La fureur de Maureen était légendaire. Il valait mieux ne jamais la provoquer ou encore être à côté lorsqu’elle avait le malheur de se déclencher. Autant dire que son entrée fut des plus remarquées sur le parking de l’église, bien que l’heure soit excessivement tardive et qu’il n’y ait pas âme qui vive à des mètres à la ronde. Parfait. Justement, la piquante irlandaise ne souhaitait pas que qui que ce soit puisse être spectateur de la triste scène dans laquelle Maureen se jetait pourtant à corps perdu. Elle n’attendit même pas que Virgile lui ouvre la porte de sa cellule, elle en défonça à moitié la serrure d’un coup de pied violent, n’ayant cure de lui procurer une semi crise cardiaque ou encore de ne pas être attendue. Maureen n’avait jamais aucune attention pour les détails… de ce genre là tout du moins, pas alors qu’elle aimait tout particulièrement soignée ses entrées. Elle referma cependant la porte, toujours avec autant de force, conscience qu’il n’y avait pas un chat à l’intérieur de l’église hormis Virgile… qui pouvait être assuré du fait qu’elle avait vérifié. « J’avais potassé tout un discours furieux à te balancer dans les gencives mais en vérité, tout ce que j’en tire se résume simplement à de la déception. Ah, elle était belle ta morale sur mon mensonge, sur le fait que je t’ai éloigné de moi et simulé ma mort… sauf que moi, c’était pour te protéger ! Sinon tu savais tout de mon passé, de ce que j’ai pu faire et ce dont je suis capable. Force est de constater que la réciproque n’est pas vraie ! Tu es vraiment gonflé à l’hélium, Virgile McLane ! » Maureen se retenait de faire comme avec tous ceux qui l’avaient trahie, à savoir de lui mettre tout simplement une balle en pleine tête histoire de mieux dormir la nuit suivante. Seulement voilà… la jolie irlandaise savait que si elle tuait son unique amour, dont elle attendait en prime le fruit de leur amour impossible et inébranlable, c’est elle qu’elle allait tuer. Ce fut pourtant comme un réflexe de brandir son arme, où avait été placé un silencieux, et ce alors qu’il n’avait fait qu’un seul pas vers elle. Plus de mots faciles, plus de mensonges. De toute évidence, Maureen n’avait plus la moindre confiance. « Un pas de plus et je peux t’assurer que c’est la dernière chose que tu feras sur cette planète ! Crois-moi je suis plutôt virtuose de la gâchette dans mon genre… tu ne sais pas à quel point ça me tue. J’aurais tout accepté de ta part, TOUT ! Mais apprendre ce que tu avais fait par un autre, le découvrir par hasard alors que ça fait des années que tu me mens… je suis censée réagir comment, HEIN ?! Sourire comme une pauvre petite poupée brisée et attendre que tu me sortes un autre mensonge de merde ? Je ne suis pas quelqu’un que l’on prend pour une conne bordel ! Je te faisais confiance et tu m’as TRAHIE !!! »
Encore un prêtre décédé, même mode opératoire, même signature. Une signature que je n’avais pas vue depuis des années puisqu’il s’agissait de la mienne. Un passé lointain auquel je ne pensais plus être confronté mise à part dans mes cauchemars ou sous le joug de ma conscience meurtrie. Je soupirais. « Pater Noster, qui es in caelis, sanctificeturnomentuum, adveniatregnumtuum, fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra. Panemnostrumquotidianum da nobishodie, et dimittenobisdebitanostra, sicut et nos dimittimusdebitoribusnostris, et ne nos inducas in tentationem, sed libera nos a malo. Amen. »Murmurais-je en faisant le signe de croix, me relevant de ma prière avant que la porte ne s’ouvre de manière brusque. Calmement, je me retournais vers Maureen. Je savais pourquoi elle était là si bien que déjà mon regard se teintait de tristesse. Je l’avais perdu, nous le savions tous les deux. Dieu me punissait-il pour mes péchés ? Il s’amusait à mettre cette femme sur ma route pour mieux me l’arracher à chaque fois. « Je ne t’ai pas trahie… C’est d’une autre vie dont tu me parles. L’homme que tu as connu et aimé est le même que celui qui se tient devant toi. Je ne t’ai jamais menti sur mes sentiments ni sur mes pensées… » Soupirais-je n’éprouvant aucune crainte d’être tenu en joug par son arme. Si elle savait réellement qui j’étais, elle comprendrait que la peur de mourir ne m’atteignait pas. Pire, je songeais que je préférais périr sous sa main que sous celle de l’inconnu. « Pourquoi es-tu venue ? Pour que je confesse mes crimes ou pour me tuer ? Nous savons tous les deux que tu ne tireras pas mais aussi que j’ai perdu ton amour en te dissimulant ma réelle identité mais ce n’était pas contre toi. Cette vie est derrière moi et cela fait des années que je tente de me racheter en vain. Je n’aurais jamais assez d’une vie pour laver mes péchés et tu n’es pas la seule à vouloir te venger de moi. Que ce soit toi ou une autre, mes jours sont comptés » lui avouais-je sans rancune ni violence. Une simple constatation d’un homme fatigué de porter ce poids sur ses épaules. Chacun possédait sa propre croix à porter, la mienne était d’assumer mes crimes passés. Seulement, à présent, une personne désirait se venger et elle en avait tout à fait le droit en raison du mal que je lui avais fait. La seule chose que je désirais à présent était de préserver cette femme. Ma mort était la seule façon d’y arriver et j’étais prêt à ce sacrifice.
