« Dante, prépare-toi à sentir ta nuque se briser lentement sous mes doigts ! » Son assistant. Un empoté de première, comme tous ceux l’ayant précédé. Maureen avait eu le vain espoir d’avoir enfin trouvé la perle rare, mais il s’était avéré plus décevant encore que tous les autres réunis… « Je vous en prie, laissez-moi une chance ! » « C’est ce genre de discours qui ont failli me perdre, espèce de dégénéré mental ! » « Virgile. Il est en ville !! » La jolie irlandaise, qui avait manqué de briser le cou de son assistant moins empoté qu’il n’en n’avait l’air, relâcha immédiatement son emprise pour le plaquer contre le mur sans l’ombre d’une arrière-pensée obscène. Il venait de prononcer un nom qu’elle n’avait plus entendu depuis un lustre et qui plongeait tout son être dans une panique qu’elle détestait ressentir. Virgile. Elle avait aimé son homme plus que son existence toute entière et avait même accepté de disparaître de son existence en vue de lui sauver la vie. Là d’où elle venait… il ne pouvait rester. Sans être un angelot, cet homme l’avait rendue plus heureuse que n’importe qui d’autre, tant et si bien qu’elle n’avait jamais pu s’attacher par la suite. Son cœur était devenu aussi dur et insensible qu’une pierre, y compris envers son propre jumeau. Maureen ne s’était plus accordé la plus petite faiblesse de ce type, pas sans se rappeler qu’il l’avait demandée en mariage et que si elle n’avait pas appartenu à une famille de mafieux… ils auraient pu vivre les plus délicieuses années qu’ils s’étaient plu à imaginer ensemble. « Tu as cinq secondes pour tout me dire ou je te jure que je ne donne pas cher de ta peau ! »
Résultat, Maureen se trouvait actuellement au cœur d’une église, à haïr l’endroit où elle pouvait bien se trouver, à prendre des risques inconsidérés –chose ne lui ressemblant pas le moins du monde, juste pour avoir le bonheur de contempler à nouveau son visage, d’entendre sa voix. Son être était plongé dans une extraordinaire transe, sentiment qu’elle n’avait plus ressenti depuis qu’elle avait simulé sa mort. Oh, la jeune brune n’était pas stupide au point de faire de grands signes pour qu’il la reconnaissance d’entrée de jeu, non… elle accepta de se taper une heure de bondieuserie insupportable avant de n’être plus que la dernière, assise sur un banc inconfortable, à le regarder dans les yeux. Ce n’est que lorsqu’ils furent seuls qu’elle parvint à capter son regard et à lire la surprise dans son regard. Avait-il l’impression qu’elle n’était rien d’autre qu’un fantôme ? Difficile à dire. Maureen finit par se lever, aussi prédatrice et gracieuse qu’un félin prêt à égorger sa proie. « Un prêtre, hum ? Je ne parviens même pas à trouver ça étonnant. En tout cas, très éloquent discours… messe ! J’avais une voisine particulièrement pleurnicharde, et dire que j’en ai égorgé pour moins que ça… Oh pardon, maison du seigneur, tout ça. » Maureen esquissa un léger sourire carnassier, comme si elle n’éprouvait strictement rien. Mais elle était au bord du gouffre, bien au contraire.« Il fallait que je voie ça de mes propres yeux. Que je sois certaine que tu avais abandonné tout ce qui te caractérisait pour… ça. Quelle déception. Je pensais avoir sauvé la vie d’un grand homme, je constate que c’était inutile ! » Maureen faisait semblant d’être aussi glaciale et impitoyable qu’elle l’était face aux ennemis dont elle comptait ôter la vie. Mais elle regrettait en vérité de s’être dévoilée… et faisait en sorte qu’il reste soigneusement dans sa paroisse pour ne pas l’approcher. Il n’allait pas l’approcher pas vrai ? Pas en tant que prêtre !

