ne te dispensera certainement pas du savon de ta vie quand tu rentreras à la maison, tu peux en être certaine… et ne me fais pas l’affront de vouloir fuguer plusieurs jours car ma vengeance risquerait de prendre des proportions bibliques ! » Anaé avait parlé en français, sa langue natale, tout en espérant très fort n’être comprise de personne car il s’agirait vraiment du pompon. Elle ne retourna son attention envers ce fameux Shaun qu’à partir du moment où elle avait raccroché, se heurtant à son franc parler presque vexant et qui, contre toute attente, lui arracha un nouveau sourire franc. Curieux qu’il ne parvienne au miracle de la faire rire face à des paroles si peu aimables… « Peut-être devrais-je comprendre que la gent féminine ne soit pas de votre goût, à moins que ce ne soit seulement ma personne ? Dans tous les cas je ne savais rien de ce plan choquant et je vous prie d’accepter toutes mes excuses. Je ne serais évidemment pas venue si j’avais eu vent de telles… irritantes visites de la part de ma sœur. Mettez cela sur le compte de sa jeunesse… je vais tenter, pour ma part ! »

Anaé se mordilla légèrement la lèvre inférieure, mal à l’aise comme elle ne l’avait jamais été, bien qu’elle le soit avec un certain charme et une noblesse parfaitement digne d’elle. « Quant à moi, je crois que je vais devoir ruminer mon ridicule et vous laissez avec vos goûts… masculins. C’est un adieu, je suppose… Shaun. » La jeune femme lui tendit tout de même la main, reprenant peu à peu son sérieux en espérant qu’il n’allait pas la ridiculiser plus encore en refusant de la lui serrer…

Anaé était suffisamment maître de ses émotions et bonne actrice pour ne surtout pas lui faire l’affront d’éclater de rire, bien que la donne puisse paraître aisée. Elle avait senti chez Shaun un dernier élan masculin, comme pour préserver son orgueil ainsi que son honneur… alors qu’il lui confiait un détail dont elle n’avait cure. Loin d’elle l’idée de l’avoir à sa botte, pour la simple et bonne raison qu’elle ne cherchait pas à le séduire. Le beau pompier n’était pas un de ses contrats, et contrairement à ce que la presse mondiale pouvait bien dire sur elle, elle ne comptait pas tromper son mari. Du moins pas avec le premier venu… la jolie réunionnaise de se considérait pas comme une femme vertueuse mais plutôt comme quelqu’un capable de faire des choix rapides et irrévocables en fonction de la situation. Il ne faut jamais dire jamais… sans compter qu’elle avait elle-même vent de la plupart des maîtresses nombreuses et régulières de son charmant mari. Il ne faut pas croire, la jeune femme avait les yeux presque partout, et surtout de fidèles alliés à la cour de Suède. On lui rapportait le bon comme le mauvais, la tenait informée d’à peu près tout et de cette manière, son image n’était jamais ternie par le premier importun venu. Excepté aujourd’hui où ce presque parfait inconnu marchait sur un terrain glissant sans même avoir les tenants et les aboutissants… en somme, il faisait la même erreur qu’elle quelques minutes plus tard. Anaé était d’ailleurs prête à lui répondre quelque chose de cinglant lorsqu’il lui lâcha brusquement le bras et qu’elle vit débouler son chauffeur comme une véritable furie sur sa proie. Celui-ci l’avait saisi par le col, de toute son imposante masse avant de le menacer sans avoir l’air de plaisanter. Si Shaun n’était pas aussi musclé et impressionnant… peut-être aurait-elle eu peur pour lui mais même sans cela, il n’était peut-être pas utile qu’il se retrouve avec un poing dans la gueule. « Jarvis, STOP ! Monsieur O’Connor et moi avions une discussion un peu vive il est vrai mais il ne m’a heurtée en aucune manière. Reprenez-vous, au nom du ciel ! » « Votre altesse, il ne m’a pas semblé être un homme d’une délicatesse allant à votre rang… de plus, il est de mon devoir de veiller sur vous. » « Il ne m’a pas heurtée, ai-je dis… votre devoir ne devrait point vous empêcher d’entendre mes arguments, n’est-ce pas ? »