« Je me contrefous que ce ne soit pas contre moi, c’est trop facile à dire ça ! » De toute façon, Virgile aurait pu se mettre à genoux et ramper, quelque chose s’était brisé dans le cœur de la jolie irlandaise. Maureen aurait pu tout accepter de sa part, y compris ses crimes puisqu’elle était loin d’être une oie blanche elle-même, mais elle aurait voulu qu’il lui fasse confiance. Qu’au fond de son âme il trouve la force de se reposer sur elle, de croire qu’elle n’allait pas prendre la tangente juste pour le plaisir de le voir souffrir seul à nouveau. Tout ce qu’elle avait fait de son côté, c’était pour le protéger, alors que cette dissimulation pure et dure, ces mensonges et autres non-dits n’avaient strictement aucun sens. Alors effectivement, Maureen l’aimait trop pour le tuer sans vouloir se mettre une balle dans la tête derrière, ce fut pourquoi elle déplaça sa main de quelques millimètres pour dégommer à la perfection la tête d’une statue en pleine église, dont le bruit de pierre s’éclatant contre le carrelage fut particulièrement insupportable à entendre. Elle abaissa son arme par la suite, soupirant, les sourcils froncés et le regard pus haineux que jamais. Maureen avait presque l’impression d’être face à son pire ennemi alors que ce n’était nullement le cas… « Arrête de te poser trente secondes en victime, merde ! On ne parle pas de tes sentiments ou de tes pensées on parle de confiance. Je ne t’ai jamais rien caché de ce que je faisais et si tu avais eu deux sous de confiance en moi, tu en aurais fais de même. Je suis parfaitement capable de me détacher émotionnellement de mon boulot et là, tu m’as infantilisée comme si j’étais une saloperie de petite nénette fragile ! Je t’ai déjà prouvé que je pouvais être sans pitié. Je n’ai pas besoin de ta protection Virgile, par contre j’avais besoin de ta confiance et c’est justement ce que tu m’as manifestement refusé. » La jeune femme s’était légèrement calmée par rapport à son entrée fracassante, preuve qu’elle avait une maîtrise de ses réactions particulièrement puissante, mais cela laissait présager qu’effectivement, Maureen s’éloignait, de seconde en seconde, de cet homme dont elle portait pourtant l’enfant à l’heure où ils parlaient… « Crois-moi, si j’avais voulu te venger ça fait belle lurette que tu ne serais plus de ce monde » ricana-t-elle sans pitié aucune, sans même de douceur, rangeant son arme avant de se passer ses mains contre son visage avec nervosité. « Tu nous a condamnés tout seul cette fois. Je ne suis pas fautive une seconde dans le sens où je pourrais effectivement massacrer cette femme éprise de vengeance mais puisque tu n’as pas estimé qu’il fallait me faire confiance peut-être que te laisser te démerder avec est une bonne idée, hein ? Après tout, qui suis-je face au grand Virgile McLane ! Quand tu feras notre autopsie, sache que cet épisode en particulier, tu ne pourras le reprocher qu’à toi. Il n’était rien que je n’étais pas capable de faire pour toi… mais là, c’est terminé. Tu joueras avec quelqu’un d’autre. » Maureen tourna froidement les talons sans même l’avoir menacé, frappé ou blessé physiquement alors qu’elle aurait très bien pu le faire elle-même… mais ce châtiment qu’elle lui infligeait était bien pire, car elle lui tournait le dos sans l’ombre d’un état d’âme, s’imposant le même traitement cruellement douloureux. Sans doute fut-ce la raison pour laquelle elle démarra sa voiture à la vitesse grand V, par peur de changer d’avis, ne s’arrêtant pas de rouler avant trois bonnes heures, au beau milieu de nulle part… pour exploser. De cris, de sanglots, la forêt alentour fut le premier témoin de toute la manifestation de ses sentiments incontrôlables. Mais c’était sans compter sur ses regrets qui lui feraient bientôt repartir pour l’Irlande afin de le sauver tout de même…