D’ordinaire, Maureen avait la fâcheuse tendance à planifier chacun de ses mouvements au millimètre, bien trop habituée à être en constant danger de mort. Inutile de dire qu’elle était en train de se mordre les doigts vis-à-vis de cet accès d’impulsivité ne lui ressemblant guère. Revoir Virgile en chair et en os, croiser son regard et y lire toute la détresse du monde serra son cœur froid et impitoyable. Il lui fallut faire preuve d’un contrôle proprement surhumain pour ne pas se rapprocher de lui afin de le serrer contre elle et lui dire, comme autrefois, que le monde pourrait bien s’écrouler, il pourrait toujours compter sur elle, sur son amour, sur son soutien le plus inébranlable. Il fallait admettre la cruelle vérité : toutes ces belles paroles appartenaient au passé désormais. Maureen avait pris la décision la plus difficile de son existence en abandonnant Virgile et en simulant sa mort. Elle ne l’avait plus revu depuis, et avait imaginé qu’il s’était remarié, ou bien qu’il avait choisi un métier tellement prenant qu’il n’aurait plus jamais à repenser à ce qu’ils avaient vécu ensemble… force est de constater que son choix la dérangeait. Comment diable pouvait donc se tourner vers une entité qui frappe de malheur les pauvres êtres humains sur cette bonne planète ? Autrefois, elle avait eu l’extrême naïveté de croire en Dieu. Lorsqu’elle était bien trop jeune pour s’apercevoir des vérités de l’existence. Mais elle avait fini par se détourner brutalement de celui-ci lorsqu’on lui avait arraché sa mère et ôté la vue à son jumeau. L’être humain est sale, laid… l’exterminer était devenu son métier, et ma foi, elle se révélait extrêmement douée en la matière. Il ne fallait pas qu’elle se laisse gagner par ses anciens sentiments pour le jeune homme accusant le coup, jamais. « Ah, mais je suis morte une bonne centaine de fois dans diverses pays pour ta gouverne » répliqua-t-elle sèchement, palliant à son propre trouble par une extraordinaire cruauté. Le seul sentiment dont elle soit désormais capable, à vrai dire…

Maureen se releva pourtant de son banc pour se rapprocher de Virgile jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de sa personne², tenant fermement sa croix entre ses doigts, comme si quelqu’un allait le sauver de cette mauvaise passe. Cette vision lui arracha un rire, dissimulant aisément à quel point son cœur, transformé en pierre, était en train de se fendre. « Personne ne va venir te sauver et tu n’as rien à craindre avec moi. Tu es bien le seul à pouvoir te venter de cet état de fait » reprit-elle, tout en conservant son masque apparent de froideur. A vrai dire, il n’était pas exactement le seul mais il était plus qu’évident qu’elle ne ferait jamais de mal à un membre de sa famille, comme à son cousin par exemple, Shaun. Disons que Virgile était le seul en dehors de son cercle proche qui n’avait strictement rien à craindre d’elle. « On va éviter le jeu des questions-réponses, j’ai horreur de faire des choses n’ayant pas de sens, alors écoute la meilleure : tu as été menacé par un tueur à gages, j’ai disparut, fin de l’histoire. D’autres curiosités ? Je t’offre une minute pour me questionner. » La précision presque militaire… mais rester ici était dangereux ; davantage pour Virgile que cela ne l’était pour elle, bien évidemment.

« Te tuer ? » manqua de s’étrangler Maureen. Comment diable pouvait-il penser une chose pareille ! Si elle avait voulu le tuer, Virgile serait déjà mort et enterré depuis longtemps. Elle n’aurait effectivement pas choisi la voie du diable et serait certainement en train de vivre une vie très différente. Jamais elle n’avait voulu qu’il souffre ou paye par sa vie le monde dans lequel la jolie irlandaise était née. Comme quoi, elle était prise à son propre jeu, puisque Virgile jouait le jeu de l’indifférence, se moquant de ses nerfs déjà largement à vif. Pourquoi diable était-elle venue aujourd’hui ? On pouvait se le demander. Maureen ne se comprenait plus, tout d’un coup… elle avait soigneusement enfermé son cœur à double tour, l’avait recouvert d’une couche d’indestructible pierre, et pourtant, cela faisait toujours aussi mal. Comme si le rejet et l’absence de Virgile ne pourraient jamais faire en sorte de ne pas la toucher. Elle se sentait comme brisée, et pourtant, rien ne sembla l’empêcher d’attraper vivement l’homme d’église par le bras pour le plaquer contre la première colonne qu’elle trouva à portée de sa main. « Que les choses soient bien claires, si j’avais voulu ta mort, crois-moi, tu serais six pieds sous terre depuis des lustres ! On peut m’expliquer comment tu te démerdes pour être aussi aveugle, Père Virgile McLane ?! Tu ne sais rien de moi. Tu ne sais rien de l’enfer non plus, alors ne t’avise surtout pas de te penser que tu as toutes les clefs pour comprendre. Oh mais j’y suis ! Tu es un serviteur de dieu, non ? Alors qu’est-ce que ça peut bien te foutre, franchement. » Maureen s’écarta aussitôt pour calmer les battements effrénés de son cœur et ne surtout pas mettre à mal son soigneux masque de froideur. Il fallait qu’elle se reprenne, et vite.

