« J’ai besoin de votre aide !!! » Lily, d’ordinaire plutôt enjouée et toujours souriante, venait de débarquer comme une furie dans le pub des O’Connor le visage hourdé de larmes, la peur au ventre. Certes, elle n’avait que faire des conventions et se fichait la plupart du temps des conséquences de ses actes, mais elle savait de source sûre que Shaun y serait présent, ainsi que son boss, le fameux pompier ayant toujours veillé sur des sœurs de Beauharnais et sauvé la vie de celles-ci lors de la mort de leurs parents. Il fut le premier à se relever de sa place, alors qu’il sermonnait Shaun depuis dix bonnes minutes bière en main. Exceptionnellement, O’Connor père mit à la porte les trois clients restant encore dans son pub en vue de le fermer et d’écouter ce que la jeune française avait à dire. Il ne savait pas pourquoi, mais son petit doigt lui disait que cela concernait Anaé… « Lily ?! » demanda le chef des pompiers avant de la prendre par les épaules. « Il faut que tu m’aides… Je crains pour Nanaé !! » « Calme-toi, respire. Raconte-moi. » « Ce salopard de Carl l’a embauché pour se venger… son violeur !! Il l’a pris comme assistant et a menacé la famille de Shaun de représailles si Anaé refusait de se pointer à un gala avec eux deux. Je sais qu’il va lui faire du mal… je le sens !! Elle a refusé que je vienne et a fait en sorte de me maintenir chez nous mais j’ai réussi à m’échapper… pitié, il faut que tu m’aides, je ne peux pas la perdre, elle est ma seule famille ! » « Tu veux dire que le salopard l’ayant souillée et rouée de coups au point qu’elle ait besoin de se faire greffer un poumon a été embauché par son mari par vengeance ?! Et qu’en prime, il l’a poussée dans ses derniers retranchements en menaçant les O’Connor ?! Lily, tu as exactement dix secondes pour me donner l’adresse du gala ! » La jeune brune s’exécuta en inscrivant ladite adresse sur un morceau de papier, mais elle fut stoppée dans son élan par un coup de fil de sa nourrice, toujours embauchée par les deux sœurs et qui venait de voir rentrer une Anaé en particulièrement mauvais état. Elle n’avait pas été en mesure de monter à sa chambre à l’étage et avait donc élu domicile dans les appartements d’invités, au rez-de-chaussée. Mais d’après elle, il fallait faire vite, car celle-ci était hourdée de son propre sang.

« O’Connor, je t’apprécie, mais tu vas nous rendre service et foutre ta fierté d’irlandais à la con là où je pense. Tu vas y aller, tu vas l’aider, et je me charge de l’autre enfoiré. Si tu n’y vas pas, c’est pas la peine de te repointer à la caserne. » Il ne le pensait pas vraiment, mais il lui fallait juste quelqu’un de confiance auprès de la princesse en attendant qu’il ne puisse y aller lui-même. Quant à Lily, elle fut « recueillie » par la mère de Shaun, car il valait mieux ne pas la perturber davantage en lui offrant la vue de son aînée blessée. Pendant ce temps, effectivement, Anaé se trouvait dans une posture particulièrement délicate. En plein gala, son ancien agresseur avait réussi à la prendre à part et à la malmener ; si elle était parvenue à s’en sortir, c’était uniquement grâce à un tisonnier qu’elle avait trouvé près de la cheminée de la pièce. Mais pour l’instant, elle grelottait de peur devant le lavabo de l’immense salle de bain, qu’elle avait blindé de compresses histoire de désinfecter la plaie imposante qu’elle avait au bras mais aussi sur le flanc droit. Un filet de sang s’échappait de sa lèvre inférieure et de son arcade, mais elle n’osait pas se regarder dans le miroir de peur d’être effrayée par son propre reflet. Elle tentait pour l’instant d’enlever sa robe de soirée complètement déchirée, la douleur l’empêchant d’y parvenir pour l’instant. Elle fut victime d’un très imposant sursaut lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir, et il fut particulièrement pénible pour elle de dégoiser ne serait-ce que ces quelques mots : « allez-vous-en ! Je n’ai pas besoin d’aide… je ne veux pas que l’on me regarde… »