Les mots de Maureen résonnaient comme une condamnation à mort dans mon cœur. Je me sentais vide comme une coquille sans âme. Et pourtant, je n’arrivais pas à me rebeller contre cela car il y avait quelque part à New York, une personne qui voulait se venger et la tenir éloignée de moi, c’était un peu comme la protéger. Une dernière fois. « Tu ne comprends pas, je mérite ta colère et je ne cherche pas une seule seconde à m’y soustraire mais je n’ai pas le droit non plus de me soustraire à sa vengeance. J’aurais pu tout te dire oui mais c’est une autre vie. Est-ce un crime que de vouloir oublier que nous avons été un monstre dans une vie antérieure ? Cette femme désire se venger et je n’ai pas le droit de la tuer pour me protéger, pour nous protéger. Je ne suis ni suicidaire, juste un homme qui tente de se repentir. Je t’ai blessé, j’ai perdu ta confiance et sûrement ton amour et crois-moi, cela me brise le cœur mais taire mon ancienne vie a été la meilleure des solutions. Je ne voulais plus y penser, je voulais égoïstement que tu ne connaisses pas ce monstre.. » Mais ces paroles jamais Maureen ne les entendit car elle avait tourné les talons bien avant. Je ne pouvais pas lui courir après pas en sachant que cette femme désirait la tuer. Oh je n’étais pas naïf au point de croire qu’elle risquait quoique ce soit. Maureen était une tueuse à gage, elle ne faisait aucun poids. Seulement, je ne pourrais plus jamais me regarder en face si je la laissais se faire tuer sans rien dire. Il aurait été aisé de me confier à la seule femme que j’eu aimé et respecté mais quelle aurait été sa réaction ? Le dégout ? Le rejet ? La compréhension ? L’envie de tuer cette femme ? Cela aurait été une solution de facilité non acceptable. Non, je devais affronter seul mon passé. Aussi, après avoir informé ma paroisse, je m’envolais pour l’Irlande, me rendant dans le seul lieu où je me sentais en paix. La vieille église abandonnée où un prêtre m’avait tendu la main malgré le fait que je sois venu le tuer. L’homme ne m’avait pas condamné, il avait compris d’un seul regard que je ne savais rien de la vie. Je ne connaissais que l’enfer, un ange déchu d’après ses mots. Cinq jours plus tard, je me retrouvais la peau de cet homme : prêtre devant la personne venue la tuer. Sauf que cette fois-ci, les dés étaient jetés. Aucune parole d’échangée car il n’y avait rien à dire. Elle me haïssait et j’avais accepté de mourir pour laver mes fautes. Que pouvait-il me rester sur terre ? Maureen me haïssait tout autant que cette femme et j’avais perdu son amour à jamais. Alors, la voir débarquer subitement dans mon champ de vision ne fit que m’affoler surtout en voyant cette femme braquer son arme sur elle avec un regard chargé de démence. « MAUREEN ! » m’écriais-je pour lui faire comprendre le danger mais même avec tous les réflexes du monde, elle ne pourrait réagir à temps alors je plongeais vers elle, faisant bouclier de mon corps tandis que deux détonations résonnaient dans la vieille église. « Je suis… désolé… » Articulais-je avec difficulté tandis que je sentais mes forces m’être enlevées. « Tu étais… ma rédemption Maureen… mon ange… pardon » arrivais-je mollement à m’exprimer avant de sombrer dans l’obscurité la plus totale.
