Les choses pour mon roman photos – toujours sur le merveilleux sujet qu’était la faune et la flore marine – commençaient petit à petit à voir le jour. C’était un projet qui me tenait réellement à cœur. Mes deux premiers livres – que j’appelais plutôt journaux intimes, puisque je les écrivais plus pour moi que pour informer les autres sur mon combat – étaient des bestsellers et on en venait à me reconnaître dans la rue. Si ce dernier point ne me plaisait pas spécialement – après tout j’avais toujours aimé ma solitude et ma routine – j’étais tout de même heureux que des gens s’intéressent réellement à mon combat et à ce que je disais. Le reste n’était que le revers de la médaille, non ? Bien sûr, je n’aimais pas être photographié lorsque je me baladais dans la rue, mais je me faisais également photographier lorsque j’allais voir diverses associations ou lorsque je faisais des actions humanitaires. C’était donc un mal pour un bien. L’idée d’un roman photos était venu lors d’une conférence que j’avais faite. Peu savaient réellement à quoi l’océan et toutes ses merveilles ressemblaient. Bien sûr, ils en avaient les descriptions que j’en avais faites dans mes livres, mais comment se battre pour quelque chose que l’on ne connaissait pas vraiment ? S’ils savaient maintenant – grâce aux paparazzis, d’où mon acceptation d’être suivi ainsi – ce qui se passait pour les dauphins au Japon grâce à une vidéo qui circulait sur internet, ils ne connaissaient pas tout. Ils ne savaient pas pourquoi je me battais réellement. L’idée du roman photos s’était donc imposée à moi. J’en avais alors parlé à mon éditeur, qui comme d’habitude me soutenait et me laissait carte blanche. Il m’avait bien compris apparemment. Il savait que je n’aimais pas les contraintes juridiques. C’était d’ailleurs pour ça que je ne m’engageais jamais. Je ne signais un contrat qu’une fois le livre terminé et prêt à être mis en vente. Et cela, mon éditeur l’avait bien compris. C’était probablement pour cette raison que malgré les offres que l’on me faisait, je n’irais pas voir ailleurs. Pourquoi le ferais-je d’ailleurs ? Après tout, j’étais pleinement satisfait de mon éditeur. Et étant donné que je ne faisais pas cela pour l’argent, je me moquais éperdument que l’on m’en propose plus. L’argent que je recevais de mes ventes n’était qu’un bonus pour moi – même si, avouons-le, c’était un assez gros bonus – et me permettait juste de vivre de ma passion sans m’inquiéter. Aujourd’hui, j’avais donc rendez-vous avec un photographe. J’avais passé une annonce, étant incapable de photographier professionnellement. Et mon rendez-vous venait apparemment d’arriver. « Bonjour ! » m’exclamais-je avant de lui serrer la main. « Oui c’est ça, Adrian Cameron. Enchanté Hayden. » continuais-je en accompagnant mes paroles d’un signe de la tête. « Donc, qu’est-ce qui vous a poussé à répondre à mon annonce ? » lui demandais-je dans un sourire.

