Vingt-huit décembre. C'était l'hécatombe, dehors, et Brennan observa avec anxiété la neige se déchaîner sur la ville de sa fenêtre. Elle se retourna, observa son frère allongé sur le canapé en train de comater devant Friends, et tenta de l'interpeller pour la quatrième fois de l'heure. « Barney, on a vraiment plus rien. » Seul son regard réagit et se tourna vers elle. « On a des Kellog's. » « Mais pas de lait », répliqua aussitôt la jeune fille. Son jumeau resta silencieux un long instant avant de hausser les épaules : « Bah va en acheter ».

C'était comme ça que tout avait commencé. Une heure plus tard, Brennan était encore à se débattre contre la neige, ses boots s'y enfonçant profondément, grelottant dans son léger manteau d'automne. C'était bon pour la Louisiane, ce truc, pas pour une tempête new-yorkaise. Tout ça pour du putain de lait, des feuilles à rouler et du Redbull. Pour cet effort là, elle pourrait bien ramener un peu de vodka et improviser une soirée avec son frère. Elle ne savait pas comment définir leur relation actuelle... Depuis qu'il l'avait espionnée alors qu'elle était avec Alec et qu'il avait décidé de s'incruster pour pouvoir garantir sa sécurité, Barney était moins suspicieux – il avait les réponses à ses questions, quoi. Brennan s'en voulait de lui avoir caché ses petites activités extra-scolaires, mais elle ne voulait pas l'entraîner là-dedans. Celle qui avait besoin d'argent, c'était elle. Elle comprenait qu'il veuille la protéger, elle était exactement pareil avec lui, et c'était pourquoi elle était réticente à chaque fois qu'ils abordaient le sujet.

En tournant à la 156ème rue, Brennan tomba sur une épicerie ouverte. Le sol, devant le magasin, était presque parfaitement sec, la neige ayant été retenue par le store déployé. Elle entra rapidement dans l'établissement, tapa du pied pour retirer la neige restée collée sur ses chaussures avant d'adresser un rapide sourire au vieil homme derrière la caisse. A vrai dire, elle était tentée de rester là jusqu'à ce que la tempête se calme, c'était la Laponie dehors.

Brennan avança de quelques pas vers le rayon réfrigiré, son regard s'arrêta sur trois hommes, plutôt grands, avec des tatouages le long des bras et un regard méfiant. Elle les connaissait, ils avaient eu des embrouilles avec son propre gang – c'était étrange de dire ça, « son gang ». Si ils la reconnaissaient... C'était impossible. Elle n'avait jamais eu directement affaire à eux, avait été présente quelques fois pendant des altercations mais n'était jamais intervenue. Tant pis, elle ne pourrait pas rester, il fallait qu'elle quitte l'endroit le plus vite possible. Elle accéléra le pas, attrapa tout ce qu'elle comptait acheter et se dirigea vers la caisse, mais l'un des hommes l'arrêta. « Eh, ma jolie, on s'est déjà vu quelque part, non ? » Ugh. Brennan déglutit avant de répondre sans croiser son regard : « Je pense pas, non. J'habite pas dans le coin. » Elle repartit mais les hommes la suivirent, mine de rien, continuant à faire la conversation comme si de rien n'était. « On s'en doute, ouais. Qu'est-ce qui t'amène ici alors ? » La jeune fille désigna silencieusement les courses qu'elle tenait entre ses bras et les posa sur la caisse. Est-ce qu'ils allaient la lâcher ? Elle n'avait de toute façon que quelques secondes à tenir : le temps de payer, et de retourner dans la neige.

Le reste se passa très vite. Un nouveau client entra dans le magasin, Brennan tourna la tête et le reconnut, ne put s'empêcher de prononcer un « Rod ? » surpris. Les trois hommes s'étaient retournés aussi, l'un d'eux s'exclama « Eh mais je le connais lui ! », pendant qu'un autre se tournait de nouveau vers Brennan « C'est ton pote, lui ? ». Au même moment, le store devant le magasin cédait dans un bruit tonitruant et une énorme masse de neige prit place dans l'encadrement de la porte, faisant trembler le sol pendant l'impact. La jeune fille resta silencieuse, les yeux rivés sur la sortie qui n'en était plus une, puis alterna entre les hommes et Rod. Enfermés dans une supérette. A cet instant, elle était certaine de ne pas en ressortir vivante.

Brennan n'en croyait pas ses yeux. En moins de temps qu'il n'en avait fallu pour le dire, Rod avait filé à l'autre bout du magasin et avait quitté son champ de vision. Deux des gros bras reportèrent leur attention sur la jeune fille, qui ne réussit même pas à esquisser le moindre sourire innocent, pendant que le dernier partait silencieusement dans la même direction que Rod. Contre eux, elle n'avait aucune chance. « Tu sais que si tu connais ce gars, t'es dans la merde, ma jolie. » Oui, elle était au courant. Pourtant, si ils la reconnaissaient, ils étaient incapable de faire un autre lien avec leur gang que Rod. « Ecoutez, je viens pas d'ici, je le connais juste de vue. » C'était vrai, et pourtant il s'arrangeait quand même pour la mettre dans la merde.