L’intégralité du corps de la jolie française semblait n’être qu’une gigantesque plaie ambulante. Chaque parcelle de celui-ci la faisait atrocement souffrir et pourtant, entendre la voix de Shaun fut un véritable baume. Anaé tremblait toujours mais n’eut pas la force de le repousser bien qu’elle aurait préféré qu’il ne voit jamais cet abominable spectacle. Il ne s’agissait pas d’un excès de fierté mais plutôt une peur panique d’être à nouveau blessée. Ce n’était pas faute de s’être battue pour sa vie ce soir, et sans doute était-ce sa volonté extraordinaire qui faisait qu’elle n’était pas blessée gravement. « Il portera certainement une cicatrice sur l’intégralité de son visage face au coup que je lui ai mis avec un tisonnier » articula-t-elle avec difficulté alors qu’elle peinait ne serait-ce qu’à le regarder en face. Anaé revoyait le pire épisode de sa vie revenir telle une ritournelle maudite dans le fond de son esprit, par flashs. Elle aurait hautement préféré que Shaun ne soit jamais au courant de ce genre de choses, car tous ceux qui avaient eu le malheur de l’apprendre ne l’avaient plus regardée de la même façon après. « J’ai empêché le pire… il n’a pas pu recommencer » crut-elle bon de préciser avant d’esquisser un soupir de douleur alors qu’il cherchait simplement à l’examiner. « Je n’arrive pas à enlever ma robe » continua-t-elle, partant du principe qu’il valait mieux qu’elle s’exprime si elle ne voulait pas purement et simplement s’évanouir dans la seconde. Anaé n’avait pas l’intention de dire à Shaun que Carl avait menacé sa famille et qu’elle n’avait eu aucun autre choix que celui de se rendre à ce maudit gala en présence de son agresseur. La jolie française aimait bien trop son pompier pour supporter qu’on ne le menace… même si elle l’entendait lui dire d’ici qu’il n’avait pas besoin d’être secouru ; il n’empêche qu’il ne connaissait pas l’abominable mari de la princesse, contrairement à elle, qui était la première à connaître ses sales méthodes et l’étendue de son pouvoir.

« Comment tu as su ? » lui demanda-t-elle car rien d’autre ne comptait pour l’instant. C’était ça ou se remémorer ce à quoi elle venait d’échapper, ainsi que les longues minutes à tituber dans les rues de New York pour revenir ici, dans son petit palais qu’elle avait décoré de ses mains et qui constituait une sorte de protection à ses yeux. « Tu n’es jamais venu ici… » Alors qu’il l’examinait, la jolie française ne put décemment s’empêcher de pousser un cri de douleur tant celle-ci était vive dans sa chair. Elle allait vivre une nuit d’enfer… « Ne me regarde pas… ne me regarde pas… » répétait-elle avec une honte indicible dans le tréfonds de sa voix. Alors qu’il n’y avait aucune raison, elle se sentait coupable.

Carl n’avait fait que ressentir du dégoût pour elle depuis son viol, tant et si bien qu’elle imaginait, dans sa grande naïveté, qu’il en serait de même pour Shaun. Comment diable pouvait-elle être stupide au point de croire qu’il l’abandonnerait ? Il n’était en rien semblable à cet abject personnage, bien au contraire. Elle osa lui faire face en plongeant son regard dans le sien, mais la jolie française n’imaginait pas une seconde qu’il comptait lui faire une déclaration aussi enflammée. Ses mots furent un baume incroyable sur son insupportable douleur, et si des larmes coulèrent contre ses joues pâles et froides, ce ne furent aucunement des sanglots de tristesse… plutôt de joie. Oui, une joie indicible s’était emparée de son être et bien que le fait même de sourire soit douloureux, elle n’hésita pas à le faire pour lui prouver à quel point il venait de la toucher en plein cœur. « Bien sûr que si je me sens coupable ! Coupable d’être liée à cet homme monstrueux, coupable de t’avoir menti, coupable de ne pas pouvoir être avec toi… je ne voulais pas qu’il vous fasse du mal, à toi comme à ta famille. » La respiration d’Anaé était difficile mais elle estimait ne pas s’en être trop mal sortie. Elle sentait une sorte de grande force s’insuffler dans la moindre parcelle de son être, lui offrant l’opportunité de réfléchir froidement à une solution… bien sûr que oui elle allait divorcer, et plutôt deux fois qu’une ! « Si je pouvais, ce serait déjà fait… il n’est pas question qu’il me sépare de toi une seconde de plus. Quitte à ce que je doive séduire un avocat malheureux en couple pour se faire je n’en n’ai cure… » Il n’était décidément rien qu’elle ne puisse faire pour retrouver cette intimité privilégiée avec Shaun. Certes, les soins qu’il lui prodiguait n’étaient pas une partie de plaisir mais elle osait espérer que ce n’était qu’un mauvais moment à passer.

