Ce n’était pas encore les vacances scolaires – elles venaient même de prendre fin – et pourtant Leo avait la garde de Freya pendant une semaine entière. Toute une semaine et pas seulement un week-end, surtout que ce n’était même pas la semaine où il était supposée l’avoir. Rien ne pouvait le rendre plus heureux en tout cas et il était content que le patron de Lori l’ait envoyée loin pour un stage. La petite n’était jamais contente lorsque sa mère s’absentait mais Leo n’allait pas se sentir coupable de se réjouir de ça, il assumait pleinement le fait d’être égoïste. Puis sa fille n’avait pas vraiment à se plaindre, il la gâtait toujours et lui passait pas mal de choses… C’était un peu triste par contre. Mais comme il ne la voyait déjà pas beaucoup, il ne voulait pas prendre le risque qu’elle le déteste et qu’elle ne veuille plus le voir. Du fait de leur divorce, elle avait donc un plus grand pouvoir sur ses parents, et principalement sur lui.

Même s’il était plus qu’heureux de pouvoir passer du temps avec Freya, Leo ne pouvait pas non plus mettre les autres parties de sa vie de côté. Il était particulièrement occupé à cause de son travail et des examens à l’université. Tout ceci faisait qu’il avait plus de travail à fournir que d’ordinaire. Heureusement, il pouvait compter sur plusieurs personnes pour s’occuper de sa fille quand il ne le pouvait pas. Il préférait prendre les devants donc, pour ne pas que le petit incident de la semaine passée se reproduise. Plongé dans ses copies, il avait en effet oublié qu’il était censé récupérer Freya à l’école. Fort heureusement, il l’avait retrouvée assez rapidement, mais cette histoire aurait pu se terminer d’une bien pire façon et… il ne préférait même pas y penser. Pour parer à cette éventualité donc, Leo avait demandé à une de ses amies de longues de récupérer Freya et de s’occuper d’elle jusqu’à ce qu’il ne termine ce qu’il avait à faire. Il connaissait bien Abigail, ils avaient partagé un appartement, et plus à une époque, et elle était une très bonne amie à présent. Donc il était vraiment sûr de lui quand il lui confiait sa fille.

Alors qu’il était en chemin pour récupérer Freya, le jeune homme eut l’idée de s’arrêter dans un restaurant chinois pour prendre à manger. C’était presque l’heure de dîner, il commençait à avoir faim et il savait qu’il ne se trompait pas en amenant chinois chez son amie. Ce serait une manière de la remercier de lui avoir rendu ce service. Arrivé à Brooklyn, il n’eut pas à attendre longtemps pour que la porte s’ouvre. Découvrant, Abigail, il s’arma d’un grand sourire et tendit son sac de plats à emporter sous le nez de la jeune femme. « Bonsoir ! Tout s’est bien passé ? » Il tenta de regarder au-dessus de son épaule pour voir si sa fille était dans le coin. « Freya n’a pas été trop fatigante ? » demanda-t-il avec un sourire désolé. Sa fille était une pile électrique et elle venait à bout d’à peu près tout le monde. Il était donc désolé si c’était le cas avec la brune. « Enfin j’ai apporté à manger pour me faire pardonner, au cas où. »

Leo ne se faisait aucun souci pour sa fille, il savait que là où elle était, Freya était chouchoutée. Il avait confiance en Abigail, il savait qu’elle aimait sa fille et qu’elle s’occupait bien d’elle, elle l’avait toujours fait, il avait pu constater, quand ils étaient et vivaient ensemble, que le courant passait très bien entre elles deux. Du coup à chaque fois qu’il était coincé, il n’avait qu’à demander à la brune et elle gardait Freya. Il avait la conscience tranquille et c’était assez rare lorsqu’il s’agissait de sa fille. « Salut ! Oui, tout s’est très bien passé ! » « Tant mieux. » Abigail s’écarta et Leo entra dans l’espoir de voir sa fille accourir vers lui. Elle ne le fit cependant pas et il en profita pour s’excuser à sa place. Il le faisait toujours mais Freya était épuisante… Adorable mais épuisante et ce n’était pas toujours facile de la canaliser. « Non, rassures-toi, elle a été adorable… » Leo sourit, soulagé. Il n’en attendait pas moins de sa fille et surtout, de son amie. Il ne l’avait jamais entendue se plaindre de Freya et il ne voyait pas pourquoi aujourd’hui aurait fait exception. Il lui tendit ensuite son sac de nourriture, histoire de se faire pardonner. Et parce qu’il s’était dit aussi que partager un repas avec son amie pouvait être bien, et ferait plaisir à sa fille. « Oh, merci, c’est gentil mais il ne fallait pas… J’adore m’occuper d’elle, tu sais… » « Oui et elle adore passer du temps avec toi aussi » confirma-t-il dans un sourire. « Je me demande même parfois si elle ne te préfère pas à moi » ajouta-t-il en faisant la moue. C’était bien pour cette raison qu’il lui demandait à chaque fois plutôt que d’engager une baby-sitter. Mais sa fille avait toujours aimé Abigail et ce n’était pas parce qu’ils n’étaient plus ensemble que cela devait changer et qu’elles ne pouvaient plus se voir. « Freya, tu viens ? Ton père est… » Avant que la brune n’ait pu finir sa phrase, Freya avait fait son apparition. Leo secoua la tête d’un air faussement réprobateur en la voyant arriver vêtue d’une des robes d’Abigail avant de se mettre à rire. « … là. » Freya se mit à poser et défiler et Leo ne put s’empêcher de la prendre dans ses bras lorsqu’elle passa à côté de lui. « Tu es superbe comme ça ! Une vraie princesse ! » Il hocha la tête pour confirmer les propos de son amie et déposa un baiser sur son front avant de lui ébouriffer les cheveux. « Tu es la plus belle oui !  » Sitôt après avoir dit ça, Freya disparut à nouveau, visiblement pas encore prête à accorder du temps à son père. « Comme tu peux le voir, elle a gardé certaines habitudes… » Oui, il se souvenait très bien du temps où ils vivaient encore ensemble et où elle s’habillait souvent avec les vêtements de la jeune femme. Du moment que cela ne la dérangeait pas… « Comme je t’ai dit, elle t’aime beaucoup… Elle doit vouloir prendre exemple sur toi. » Et il n’avait rien à redire là-dessus, Abigail était une femme formidable. « Installes-toi, fais comme chez toi, Leo ! Tu veux boire quelque chose ? » Le jeune ne se fit pas prier et alla s’asseoir sur le canapé. « Je veux bien une bière, s’il te plait ? »

