La dernière mauvaise idée en date de Kate avait été d’essayer la boxe. Cela faisait trois semaines que son cousin était son coach sportif et ce deux fois par semaine. Depuis qu’il était adolescent, Charlie était une armoire à glace. Il était un joueur de football redouté de ses adversaires et était le parfait exemple du grand blond musclé aux allures de brute épaisse qui plaît aux filles et qui s’avère être doux comme un agneau. Enfin avec sa cousine, il n’avait jamais vraiment fait preuve de douceur physique. Déjà enfant, lorsqu’il chahutait avec elle il avait tendance à lui donner des bleus. Jusqu’à leur adolescence, la brune avait été plus grande que lui mais dès leurs quinze ans, Charlie avait eu une tête de plus qu’elle, maintenant plus de deux. Du coup il avait pris un large avantage.

Aujourd’hui il était devenu un coach sportif prisé de la haute société new-yorkaise. Sa clientèle se composait principalement de chefs d’entreprises qui voulaient garder la forme et de femmes quinquagénaires qui luttaient contre la gravité à grands coups de bistouris et d’exercices physiques. Mais il avait trouvé deux créneaux d’une heure et demi pour sa cousine. Au programme: pilates, salle de sports et jogging dans Central Park.
Histoire d’essayer quelque chose de nouveau, Charlie avait proposé à Kate une initiation à la boxe. Bien que pas du tout attirée par les sports de combat, la jeune femme s’était laissée convaincre.

Ce matin, elle n’était allée travailler que de huit heures à dix heures. Le reste de la matinée, elle le passait avec Charlie pour son premier et dernier cours de boxe. En début d’après-midi, elle avait l’un de ses derniers rendez-vous avec Mark et ce n’est qu’après qu’elle retournerait à son cabinet d’architecture.
Pendant qu’elle se mettait en survêtement dans les vestiaires, Kate n’était qu’à moitié motivée et cela se voyait. Elle était pendue au téléphone avec un emploi de l’urbanisme alors qu’elle aurait très bien pu lui demander les informations qu’elle souhaitait à un autre moment. En plus, depuis la veille elle avait une vive douleur dans le bas du ventre et elle ne se sentait pas au meilleur de sa forme. Elle se décida tout de même à monter sur le ring et à ne pas écouter la douleur. Le cours ne dura même pas une heure. Au lieu de lui faire évacuer son stress, les coups qu’elle donnait ne faisaient que l’énerver. Au bout d’un moment, Charlie profita d’un moment d’inattention pour lui envoyer une droite dans le menton. Il avait frappé tellement fort que Kate avait un goût de sang dans la bouche, signe qu’elle s’était coupée la lèvre. Presque sur le coup de la colère, elle frappa son cousin à l’épaule, ce qui ne fit pas grand-chose au coach puisqu’il lui renvoya un coup encore plus violent que le premier en plein sur le zygomatique gauche. Kate tomba sur les fesses et ce fut Charlie qui la releva. Après lui avoir dit qu’il ne contrôlait pas sa force et qu’il n’avait plus dix ans, elle ajouta qu’elle préférait rentrer chez elle. Elle avait la nausée et de plus en plus mal au ventre.

De retour chez elle, elle alla prendre une douche et envoya un sms à Mark pour lui demander de venir chez elle pour leur rendez-vous. Elle ne se sentait pas bien du tout et préférait ne pas aller jusqu’à Park Avenue. Il était aux alentours de treize heures lorsqu’elle ouvrit son frigo pour le refermer aussitôt. Elle n’avait vraiment pas faim et n’avala que deux cachets d’ibuprofène et un verre d’eau. Ce fut avec un sachet de haricots verts surgelés qu’elle sortit de sa cuisine. Sa lèvre inférieure était déjà gonflée et son visage tournait au violet aux deux endroits où Charlie l’avait frappée.
Elle s’allongea sur le canapé en attendant que Mark arrive.

Vu son état, la dernière envie que la jeune femme avait avec son avocat, c’était de s’envoyer à l’air. Elle ne savait pas trop ce qu’elle avait. En fait, elle n’avait jamais eu ce genre de douleur auparavant et il lui était donc impossible de l’identifier. C’était un vif pincement, une espèce de contraction dans le bas du ventre. Pour le moment, Kate attribuait cette douleur au stress. Cela lui paraissait tout à fait plausible puisque c’était après son cours de boxe qui l’avait mise sur les nerfs qu’elle avait eu réellement mal.

Et puis même si elle avait été en pleine forme, elle n’aurait pas voulu coucher avec Mark. Pour elle, ce qui s’était passé au Plaza n’était qu’un moment isolé, certes très agréable mais cela ne devait pas se reproduire. Kate ne regrettait pas du tout mais elle s’était très vite rendue compte que l’évènement l’avait plus troublé qu’elle ne l’aurait cru. Heureusement, pendant les rendez-vous qui avaient suivi, l’homme de loi avait eu le tact de ne faire aucune allusion à ce sujet. La relation était strictement professionnelle, voire un peu trop. Ils étaient tous les deux trop froids pour être naturels et à les observer attentivement, on pouvait voir qu’ils n’étaient pas qu’un simple avocat et sa cliente. C’est bien parce qu’ils n’y avait aucune ambiguïté que Kate ne voyait pas d’inconvénient à ce que le rendez-vous de la journée se passe chez elle.

Le visage marqué de coups était une raison de plus pour ne pas sortir de chez elle. Elle se voyait mal débarquer comme ça dans l’un de plus grands cabinets d’avocats de la ville et à moins de mettre une cagoule, elle n'aurait pas pu le cacher. Même avec une écharpe et de grosses lunettes, elle ne pourrait pas cacher le bleu qu’elle avait sous l’œil gauche. Et puis elle se fichait pas mal de ce qu’allait penser Mark. Elle était persuadée qu’il ne poserait aucune question et qu’elle n’aurait pas à expliquer les traces de coups sur son visage. Pour l’appartement, il allait sans doute garder son étonnement pour lui. S’il n’avait pas posé de question en voyant sur le dossier de Kate qu’elle habitait dans Greenwich Village, il n’y avait pas de raison qu’il en pose sur le duplex qui ne faisait qu’une centaine de mètres carré. Comparé à la villa que l’architecte avait sur l’île, il semblait petit. Qu’importe, Kate s’y sentait bien. Même avec des meubles suédois, elle avait réussi à se faire un intérieur meublé, aménagé et décoré avec goût. Et l’espace avait l’avantage d’être très bien agencé. Ajouté à ça une excellente luminosité et vous obtenez une appartement agréable à vivre. Si elle avait le choix entre ce duplex et une maison dans l’Upper East Side, Kate resterait dans ce petit nid.