« J’ai accepté l’enfer, nuance. C’était ça ou t’enterrer. C’était la bonne décision et je l’ai brise en toute conscience. Je sais parfaitement ce que j’ai fais. » Maureen tournait le dos à Virgile pour tâcher de reprendre contenance, bien que la chose lui semble tout d’un coup insupportable. Comment expliquer de manière rationnelle qu’elle l’avait protégé et qu’elle aurait pu donner sa vie pour sauver celle de l’homme se trouvant derrière elle ? Mais il fallait que cela reste son secret. Maureen était la tueuse la plus dangereuse du monde, née dans les bras de l’un des plus grands mafieux de ce siècle… il n’y avait pas d’autre avenir pour quelqu’un comme elle. « Je n’attends rien de toi. Que pourrais-tu de toute manière ? » Sauf que lorsqu’elle se retourna, Maureen se rendit compte que pendant sa menace précédente, elle avait senti une sorte de pendentif lui donnant l’impression de le connaître. Fallait-il qu’elle en parle ? D’ordinaire, la jolie irlandaise ne se laissait pas aller à de pareilles « émotions » mais elle prit le risque de s’approcher afin d’extirper son pendentif ouvrant légèrement le col de son habit d’homme d’église pour détacher celui-ci en un geste particulièrement rapide. Il ne fallait pas oublier qu’elle avait appris la plupart de ses techniques de combat auprès d’un ancien maître au Japon… à ceci près que rien desdites techniques ne la laissait imaginer qu’elle finirait par tenir la bague de fiançailles qui lui avait apportée tant de joie autrefois. Déglutissant avec difficulté, tout en cherchant à ne pas en montrer la plus petite faiblesse, Maureen s’écarta légèrement pour qu’il ne la lui reprenne pas immédiatement. « Tu as choisi le chemin de la vérité et moi celui du mensonge, pas vrai ? Alors sois franc ! Je brûle d’entendre ce que le sois disant Virgile McLane mort a à dire concernant ça… je suis le diable, n’est-ce pas ce que tu as dis ? Ajoute-le à la longue liste de ce que tu me reproches pour augmenter ta haine envers moi, mon cher prêtre ! »Son propre comportement la tuait, hélas…

Les secondes filaient furieusement sur l’horloge du temps et Maureen sentait son cœur être mis au supplice plus que jamais. Il s’était réveillé, cet organe qu’elle avait cru mort pendant quatre ans. Chaque nouveau mot de Virgile n’était rien d’autre qu’un poignard lancé contre celui-ci et elle peinait désormais à respirer, à penser avec discernement. Elle se surprit à serrer son ancienne bague de fiançailles plus que de mesure, jusqu’à en avoir la marque contre la paume de sa main tandis que ses yeux s’étaient soudainement mis à briller. De longues larmes s’écoulaient le long de ses joues pâles et froides alors qu’elle ne perdait malheureusement pas une miette du discours de Virgile, sûrement énoncé pour la faire culpabiliser. Si tel était le cas alors il s’y prenait à merveille car sa culpabilité venait d’atteindre des sommets. Elle déglutit avec difficulté en lui tournant le dos à son tour, mais non pas pour regarder une vulgaire statue ne lui évoquant strictement rien, plutôt pour se soutenir à la première chaise de l’assistance afin de ne surtout pas s’affaler à même le sol. A vrai dire, la question de Virgile lui passa un instant au dessus de la tête car elle ne pouvait décemment s’empêcher de penser à tout ce qu’il avait dit avant… « Tu sais que je n’ai jamais voulu intégrer la Mafia. J’ai toujours résisté aux propositions incessantes de mon père parce que j’avais autre chose… toi. Tu étais sûrement le plus beau rêve auquel j’avais eu l’audace de prétendre. Mais la veille de ma disparition, j’ai surpris une conversation entre mon père et un autre mafieux que je ne connaissais que de vue… ils étaient prêts à mettre ta tête à prix pour m’avoir dans leurs rangs. J’avais déjà perdu ma mère je ne pouvais pas te perdre toi en plus ! J’ai fais ce qu’il y a fait de mieux à faire… je t’ai sauvé, je t’ai permis de vivre la vie que tu voulais vivre et quelques soient mes regrets, quelle importance, hein ? Tu ne t’en es pas trop mal tiré apparemment. Tu n’as pas l’air malheureux avec tous ces gens qui t’adulent. »