« Je ne vais pas vous mentir, travailler sur un projet comme le vôtre sera une grande première pour moi. Comme vous pouvez le voir. »  me dit le jeune homme après s’être installé à ma table, tout en me tendant les clichés qu’il avait déjà pris. « Je suis surtout spécialisé dans les shootings, publicités et autres défilés… Mais c’est justement ça qui fait tout l’intérêt du projet ! J’ai envie d’expérimenter quelque chose de nouveau… Pour avoir parcouru l’un de vos livres, je sais comme ça compte pour vous et j’aimerais sincèrement participer à cette aventure et vous aider à toucher encore plus de monde… » continua-t-il, pendant que je regardais attentivement ses photos. Je n’étais pas du tout dans ce métier-là, et je ne savais donc pas vraiment si, pour ce domaine, ses photos étaient considérées comme bonnes. Mais je les trouvais jolies, n’était-ce pas l’essentiel finalement ? « C’est vrai que c’est un domaine complètement différent de ce que je veux pour mon projet. Je veux dire, la nature ne pose pas, et c’est à nous de trouver le moment idéal pour la mettre en valeur.  » commençais-je, sans cesser de parcourir son book. « Est-ce que vous savez faire de la plongée ? Je comptais aussi capturer les animaux marins dans leur milieu naturel …  » lui demandais-je ensuite. Bon, bien sûr, il faudrait un matériel différent du sien pour lorsque nous prendrions des photos sous l’eau, mais je savais qu’il existait des housses spécialisées. Je me grattais doucement la tête, un peu gêné. Je n’avais jamais aimé passer des entretiens, que je sois la personne cherchant un emploi, ou celle recherchant une personne. Il était vrai qu’en même temps, je n’étais pas vraiment quelqu’un de verbeux, ou même de bavard, tout simplement. Passer un entretien d’embauche, poser des questions, étaient donc des choses difficiles à faire pour moi. Mais bon, ce projet me tenait réellement à cœur, et je ne voulais pas laisser quelqu’un d’autre passer ces entretiens à ma place. Je savais que j’aurais très bien pu demander à mon agent de s’en occuper, mais j’avais envie de superviser le tout. « Et puis en toute franchise, la perspective de pouvoir m’évader pendant quelques temps est vraiment tentante… »termina ensuite le jeune homme, me tirant un petit rire par la même occasion. « Vous savez, en mer, on est vraiment coupé du monde. On est tout de même relié à une antenne, donc on peut passer des coups de téléphone ou en recevoir, mais à part cela, on est coupé des autres. C’est personnellement ce que j’aime, mais je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde.  »

« Oui. Je n’en fais pas régulièrement, principalement par manque de temps, mais je me débrouille. Par contre, il faudra que je me procure du matériel spécifique, car celui-ci ne fera pas l’affaire » plaisanta le jeune homme en désignant son appareil photo. « Je payerais le matériel, bien sûr … Enfin, ça fait partie des frais. » tentais-je de le rassurer, toujours en me grattant la tête. Décidément, je n’étais vraiment pas doué pour les entretiens d’embauche, c’était certain. J’avais de ces idées parfois … Mon agent aurait probablement mieux fait l’affaire que moi, non ? Pourquoi avais-je alors ressenti le besoin de contrôler tout ça, alors que, clairement, je n’y connaissais strictement rien ? Bien sûr, c’était mon projet, et il me tenait énormément à cœur. Comment montrer aux autres qu’il fallait absolument protéger les merveilles de l’océan, s’ils ne savaient pas à quoi ressemblaient les merveilles en question ? Ce projet était donc une suite logique à mes journaux de bords, comme je les appelais – parce que le terme roman ne me semblait pas vraiment approprié, surtout. Après tout, je ne racontais pas d’histoires et n’étais donc pas vraiment un romancier. Je décrivais la réalité surtout, ou ma réalité en tous cas. Donc si les gens trouvaient que j’avais une belle plume, c’était tant mieux, mais cela ne faisait pas vraiment de moi un romancier – voire même un écrivain – pour autant. J’expliquais alors au jeune homme qu’une fois en mer, les moyens de communication étaient bien plus restreints que sur Terre. Après tout, il n’y avait que le téléphone – et encore, je préférais le garder pour les urgences seulement – et rien d’autres. Donc si c’était personnellement ce que moi j’aimais, je savais que beaucoup de personnes ne supporteraient pas cela. « Dans mon métier, on est amené à voir un tas de personne. On a rarement l’occasion de s’évader ou même de prendre du temps pour soi… Qui plus est, j’ai quelque souci d’ordre personnel qui m’incite à m’éloigner pendant quelques temps… » me dit-il, me faisant froncer des sourcils, avant de reprendre. « Rassurez-vous, je n’ai pas pour habitude de laisser ma vie privée empiéter sur mon travail… Si vous m’engagez, je saurais me montrer professionnel, comme je le fais toujours. » poursuivait-t-il alors. J’acquiesçais de la tête. Il n’y avait pas vraiment d’autres choses à faire, ni à répondre. Après tout, c’était quelque chose que lui devait sentir, et si c’était le cas, je n’avais pas à douter de ses dires. « Vous avez déjà une idée de la durée du projet ? » me demanda-t-il alors. Il était vrai que je n’avais pas abordé ce point, moi-même n’ayant jamais d’agenda en fait. « Tout dépend de la vitesse à laquelle les choses vont. Je ne pense pas que ça durera plus de deux mois. Mais après, je ne contrôle pas les conditions météorologiques, donc je ne peux pas plus me prononcer que cela. » lui dis-je, toujours dans un grattement de tête. C’était, en même temps, des choses pour lesquelles je n’avais pas vraiment l’habitude de me préoccuper. Mais je savais qu’il faudrait que je change un peu ma façon de travailler. Après tout, nous serons bientôt deux dans cette aventure, et il faudrait que je le prenne en considération.