Freya semblait toujours autant apprécier la compagnie d’Abigail. Ce n’était pas plus mal, Leo préférait ça parce qu’il avait confiance en la brune pour s’occuper de sa fille. Il avait tendance à être surprotecteur avec elle, il ne pourrait jamais se le pardonner s’il lui arrivait quoi que ce soit… Elle était la plus belle chose qui lui soit arrivée et la seule chose de bien dans sa vie présentement. Mais il avait une totale confiance en son amie et il savait que rien n’arrivait à sa fille quand elle serait avec elle. Elle s’amusait tellement quand elle était ici… Ça avait toujours été le cas, il y avait eu une période durant laquelle Leo et Abigail formaient un couple et la petite avait tout de suite adopté la jeune femme. Elle avait même gardé ses bonnes habitudes en s’habillant de ses vêtements comme elle aurait pu le faire avec ceux de sa mère. Leo soupçonnait même sa fille de préférer son amie à lui, voire à sa mère. « Ça, je crois que c’est parce que je suis un peu trop gentille avec elle… » Leo ne put s’empêcher de rire en même temps que son amie. Il ne lui en voulait pas. Freya était bien élevée et il savait se faire respecter et obéir, tout comme Lori. Puis Abigail n’était pas sa mère, il comprenait qu’elle préfère ne pas agir comme un parent. Quoi qu’il en soit, ça n’avait aucune incidence sur le comportement de sa fille, ça lui permettait même de se lâcher un peu. « Ce n’est pas plus mal, ça. Elle n’aimerait pas autant venir sinon et j’aurais bien plus de mal à la faire garder. » Parce que Freya pouvait être difficile et elle pouvait effrayer certaines personnes. Il fallait que le courant passe dans les deux sens et si elle ne voulait plus aller chez Abigail, Leo serait bien embêté. « Merci de la garder aussi souvent d’ailleurs, ce n’est pas toujours évident et tu me sauves bien la vie. » Il ne l’avait pas si souvent que ça mais il n’arrivait pas à savoir comment Lori faisait. Etre parent célibataire était un ‘métier’ franchement difficile. La petite posa ensuite un peu et Leo ne fut pas avare en compliments. Elle s’amusait tellement et il aimait vraiment la voir si heureuse. C’était bien parce qu’elle aimait beaucoup Abigail ça, le jeune homme était même convaincu qu’elle prenait exemple sur elle. « Tu crois ? En tout cas, si c’est ça… C’est vraiment flatteur.. » Leo hocha alors la tête. « J’en suis certain, tu es bien plus ‘cool’ que ses vieux parents après tout… » Bon, elle ne pensait peut-être pas encore ça mais ça arriverait bien un jour, c’était incontournable. Abigail lui amena ensuite la bière qu’il lui avait réclamée et ils s’installèrent au salon tandis que Freya était retournée jouer. « Et voilà… » Il la remercia d’un hochement de tête et la moitié de sa bière fut avalée en quelques secondes à peine. « Alors, comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu racontes ? » « Comment je vais… J’ai pas mal de boulot en ce moment, c’est un peu épuisant mais j’ai choisi de faire ça en connaissant les avantages et les inconvénients alors je ne peux pas vraiment me plaindre. Mais c'est vraiment... Ma passion est l'écriture à la base, tu le sais mais enseigner... J'ai un peu choisi cette voie par dépit, parce que je n'arrivais à rien et au fond je trouve ça tout aussi passionnant. Au moins je sers quand même à quelque chose. » Il y avait quand même plus d’avantages que d’inconvénients... Puis c'était vraiment valorisant pour lui, c'était bien pour ça qu'il supportait les inconvénients. « Sinon la routine quoi… Il ne se passe pas grand-chose dans ma vie. Et toi alors ? Tout va bien ? »