« Peut-être suis-je punie pour t’avoir menti ? » avoua-t-elle en tentant un deuxième sourire tandis que la petite distance physique se jouant entre eux la tuait littéralement. Elle savait que Shaun pouvait la repousser mais elle stoppa l’un de ses soins pour lier plus intensément ses lèvres aux siennes, oubliant la douleur, la peur qu’elle avait ressentie jusqu’à ce qu’il n’arrive à sa rescousse, mais également toute la rancœur qu’elle avait ressentie envers sa propre personne pour n’avoir pas su lui avouer qu’elle était mariée en temps et en heure. La jolie française avait pleinement conscience qu’elle bravait l’interdit, mais elle avait quelques circonstances atténuantes. Bientôt, elle se détacha doucement de ses lèvres puis, après avoir posé délicatement et douloureusement sa tête contre son torse pour se laisser bercer par les battements réguliers de son cœur. « Je t’aime… je ne peux pas imaginer une seule journée supplémentaire loin de toi, c’est une torture plus douloureuse encore que ce que je suis en train de ressentir à cet instant. Mais j’avais peur que ton regard change parce que cet homme m’a souillée… il m’a volé une partie de moi. Mais en ta compagnie… j’ai connu mon premier sommeil paisible depuis des années. Tu as été la paix qui m’étais refusée depuis cette abominable nuit… je te demande pardon si je t’ai blessé, ou déçu, je te promets de réparer chacune de mes fautes si tu m’en laisses l’opportunité… mais je refuse de m’excuser pour ce que tu as éveillé en moi. Shaun, tu as réveillé un cœur devenu fossile et tu m’as fais connaître le tout premier rayon de soleil qui a illuminé ma morne existence. Je t’aime… et pour ça je ne me sentirai jamais désolée. »

Anaé fut en quelques sortes prise d’une légère panique alors que Shaun se terrait dans un silence de cimetière. Cela n’annonçait rien de bon et en cours de route, la jolie française se mordit la lèvre inférieure pour avoir eu la langue aussi bien pendue. Elle ne s’attendait en aucune façon à le voir s’amuser à faire les cent pas dès lors qu’il l’eut déposée avec une extrême délicatesse sur son immense lit. Autant dire qu’elle s’attendait encore moins au discours qu’il lui offrit et qui ne manqua pas de lui arracher un large sourire malgré la douleur évidente se jouant dans l’intégralité de son corps. Diantre, elle avait vraiment l’impression d’être une gigantesque plaie ambulante ! Pourtant, elle fut incapable de rester allongée en entendant d’aussi belles paroles. Qui aurait pu rester silencieux dans de telles conditions ? Certes, Shaun se cachait peut-être derrière sa fierté d’irlandais en s’interdisant de la toucher, mais rien ne l’empêchait elle de se relever –bien que ce fut l’épisode le plus douloureux de son existence, afin de contourner le lit pour le serrer dans ses bras avec tendresse. Anaé ne pouvait pas mettre de force dans son geste à cause de ses blessures et autres hématomes, mais le cœur y était et Shaun devait le sentir. « Puisque tu me le demandes, j’arrête d’être Arnacoeur ce soir… je n’ai aucune intention de trahir ta confiance et il n’est rien que je sois capable de te refuser, j’en ai peur. Mais il va falloir que tu m’aides. Tu peux me croire, j’ai cherché à contacter un nombre plutôt impressionnant d’avocats, en leur proposant de doubler leur solde habituel, j’ai sincèrement tout essayé et tous se sont défilé les uns après les autres. J’ignore s’il me reste encore des options et je suis prête à y réfléchir dès demain après avoir secoué ma petite sœur une fois encore pour lui répéter que je suis l’aînée, que je suis censée m’occuper d’elle et non l’inverse. Mais d’un autre côté… tu ne peux pas imaginer combien j’ai espéré te trouver sur ma route de la salle de réception jusqu’à ma demeure. Ton image m’a empêché de sombrer totalement. »