Quelqu’un sonna à la porte. Vu l’heure, ce devait être Mark. La jeune femme se leva de son canapé et tout en gardant son sachet de légume surgelé sur sa joue gauche, elle alla ouvrir. Son ex était bel et bien sur le palier, sans cravate, sans veste, l’air détendu. Ça, c’était signe de fin de journée.
Kate s’écarta pour laisser Mark entrer.

- Entre.

La brune avait envie de se plier en deux mais elle faisait l’effort de se tenir droite. Elle faisait son possible pour que sa douleur ne se remarque pas et vu qu’il était peu commun d’avoir des légumes surgelés sur le visage, le sachet était une assez bonne diversion.

En effet, Kate avait toujours été un peu casse-cou et n'avait pas peur de se faire mal. Mais cette fois, elle se disait qu'elle aurait du faire preuve d'un peu moins de témérité. Bien qu'elle admette volontiers que la boxe était un sport qui demandait des qualités comme l'agilité et la maîtrise de soi, elle n'avait jamais été attirée par cela. Charlie l'avait convaincu. Il connaissait assez bien sa cousine pour savoir qu'elle aimait découvrir de nouvelles choses et en mettant le doigt sur ce fait, il n'avait pas été difficile de la traîner jusqu'au ring. Après tout, c'était moins risqué que d'entrer par effraction dans un bâtiment public pour aller y voler des documents et ressortir par la fenêtre. Par moment, on pouvait se demander si Kate avait réellement la notion du danger. Bien sûr, avec un entraînement de boxe elle ne risquait rien mais en faisant ce qu'elle avait fait à la mairie de l'île, elle avait pris le risque de se faire prendre la main dans le sac, d'importantes sanctions et elle aurait vu sa réputation détruite. Et en voulant rester à Seattle après avoir reçu des menaces de mort, elle avait même été prête à risquer sa vie. La jeune femme était consciente de ne pas être assez prudente mais elle n'avait pas d'enfant ni de conjoint alors les conséquences des risques qu'elle prenait ne concernaient qu'elle. Si elle devenait mère, elle serait évidemment moins tête brûlée mais puisqu'elle ne voulait pas d'enfant, elle ne comptait pas changer.

Lorsque Mark lui demanda ce qui lui était arrivé, la brune ne répondit pas tout de suite. Elle ferma la porte et quand elle se retourna, l'homme de loi se dirigeait déjà vers la salle à manger. Après qu'il ait posé sa mallette, elle lui répondit enfin:

- Ta soeur est passée me voir. On s'est pris la tête et elle m'a traité de boudin alors je l'ai cogné. Et elle m'a fait ça. Mais t'inquiète pas, c'est rien à coté de ce que je lui ai fait.

Kate ne pensait pas une seule seconde que Mark goberait ça. De son coté, elle connaissait assez bien Meredith pour savoir qu'elle ne viendrait jamais la voir de son plein gré. Quoi que l'architecte ne trouverait pas étonnant si la jeune Ruthenford venait chez elle après avoir appris ce qui s'était passé au Plaza dans le simple but de lui interdire de s'approcher de son frère.
Sans même attendre de réponse, la jeune femme alla dans sa cuisine pour poser le sachet de légumes dans l'évier. Elle revint dans la salle à manger quelques secondes plus tard et en passant devant Mark, elle lui donna une autre réponse, aussi vague que la première:

- Tu ne le connais pas.

C'était en réponse à la question qu'il se posait forcément: Qui lui avait fait ça? Kate considérait qu'elle n'avait aucun compte à lui rendre. De plus, elle n'avait pas envie de lui raconter que son cousin -dont il connaissait simplement l'existence, pas même le nom- était son coach sportif et qu'il l'avait initiée à la boxe. Elle le voyait déjà se mettre à ricaner en l'imaginant gants aux poings.
Sans autre explication, l'architecte alla jusqu'au meuble où elle rangeait ses dossiers et en sorti celui qu'elle avait sur l'aspect juridique de son cabinet d'architecture. Aujourd'hui, elle avait besoin de Mark pour le contrat d'une secrétaire qu'elle voulait embaucher dès la semaine suivante.
Dans un soupir de douleur qu'elle tenta de réprimer, Kate s'installa sur une chaise. Elle n'avait qu'une hâte, que le rendez-vous se termine au plus vite pour qu'elle puisse aller s'allonger jusqu'à ce que ça passe.

Kate n'était pas prête d'oublier la nuit où elle avait failli se faire descendre par un taré qui tuait des personnes pour leur pêchés. Lorsque les policiers avaient pénétré dans la cave de la maison du psychopathe, ils y avaient trouvé parmi les centaines de photos et de papiers placardés aux murs une photo que de Kate. Cette photo avait été prise par un de ses amis photographe qui vivait à Chicago. La jeune Evans avait vingt ans lorsqu'elle avait accepté de faire une photo quelque peu dénudée et quand le photographe avait commencé une belle carrière, il avait sorti un livre avec les cent plus belles photos de femmes qu'il avait faites et Kate était en double pages. Le péché pour lequel elle avait failli être tuée était donc la luxure. En apprenant cela, elle avait été sous le choc. Elle avait eu la peur de sa vie, des cotes cassées, des hématomes et une arme à feu pointée sur elle pour une simple photo. Après son agression et pendant plusieurs semaines, elle avait eu du mal à dormir et lorsqu'elle trouvait le sommeil, elle faisait des cauchemars et repensait à cette nuit. Si Mark avait été à ses cotés, elle aurait sans doute surmonté plus vite ses peurs mais elle avait du y faire face seule.