Anaé avait arqué un sourcil, attendant patiemment que Jarvis ne s’écarte de Shaun pour lui noter quelque chose sur un morceau de papier tiré de son sac à main. « J’aurais expressément besoin que vous vous rendiez à cette adresse pour vous assurer que ma sœur n’a rien. Voilà qui est plus urgent… » « Majesté, mais vos agresseurs… » « …sont bien loin à l’heure qu’il est et je me sens d’humeur à une petite marche. L’air est doux, c’est une formidable idée pour terminer cette matinée. » La princesse n’aurait pas souffert de réplique, de toute évidence. Jarvis s’inclina donc, laissant son accent ainsi que son flegme anglais le guider jusqu’à la voiture, laissant Anaé à nouveau seule en présence de Shaun. Cette fois-ci, elle ne retint pas un petit sourire narquois et moqueur tout en même temps, tandis qu’elle pensait qu’il était plus que temps de remettre les points sur les virgules. « Je ne sais si vous êtes vous-même tellement arrogant ou habitué à ce que l’on ne vous « cire les pompes » comme vous dites si agréablement, mais vous perdez toute notion de la réalité. Je n’avais aucune intention de vous séduire de quelque manière que ce soit. Je suis peut-être bourgeoise, mais vous n’êtes qu’un sot puant de prétention, grossier en prime et… votre sexualité ne m’intéresse en aucune façon. Prendre ma visite aimable pour autre chose prouve que vous délirez… et le fait avec un brio que je pourrais presque applaudir ! »

Outrée, blessée, vexée, Anaé avait violemment froncé les sourcils sans même avoir le temps de rétorquer quoi que ce soit. L’irlandais au franc-parler insupportable venait de s’éclipser dans un couloir, trop content d’avoir le dernier mot pour lui laisser l’opportunité d’ajouter la plus petite réplique qui soit. D’ordinaire, la jolie française aurait quitté les lieux afin de fuir le plus loin possible de cet imbécile grossier, mais là, sa colère était bien trop vive pour qu’elle ne prenne pas sa suite et n’aille pas jusqu’à le suivre dans les douches, lieu où Shaun s’était « réfugié »et qui était totalement désert. Pas le moindre témoin de la suite de leur petite joute verbale, voilà qui sonnait comme une délicate mélodie à ses oreilles. Le pire, c’est que même très en colère, Anaé parvenait à dégager une sorte de noblesse doublée par une beauté naturelle absolument incroyable. Elle n’avait pas encore prononcé un mot mais sa prestance avait déjà occupé l’espace, donnant le ton de la suite tandis qu’elle avait refermé la porte sans même se rendre compte qu’elle n’avait pas claqué comme elle l’avait voulu. Ce qui claqua en revanche, ce fut la gifle grandiose qu’elle lui asséna en y mettant toute sa force. Certes, la différence entre leurs masses musculaires était très importante mais Anaé avait de la poigne ainsi que de la défense, son viol en étant la première raison. Sa respiration avait beau être rapide sous l’effet de cette rage indicible qu’elle ressentait, il n’en demeure pas moins que sa diction restait parfaite et qu’on ne pouvait que la comprendre. « A vrai dire, sot n’est pas du tout le terme qui vous correspond ; sourd, en revanche, bien mieux ! Je ne sais combien de fois il faudra que je vous répète que je n’ai aucunement voulu que ma sœur vous harcèle de quelque manière que ce soit, de même qu’il ne me viendra jamais à l’idée de désirer un rustre, primaire et cruel dans votre genre ! Ce n’est pas vos affaires ce que je fais des miennes, alors à l’avenir je me passerais de vos petits jugements mesquins et proprement grossiers. »