Brennan n'était pas faite pour ça. Elle n'était pas faite pour les deals, les gangs, les tirs trop rapides et les passages à tabac. Certes, elle s'y était adaptée, s'était fait une petite place parmi ses nouveaux « collègues », mais ce qui arrivait aujourd'hui était loin d'être dans ses compétences. Elle voulait être médecin, elle, ou musicienne, mais sûrement pas dealeuse. Elle avait de la tchatche, mais presque aucune autre « qualification » pour rentrer dans le métier. Elle passait son temps à improviser, n'osait même pas prendre toute cette histoire au sérieux. La seule chose qu'elle avait appris de vraiment utile depuis le début de sa toute nouvelle « carrière »... « J'en suis pas sûr... », les gestes d'auto-défense de base. Dès que l'un des hommes posa sa main sur son épaule, elle l'agrippa et la retourna avant de se concentrer sur son majeur pour le craquer. Il lui sembla que tout son doigt se disloqua sous sa pression, et elle fut elle-même étonnée de l'efficacité de cette technique. Elle réagit ensuite au quart de tour : elle se redressa, passa par-dessus l'homme qu'elle venait de blesser et courut du plus vite qu'elle put, sûrement plus vite que le second homme qu'elle réussit sans mal à semer.

Mais quel gros connard, ce Rod ! Elle lui sauvait la vie, et voilà ce qu'elle recevait. Avant, le mec la faisait rire : il était bizarre, elle ne comprenait pas vraiment sa façon de voir les choses mais, justement, se questionnait à son propos. Désormais, elle voulait juste le retrouver pour lâcher ses « amis » sur lui. Si il était lâche, elle pouvait l'être aussi. Elle s'arrêta derrière un rayon, attrapa un paquet de bonbons qu'elle jeta dans la direction opposée pour créer une diversion « comme à la télé » et continua d'avancer, le dos courbé, sur la pointe des pieds mais rapidement, jusqu'à tomber nez à nez avec le troisième gros bras. Pas de chance. Il l'agrippa par le bras, faisant sentir sa pression jusqu'à son os bientôt douloureux, et tenta de l'entraîner vers l'entrée. « Qu'est-ce que tu... » Il n'eut pas le temps d'en dire plus, Brennan s'était déjà emparée de la bouteille de mauvais vin à côté d'elle et l'avait écrasée de toutes ses forces sur le crâne de son assaillant, qui chancela et relâcha assez sa prise pour que la jeune fille s'en détache brusquement et reprenne sa course dans le sens opposé. Elle remarqua une porte à quelques rayons de là et y vit une porte métallique, menant sûrement à l'arrière boutique. Elle dût s'arrêter, manquant de glisser et se rattrapant à une étagère, quand le second homme s'approcha pour finalement faire demi-tour. C'est à ce moment-là qu'elle vit Rod, un peu plus loin. Si il restait là, dans quelques secondes leur ennemi allait le voir. Gros dilemme... Elle avait bien envie de voir comment il se débrouillerait avec ça, il l'aurait bien mérité. Cependant, sa réflexion fut rapide et elle parcourut rapidement et presque à genoux la distance les séparant, tirant sur son bras pour lui faire comprendre de changer de cachette immédiatement sans avoir à se faire repérer en parlant.

Brennan fut soulagée lorsque Rod la suivit rapidement et qu'ils trouvèrent un endroit où se cacher un temps. Tout s'était passé tellement vite, si elle avait pensé pouvoir s'en sortir indemne pendant un moment, c'était avant de casser le doigt d'un des gros bras. Désormais, elle ne pouvait compter que sur elle-même... Et sur Rod. A vrai dire, elle était rassurée de ne pas être toute seule dans cette histoire. Ils les voulaient sûrement tous les deux, maintenant. Voilà, Rod commençait enfin à prendre des initiatives ! Elle le regarda tenter de bloquer l'accès au magasin, se demandant combien de temps ça allait tenir. Néanmoins, il ne fallut pas longtemps à la jeune fille pour déchanter. « Putain mais qu'est-ce que tu fous là ?! » Brennan ouvrit de grands yeux, surprise, et observa le jeune homme lui filer sous le nez. Il lui en fallait tout de même plus pour qu'elle abandonne – elle ne tarda pas à lui emboîter le pas, passablement énervée, et lui répondit d'un ton sec. « Avant que tu ne me transformes en ennemie à abattre, j'achetais du lait figure-toi ! » Mais quelle ordure, ce mec, il avait vraiment aucune considération pour les gens. Tu m'étonnes, qu'il s'attirait les foudres de son gang... Il était insupportable. Enfin, que pouvait-elle faire seule ? Ca l'étonnerait que les hommes lui laissent réexpérimenter la seule prise d'auto-défense qu'elle connaisse. Elle le suivit donc en silence, jetant des regards inquiets ici et là.