Du sang. Maureen avait pourtant diablement l’habitude de le faire couler, de s’en repaître même sans aucun état d’âme mais cette fois, c’est le sang de Virgile qu’elle avait sur ses mains. La belle irlandaise n’était aucunement responsable de ce gâchis, elle n’avait pas tiré le coup de feu mais peut-être qu’en souhaitant éviter la mort au prêtre de son cœur, elle était la première pierre à l’édifice de ce gigantesque gâchis. Autant dire qu’elle n’eut pas besoin de davantage qu’une toute petite seconde pour tirer une balle en pleine tête de cette folle. Sans un regard, sans une hésitation, Maureen l’avait tuée de sang froid, mettant ainsi un terme à cette vaste fumisterie. Le plus important désormais, ce n’était pas le corps gisant sans vie de cette espèce de folle, dont les « employés » de Maureen devaient déjà s’être occupé, mais plutôt de conduire Virgile à l’hôpital. L’irlandaise refusait de partir sans savoir qu’il allait effectivement s’en sortir et qu’il n’allait surtout pas mourir par sa faute. Combien d’heures dût-elle patienter avant qu’un chirurgien ne daigne venir lui donner des nouvelles ? Cela lui parut semblable à une éternité. Mais elle patienta, droite comme un i, se tournant pour la première fois vers dieu en lui priant de ne surtout pas rappeler Virgile auprès de lui… l’injustice d’un tel geste ne pouvait être supportable. Par chance, le génie de la médecine venait de triompher et le prêtre allait s’en tirer sans séquelle. Certes, il allait très certainement vivre des heures difficiles et douloureuses mais il était en vie… « Je ne vais pas pouvoir rester à son chevet, non. Mais dites-lui que Maureen l’a amené ici et qu’elle lui souhaite une belle vie, même s’il ne souhaite pas la même chose pour lui-même. Et dites-lui que je ne le hais pas… il comprendra. » L’irlandaise n’était pas connue pour ses grands élans sentimentalistes, bien au contraire, aussi prit-elle l’avion le jour même pour retourner à New York où une vive discussion avec son cousin s’imposa : il fallait qu’il soit son accompagnateur pour l’intervention qu’elle avait l’intention de mener à bien. « O’Connor je te demande pas de veiller sur mon cul et fondamentalement je ne te demande jamais rien alors m’emmerde pas… rends-moi juste ce service. » Cette fois-ci, il n’y avait eut aucune vacherie lancée entre eux, aucune autodérision, rien qu’un insupportable sérieux qui arracha à Maureen une large grimace. C’est cette situation qu’elle détestait, à vrai dire. Tout comme elle haïssait le fait d’être en chemise d’hôpital à attendre depuis une plombe qu’on ne vienne la chercher pour ce foutu avortement. Si cela continuait, elle risquait de commettre un meurtre, poussée par d’indicibles hormones, et ce ne serait pas joli joli à voir… « Et bah quand même ! Je n’ai pas envie de patienter encore une heure alors pitié faites votre truc et qu’on en parle plus ! » Sauf que la porte qui s’était ouverte ne laissa pas entrevoir un médecin, ou même Shaun –qui semblait l’avoir oubliée d’ailleurs–, mais plutôt Virgile… et autant dire que pour la première fois de sa vie, elle n’en menait pas large. « Comment tu as su ? »
Se réveiller à l’hôpital n’est pas une expérience que je recommanderai à tout le monde. La solitude m’écrasait la poitrine et je devais bien le reconnaitre, je me sentais vide. Un médecin était passé me voir pour me dire que Maureen m’avait laissé un message. Elle ne me haïssait pas mais cela signifiait-il que j’étais pardonné ? Je l’ignorais complétement et c’était ce qui me plongeait en enfer plus assurément qu’autre chose. Durant les jours suivants, je pris mon mal en patience, prenant le temps de méditer, de me recueillir sur la tombe du prêtre qui m’avait sauvé la vie et l’âme. Néanmoins, le besoin de rejoindre New York avait été plus fort et je m’étais envolé par le premier avion lorsque je fus autorisé par le médecin. L’accueil aurait été plus chaleureux si mon meilleur ami ne m’était pas tombé dessus. « Non mais vous vous êtes tous passé le mot pour sortir les cadavres de vos placards ? » s’était-il écrié l’œil noir. « Bonjour à toi aussi Shaun » avait répondu sur un ton calme. « Oh ta gueule, je devrais te péter la gueule une