Anaé se moquait de leur proximité, elle se moquait du fait d’être seule face à cette montagne de muscles diablement attirante, et, plus que tout, elle se moquait de l’avis qu’il pouvait bien s’être fait d’elle. Tout ce qu’elle voulait, c’était rétablir la vérité… juste la vérité. Après elle s’en irait et ferait en sorte de ne plus jamais croiser sa route. « Mais pour être aussi hargneux et m’insulter en me traitant de bourgeoise comme vous le faites, j’en déduis que vous devez avoir un sérieux problème… une femme fatale, peut-être ? Celle qui ne vous aura pas donné tout ce que vous vous estimiez en droit d’attendre, ou pire ! Non je n’y suis pas du tout… elle vous a trahi ! Et par conséquent, vous croyez être en droit de me prendre comme un vulgaire punching-ball alors que mes intentions étaient simplement aimables, rien de plus, rien de moi ! Mais si même votre égo surdimensionné vous aveugle au point de croire que tout le monde vous désire ardemment, alors je ne peux rien pour vous ! » C’est à ce moment précis qu’elle constata qu’il était déjà complètement nu en face d’elle, et qu’elle s’époumonait somme toute pour pas grand-chose. Anaé s’occupa de se maudire avant de détourner le regard, légèrement gênée, avant de reprendre : « Mettez quelque chose sur vous, nom d’un chien ! Et pour information…la française emmerde l’irlandais, sans sourire en revanche vu que votre grossièreté ne provoque strictement aucune sympathie chez moi ! » Somme toute, elle lui avait laissé le dernier mot afin d’obtenir le point final.

« Ah parce que vous vouliez vous excusez ? Tiens donc, je ne l’aurais pas pariée celle-là ! » Anaé n’eut pas le temps de dire autre chose, trop préoccupée par la rage indicible qu’il avait provoquée chez elle lorsqu’elle entendit une fois étant loin d’être inconnue à ses oreilles. L’expression soudaine de Shaun la surprit, comme s’il s’attendait à prendre une soufflante des plus mémorables par celui étant probablement son chef… qui ne manqua pas de rester parfaitement interdit en voyant la jolie française en chair et en os, bien que les cheveux trempés, en face de l’un de ses pompiers vêtu uniquement d’une serviette. Il commença une véritable diatribe contre Shaun sans même savoir comment, pourquoi ils en étaient arrivés à cette conclusion là. Anaé aurait évidemment pu rester là, sans mot dire et observer avec une extrême jubilation le spectacle magnifique que cela lui offrait… mais la cruauté n’avait jamais fait partie de son tempérament. Elle se racla donc la gorge alors qu’il n’avait dit qu’une phrase, prête à intervenir dès qu’il la laisserait parler. « C’est ma faute. Nous avons démarré une petite joute verbale tout à fait sympathique, cela s’est envenimé et tu me connais, je suis incapable de résister à obtenir le dernier mot, je l’ai donc suivi ici… cela ne s’est envenimé que par ma faute, il n’est nullement à blâmer. » Le chef écarquilla de grands yeux avant de regarder Anaé comme si elle était une martienne débarquée d’une autre planète. Il éclata d’un rire gras et communicateur avant de la serrer dans ses bras non sans un incroyable enthousiasme. Le blâme qu’il avait prévu pour Shaun s’envola comme un oiseau dans le ciel et il n’y pensait plus une seconde, ayant toujours eu pour habitude de croire cette charmante demoiselle qu’il n’avait hélas pas vu depuis longtemps. Trop longtemps… « Ca ne m’étonne pas, tiens ! Tu as toujours été rude envers les hommes, même quand tu avais cinq ans et que tu me frappais avec ton ourson en peluche ! Cela fait combien… deux ans ? Une éternité ! C’est fou ce que tu ressembles à ton père, un grand pompier, le meilleur. Il me manque ! » « A moi aussi » crut-elle bon d’ajouter avant d’être surprise qu’il ne lui tende une serviette pour éponger ses cheveux humides. « Tu vas attraper la mort, pense à tes poumons ! Bon… maintenant que tu es là, je ne vais pas te laisser filer comme ça ! Je devrais avoir fini d’ici une heure, et je tiens à ce que tu me racontes ta vie palpitante depuis deux ans. Le dinner du coin sera ravi de faire ta fantastique connaissance ! Tu m’attends, hein ? Shaun tu veilles sur elle, parce qu’elle vient de te sauver la mise, heureusement qu’elle était là. »