Aujourd'hui, même si elle y pensait encore souvent, elle ne faisait plus de cauchemar et considérait cette histoire comme faisant partie du passé. Pour l'enquête de police, elle avait du se rendre à la morgue afin d'identifier le corps du meurtrier qui avait été tué lors de son arrestation. Voir le cadavre avec un impact de balle entre les deux yeux l'avait énormément aidé à se remettre.

Kate prit les documents que son ex lui tendait et les parcourut rapidement du regard. Elle préférait les lire à tête reposée avant de les signer. Si elle s'était enfin décidée à prendre une secrétaire, c'était parce que les clients se faisaient de plus en plus nombreux et que l'entreprise faisait enfin du chiffre. Rien n'était encore gagné et la chef d'entreprise savait qu'il faudrait encore beaucoup de travail pour se faire un nom à New York mais le fait que sa société décolle après tant de mois lui enlevait un poids des épaules.
Alors que Mark lui demandait si elle souhaitait qu'il rédige un contrat classique, Kate sentit sa nausée se transformer en brusque envie de vomir. Elle inspira profondément en espérant que cette envie n'était que passagère et répondit brièvement:

- Un classique.

Elle eut juste le temps de répondre puisqu'elle dut se lever d'un bond pour courir jusqu'à la salle de bains, une main plaquée sur la bouche. La douleur qu'elle avait au ventre s'amplifia lorsqu'elle monta les escaliers mais elle ne voulait pas aller dans les toilettes du rez-de-chaussée où Mark aurait entendu ce qu'elle allait y faire. Elle arriva juste à temps dans la salle de bains et claqua la porte derrière elle. Une fois soulagée, elle se brossa les dents et se passa de l'eau sur le visage. Soudainement, la douleur fut encore plus vive. La jeune femme posa ses deux mains sur le rebord du lavabo et se laissa lentement glisser au sol afin de s'adosser au meuble du lavabo. Son chien l'ayant vu traverser le salon comme une flèche, il l'avait suivi jusqu'au premier étage et était maintenant campé devant la porte de la salle de bain. A croire qu'il sentait que quelque chose n'allait pas puisqu'il se mit à gratter contre la porte et à aboyer et ce de plus en plus fort, ne recevant aucune réponse de sa maîtresse. Kate devait rejoindre Mark pour poursuivre le rendez-vous mais là, elle était incapable de faire le moindre mouvement. Ses bras serrés contre son ventre, elle était recroquevillée sur elle-même et ne pouvait pas se relever.

Kate ne s’en faisait pas trop pour son visage. Elle avait bon espoir que les bleus s’effacent rapidement et qu’il lui suffise d’un peu de fond de teint pour les masquer en grande partie. Même si pour l’instant ils étaient bien visibles, ils étaient moins importants que ceux qu’elle avait eu après son agression. Là, elle ne ressemblait plus à une femme qui s’était battue contre une autre plutôt qu’à une victime d’agression. En fait, si elle s’était vraiment battue avec Meredith, le résultat n’aurait pas été différent. Kate avait eu de nombreuses fois l’envie de claquer sa belle-sœur mais elle n’avait jamais eu le moindre geste envers elle. Elle n’était pas partisane de la violence physique et n’attaquait qu’avec des mots, ce qui lui convenait assez bien. En effet, si elle maniait assez bien les mots pour toucher là où ça fait mal, elle était beaucoup moins douée avec ses poings.

Quant au chien, il n’aimait pas vraiment Meredith non plus. A vrai dire, il faisait preuve d’une indifférence totale pour elle et ne répondait jamais quand elle l’appelait. Mais la personne qu’il n’aimait clairement pas, c’était Mark. Il était évident que c’était par jalousie. Lorsque Kate venait se glisser dans les bras de son compagnon pendant qu’ils regardaient un film, l’animal montait sur l’homme comme s’il s’agissait d’un coussin et réclamait des caresses de sa maîtresse. Et si pour une quelconque raison l’avocat devait hausser le ton, le chien se mettait à grogner.
La jeune femme l’avait pris au refuge de l’île après son agression et il s’était tout de suite attaché à elle. Il avait été traité comme un pacha et n’avait pas eu de mal à s’y habituer. Il avait un grand jardin, des jouets, des caresses, des promenades sur la plage, en forêt et Kate l’emmenait même au travail. Alors quand Mark était revenu dans la vie de l’architecte, le canin s’était senti quelque peu délaissé. Heureusement, Alyssa s’était prise d’affection pour lui et s’en occupait plutôt bien pour une petite fille de son âge.

Quelques secondes après que le chien se soit mis à aboyer, la voix de Mark se fit entendre derrière la porte. Lorsqu’il demanda si tout allait bien, Kate tenta de se redresser mais la douleur la fit revenir dans sa position initiale. A la deuxième réplique de son ex, elle répondit un petit "j’arrive" étouffé qui ne parvint pas jusqu’à l’homme de loi. Ce dernier ouvrit la porte et le chien entra dans la salle de bains comme un boulet de canon. Il essaya d’abord de lécher le visage de Kate mais elle tourna la tête pour qu’il ne puisse pas le faire. Elle avait horreur qu’il essaye de faire ça. Il lui lécha alors la main jusqu’à ce que Mark s’approche. Là, il s’écarta et se remit à aboyer.

La brune hocha la tête en signe d’affirmation quand son ex lui demanda si elle avait mal au ventre mais le fit en signe de négation lorsqu’il lui demanda si elle y avait reçu des coups. Elle ne savait pas ce qu’elle avait mais elle était certaine de n’avoir été frappée qu’au visage. Peut-être que l’effort physique avait été l’élément déclencheur de la douleur, elle le saurait quand elle serait à l’hôpital. Cette douleur n’était pas banale, Kate en était certaine. Elle n’était pas paniquée pour autant mais elle savait qu’elle devait voir un médecin d’urgence. N’ayant pas d’autre choix que de demander un service à Mark, elle releva la tête et lui dit:

- Emmène moi à l’hôpital.