bonne fois pour toute mais vous commencez à me les briser à être des tueurs psychopathe, je fais comment moi maintenant ? Je n’ai pas envie de me faire dézinguer mais j’ai pas non plus envie de te laisser t’en tirer à si bon compte » râla-t-il. Je soupirais. « Je ne suis plus cet homme Shaun. Il appartient à une ancienne vie et ne reviendra plus. Il était mort bien avant de vous rencontrer Maureen et toi » lui expliquais-je sans réellement me justifier car je savais que quoique je dise, personne ne comprendrait mon silence. Le coup de poing qui me percuta l’arcade droite fut violent et je regardais mon meilleur ami, légèrement étonné. « Quoi ? tu as dit que tu n’étais plus ce type donc je pouvais te cogner tranquille ! Maintenant c’est fait. Bon Maureen est en cloque de toi, elle va se faire avorter demain alors bouge ton cul… J’ai une princesse qui m’attend en double file » et sans un mot de plus, il avait disparu. Je savais qu’il n’avait aucun tact et aucune diplomatie mais là… « Connard d’irlandais » jurais-je dans la maison de Dieu. « Pardonnez-moi Seigneur mais vous en conviendrait que je ne pouvais guère faire autrement » marmonnais-je avant de m’asseoir sur le premier banc à proximité. Tout au long de la nuit, je me repassais les paroles de Shaun, cherchant à analyser ce que je ressentais et ce que Maureen devait ressentir. Pour en arriver à une telle extrémité, elle devait réellement avoir perdu tout amour pour moi. Porter mon enfant était-il si terrible à présent ? J’étais perdu mais une chose était certaine, je désirais ce cadeau de Dieu. Aussi me rendis-je le lendemain à l’hôpital pour l’empêcher de commettre un tel acte. C’était vital. « Shaun » répondis-je un peu plus tard à sa question avant de m’approcher d’elle, restant toutefois à bonne distance. « Il m’a dit que tu étais enceinte de moi et que tu voulais interrompre ta grossesse. Sache que tu es libre mais avant de prendre une décision, écoute-moi. Si tu m’en laissais la possibilité, j’aimerai élever cet enfant avec toi. Je sais que j’ai tué ton amour mais je ne cesserai jamais de t’aimer et cet enfant est tout ce qu’il reste de toi et de notre couple. Il est le fruit de notre amour et je ne pourrais pas fermer les yeux là-dessus. Je sais que je ne peux pas te demander à revenir dans ta vie mais s’il existait l’infime espoir que tu me laisses exister pour notre enfant alors je serais près de vous. Quoiqu’il arrive. Même de loin mais je t’en supplie, n’avorte pas »
« Il pouvait pas se la fermer celui-là franchement ! Déjà qu’il a plié devant la royauté française, pas de quoi fanfaronner ! » Amère ? Maureen l’était et pas qu’un peu ! Mais elle se sentait trahie de tous côtés, bien que cette trahison familiale soit plus difficile à digérer encore que tout le reste. Mais d’un autre côté, la belle irlandaise était rassurée que Virgile soit venu… il ne l’avait pas soigneusement évitée bien qu’elle ait tué cette espèce de folle en ayant après lui, folle à qui il était prêt à offrir son propre destin. Sans doute était-ce cela qui l’avait le plus choquée. Pourquoi diable avait-il abandonné aussi facilement ? L’injustice de son geste lui donnait littéralement envie de mordre et ce n’était que grâce à son extraordinaire contrôle qu’elle se retenait de détruire tout ce qui se trouvait autour d’elle. A la place, Maureen se contenta de serrer violemment les poings, sans pour autant perdre une miette de ce que disait Virgile, même si elle ne le regardait pas. Elle se le refusait. Une seule œillade et elle savait que son âme serait définitivement perdue… elle devait donc résister, c’était vital pour son honneur d’irlandaise. « Ah ouais, près de nous ! Elle est bien bonne celle-là… n’est-ce pas le grand Virgile McLane qui était prêt à se faire dézinguer par une folle sans se préoccuper une seule seconde de ce que je pourrais ressentir ? Et ne me sort pas le refrain « c’est la volonté de dieu » ou « je ne peux me résoudre à faire autrement » parce que tu pourrais te les carrer là où je pense ! C’est toi qui as pris tes décisions tout seul comme un grand et bingo ! Le jour où tu apprends que tu m’as mise enceinte enfin tu réalises… c’est très encourageant ! » Maureen