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le chef s’était éclipsé, la laissant éponger légèrement ses cheveux et faire face au jeune homme alors que techniquement parlant… elle ne pensait avoir rien de spécifique à lui dire. Le supporter pendant une heure risquait d’être diablement long… « Six règles, hein… je peux avoir l’honneur de les entendre ? » C’était ça ou supporter un silence abominable. Et ça, très peu pour elle.

« Mais je vous en prie » énonça finalement Anaé, non sans accompagner sa phrase d’un sourire franc et nettement plus apaisé, avant de sortir purement et simplement des douches. L’idée que l’on ne veille sur elle lui déplaisait, surtout qu’il restait l’homme rustre s’étant vengé sur elle d’une quelconque frustration ridicule… mais il n’empêche qu’elle attendit dans le couloir, assise à même le sol, les genoux ramenés contre son corps aux courbes élancées. Shaun ne tarda pas à réapparaître, avec un discours nettement plus sympathique que celui qu’il ne lui avait tenu il n’y avait pas une demi-heure. La donne fit légèrement sourire la jolie française d’ailleurs, car cela ne l’étonnait pas qu’il ait retenu cette information entre toutes les autres. « En effet. Jules Beauharnais… je ne pense pas que vous en ayez entendu parler, mais mon père et votre capitaine ont été amis pendant très, très longtemps. Je l’ai connu je n’étais qu’une enfant, du reste… et je le connais suffisamment pour savoir qu’il n’aurait pas eu le moindre scrupule à vous mettre un blâme. Voire même davantage… vu que je faisais partie de l’équation. J’ai pensé qu’il était plus sage d’éviter davantage de dommages. Vous risqueriez de faire un infarctus avant l’âge, chose qui serait également dommage. » Ah, la princesse n’était pas aussi magnanime d’ordinaire. Elle n’aimait pas que l’on s’oppose à elle sans raison apparente, il faut dire. A sa décharge, le ton était monté sans qu’elle n’ait réellement dit ou fait quelque chose de dommageable. Cela ne l’empêchait pas de devoir supporter la présence du pompier et inversement pendant l’intégralité de l’heure à venir, soit un moment qui risquait d’être semblable à une véritable éternité à ses yeux. Il faut souffrir pour être belle, comme dit l’autre…

« Et d’où venez-vous, en Irlande ? Je suis déjà allée du côté de Dublin pendant quelques mois… c’était très agréable. Je me demande ce qui vous a poussé aussi loin de votre contrée natale. Je pourrais me retourner la question me direz-vous. » Anaé laissa échapper un petit rire moqueur qui se dirigeait davantage contre elle que contre lui. Elle se trouvait littéralement pathétique de s’être autant emportée face à cet importun alors qu’il n’aurait mérité que son dédain. Fallait-il qu’elle soit dans une très mauvaise période… chose n’étant pas loin de la vérité. « Pardonnez-moi pour la gifle. Je n’aurais jamais dû m’emporter à ce point et j’ai eu tort. C’était incroyable stupide et parfaitement indigne de ma personne. » Difficile d’attendre de sa part autre chose qu’un discours relativement soutenu. Elle était toujours surveillée, analysée sous toutes les coutures… impossibles d’être naturel dans ces conditions, pas même alors qu’ils n’étaient que tous les deux.