Lorsque Mark l'aida à se relever, Kate fit l'effort de ne pas gémir de douleur. Plus vite elle serait à l'hôpital plus vite elle serait soignée. Soutenue par son ex, elle passa un bras autour de ses épaules et exerçait involontairement une pression de sa main à chaque pas qui accentuait ponctuellement la douleur. Une fois au rez-de-chaussée, elle prit son sac qui contenait ses papiers, ses clés et sortit de l'appartement avec Mark. Il fallut qu'elle ordonne à plusieurs reprises à son chien de retourner à l'intérieur puisqu'il était sorti sur le palier, ne voulant pas la lâcher d'une semelle. Alors qu'elle fermait enfin la porte, Mark insista pour savoir ce qui s'était passé. S'il voulait tant le savoir, Kate voulait bien céder et lui expliquer mais ce n'était pas le moment de lui faire un petit résumé de sa nouvelle bonne résolution à faire du sport plus régulièrement. Elle le regarda donc dans les yeux et avec aussi peu d'amabilité que lui, elle répondit:

- Ça ne te regarde pas et de toute façon, ça n'a rien à voir avec la douleur.

Sur ces mots, ils poursuivirent leur chemin jusqu'à la voiture de Mark. Heureusement, l'ascenseur n'était pas en panne et Kate n'avait pas à prendre les escaliers. Une fois tous les deux installés dans le véhicule, la jeune femme demanda à son ex qu'il l'emmène au Lenox Hill Hospital. L'hôpital le plus proche était le Bellevue mais sa réputation n'était pas excellente. Après la rénovation de son dispensaire, Kate avait eu le droit à une visite de l'endroit ainsi que de tous les services mais cela n'avait pas suffi à placer cet hôpital en tête de liste si elle devait se faire hospitalier. Lorsqu'elle était enfant et qu'elle venait à New York, son père voulait que ses grands parents maternels l'emmènent à Lenox Hill en cas de problème car il considérait que c'était là-bas qu'elle serait la mieux soignée. De plus, il était situé sur la soixante-dix-septième rue, à l'angle de Park Avenue et c'était donc l'hôpital le plus proche dont Mark connaissait à coup sûr la route.

Sur le chemin, l'architecte ne dit pas un mot. Elle respirait aussi paisiblement qu'elle le pouvait et était en apparence tout à fait calme. Moins de vingt minutes plus tard, elle était assise sur une chaise dans la salle d'attente. Mark était allé voir les infirmières pour leur expliquer le peu qu'il savait de la douleur de la brune et revint vers elle. A la question de l'avocat, elle tourna la tête vers lui et avec une pointe de sarcasme elle répondit:

- J'ai deux semaines de retard, des nausées et mal en ventre depuis deux jours, je pense pouvoir tenir le coup quelques minutes encore.

Il était déjà arrivé à Kate d'avoir du retard lors de périodes de stress, surtout dues à son travail. Cela avait eu lieu au moins trois fois pendant la construction de l'aéroport et une fois pendant le procès de la garde d'Alyssa. Quand cela arrivait, Kate avait parfois mal au ventre et Mark le savait. C'est pourquoi elle lui avait parlé de ses deux semaines de retard qu'elle avait actuellement. Ainsi, il savait que cela faisait déjà plusieurs jours d'affilé qu'elle avait mal dans le bas du ventre.

Il était plutôt rare que Kate tombe malade. En fait, cela n'arrivait pas plus d'une fois par an en moyenne. Et lorsqu'elle avait de la fièvre, cela ne l'empêchait pas d'aller travailler. Il suffisait qu'elle pense à ce qu'elle devait faire et qu'elle ne voulait pas reporter à plus tard pour qu'elle s'extirpe de ses draps. La journée était forcément moins productive mais c'était toujours mieux que rien. La fois où elle était tombée malade alors qu'elle était en couple avec Mark, ce dernier avait du se montrer très convaincant pour la faire rester chez eux.
Il ne l'avait jamais su mais elle était toute de même allée chez elle quelques heures pour étudier un dossier et passer quelques coups de téléphone. De toute façon, Mark était mal placé pour lui faire la morale puisque lui aussi était un acharné au travail et ce n'était pas une grippe qui allait le clouer au lit. Aujourd'hui il ne s'agissait pas d'une grippe mais bien d'autre chose, ça c'était certain. Malgré la douleur, la jeune femme arrivait à se montrer aussi sereine que possible. Elle ne voulait ni se donner en spectacle en se tordant de douleur ni inquiéter Mark. Ils avaient beau être plus qu'en froid, Kate connaissait la petite mine soucieuse de son ex qu'elle avait déjà pu observer après qu'Alyssa soit sortie de l'hôpital, pendant qu'elle se remettait doucement. En père digne de ce nom, il avait veillé au grain et s'était beaucoup inquiété.

Quelques instants après sa dernière remarque, Mark se mit à ricaner mais la brune n'eut pas le temps de lui demander ce qui le faisait rire comme cela puisqu'un médecin arriva à ce moment là. Kate se leva difficilement et se tourna vers l'homme de loi, en attendant qu'il se lève également. De son coté, elle ne se demandait pas s'il devait venir ou non. Elle voulait qu'il l'accompagne, c'était une évidence. Sa présence était rassurante.

Une fois dans une des salles de consultation, Kate fut invitée à s'allonger sur la table d'auscultation. Un calepin dans les mains, le médecin lui demanda ce qu'elle avait tout en gardant le regard rivé sur le document qu'il était en train de lire. L'architecte lui expliqua et lorsqu'il leva les yeux vers elle, haussa les épaules et lui demanda si elle était enceinte, elle ne répondit pas tout de suite. L'homme en blouse blanche lui avait posé la question avec un ton presque affirmatif, comme si elle avait été assez étourdie pour oublier de mentionner qu'elle était enceinte. Or, elle était parfaitement certaine de ne pas l'être. Quand elle avait pris une chambre au Plaza avec Mark, Kate était allée acheter une pilule du lendemain avant de rentrer chez elle. Elle avait quitté son dernier petit ami deux semaines plus tôt et leurs rapports étaient tous protégés. Après le Plaza, la jeune femme n'avait même pas eu le moindre rendez-vous galant avec un homme. Il était donc impossible qu'elle soit enceinte.
Enfin, elle répondit un "non" net et franc et tourna la tête vers Mark qui se trouvait juste à coté d'elle. Le médecin les pria de l'excuser et leur dit qu'il revenait dans une minute. La jeune femme ne dit rien mais une fois que la porte fut fermée, elle posa de nouveau son regard sur Mark. A le voir, elle imaginait très bien l'expression d'effroi qu'elle aurait pu lire sur son visage si elle avait répondu qu'elle était enceinte et qu'il était le père. Elle eut un sourire amer et lui dit d'une voix qui montrait que c'était à la fois vrai et écœurant:

- C'est vrai qu'un bébé, c'est la pire chose qui pourrait nous arriver.