Il était vrai que je devais paraître assez étrange. Après tout, je n’avais jamais d’agendas sur moi et allais en mer au gré de mes envies, qu’il vente, pleuve ou neige. Si j’avais envie d’aller en mer, j’embrassais ma sœur pour lui dire au revoir et prenais mon bateau. Et je revenais quand j’avais envie de revenir, ou si ma sœur avait besoin de moi pour quelque chose. Dans ma tête, c’était aussi simple que cela. Je ne me posais pas plus de question. Mais avec ce projet, je n’étais plus vraiment tout seul là-dedans maintenant. Il y avait une autre personne dans l’équation, et il était certain que j’allais devoir changer quelques petites choses. Mais bon, cela en valait la peine. Mais de mon avis, cela ne devrait pas prendre plus de deux mois. Peut-être deux mois et demi, tout au plus, mais c’était le maximum. Et ce fût ce que je dis au jeune postulant. Et bien sûr, s’il souhaitait un jour rentrer plus tôt, nous pourrions toujours mettre en pause le projet pour quelques mois. Ce n’était pas vraiment quelque chose qui me dérangerait, même si j’aimerais que ce soit vite terminé, je n’étais finalement pas si pressé. « Très bien. Si vous décidez de collaborer avec moi ; sachez que je suis prêt à me mettre à votre entière disposition… Temps que le contrat n’excède pas trois mois bien sûr… » m’informa-t-il, me faisant acquiescer doucement. « Au-delà, je ne suis pas certain que ça puisse fonctionner… Vous savez comment ça fonctionne de nos jours, on se fait vite remplacer ! » continua-t-il, me faisant froncer les sourcils. Non, je ne savais pas vraiment comment cela fonctionnait en fait. Il était vrai que je n’avais que rarement les pieds sur terre – au sens propre comme au sens figuré – et que la navigation était mon métier, je ne me posais pas vraiment ce genre de question. Mais bon, tout le monde n’était pas comme moi, je le savais. Et certaines personnes avaient des obligations. Cela semblait logique. « Comme je l’ai dit, ça ne devrait pas durer plus longtemps que deux mois. Ça me semble être une bonne période pour faire pas mal de photos. Et au pire, je continuerais mon écriture après votre départ. » répondais-je dans un hochement de tête. Bon, il faudrait que j’en parle à mon agent, mais il semblait avoir le profil, non ? Et ce qu’il rajouta ensuite me confirma mes propres dires. « J’ignore ce que je pourrais ajouter pour vous convaincre de me choisir. Tout ce que je peux vous promettre c’est que je me donnerais corps et âme pour mener à bien ce projet. Avant d’être un métier, la photographie est surtout une passion… » rajouta-t-il, me tirant un petit sourire. « Je comprends parfaitement, c’est la même chose avec la navigation pour moi. » commençais, avant de me lever pour lui serrer la main. « Je pense que l’entretien est terminé. Il faut bien sûr que j’en parle à mon agent, enfin pour le principe quoi, mais normalement vous avez le poste. »