Anaé écoutait avec une attention toute particulière le discours de cet homme nettement plus séduisant et sympathique qu’il n’y paraissait au premier regard. Contrairement à l’idée qu’il l’avait forcée à se faire de lui, il n’avait rien d’une grosse brute épaisse et avinée. Oh bien sûr il avait un franc parler qu’elle n’avait pas, mais cela n’était pas pour la déranger. Bien au contraire, elle appréciait tout particulièrement le fait qu’il ne lui mange pas dans la main, qu’il la défie à chacun de ses regards et ne la repousse dans ses derniers retranchements en quelques phrases. Il pouvait se vanter de l’inciter à se relever et à lui serrer la main avec conviction tandis qu’il se présentait à elle avec sincérité. « Enchantée Shaun… Anaé Beauharnais, tête brûlée quand elle s’y met mais qui a tout de même de bien meilleures manières d’ordinaire ! » La jolie française n’hésita pas à ponctuer sa phrase par un sourire on ne peut plus franc, dévoilant sa dentition parfaite. Finalement, il n’était pas dit qu’ils ne puissent pas s’entendre. S’il avait eu une rude journée, elle trouvait sa réaction logique et probablement aurait-elle eut sensiblement la même dans son cas… Anaé avait appris à dominer ses émotions les plus animales mais il n’empêche qu’il valait mieux ne pas être à côté en cas de colère non contrôlée. Lily en avait déjà fait les frais et parvenu à faire la tête à sa sœur aînée trois semaines d’à filée. La preuve que le discours qu’elle avait tint était loin d’être aimable et délicat…« Française oui, et réunionnaise pour être parfaitement précise. Vous savez, le peuple étrange qui mange des piments au petit déjeuner. » La demoiselle s’était toujours présentée ainsi, les rares fois où elle n’était pas en représentation et qu’elle n’avait donc pas à mettre de masque de contrôle à tout prix. En cette minute précise, la jeune femme n’était pas la future reine de Suède, elle n’était même pas une femme mariée contrainte à des responsabilités la dépassant totalement, contrainte également à porter de petits héritiers à la couronne… elle n’était personne d’autre qu’une charmante demoiselle rencontrant quelqu’un d’étonnant et demeurant, contre toute attente, passionnée par le mystère qu’il semblait dégager.

« J’envie la liberté que vous avez. Vous avez choisi de rester à New York et de travailler pour la personne au plus grand cœur de cette planète, vraiment je crois que je vous envie énormément. Il m’a sauvé également la vie et je lui dois énormément… pourtant, cela fait deux ans que je ne l’avais pas vu, bien que cela fasse deux ans que j’ai décidé de venir vivre dans cette merveilleuse ville. Je suppose que l’on se sent tout petit devant sa prestance. » Anaé avait beau paraître comme quelqu’un d’assuré, manipulateur et capable de choisir ses mots avec une extrême précaution, elle n’en restait pas moins quelqu’un de brisé. Mais elle n’oubliait pas qu’il y a deux ans, s’il n’avait pas été là alors qu’elle gisait presque morte dans une rue sombre de Paris, elle ne serait plus de ce monde. Une étrange émotion passa dans les prunelles d’Anaé avant qu’elle ne se reprenne, de façon plus machinale qu’autre chose. « Vous avez de la chance de l’avoir à vos côtés. Mais… s’il revient vers vous, c’est qu’il a vu des qualités que vous ne soupçonnez peut-être même pas vous-même. »