Si Kate avait été enceinte de Mark, elle aurait avorté. Et même si elle était enceinte, qu'elle avait voulu être mère et qu'elle avait décidé de le garder, elle n'aurait rien demandé au père. Elle aurait été tout à fait capable d'assumer seule l'éducation d'un enfant et elle n'aurait pas voulu lui demander une quelconque aide.

Étant la marraine d'Alyssa, Kate avait été affectée par la situation lorsque son père avait appris son existence. Elle était inquiète et appréhendait la suite des évènements. Pour dire vrai, dès qu'elle avait vu l'homme de loi passer devant chez elle, elle avait su que la vérité allait éclater incessamment sous peu. A ce moment là, elle ne savait pas du tout quelle serait la réaction de Mark. Allait-il continuer sa vie en faisant comme si l'enfant qu'il n'avait jamais voulu n'existait pas? Ou allait-il assumer pleinement son rôle de père?
Elle avait été très surprise de son attitude, agréablement surprise en fait. Mais cette fois, elle était certaine que si c'était elle qui était tombée enceinte et qu'elle n'avait pas voulu avorter, il n'aurait pas voulu faire partie de la vie de son enfant. Malgré son dégoût, la jeune femme n'aurait pas tenté de resserrer les liens entre le père et l'enfant. Évidemment, elle n'aurait pas agis comme Brooke l'avait fait. Jamais elle n'aurait caché sa paternité à Mark. Cependant, elle n'aurait rien attendu de lui. Bien que ses finances ne soient pas au beau fixe en ce moment, elle était capable de subvenir aux besoins matériels de son enfant et même si la création de son entreprise lui demandait énormément de temps, elle aurait pu consacrer assez de temps à un bébé. Les services d'une nourrice auraient été indispensables et Kate n'aurait pas pu être aussi présente qu'elle l'aurait souhaité mais après tout, elle n'avait eu qu'un père présent une semaine par mois en moyenne et ce n'est pas pour autant qu'elle avait eu une enfance malheureuse. Mark connaissait assez bien son ex pour comprendre son caractère indépendant et en toute logique, ce n'est pas en devenant mère qu'elle allait devenir dépendante d'un homme ou de qui que ce soit d'autre.

Kate n'aurait jamais l'occasion de prouver à Mark qu'elle ferait une bonne mère -et de montrer par la même occasion à Brooke qu'elle avait eu raison en lui disant qu'elle serait une meilleure mère qu'elle.-
En effet, elle ne comptait pas du tout donner la vie et bien que l'idée lui ait traversé l'esprit lorsqu'elle était avec Mark, aujourd'hui c'était totalement impensable.

Bien que la réponse de Mark ne soit pas de l'avis que Kate, celle-ci ne répondit pas. Ni elle ni lui n'étaient les pires parents qu'un enfant puisse avoir. L'un comme l'autre pouvaient très bien remplir ce rôle, d'ailleurs l'homme le prouvait déjà. Et s'il considérait que le fait d'être le père d'Alyssa lui avait appris par expérience qu'il était la pire chose qui soit arrivé à la petite fille, alors pour Kate il était idiot.
Puisqu'il était inutile de se disputer à propos d'un éventuel bébé qui ne verrait jamais le jour et qui ne serait même jamais conçu, la brune détourna son regard de Mark et fixa la porte, en attendant que le médecin réapparaisse. Comme il l'avait dit, il revint très vite et s'approcha de Kate. A sa demande, elle remonta son tee-shirt et détacha le bouton de son jean pour le laisser l'examiner. En quelques secondes, il mit la main exactement à l'endroit où la douleur prenait naissance. La jeune femme plaqua une main contre sa bouche pour retenir un gémissement, ce qui constituait une réponse suffisante à la question "et là, ça fait mal?". Pour simple confirmation, le médecin prit la jambe droite de sa patiente et la souleva. Cette fois, la douleur était encore plus forte et Kate poussa un petit cri. L'homme en blouse blanche reposa sa jambe et avec un petit sourire, il vint poser une main sur son épaule et lui dit:

- Vous avez l'appendicite.

L'architecte le regarda avec de grands yeux, bouche bée. Même si elle n'avait pas eu l'appendicite étant petite et que la douleur était plus prononcée du coté droit, elle n'avait pas pensé une seule seconde que c'était ce qu'elle avait.

- Vous serez opérée dès ce soir.
- Quand est ce que je pourrai repartir?
- Dans trois jours si tout se passe bien.
- Mais j'ai des rendez-vous demain, je ne...
- N'y pensez même pas. Il vous faudra entre une semaine et quinze jours pour récupérer.

Kate voulut protester mais savait que c'était inutile. Évidemment, elle ne pensait pas une seule seconde à prendre une semaine de congés pour se remettre d'une appendicectomie mais il n'y avait aucun intérêt à le mentionner au médecin. Elle posa son regard sur Mark, dans l'espoir infime qu'il puisse faire quelque chose. Il avait un rythme de travail tout aussi soutenu que le sien et il savait les conséquences que pouvaient avoir une absence si soudaine. De plus, il était avocat, la négociation c'était son truc.