« Je te l'ai déjà dit, il n'y a vraiment aucun problème... C'est toujours avec plaisir ! » Effectivement, Abigail lui disait ça à chaque fois que Leo la remerciait. Ce qui arrivait à chaque fois qu’il venait récupérer sa fille chez elle. Il lui était tellement reconnaissant de faire tout ça pour lui et il ne pouvait s’empêcher de la remercier. Il n’avait pas peur d’en faire trop ou de paraitre redondant, il estimait que c’était important de montrer sa reconnaissance aux autres. Il était un homme foncièrement bon et un peu trop gentil aussi, c’était sa plus belle qualité, c’était également son plus grand défaut, c’était au fond quelque chose qu’il n’aurait pas voulu changer en lui, pour rien au monde. Freya ne tarda pas à disparaitre à nouveau. Elle ne tenait pas en place et Leo ne doutait pas que son amie avait encore tout un tas de belles robes que sa fille pouvait essayer. Elle aimait tellement ça… Elle demandait souvent à changer des vêtements, et encore plus souvent, elle réclamait des robes de princesse. Les robes de la brune devaient représenter tout ça pour elle. Le jeune homme la rassurait toujours en disant qu’elle n’avait pas besoin d’une robe pour en être une, elle était déjà sa princesse à lui.

Quoiqu’il en soit, ils étaient à présents seuls tous les deux, au salon. Bière en main, installés sur le canapé de la jeune femme, ils prenaient des nouvelles l’uns de l’autre comme ils ne se voyaient quand même pas aussi souvent qu’il y a un certain temps. Le jeune homme en vint à parler de son boulot et de la charge de travail qu’il avait en ce moment… Ce qui l’avait précisément amené à lui demander son aide. Il n’aimait pas que cela empiète sur le temps qu’il était censé passer avec sa fille, surtout qu’il avait choisi ça par dépit au départ. Bon, cela s’était révélé être passionnant par certains aspects mais il aurait cent fois préféré gagner sa vie en tant qu’écrivain, ce qui n’était pas possible. « Pourquoi ne tentes-tu pas d'écrire quand même ? Sur ton temps libre... Tu pourrais ensuite tenter de trouver un éditeur et de faire publier ton livre. » Leo soupira. Combien de fois y avait-il pensé… Il avait pensé, naïvement, qu’il réussirait à y consacrer du temps. Mais le temps avait avancé, des choses étaient arrivées – Lori, l’arrivée à New York, son poste à Columbia, son divorce, notamment – et il n’avait jamais eu le temps de s’y consacrer. Surtout qu’il était resté bloqué sur son échec de départ et il avait le sentiment qu’il n’arriverait plus. Il but une gorgée de sa bière, un peu dépité en y repensant. « A chaque fois que j’essaye, je me retrouve confronté à une page désespérément blanche. Je n’arrive pas à écrire, j’ai l’impression que je vais encore échouer et ça me bloque totalement… » Il s’était fait à l’idée depuis le temps, c’était comme ça. Après avoir bu une nouvelle gorgée, il s’intéressa à la vie d’Abigail, espérant qu’elle serait un peu plus réjouissante que la sienne. « Eh bien, ça va aussi... Ces dernières semaines ont été un peu mouvementées... Ma mère a été hospitalisée, j'ai donc fais pas mal d'allers-retours pour Londres mais visiblement, elle va mieux. J'y vais encore régulièrement, mais plus toutes les semaines, comme j'ai pu faire ces derniers mois... Puis sinon, niveau boulot, ça va aussi. Le salon marche plutôt bien, j'ai pas à me plaindre... » Son visage s’assombrit en entendant pour sa mère. Il la regarda d’un air désolé et inquiet. Il n’avait jamais été proche de ses parents mais il savait que ça lui ferait un coup s’il venait à les perdre. Alors il n’imaginait pas ce que cela pouvait être pour ceux qui en étaient réellement proches. « Je suis désolé pour ta mère. J’espère que ça ira. Et c’est très bien de ta part d’aller lui rendre visite… Ce n’est pas trop fatiguant pour toi ? » Il comprenait qu’elle ne puisse pas y rester continuellement, elle devait gagner sa vie après tout… Il savait que son salon était très important pour elle. « C’est bien pour le salon aussi, je suis contente pour toi, tu le mérites. » Il se mit ensuite à sourire d’un air malicieux. « Tu sais, j’en fais la pub autant que possible autour de moi. »