Dehors, il pleuvait averse. Un orage se profilait à l’horizon, et ne tarderait pas à venir gronder au dessus de New York city. Ils étaient là tous les deux, prés du lit aux draps rouges et blancs. Deux verres vides, auparavant remplis de champagne, demeuraient sur la table de chevet noire. Sohan défaisait les boutons de sa chemise, appuyé nonchalamment contre le mur, une cigarette à moitié consumée coincée entre les lèvres. Presque toujours le même rituel. Champagne, clope, fringues au sol, ligne de coke pour lui, et ils partaient pour environ cinq heure non-stop. Le voyage était toujours long et intense. Et ils le passaient l’un contre l’autre…. Sans ne plus pouvoir compter combien de fois ils l’avaient fait et re-fait, sans ne plus avoir aucune notion du temps ni de l’espace, sans ne plus savoir combien de grammes de cocaïne il restait dans le sachet posé sur la table de nuit, sans ne plus se rappeler de leur prénom ni de leur âge, sans ne plus savoir ce qu’ils faisaient, où ils étaient, comment ils étaient, pourquoi ils y étaient. Un rendez-vous irrégulier mais habituel.
Il avait laissé tomber sa chemise au sol, s’était approché de la jeune femme assise sur son lit, avait baissé le regard sur ses lèvres et s’était penché vers elle pour l’embrasser.. "y'a un problème, un gros problème. J'attend un enfant.. Le tiens". Ces mots avaient semblé résonner un instant dans la sombre pièce, emplis à la fois d’inquiétude, d’espoir, et d’anxiété. La cigarette que tenait le blond vint à nouveau rencontrer ses lèvres chaudes. Elle se consuma plus rapidement pendant quelques secondes, dégagée de ses cendres superflue dans un mouvement de l’index. Lucjan expira la fumée dans un soupire, quittant du regard les lèvres de la jeune femme pour la fixer impitoyablement dans les yeux. Le plus déconcertant dans ce regard sombre, peut-être, était-il qu’il n’exprimait aucune émotion. Sohan semblait indifférent, désinvolte même. Ce fut une voix monotone, à la fois terriblement ironique et pleine d’un cynisme perçant qui s’adressa froidement à la jeune femme..

- Congratulations, honey. Son regard, inchangé, laissait trop largement comprendre qu’il ne pensait pas un mot de ce qu’il venait de dire. Une voix au ton plus cruel, soudainement, vint couvrir ses dernières paroles. Inutile de venir me voir durant les quatre prochaines années. Tu seras trop déformée par le re-make d’alien pour être baisable.

Il semblait ignorer volontairement ce qu’elle avait précisé : que l’enfant était de lui. Qu’elle soit enceinte, pour lui, était déjà suffisamment lamentable.. . En vérité, tout ce qui avait tendance à se relier à la famille ou à l’idée d’un quelconque esprit familiale le dégoûtait profondément. Il se leva, écrasa la cigarette, puis en ralluma une autre avant de se rendre sur le balcon. L’air froid le frappa et un long frisson traversa son dos. Un silence. Un long silenceIl prenait presque cet aveu pour une trahison. Lui ? Un enfant ? Qu’est-ce qu’elle espérait en le lui avouant ? Un grand sourire, un baiser, et une soirée en l’honneur de l’embryon ? Si elle avait été moins naïve, elle aurait su que ne rien lui dire aurait été la meilleure solution.. Elle devait donc espérer quelque chose, au fond. Un soupir renouvelé se fit entendre…. Puis une demi-voix froide et cassante, désagréablement mesquine.. En tout cas plus méchante qu’à l’accoutumée. Son insensibilité totale faisait son show.

- Et puis t’as qu’à avorter.

Nonchalance et désinvolture. Il se fichait éperdument de la gravité de la situation. Ce n’était absolument pas son problème, et il le faisait bien sentir à la future mère célibataire.

La réaction de la jeune fille ne le surprit pas tellement. Il avait l’habitude. L’habitude de briser les cœurs, de déchirer les poitrines, de piquer là où cela faisait mal et de supporter les pleurs. Juliet s’outrait, parlait d’un débit rapide et dans un ton trahissant toute sa frustration. Et Sohan restait là, au balcon, torse nu, la cigarette blanche coincée entre le majeur et l’index. Il était presque déjà lassé de tout ça, comme si cette scène n’était qu’un éternel recommencement avec la plupart des personnes avec qui il avait couché. Les « tu me dégoûtes, t’es un salaud » il connaissait bien. Trop bien. C’est pourquoi il ne prit même pas la peine de se retourner vers la jeune femme pour lui adresser la parole. Il était trop insensible à ce qu’elle ressentait, de toute manière. Et ce fut cette voix toujours aussi sombre et froide qui sortit d’entre ses lèvres..

- N’essaie pas de m’impliquer là-dedans. C’était à toi de faire gaffe. T’as décidé de faire des conneries, tu assumes. Tout ça, ça me regarde pas. Et puis, oui.. Il porta la cigarette à ses lèvres, tira dessus durant une poignée de secondes, et expira doucement la fumée. Sa voix traduisait toute sa désinvolture face à la situation. Encore une fois, il s’adressa à la jeune femme d’un ton las et monotone. Oui, il n’y a que le sexe qui compte.

Tout ça l’ennuyait. Il se retourna, appuyé contre la rambarde, puis fixa Juliet un instant, détaché. Il se redressa, passa sa main dans ses cheveux blonds, et alla chercher le manteau de la jeune fille. Il revint et le lui lança, tout en prononçant un impitoyable « barre-toi. ». Il s’assit ensuite au bord du lit, ignorant déjà celle qui portait son enfant et fit comme si elle n’était déjà plus là, en retraçant des lignes de cocaïne sur la petite plaque de métal posée sur la table de chevet. C’était elle la fautive, dans l’histoire. Parce qu’elle avait été trop naïve pour croire un seul instant que Sohan voudrait de cet enfant, pour oser espérer qu’il l’aiderait, pour avoir voulu jouer avec le feu cette nuit là en prétendant prendre la pilule. « ….moi qui croyait qu'il restait un peu de bien en toi, comme quoi, même à 20 ans on peut se tromper. ». Il repensait à cette phrase. Elle traduisait toute la crédulité de la jeune femme. Personne de sensé n’osait penser un seul instant qu’il y avait du bien en Sohan. – Et c’était bien d’ailleurs pour cette raison qu’il n’avait jamais considéré Akshan comme sensé. Ni lui, ni Juliet. « Même à 20 ans.. » .. Elle était jeune. Elle n’avait pas fini de se tromper.