Anaé refusait que Lily s’inquiète à nouveau pour elle à l’avenir… elle avait promis à leurs parents qu’elle s’occuperait d’elle et la jolie française tenait son rôle extrêmement à cœur. Mais pour l’instant, il restait une question en suspend à laquelle elle n’avait pas encore répondu et ce fut sans doute la raison pour laquelle elle prit délicatement le visage de Shaun en coupe, sans le toucher d’une autre manière, mais simplement pour avoir la chance de voir l’expression qu’allait provoquer ses paroles suivantes. « Je crois que je peux me permettre de confirmer une chose… tu es complètement fou mon amour mais il se trouve que je suis frappée de la même folie. Je ne partirai de la Marina que si tu me le demandes et j’espère bien que tu ne le feras jamais. Par ailleurs… si tu le souhaites, j’ai un ballotin de chocolats sur ma table de nuit. » Anaé osa un rire franc, bien que douloureux, tandis que ses yeux brillaient d’émotion. « Mais cette nuit… tu acceptes de rester ici, près de moi ? Je n’aurais pas la force de bouger après tout ce qui m’est arrivé. »

C’était drôle, mais puisque Shaun se décidait à prendre les choses en main, Anaé avait l’impression que le bout du tunnel était un peu moins loin. Elle esquissa un petit sourire avant de s’engouffrer docilement entre les couvertures, attendant patiemment qu’il ne revienne pour profiter de sa présence et de sa chaleur. Diable, après une telle soirée, elle avait l’impression de l’avoir mérité plus que jamais. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il mit moins de dix minutes pour lui revenir, un plateau copieux en main et un DVD d’une comédie romantique… Anaé laissa une large expression de surprise s’emparer de ses traits. Aimait-il ce genre de film ou cherchait-il simplement à lui faire plaisir ? Dans un cas, elle en serait surprise, dans l’autre, elle trouverait sa concession adorable. « Tu es sûr que tu veux regarder ça ? Je veux dire c’est adorable de ta part mais ne te force pas… » La jolie française tenta de s’asseoir et, tandis qu’elle grimaçait largement de douleur, elle reprit sa position allongée aussitôt. Voilà qui allait être simple : s’il lui fallait de l’aide même pour mettre un pas devant l’autre, elle risquait de se faire porter pâle jusqu’à ce que la douleur ne disparaisse… « Tu aimes ce genre de DVD, remarque, peut-être ? Il n’y a rien de honteux, au contraire, je trouverais ça adorable. » Et pour ponctuer ses paroles, elle embrassa chastement sa joue. A vrai dire, elle n’avait guère faim étant donné que les souvenirs désagréables de son début de soirée n’avaient de cesse de lui revenir à l’esprit.

« Je crois que… je vais devoir simplement une toute petite valise de survie sinon tu ne vas pas supporter que j’envahisse à ce point ton espace, je me trompe ? » A vrai dire, qu’elle ait de la place ou pas pour ses affaires n’avait aucune espèce d’importance. Mais il n’en demeurait pas moins qu’Anaé possédait un dressing représentant une pièce à part entière au sein de la demeure où ils se trouvaient actuellement et qu’il n’y avait qu’elle pour penser à ce genre de détail pourri. « J’ai toujours rêvé de vivre sur un bateau… tu ne le croiras sûrement pas, mais plutôt que d’être une princesse bloquée par le protocole, j’ai toujours rêvé de reprendre la plantation de Rhum appartenant à ma mère. Je crois que tu ferais bien mieux de retenir l’éventuel rire que tu ne dois pas manquer de sentir arriver ! »