« En effet il n’est guère possible de vous faire plier, y compris en mettant toute sa force dans une même gifle… à croire que vous soyez invincible ! » Anaé avait croisé les bras contre son corps frêle, cherchant à analyser les moindres réactions de cet homme étonnant et finalement bien moins désagréable qu’il n’y paraissait au premier regard. Cela n’allait pas se révéler d’une grande utilité puisque d’ici une heure elle aurait quitté la caserne, mais sa curiosité avait été piquée au vif, et comme toujours il lui était extrêmement difficile de la faire taire pour de bon. « N’allez surtout pas prendre cela pour un compliment, ça n’en n’était pas un » crut-elle bon d’ajouter alors qu’elle le suivait effectivement jusqu’à la salle de repos, heureusement déserte pour l’instant. Anaé n’avait aucune envie d’être scrutée de façon désagréable par une poignée de pompiers qui n’aurait pas suivi la scène depuis le début, ou au contraire juste le début sans connaître le dénouement de leur joute verbale… il faut dire qu’elle manquait cruellement de patience pour ceux qui ne captaient pas immédiatement les tenants et les aboutissants de quelque chose, surtout en ce moment où le temps était son plus gros problème. En effet, la jolie française croulait sous les contrats, il était donc miraculeux qu’elle ait choisi de rester ici pour donner une leçon à Shaun d’une part, et pour accepter un déjeuner rapide avec le chef de caserne d’autre part. Vraiment un miracle… ou une décision mûrement réfléchie, difficile de savoir. « Oh et… je suis peut-être réunionnaise mais je tuerais pour quelque chose de plus rafraîchissant que de l’alcool, donc votre proposition tombe à point nommé. Mon petit accès de colère m’a assoiffée. »

Afin de ne pas paraître pompeuse ou même avoir l’air de s’imposer, elle laissa Shaun faire, refusant de se mettre dans ses pattes ou de créer une proximité qu’elle ne pouvait pas soigneusement éviter. C’était préférable quand elle n’était pas liée par contrat et donc obligée de séduire quelqu’un. Elle s’assit donc sur un fauteuil des plus confortables tandis que les propos du beau pompier lui revenaient inlassablement en tête. La jolie française aurait été bien incapable de savoir ce qu’il entendait par « souvenir » mais cela n’avait justement fait qu’attiser sa curiosité plus encore. « Il faudrait que vous m’expliquiez ce que vous trouvez étrange chez moi… le fait que je sois aussi fière que vous et que je n’ai aucune envie d’abandonner le combat ? Alors voyez-le comme cela. Peut-être n’êtes-vous pas le seul à refuser de courber l’échine… et l’âme. » Anaé avait toujours une façon particulière de regarder ses interlocuteurs. Il y avait toujours un profond respect de l’être humain dans chacun de ses regards. Cela s’éloignait de cette façon pompeuse et orgueilleuse que les têtes couronnées possèdent pour regarder autrui. Elle ne déviait pas les yeux vers le sol et ne coupait donc pas le contact visuel… « Vos souvenirs sont mauvais en Irlande ? Je suis navrée de l’apprendre. » Attention… tu ne sais pas sur quel terrain tu t’aventures.

« Je peux me contenter d’une paille, n’ayez crainte. » Anaé avait beau tenter d’analyser ce fier irlandais, elle ne parvenait réellement à le saisir. Possédait-il réellement une telle nonchalance ou avait-il de nombreuses peines à cacher ? Il valait toujours mieux rire de son propre malheur qu’en pleurer, mais à bien des égards, le rire ne sauvait pas nécessairement, et ne libérait pas autant que les larmes. La jolie française s’assit sur le fauteuil d’en face, éberluée par les différents propos de Shaun tombant comme un cheveu sur la soupe. Il sautait du coq à l’âne comme s’il était incapable de se fixer sur une conversation en particulier. Par où commencer, dans de telles conditions ? Sans doute le fait de revenir sur la confidence liée à sa sœur n’était pas l’idée du siècle, aussi se fixa-t-elle à rire de la réflexion qu’il venait de faire vis-à-vis de ses manières. Qu’elles soient troublantes et choquantes pour tout le monde, Anaé voulait bien l’entendre. On le lui disait souvent, et de cette manière, personne n’était jamais totalement naturel en sa présence. Cela ne l’empêchait jamais de dire ce qu’elle pensait, bien que de façon largement enrobée dans une cascade de mots on ne peut mieux choisis, mais il est vrai que la jolie française ne s’exprimait pas et n’agissait pas comme le commun des mortels. Avec le recul, elle avait fini par en faire une force. « Ca tombe bien, loin de moi l’idée de vouloir impressionner qui que ce soit. Mais vous êtes le premier à ne pas hésiter à me regarder dans les yeux, à vous opposer à moi sans hésiter, et si vous arrêtiez de rabâcher le mot « princesse » en l’utilisant comme une ponctuation, alors le paradis serait trouvé pour moi. » Anaé haïssait sa condition, parfois, aussi incroyable que cela puisse paraître. Son mariage en était la première raison… « Que vous trouviez cela étrange ne m’étonne guère, à vrai dire. Mais j’ai été élevée de cette manière et je ne peux pas me permettre d’avoir un vocabulaire aussi cru que vous. Je suis surveillée à longueur de temps et si je me permettais ce genre d’écart, pour sûr, cela ferait la une de tous les magazines dès le lendemain comme s’il s’agissait d’un potin valant de l’or. Je ne m’appartiens pas, aussi désolant que cela puisse être. »

