Aujourd'hui j'ai craqué. Je me suis juré pourtant de ne plus penser à la scène du bar et de Natasha, de laisser ça couler. J'ai pensé que je réussirai sans problème mais le résultat est là : je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé quand Freya est partie comme une furie du bar où on était seulement de puisque peu de temps, ses frères, ma soeur et moi. D'ailleurs en parlant de Katheleen, elle me regarde encore plus bizarrement que d'habitude depuis que c'est arrivé. Je n'aime pas du tout quand elle me regarde comme ça d'ailleurs, un mélange entre l'amusement, la pitié et un espèce de sixième sens féminin que je ne suis pas persuadé d'aimer beaucoup. Je ne sais pas ce qu'elle a en tête exactement, ma soeur est quelqu'un de très secret, encore plus depuis son agression, mais au moins, j'apprécie qu'elle garde ses remarques pour elle. Kath a tendance à faire preuve de beaucoup de perspicacité que moi parfois ... "un truc de fille frérot chéri". Pfffff, tu parles. J'ai renoncé à la comprendre depuis longtemps.

Tout comme Freya, si on peut dire. C'est elle qui est venue me chercher au bar au sujet de Natasha. Bien sûr, j'aurais pu répondre d'une façon moins ... disons joueuse, mais en même temps, pourquoi je l'aurais fait ? Elle est si adorable quand elle est en colère et ... Bon d'accord, sur le coup j'ai pas vraiment réfléchi. Et au final on en est là. J'ai passé l'après-midi avec des amis à moi qui sont à New-York et j'ai eu le réalisateur de mon prochain film au téléphone, film dont le tournage se déroulera dans le coin, j'en ai de la chance. Tout ça pour dire que je n'ai pas vu Freya depuis la scène du bar et je n'ai pas non plus eu de nouvelles. Si au départ je ne me suis pas trop inquiété, j'ai fini par me poser des questions. Ce qui s'est passé étant toujours dans mon esprit, les jours ont passé et je me suis posé de plus en plus de questions au fil du temps. Qu'est-ce qui se passe par exemple ? Alors au départ j'ai pensé attendre de ses nouvelles, histoire qu'elle m'explique un peu mais n'y tenant plus face à ce silence qui va me rendre dingue ... Du coup vous devinez où je suis maintenant. Oui, je suis devant la porte de Freya et je viens juste de sonner.

A un moment, voire même à plusieurs, je me demande pourquoi je vais la voir. C'est vrai à quoi bon ? Pourquoi je m'en soucie ? Je m'en soucie parce que c'est Freya. Elle me fait la gueule et ça ne me plaît pas du tout. C'est une amie, c'est la soeur de mon meilleur ami et je n'imagine pas cette situation continuer. C'est pour cette raison que je me suis décidé aujourd'hui à aller la voir. Je prends sur moi. Non je ne vais pas prétendre que toute cette situation m'empêche de dormir et de manger mais ... je me pose des questions. Je déteste me poser des questions à ce point, et ce que je déteste encore plus c'est quand Katheleen s'aperçoit que quelque chose me tracasse et que je ne veux pas en parler. Le bonheur d'avoir une soeur écrivain qui est beaucoup trop observatrice. Du coup je ne sais pas trop dans quoi je me lance en allant voir Freya chez elle pour savoir les raisons de son silence depuis la scène du bar ... mais en tout cas je me lance.

Arrivé devant sa porte, je sonne et attends. La porte s'ouvre. Elle a du mal à cacher sa surprise sur le coup. Elle est mignonne avec son crayon de bois dans la bouche. Wow, là tout de suite ce genre de pensée n'aide pas vraiment mec. La scène dure quelques secondes, des secondes qui semblent s'étirer dans le silence avant qu'elle ne réagisse. « Je t’en prie… A quoi dois-je cette visite ? » dit-elle en s'effaçant pour me laisser entrer. Je rentre donc. Elle se repose son crayon. Une part du métier d'acteur est de savoir s'exprimer en public, que ce soit pour les interviews ou les conférences de presse. Avec le temps je suis devenu plutôt bon à ce petit jeu mais ... disons que parler à un journaliste qu'on connaît à peine même si c'est devant des milliers de gens devient soudainement moins ... compliqué que la situation dans laquelle je me trouve. Je ne sais pas si compliqué est vraiment le mot en fait mais ... enfin vous voyez. Je hausse les épaules et me tourne vers elle. « Je sais pas, à toi de me le dire. » ai-je fait doucement avant d'enchaîner parce que je viens de me décider de ne pas tourner autour du pot. « Are we okay ? »