Et voilà qu'il essayait de se la jouer Mac Gyver avec la porte impossible à ouvrir... Parce que forcément, ça aurait été trop facile, hein. Et après ? Pendant que son partenaire de galère s'activait à essayer d'ouvrir la porte, elle s'assit sur un carton apparemment rempli de tee-shirts à l'effigie de la Statue de la Liberté. Si quelqu'un faisait le lien entre elle et son gang, le quartier était bon pour une petite guerre froide. Personne n'en avait besoin, surtout pas en ce moment. Et si l'un de ses nouveaux amis se faisaient tuer... Elle était comme ça – elle voyait l'aspect humain des gens, regrettait chaque perte et, même si ça en étonnait certains, s'intéressait à la vie des autres, sur la raison qui avait amené tous ces gosses de rue à prendre les armes. Elle fut sortie de ses pensées par Rod qui, finalement, avait trouvé comment ouvrir la porte. Elle eut à peine le temps de se redresser qu'il disparaissait déjà sur un « Bon allez, salut ! » QUOI ?! Brennan courut jusqu'à la porte, frissonna lorsque le froid l'entoura. Mais déjà, avec le brouillard et la neige, elle discernait non sans mal les pas du jeune homme. Ca ne l'empêcha pas de crier. « Espèce d'ordure, reviens ici ! Tu peux pas me laisser toute seule, merde, je t'ai sauvé la vie ! » Mais aucune réponse ne lui parvint. Devait-elle sortir elle aussi ? Mais pour aller où ? Si elle rentrait chez elle et qu'ils la suivaient... Elle mettrait Barney en danger, c'était inadmissible. Elle aurait bien penser rendre visite à son boss, mais elle ne pouvait pas mettre en danger la vie de la nièce de celui-ci. Peut-être que les hommes étaient partis... Peut-être qu'ils avaient réussi à déneiger l'entrée et qu'ils étaient partis à leur poursuite d'un autre côté... Peut-être qu'elle pouvait rester là jusqu'à ce que la tempête se calme.

Non, ils n'avaient pas abandonné, et Brennan s'en rendit compte lorsqu'une main se plaqua fermement sur sa bouche pendant qu'un bras entourait sa taille avec force. Elle tenta de se débattre, fut soulevée du sol. Ses mouvements de jambes ne servaient à rien, ses bras étaient enserrés dans un étau solide. Lorsque l'homme à qui elle avait cassé un doigt apparut dans son champ de vision, elle redoubla d'efforts, mais il n'y avait rien à faire. « Espèce de petite pute, regarde ce que t'as fait à ma main ! » hurla-t-il avec colère. Brennan voulait crier, fuir, mais elle en était incapable. « Tu la tiens ? » demanda-t-il à son partenaire. Le poing valide du gros bras s'enfonça avec puissance dans l'estomac de Brennan qui eut le souffle coupé. Un autre coup la percuta et une larme naquit au coin de son oeil. L'homme n'en fit cependant pas plus de ce côté là : au contraire, il sortit un objet de ce qui semblait être sa poche arrière.

Le sang de Brennan ne fit qu'un tour. Il avait un flingue. Un vrai, qu'il allait braquer sur elle d'un instant à l'autre. Et ensuite, elle allait mourir – adieu les espoirs de musique, de médecine, son frère allait la chercher partout. Dans un élan désespéré, elle réussit à attraper entre ses dents la main de celui qui la retenait, le mordant dans toutes ses forces. Il ne tarda pas à la lâcher, mais pas de la façon dont elle l'aurait voulu - il trébucha, l'entraîna avec elle, elle heurta le coin d'une armoire qui lui créa une profonde entaille dans le manteau, le pull, le tee-shirt et la peau de la jeune fille qui hurla de douleur. Pas le temps d'y penser, le premier coup était parti. Elle jeta un regard pétrifié à celui qui tenait l'arme, il avait tiré en l'air. Elle n'hésita pas un instant et, pendant qu'il regardait son partenaire, sauta presque jusqu'à la porte pour la fermer derrière elle et fuir dans la neige, en larmes et ne sachant même pas si elle avait plus mal à l'estomac ou à l'épaule. Elle devait courir, au moins se mettre à l'abri, au mieux se cacher. Au moins, elle était sûr d'une chose : ils ne rigolaient pas. Vivre avec des délinquants et des criminels qu'on avait de son côté, ça n'avait vraiment rien à voir. Ce Rod, elle aurait mieux fait de le laisser crever, tiens.