Tant que Kate exercerait son métier d'architecte, ce ne serait jamais le bon moment pour qu'elle tombe malade et qu'elle doive s'absenter plusieurs jours. Le fait qu'elle ait une secrétaire ne changeait rien au fait que des rendez-vous importants allaient devoir être remis à plus tard. Et dire "plus tard" dans le bureau de Kate c'était comme dire "lapin" dans un bateau. C'était strictement interdit.
Vu le regard et la réponse de Mark, il ne s'en souciait pas plus que le médecin. La jeune femme se doutait bien qu'il ne serait pas enclin à soutenir son envie de partir le plus rapidement possible de l'hôpital. Mais elle aurait beau attraper le docteur par son stéthoscope et lui dire qu'elle préférait encore qu'il la gave de sédatifs pour qu'elle puisse partir dès le lendemain sans ressentir la moindre douleur quitte à ce qu'elle aille travailler en rampant, elle n'avait pas d'autre choix que de se plier à la procédure habituelle. Elle détourna son regard de son ex et soupira lascivement, la mine boudeuse. Plus elle repensait à ce qu'elle allait devoir annuler, au risque qu'elle prenait de perdre un précieux client plus elle avait le moral dans les baskets. Déjà que pour un cabinet d'architecture qui venait d'ouvrir il était difficile de trouver des clients, une semaine d'inactivité n'était vraiment pas la bienvenue. Heureusement, les deux jeunes architectes qu'elle employait pouvaient mener la barque mais elle était la patronne et donc la clé de voûte. C'était elle qui prenait toutes les décisions et qui rencontrait les nouveaux clients. De plus, elle n'avait encore jamais laissé ses employés travailler seuls. Même si elle avait confiance en eux, elle craignait qu'ils aient le moindre souci. Au moins, son hospitalisation serait l'occasion de les tester.

Péniblement, Kate se redressa afin d'être assise. Tandis que le médecin était installé au petit bureau au fond de la pièce à remplir des papiers, la voix de Mark la fit sortir de ses pensées. Elle ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'il se rende chez elle. C'était même aimable de sa part de proposer de lui rapporter des affaires puisqu'il devait récupérer le contrat de sa secrétaire. La jeune femme savait qu'il ne se mettrait pas à fouiller dans ses affaires et de toute façon, il n'y trouverait rien de bien intéressant. Tout ce qui le concernait, c'était quinze albums remplis de photos d'Alyssa rangés dans la bibliothèque et un autre de la petite famille qu'ils avaient formée tous les trois. Mark avait vu la quasi-totalité des photographies de cet album mais rares étaient celles d'Alyssa que Kate lui avait montrées. Elle lui avait déjà donné toutes les vidéos qu'elle avait faites et se serait sentie coupable si elle avait du regarder avec le père les photos qui n'auraient fait que lui rappeler un peu plus les moments qu'il n'avait pas pu vivre avec sa fille. Si Kate les lui avaient montré, elle aurait été mal à l'aise.

L'album qui contenait les photos de Mark, Alyssa et Kate ensemble était rangé au fin fond du buffet de la salle à manger. L'architecte n'avait pas voulu le jeter à la poubelle même si elle n'avait jamais eu le coeur de le rouvrir. Elle n'avait sorti qu'une seule photo de cet album. C'était une photo prise un samedi après-midi comme les autres mais que la jeune femme gardait bien en mémoire. Sur la photographie, on la voyait dans la piscine de la villa Ruthenford avec Mark et Alyssa. Le père jetait sa fille dans les airs et la marraine s'apprêtait à la réceptionner. On voyait les deux adultes sourire et on devinait à la bouche grande ouverte de la fillette qu'elle était partagée entre le rire et le cri. Les deux bras écartés, elle prête à être accueillie dans les bras de Kate. Cette dernière regardait cette photo de temps en temps mais ne l'avait pas encadré. Elle l'avait juste glissé dans son tiroir à chaussettes. D'ailleurs, il n'y avait aucune photo d'Alyssa dans le salon ni dans les pièces accessibles aux invités car elle ne voulait pas qu'ils soient au courant de son histoire passée avec Mark. Du coup, il n'y avait que dans sa chambre que l'on pouvait voir des photos de sa filleule. Il y avait une dizaine de cadres en tout, un sur sa table de chevet, trois autres sur son coffre en bois et le reste aux murs. Sur l'une d'elle, Alyssa n'avait même pas deux semaines et emmitouflée dans sa couverture, elle dormait dans la housse de guitare de Kate, ses deux minuscules poings fermés et repliés contre elle.

Puisque Mark devait forcément s'attendre à trouver des souvenirs d'Alyssa chez Kate, il n'y avait aucune raison pour qu'elle ne veuille pas qu'il regarde dans ses affaires afin de trouver ce qu'il fallait pour les jours qu'elle allait passer clouée sur un lit d'hôpital.

- Les clés sont dans mon sac.

Le sac en question était à ses pieds mais elle n'avait pas la force de se pencher pour l'attraper. Elle préférait donc que ce soit Mark qui cherche lui même. Le médecin se leva et s'absenta une minute le temps d'aller chercher un sédatif pour Kate.
Ce n'est que maintenant qu'un "petit" détail venait à l'esprit de la jeune femme. Son chien. S'il devait resté seul trois jours, il risquait de saccager l'appartement. La veille voisine de l'étage du dessous serait à peine capable de se rappeler de lui donner à boire et à manger et elle était trop rouillée pour le promener.

- C'est peut-être un peu exagéré de te demander ça mais... tu ne voudrais pas prendre mon chien chez toi? S'il te plaît...

Après tout, il connaissait déjà Mark et adorait Alyssa. De plus, Central Park était tout près de leur maison et l'avocat n'aurait pas à faire un long chemin pour le promener dans un parc.