Il ne s’agissait pas d’une quelconque mauvaise foi mais plutôt de l’envie de voir plus loin. Il était sûrement mieux sans une tueuse à gages sans peur et sans scrupules… personne qu’elle était devenue par la force des choses, afin de calmer sa propre douleur, son manque de lui. Mais ça, elle se garda bien de le lui dire. A la place, elle essuya discrètement ses larmes et s’appliqua à reprendre son masque de froideur on ne peut plus confortable. « Je ne suis pas un ange. Je ne l’ai jamais été. Mon cœur est plutôt desséché à force de ne plus servir et j’aurais préféré que tu ne sois pas sauvé par un prêtre… cela aurait voulu dire que tu n’avais pas voulu en finir. » Sa façon de tenter une première excuse était maladroite, certes, mais Virgile la connaissait mieux que personne : Maureen était un être fier. Une irlandaise dans son image la plus pure, la plus véridique. Elle n’avait pas changé d’une semelle à ce sujet. La preuve, en faisant fi de ses yeux encore légèrement brillants, elle finit par faire face à Virgile en calmant les battements de son cœur, en mettant de côté tout le reste… « Je ne veux pas te la rendre. C’est la seule chose de toi qui m’appartienne encore… »

Virgile n’avait pas conscience de ce qu’il lui demandait… mais d’un certain côté, il était en droit de poursuivre son existence paisible et calme, loin de tout trouble alors que la vie de Maureen en était rempli. La jolie irlandaise soupira, se refusant à poursuivre un contact visuel alors que les mots de l’homme d’église qu’il était finalement devenu portait son cœur au bord du supplice. Elle aurait voulu pouvoir hurler, mais sa voix était comme bloquée dans sa gorge. Elle était incapable de faire ne serait-ce qu’un pas en avant ou en arrière, ou encore partir purement et simplement de cette église maudite où elle aurait bien mis le feu pour calmer la rage glaciale s’emparant peu à peu de son être. Cruellement, son sacrifice se rappelait à elle et lui faisait comprendre que malgré la douleur endurée, son bonheur lui avait été arraché. Maureen avait beau haïr la Mafia elle ne pouvait désormais s’en extirper par ses propres moyens… pas à moins de ne vouloir la mort de son jumeau ainsi que celle de Virgile ici présent. Finalement, peut-être goûtait-elle à cette amère justice pour ses mauvaises actions. Cette idée lui donna à réfléchir, plus sûrement encore que le fait que son portable se soit mis à vibrer, la rappelant à l’ordre : elle ne devait plus traîner ici. La jeune femme se dirigea donc vers l’homme d’église, tâchant de remettre en place son masque d’impassibilité malgré ses beaux yeux humides, tandis qu’elle prenait sa main dans la sienne en piétinant son cœur d’un même temps. « C’est bien ce qui te trompe, justement : ce dont tu parles, ce n’est plus à moi depuis des lustres. » Maureen s’était exprimée froidement certes, mais ça n’en n’était pas moins vrai, inutile de se voiler la face. Du moins avait-elle l’impression que l’amour de Virgile n’avait plus été sien à partir du moment où elle avait décidé de lui sauver la vie en oubliant le reste.

« Prends-en soin et reste en vie loin de la Mafia » murmura-t-elle simplement avant de déposer le bijou dans le creux de sa main, la refermant par la suite avant d’embrasser doucement sa joue. Un rapide tremblement s’empara d’elle avant qu’elle n’ait la force de disparaître de l’église pour retrouver son existence dangereuse et blindée d’adrénaline. Elle ne verrait plus Virgile… il ne fallait pour le maintenir en parfaite sécurité.