Anaé esquissa un petit sourire discret, mesuré, à son image. Son accès de colère était son premier depuis des années. Elle n’avait jamais giflé son mari, par exemple. Faire preuve de violence était contre tous ses principes. Fallait-il qu’il ait su frapper là où ça fait mal pour qu’elle s’en donne à cœur joie. « Je suis désolée pour votre sœur, je l’ignorais et c’était extrêmement maladroit de ma part. Mais vous savez, si votre capitaine est aussi protecteur avec moi, c’est qu’il n’a pas pu sauver ma famille du feu ayant saccagé notre maison à la Réunion. Il nous a sauvées, ma sœur et moi, mais nos parents ont été prisonniers du feu et personne ne pouvait rien faire. J’avais quinze ans. Je pense que c’est en partie pour cette raison que Lily est venue vous harceler. Je veille sur elle depuis des années et elle se désespère que quelqu’un ne veille pas sur moi. On ne guérit pas de ce genre de choses je suppose. » A sa façon, elle lui faisait comprendre qu’elle savait de quoi il pouvait bien parler. Mais avec toute sa maîtrise et son respect, bien évidemment. « Un pompier tel que vous aime à être vautré devant la TV, j’imagine ? »

« Non, personne n’ose jamais m’envoyer sur les roses. J’ai déjà testé d’être la pire emmerdeuse que la terre ait portée… rien n’y fait. Soit je fais peur, soit mon titre est tellement inscris sur mon front que cela empêche les gens d’agir normalement. Résultat, je doute toujours de la sincérité des gens à mon égard. Oh n’ayez crainte, difficile de douter de la vôtre ! » Mais c’était bien la raison pour laquelle Anaé ne se sentait pas mal à l’aise en sa présence. Il la regardait dans les yeux, ne courbait pas l’échine, ne faisait pas en sorte de lui passer une insupportable pommade et lui offrait par conséquent un challenge un peu plus conséquent. De quoi enchanter son goût évident pour les joutes verbales ! « Je n’ai jamais dit que ma vie était paradisiaque. Pour un peu, j’envierais presque la vôtre ! » Pas d’obligation, pas de discours particulier à avoir, le sentiment d’être libre de ses mouvements et de sa vie… vraiment, Shaun connaissait probablement sa chance de ne pas être surveillé vingt quatre heures du vingt quatre. La jolie française aurait payé cher pour péter un câble sans que ce ne soit notifié, inscrit dans la roche, et même colporté de façon fausse ou exagérée, chose qui était malheureusement très souvent le cas. Même le fait de pouvoir se vautrer dans une salle de repos en pleine caserne de pompiers était à exclure. Anaé ne s’y risquerait pas de peur qu’on ne se serve de cette information, d’apparence bénigne, contre sa personne. Le défaut de la vie royale… « Vous avez un bateau ? Chanceux que vous êtes ! A vrai dire… lorsque je peux m’éclipser, que personne n’est là pour me surveiller, me photographier sous toutes les coutures et que je peux être vraiment moi-même, je prends ma meilleure amie avec moi. » Anaé sortit ses clefs de moto, une magnifique sportive de chez BMW qu’elle agita sous le nez de Shaun, tout en sachant qu’il reconnaîtrait sans doute l’image, ainsi que le message transmis par lesdites clefs.