Entre Mark et le chien de l'architecte ça n'avait pas été le grand amour mais l'animal n'était pas si désagréable que ça avec l'homme de loi. C'était ce dernier qui n'était pas particulièrement fan des animaux de compagnie contrairement à Kate qui aurait été capable d'avoir une dizaine de chiens si elle avait eu le temps et l'espace pour s'en occuper correctement. Dans une moindre mesure, elle appréciait aussi les rongeurs et autres animaux que les enfants réclament d'habitude à leurs parents. Les chiens étaient de loin les animaux de compagnie qu'elle préférait. Elle aimait leur caractère, leur fidélité, leur espièglerie autant que le sentiment de protection qu'ils pouvaient apporter. Lorsqu'elle était enfant, les chiens qui l'entouraient étaient des outils de travail qui servaient à garder la résidence Evans et le chien que la jeune femme avait adopté sur l'île était le tout premier qu'elle pouvait considérer comme un compagnon à quatre pattes. Elle était arrivée dans le refuge avec l'intention d'en repartir avec un chien de garde. C'était quelques jours après son agression et à ce moment là, on n'avait pas encore mis la main sur le psychopathe. Même si elle vivait à l'hôtel, elle avait ressenti le besoin d'avoir un chien capable de la protéger. Mais au final elle était sortie du refuge avec un berger australien complètement inoffensif qui avait peur de l'orage et qui ne grognait que lorsqu'il voyait un chat roder autour de la villa. Il avait les chats en horreur et dès qu'il en voyait un, il semblait subitement possédé et fonçait vers lui. Heureusement pour les félins, ils courraient plus vite que lui.

Selon Kate, c'était son coté parfois "pile électrique" qui agaçait Mark. Alors elle n'était pas étonnée de son refus, du moins de la réplique qui avait tout l'air d'être un refus. Après tout, ce n'est pas parce qu'il trouvait la demande exagérée qu'il refusait d'y accéder. Il était déjà arrivé qu'il cède aux idées de Kate sans pour autant être d'accord comme lorsqu'elle avait exigé de lui qu'il laisse le chien dormir dans le salon de la villa plutôt que dehors. Et pourtant Mark était le propriétaire des lieux et il aurait été en droit de refuser tout net. D'un autre coté, c'était à l'époque où les deux jeunes gens étaient en couple. A présent rien ne l'obligeait à céder pour faire plaisir à la brune. Vu la relation qu'ils entretenaient en ce moment, il serait même capable de dire non rien que pour la contrarier. Mais il ne savait pas à quel point ce chien était important pour sa propriétaire. Il ne pouvait pas en avoir conscience. Ce chien avait été là quand Kate se réveillait toutes les nuits le souffle court après des cauchemars lui rappelant la nuit où elle avait manqué de se faire tuer. Ce moment tombait durant la période où la jeune femme essayait de se remettre de sa première rupture avec Mark, celle dont elle s'était attendue au moment même où elle avait commencée du fait qu'elle cachait l'existence d'Alyssa à son père. Le chien avait été là pour l'empêcher de broyer du noir et il en avait été de même en arrivant à New York. Lorsque Kate rentrait de son travail et que sans prendre la peine d'enlever ses chaussures et son manteau elle s'asseyait sur son canapé et lâchait les sanglots qu'elle avait retenus toute la journée, l'animal grimpait sur les coussins et posait sa tête sur les genoux de sa maîtresse. Il la laissait pleurer pendant de longues minutes et comme s'il décidait brusquement que c'était suffisant, il se saisissait du bas du pantalon de Kate et le secouait comme un bout de chiffon. Puis il allait chercher sa laisse pour une longue promenade. Ainsi, les seuls moments où l'architecte s'autorisait à pleurer parce que les deux personnes qu'elle aimait le plus au monde lui manquaient, le chien la rappelait à l'ordre et l'obligeait à aller de l'avant.

Durant cette période qui avait duré trois mois, Kate n'avait jamais été entourée par autant de personnes et pourtant elle ne s'était jamais sentie aussi seule. Personne n'était au courant de son histoire avec Mark et même si tous les jours elle voyait des tas de gens au bureau ou en soirée, elle avait le sentiment incessant qu'il lui manquait les deux seules personnes qui pouvaient la rendre pleinement heureuse.
Trois jours plus tôt, Kate s'était rendue compte que malgré leur relation plus que tendue, il y avait une petite partie d'elle qui se sentait apaisée d'avoir Mark dans les parages. C'était complètement insensé et la jeune femme n'aurait pas pu l'expliquer. Elle en était simplement arrivée à la conclusion que c'était parce que l'homme qu'elle avait aimé était en quelque sorte revenu dans sa vie alors qu'elle n'avait pas totalement fini de l'oublier.

Seulement deux minutes après avoir pris l'analgésique que lui avait donné le médecin, la jeune femme sentit la douleur s'atténuer. Mark était déjà parti et Kate n'avait plus qu'à remplir quelques papiers pour son admission. Cela faisait un peu plus d'une heure qu'elle était montée dans sa chambre lorsqu'une infirmière vint lui faire une prise de sang. La dernière fois qu'elle en avait subi une, c'était après son agression et Mark était arrivé un peu avant que la femme en blouse blanche lui enfonce l'aiguille dans une veine. Comme toute personne normale, Kate n'aimait pas du tout les prises de sang. En fait, elle détestait ça, c'est pourquoi elle ne faisait jamais de contrôles de routine. A chaque fois qu'on lui faisait un prélèvement sanguin, elle était prise de vertiges alors moins elle en faisait et mieux elle se portait.
Pour penser à autre chose qu'à l'aiguille, elle tourna la tête et inspecta la chambre dans laquelle on l'avait installée. Son assurance avait été contractée alors qu'elle était encore millionnaire et la chambre à laquelle elle avait le droit était en conséquence. Ca restait une chambre d'hôpital, pas une suite dans un palace mais c'était plutôt confortable. La lumière était agréable, la chambre était au fond d'un couloir pour un calme maximum, le téléphone et la télévision étaient inclus, la salle de bains n'avait pas la taille d'un placard à balais et il y avait même un bouquet de roses sur la table près du fauteuil. Vu que Kate comptait y rester le moins de temps possible, c'était largement suffisant.
Peu après que l'infirmière soit sortie de la chambre avec ses tubes de sang, Mark frappa à la porte et fit son entrée avec un sac de voyage, comme prévu. L'architecte qui était allongée sur son lit, prête à s'assoupir, se redressa puis passa ses mains sur son visage, oubliant les bleus qu'elle y avait. La douleur, toutefois minime, les lui rappela. Le médecin ne s'était même pas montré curieux de savoir comment les bleus étaient arrivés là. Seule l'infirmière avait posé la question et la patiente lui avait répondu qu'elle avait essayé la boxe. L'infirmière n'avait pas eu besoin de plus d'explications pour comprendre qu'elle s'était tout simplement prise une raclée.