poussa un pénible soupir avant de se tourner vers lui pour mieux le pousser, plaquant ses deux mains contre son torse dans un geste qui avait une certaine dose de violence mais qui n’impliquait aucune blessure si ce n’est morale… bien qu’elle ne le repousse pas réellement. Si tel avait été le cas, il serait déjà dehors à masser son séant douloureux. « Tu étais censé le faire avec moi ! J’étais censée pouvoir te faire confiance et non pas ruminer la chose parce que je ne sais pas du tout comment je vais me démerder, c’était CA le plan ! En mode baleine je suis une cible trop facile. Tu ne connais pas mon monde, ce que tu as fais ne t’en donnes absolument pas d’aperçu ! Et puis merde, qu’est-ce qui me prouve qu’à la première occasion parce que tu trouves que c’est mieux tu ne vas pas soigneusement rendre les armes, hein ? » Ce qu’il avait fait, elle s’en contrefichait désormais à vrai dire. Cela n’avait plus grande importance… elle peinait juste à savoir si elle serait capable de se protéger elle-même dans son propre milieu… avant de se concentrer sur le fait que Virgile ait l’arcade blessée. « Shaun est passé par là j’imagine ? » demanda-t-elle sans vraiment attendre de réponse, chopant le premier coton imbibé de bétadine que l’infirmière avait laissé à proximité pour le lui désinfecter. Au moins, elle ne pensait pas à des choses négatives pendant ce temps…
« Il a plié devant l’amour et non la royauté » rectifiais-je sans pouvoir m’empêcher de défendre mon meilleur ami. Il en avait toujours été ainsi, je protégeais Shaun que ce soit des autres ou de lui-même. Non qu’il avait besoin d’une quelconque protection mais par endroit, il me faisait penser à mon petit-frère qui était mort il y a de cela des années. C’était le seul souvenir que je conservais de mon ancienne vie. Ce frère décédé d’avoir cru en l’humanité et peut-être que dans le fond, j’avais repris son combat à mon compte, pour rester proche de lui. « Ne lui en veux pas, je crois qu’il souhaitait simplement t’aider du mieux qu’il le pouvait, à sa manière ». Bien sûr, je m’attendais à ce qu’elle ne comprenne pas mes motivations, qui pourrait croire qu’un homme se résigne à mourir ? Maureen avait du sang sur les mains, elle savait ce qu’était ôter la vie mais elle n’y avait que rarement pris goût voire jamais. Durant des années, je n’avais eu que cela à faire : tuer, torturer, piller, violer. J’étais le diable incarné qui ne désirait qu’une seule chose : avoir l’approbation des autres mercenaires pour ne pas être faible. Pour ne pas subir ce que mon frère avait subi en un mot comme en sang : la loi de la jungle. « A ce moment-là, je pensais que tu me haïssais, que tu ne voulais plus entendre parler de mon existence. Il ne me servait à rien de lutter et je n’avais aucune solution viable car je me refuse à refaire couler le sang et j’ai prêté serment devant un homme que je me repentirais de mes péchés. Je sais que tu ne comprendras jamais Maureen et je ne te le demande pas » mais déjà, Maureen était passée à autre chose, constatant ma blessure à l’arcade. « Arrête… Je vais bien » murmurais-je en attrapant son poignet. Je me reculais d’elle, cherchant les mots à mettre sur mon passé. « Tu as tort. Tu crois que j’ignore ton monde ? Certes, je ne connais pas les codes de la mafia mais tu ignores d’où je viens. Un dossier ne te donnera uniquement que les faits mais soit. Tu m’as reproché de ne rien te dire alors je vais te dire qui j’étais. J’ignore ma réelle identité et pour cause, j’ai été recueilli par un mercenaire. Dès mon plus jeune âge, on m’a appris à tuer, à voler, à prendre tout ce qui me passait par la main même les femmes. Durant vingt ans, j’ai passé ma vie à tuer, violer des femmes parfois des hommes, à piller. Il le fallait car il en allait de ma vie. Tuer ou être tué. Dans ma famille, il n’y avait pas de place pour les faibles. J’avais un frère du moins l’ais-je toujours considéré comme tel. Il était pétri de bons sentiments, il n’arrivait pas à se montrer comme nous, barbare alors ils ont essayé de l’endurcir en le battant, en le violant à tour de bras, en le torturant, en le mutilant. Et un jour, il a craqué, il m’a demandé de mettre fin à ses jours et je l’ai tué. J’ai tué la personne qui comptait le plus à mes yeux, sans états d’âmes parce que je ne savais faire que cela. Je n’avais aucune notion du bien ou du mal. Alors oui, ton monde est violent mais tu n’as pas idée par quoi je suis passé » terminais-je enfin mon monologue avant de soupirer. « La vie que tu portes en toi m’est précieuse tout comme tu l’es. Je n’ai aucune garantie à t’offrir tout comme tu n’en as aucune à me donner et nous le savons tous les deux. La seule chose que je puis dire c’est d’avoir la foi »