« Il m’arrive souvent d’insulter les gens dans ma tête, tout comme j’essaye de m’éclipser aussi souvent que je peux. C’est plus pratique pour hurler en pleine nature. J’effraye uniquement la flore de cette façon ! » La jolie française lâcha un petit rire amusé avant de ranger soigneusement ses clefs dans son sac à main. C’est marrant, mais la mer lui manquait, tout d’un coup. Elle avait l’habitude de s’y rendre très régulièrement lorsqu’elle habitait encore à la Réunion, mais c’était proscrit à New York ! « Votre femme n’est pas offusquée de dormir dans un voilier ? Beaucoup de femmes détestent l’exotisme… personnellement je préfère ce genre d’exotisme à des hôtels particuliers, mais je suppose que vous allez dire que je suis… tarée ? »

Anaé haussa un petit sourcil de surprise face à l’hésitation de Shaun, parfaitement révélatrice. Son histoire avec cette fameuse Joyce ne semblait pas aussi évidente que cela, il ne fallait pas sortir de Saint-Cyr pour le comprendre… mais difficile de le blâmer dans la mesure où depuis le départ, elle ne faisait pas état de son propre mariage. Il était inutile de le mentionner aux yeux de la jolie française, puisque son union ressemblait davantage à un champ de ruines qu’à un conte de fées. En parlant de ça, la jeune femme laissa échapper un petit rire face à la question du beau pompier, ne sachant guère s’il s’agissait d’une plaisanterie ou si sa petite sœur était effectivement fan de princesses… « Moïra, c’est magnifique comme prénom » se permit-elle de noter sans que son sourire ne diminue d’un pouce. Anaé avait toujours adoré les prénoms un peu spéciaux, voilà pourquoi elle aimait tant le sien et ne supportait pas les surnoms. Lily avait fini par le comprendre, à force de se prendre les remontrances de son aînée… « Un avantage ? Tout dépend. Si on considère des petites choses comme importantes, juste une seconde, alors on peut porter pour une soirée la robe la plus époustouflante ayant jamais été portée, créée juste pour soi, par un grand couturier n’ayant de cesse de complimenter la beauté de votre personne. C’est un peu… grisant. Pour ma part je n’ai jamais beaucoup aimé la notoriété que je trouve particulièrement gênante, mais être sous les feux de la rampe est un rêve de beaucoup de jeunes filles. On idolâtre ce que l’on ne connait pas. Vous avez un appareil photo ? Je m’en voudrais beaucoup de ne pas encourager les rêves de votre sœur. »

Anaé s’était relevée et approchée de Shaun à pas lent, attendant de voir s’il allait se lever ou s’il fallait qu’elle s’approche encore. A vrai dire, une petite séance photo improvisée avec un parfait inconnu avait de la classe… « Si vous êtes fantaisiste, on peut même en prendre plusieurs. Si ça peut vous prouver que je n’ai pas une centrale électrique dans le derrière ! Ca vous fera peut-être mettre de côté cinq minutes votre histoire quelque peu… nébuleuse avec cette fabuleuse Joyce. » Il n’y avait pas la moindre moquerie de la part de la jolie française, bien au contraire, mais plutôt une volonté de lui prouver qu’elle avait oublié d’être idiote ou aveugle. On n’hésite pas à encenser une personne que l’on aime lorsqu’elle est tout pour nous…