Je ne sais pas trop à quoi je pensais en allant la voir, mai je me suis aperçu ces derniers jours que son silence me pesait, surtout après la façon dont elle est partie au bar l'autre jour. Je n'ai pas compris et je déteste rester comme ça, sans comprendre. Alors même si je n'avais aucune garantie sur le résultat de ma démarche, j'ai préféré tenter plutôt que de rester dans l'ignorance. La surprise sur son visage est assez compréhensible quand elle me trouve sur le seuil de sa porte. Pendant ce temps, j'essaie de trouver les mots pour expliquer le but de cette visite. Vu mon métier, on pourrait penser que je suis plutôt doué quand il s'agit de ce genre de chose mais croyez-moi, avec mes proches ce n'est pas si facile que ça. Sachant que je n'ai pas beaucoup de temps de réflexion, je finis par décider de ne pas tourner autour du pot. On a déjà assez perdu de temps comme ça, ces derniers jours. Du coup je lui ai demandé. Elle a froncé les sourcils. Serait-il possible qu'elle ne comprenne pas à quoi je fais allusion ? Ca m'étonnerait. A sa façon de me regarder je sais qu'elle a compris de quoi je veux parler. « J’étais énervée. » commence-t-elle. Je hausse un sourcil, un mélange entre le fait qu'elle confirme ceci et le fait que oui, en fait je l'avais bien remarqué. « Les filles du bar… J’ai été jalouse, j’ai pété un câble. Aussi simple que ça. » Je tache de masquer ma surprise. Jalouse ? Comment ça jalouse ? T'es grand Malachy, t'as vraiment besoin qu'on t'explique le sens de ce mot ? Je me mords l'intérieur de la joue pour m'empêcher de sourire. Si je n'y avais pas pensé à cette explication ? Plutôt que je ne voulais pas. Parce que Freya et moi sommes amis. Mais l'idée qu'elle ait pu être jalouse de Natasha ... sur le coup je ne sais pas quoi dire. « Je comprends mieux maintenant. » ai-je murmuré en sachant que ma remarque est inutile. « C’est pas grave. Ça finira par me passer. » finit-elle par dire. Sur le coup, je ne sais vraiment pas quoi dire. Enfin si, j'ai une phrase stupide en tête et en y pensant, le rythme de mon coeur s'accélère. Et si je n'ai pas envie que ça passe est ce que j'ai envie de lui dire, ce que je tente de repousser dans un coin obscur de ma tête. « T’as juste ce don… à m’exaspérer comme il y a une bande de groupies autour. » Cette fois impossible de retenir un petit sourire amusé. Je me gratte l'arrière du crâne, sans exactement savoir comment enchaîner. En revenant à New-York, j'étais loin de me douter que les choses se dérouleraient ainsi avec Freya. « Les groupies ... crois le ou non mais c'est pas ma passion non plus. Et puis c'est pas ma faute.  » ai-je souri avec une voix faussement plaintive à la fin. Maintenant que la question est réglée, il faut changer de sujet. Calmer les choses, et vite. Mes yeux se posent sur les dossiers qui étaient ouverts quand je suis arrivé. « Tu sais que tu travailles beaucoup trop ? Je suis sur que même Kian a dû te le dire. » ai-je fait toujours souriant. Ouais c'est sûrement la meilleure façon de calmer les choses entre nous, parler de son frère.

Je n'avais pas vraiment prévu ce qui vient de se passer ... ou alors si ? Je ne sais plus trop. Bien sûr l'hypothèse qu'elle soit jalouse était une possibilité mais ... c'est comme si j'osais pas y croire, ou alors que j'avais peur d'y croire ? Je ne sais plus très bien. Mes pensées s'embrouillent. Putain, j'aurais dû penser à quelque chose à dire dans le cas où elle me dirait ça mais j'ai tellement cherché à enterrer ça dans un coin de ma tête que je n'ai pas cherché. Alors comme un connard, je me contente d'avoir une réaction très, disons limite indifférente. Pour la simple et bonne raison que je ne sais pas ce que je veux moi et surtout, parce que je ne sais pas ce qu'elle veut elle. Vous me direz, elle vient de m'avouer en gros qu'elle avait été jalouse donc ça peut être un indice. Bordel, j'ai l'impression d'avoir quinze ans. Limite si ... enfin j'ai l'impression de pas avoir été comme ça avec une fille depuis longtemps. Hum. « Sérieusement ? » soupire-t-elle en secouant la tête. J'avoue que je suis pas fier de mon changement de sujet. On va dire que j'ai utilisé mes talents d'acteur pour faire croire que ... je m'en fous ? Oh putain. Ma bouche s'ouvre pour se refermer tout de suite après parce que rien ne sort. « Sans doute. Enfin… J’imagine que oui, je travaille trop. Mais c’est ce qui me plait. » lance-t-elle d'une voix neutre. En même temps je mérite pas beaucoup mieux. Va falloir faire un choix mec. J'ai pas envie de me comporter comme ça avec elle. Mais qu'est-ce que je peux dire ? Le moindre mot rendrait quelque chose que je suis incapable de définir réel. Ta gueule conscience. Je ne fais que hocher la tête, penaud.

« D’ailleurs… en parlant de Kian… Il était là. Avant que t’arrives. Genre, une heure avant. A peine. » continue-t-elle. « Oh... comment il va ? » ai-je fait surpris. Déjà que la conversation est gênante alors avec Kian dans le coin ça aurait été le top du top. « Un verre ? » me propose Freya en allant chercher une bouteille de rouge. Je hoche la tête, j'ai bien besoin d'un verre je pense. Elle me le sert et le temps. « Il était… soucieux. Il se demandait si quelque chose clochait entre nous. Je crois même qu’il se demandait s’il ne se passait pas quelque chose. Donc je lui ai dit… Qu’il n’y avait aucun problème, vu qu’il n’y a absolument rien entre nous. » Ah. Prends-ça. J'ai un sourire en l'entendant alors que je prends moi aussi une gorgée. « Kian est intelligent tu sais. » Ce qui veut dire que même si tu dis le contraire, il pourrait se douter de quelque chose. Faut croire que j'ai loupé ma chance là, avec mon changement de sujet pourri et si je continue comme ça elle va me le faire payer. J'ai pas vraiment envie qu'on passe encore des jours sans se parler. Alors le silence s'installe, pendant quelques secondes. Tension. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise exactement ? » ai-je fini par faire. « Que j'ai pas envie que ça finisse par te passer ? » Et je retiens mon souffle.