Très étrangement, Maureen n’était pas choquée, horrifiée, prête à faire d’insupportables cauchemars même si elle ne perdait pas une miette de ce que ses oreilles captaient actuellement de la part de Virgile. Le simple fait qu’il ne l’ait préalablement repoussée lui fit avoir un mouvement de recul tandis que son visage se fermait d’autant au fil des secondes.« Non effectivement, je ne comprends pas. Mais tu parles de garantie alors que tu es diablement mal placé pour me renvoyer la balle… j’avais dit que je ne t’abandonnerais pas et c’est exactement ce que j’ai fais, que je sache. Je t’ai sauvé de cette folle furieuse et je t’ai empêché de choisir la solution de facilité… tu appelles ça du repenti mais moi je dis que tu as simplement lâché prise ! C’est facile d’offrir sa vie en peinture en espérant que quelqu’un y mette rapidement un terme… vivre et encaisser tous les boulets que l’on traîne à la cheville, c’est forcément moins évident. Je sais que tu n’as peut-être rien à cirer de mon discours, mais si tu as des choses à me reprocher ou que tu veux t’en prendre à moi alors prends un ticket parce que tu n’es pas le seul ! Je n’ai jamais lâché prise. J’affronte la merde que je crée à longueur de journée parce que c’est mon fardeau et que j’estime que c’est ça, l’amour et le courage. D’accord, tu as détruit des vies, tu as été formaté et blablablablablabla… je sais qui tu es et ce n’est pas ça qui me fera moins t’aimer. Mais ta foi, tu sais où tu peux te la carrer ? La foi ne tient pas chaud, ne nourrit pas et ne donne aucune protection à un bébé ! » Maureen s’écarta de plusieurs pas avant de jeter violemment le coton qu’elle tenait toujours en main dans la première corbeille qu’elle trouva à proximité de sa main. Si elle ne pouvait pas compter sur lui pour affronter les épreuves avec elle, alors leur histoire n’était rien de plus qu’un naufrage avant même que d’avoir commencé. « Tu n’as peut-être aucune garantie à donner mais je ne suis pas comme toi Virgile. Je ne me cache pas derrière une fois pourrie parce que c’est pratique ou que sais-je encore ! Quand je te dis que je t’aime et que je suis prête à sauter d’une falaise pour toi ce ne sont pas des mots en l’air, ce sont mon cœur et mes tripes que je mets sur la table, sans équivoque, sans mensonge, sans tour de passe-passe. Tu es peut-être suicidaire mais pas moi. Je sais ce que je ressens, ce que je veux, ce dont je suis capable, il n’y a jamais eu le moindre doute dans mon esprit. Mais pour toi ce n’est pas aussi évident manifestement et c’est ça qui me déglingue. Si c’est pour que tu m’abandonnes alors je préfère encore me dire qu’il faut que je me démerde toute seule… j’ai l’habitude. Tu me connais suffisamment pour savoir que je suis forte même seule. » Forte oui, mais jusqu’à quand ? Maureen avait beau ne pas avoir de doutes et être absolument certaine de ses sentiments, il n’empêche qu’une fois dehors, si elle ne mettait pas un terme à sa grossesse, il n’y aurait pas qu’une vie en danger mais deux, et ça, ni Shaun ni Virgile n’avaient l’air d’en prendre conscience. Quelque chose lui disait, en prime, que Virgile n’avait pas s’opposer à elle en lui faisant comprendre que justement si, il avait l’intention d’être là, de lui renouveler ses sentiments afin qu’ils se battent ensemble. Ce fut sans doute pourquoi elle baissa subitement le regard, chose qu’elle ne faisait jamais, mais c’était pour cacher son extraordinaire détresse. « Tu n’as pas la foi toi-même, Virgile. Tu me parles de foi mais… ce n’est pas la peine si tu n’es pas capable de te battre pour celle que tu prétends aimer. Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui rend les armes. J’ai besoin de quelqu’un qui soit prêt à supporter la souffrance pour mieux profiter du bonheur, d’affronter les maladies pour se repaître de la plus belle des santé, de faire face aux coups de gueule comme aux coups de cœur. Si je n’ai pas ça, tu peux me dire à quoi tout ça sert ? Si j’ai besoin de prendre des coups dans la face, je sais où je peux aller, je n’ai pas besoin d’être enceinte pour ça. Inutile de t’imposer la chose, Virgile. Parce que ça te l’imposerait si je le gardais non ? Tu as parlé de lui mais tu n’as pas parlé un instant de nous. »
Maureen était lancée et dans ces moments-là rien ne pouvait l’arrêter. Je comprenais ses reproches qui étaient pour la plupart justifiés mais elle ignorait par quoi j’étais passé. A qui la faute ? La mienne. Je lui avais tu mon passé car je ne voulais plus être celui qu’on nommait Sans Nom. Je ne savais d’où je venais, qui était ma famille, quelles étaient mes origines. J’étais une page blanche alors que pouvais-je offrir à une femme ? Je l’aimais. J’en étais sûr et certain mais est-ce suffisant ? Je l’avais blessé et j’ignorais comment faire pour me faire pardonner, pour cicatriser son cœur saignant. Dieu est miséricorde, il pardonne à ceux qui se confessent mais Maureen n’était pas dieu. Maureen ne pardonnait pas et je me retrouvais perdu dans mon propre conflit intérieur, partagé entre la souffrance et l’espoir. « Maureen, je suis né il y a treize ans en faisant la rencontre du père Phileas, c’est lui qui m’a donné le nom sous lequel tu me connais. Il a fait plus que me donner une identité, il m’a donné une vie. Pour toi, être formaté, c’est du blablabla mais pour moi, c’est tout mon existence qui se résume à cela. Avant la rencontre de celui que je considère comme mon père, je n’étais rien. On me nommait Sans Nom car aucun n’avait jugé utile de me donner un prénom, un aspect humain. Je n’étais qu’un objet parmi tant d’autres, utile pour les tueries. Une valeur remplaçable. Tu me parles de choses que j’appréhende que faiblement. Tu es la première à m’avoir fait découvrir l’amour mais aussi la perte de l’être aimé. J’ai du tout apprendre en quelques années ce que tu as appris naturellement. La notion du bien, du mal, l’amour, l’amitié, la confiance, l’espoir. J’ai même dû apprendre ce qu’était que ressentir cette chaleur qui nous réconforte. J’étais une coquille vide que l’on a remplie avec un tas d’information dont j’ignorais l’existence. Tu banalises ma foi mais sais-tu que c’est elle qui m’a sauvé ? Comment penses-tu que j’ai réagi en prenant conscience que tout ce que j’avais fait c’était mal ? Que j’ai compris les horreurs que j’avais commis ? » Lui demandais-je calmement. « Je suis devenu fou Maureen. Totalement fou, rongé par un sentiment de culpabilité que je n’avais jamais ressenti car j’étais un monstre. Je n’avais jamais eu conscience de cela et le fait d’obtenir cette humanité m’a rendu fou. Durant trois longues années, je me suis terrée dans une église, à fuir cette société qui ne m’accepterait pas si elle savait quel monstre j’étais. Je ne suis pas suicidaire, tu es loin de la vérité mais je pensais t’avoir perdu. Tu es la seule femme que j’ai aimée et je t’ai perdu deux fois. La première fois, j’ai ressenti cette même douleur, cette même folie et même ma foi n’a réussi à me sauver cette fois-ci. J’ai voulu mourir car tu étais mon univers. Tu l’es toujours et même Dieu ne pourra jamais m’en sauver » m’étais retourné vers elle, plongeant mon regard dans le sien. « Tu es ma vie Maureen, tu es mon humanité et je ne sais pas comment me battre comme tu me le reproches car je ne suis qu’un nouveau-né dans l’amour… La seule chose que je désire c’est d’avoir la sensation d’appartenir à une famille aimante. Je n’ai connu que la mort et la violence durant les vingt et une première année de ma vie. Il n’y avait ni amour, ni douceur, ni bonheur. Il n’y avait que le sang, la mort, la perversité. Tu as été et tu seras le seul bonheur de ma vie et cet enfant n’en est que le fruit » terminais-je avant de soupirer « C’est tout ce que je peux te dire malheureusement pour te convaincre »
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