Kate prit son sac et l'ouvrit, histoire de voir ce que Mark y avait mis. Il y avait tout ce qu'il fallait, le nécessaire pour la toilette, deux pantalons, deux hauts, des sous-vêtements et deux pyjamas. La jeune femme détestait dormir avec un pyjama mais ici, elle n'allait pas se balader avec une simple chemise d'homme comme elle en avait l'habitude. Le peu de maquillage qu'il y avait dans sa trousse de toilette n'était pas nécessaire puisqu'elle ne se maquillait que pour aller travailler donc seulement quand elle devait faire un effort de présentation mais hormis ce détail, Mark avait fait le sac parfait. Bien sûr, Kate aurait préféré qu'il y mette son ordinateur portable mais elle savait qu'il ne la laisserait pas travailler à l'hôpital. Elle savait qu'il la détestait mais le pensait quand même assez humain pour vouloir qu'elle se repose. Elle ne put s'empêcher d'avoir un large sourire lorsqu'elle découvrit l'objet devenu indispensable au quotidien.

- Tu as pensé à prendre mon Ipod!

Elle leva les yeux vers Mark mais se rendant compte qu'elle n'était pas censée sourire à celui qu'elle devait détester, elle effaça ce sourire. Elle baissa la tête et regarda son Ipod qu'elle tenait dans une main. De l'autre, elle repoussa en arrière les mèches de cheveux qui avaient glissé sur son visage. Puis brisant le silence, elle releva la tête et demanda:

- Qu'est ce que tu as fait de George?

S'attendant à ce que Mark lui demande qui était George, la jeune femme précisa:

- Mon chien.

Alyssa l'avait appelé Jack-Jack mais le chien ne répondait pas à ce prénom et c'était tant mieux parce que Kate n'aimait pas vraiment le fait de devoir appeler son chien comme ça. Pour faire plaisir à la petite fille elle n'avait pas émis d'objection mais une fois à New York elle l'avait rebaptisé George. Quand on pensait à un chien nommé George, on s'imaginait un chien un peu pataud, qui adore manger presque autant que de dormir et qui aime jouer avec les enfants et c'est exactement ce qu'il était.

A l'époque où Mark et Kate formaient un couple, il ne s'était pas passé un seul jour sans que l'homme de loi ne fasse sourire la brune et ce même pendant le procès qui devait déterminer qui du père ou de la mère devait avoir la garde d'Alyssa. Il avait toujours un petit geste, une phrase ou un regard qui donnaient le sourire à la jeune femme malgré cette période difficile. Et puis la petite fille était avec eux et il fallait bien garder le moral ou faire semblant que tout allait bien pour ne pas la destabiliser plus qu'elle ne l'était déjà de voir ses parents se déchirer alors qu'au fond, elle aurait espéré que le retour de son père annonce la création de la famille Parker/Ruthenford. Même si elle était attachée à Matthew et que de son coté, il la traitait comme sa fille, l'image de son père qu'elle s'était construite dans son esprit avant même de le connaître plaçait Mark sur un piédestal.
Et elle n'avait pas été déçue. Déjà, sa mère la couvait comme un vraie mère poule, voire trop par moments et avec son père, elle était encore plus traîtée en petite princesse. C'était la "fifille à son papa". Quoi que ce n'était pas pour autant que tous ses caprices lui étaient cédés. Fort heureusement et au grand soulagement de Kate qui avait redouté la façon dont la fillette allait tester les limites de son père, ce dernier ne s'était absolument pas laissé déborder et de toute façon, Alyssa n'avait pas vraiment essayé d'abuser de son statut d'enfant fraîchement découvert. Parfois, lorsqu'elle ne voulait pas terminer son repas, Mark n'avait pas envie d'entrer en conflit avec elle et cédait mais quand elle insistait pour ne pas aller se coucher, son père ne lui laissait pas le choix. Kate et Mark comptaient bien passer un peu de temps seuls l'un avec l'autre et il ne voulaient pas être dérangés lorsqu'ils montaient dans leur chambre. Le meilleur moyen pour cela, c'était qu'Alyssa dorme à poings fermés. En fait, comme tout enfant qui aime de faufiler dans le lit de ses parents, il arrivait que la petite fille rejoigne son père et sa marraine pendant la nuit. Heureusement, elle avait le sommeil lourd et ce n'était pas devenu une habitude. Par contre, c'était presque tous les matins qu'elle venait rejoindre son père quand Kate partait travailler tôt le matin, quelques fois avant que le soleil se lève et quand c'était Mark qui se levait le premier, ce n'était que quelques minutes plus tard que la fillette traversait le couloir et plongeait sous les draps pour rejoindre Kate et dormir l'heure restante dans ses bras.

Ses images, ses souvenirs remontaient encore souvent à la surface. L'architecte en souriait mais dès qu'elle se rendait compte que c'était un passé révolu, ce sourire s'effaçait et elle poursuivait la vie de femme active new-yorkaise qu'elle menait depuis plusieurs mois. La vie qu'elle avait été supposée vivre avec Mark l'aurait fait devenir une espèce de mère de famille épanouie mais seule à New York, elle était aussi épanouie, d'une autre manière. Elle se prêtait à la revanche qu'elle avait toujours voulu avoir sur son nom. Elle montrait qu'elle était capable d'être quelqu'un, de réussir. Enfin cette fois, elle avait vraiment fait fort. Il y avait un point sur lequel son père avait raison: elle était inconsciente. Recommencer sa carrière d'architecte dans la grosse pomme avec tout juste assez d'argent pour lancer son cabinet et se risquer ainsi de se planter comme le faisaient beaucoup de personnes qui voulaient exercer leur profession libérale et qui montaient leur boîte, ça tenait presque de la folie. Elle prenait le risque de perdre son travail et sa réputation à peine construite. En réalité, au pire des cas elle pourrait vendre son duplex et retourner sur l'île où sa villa l'attendait et où elle pourrait reprendre les rênes du cabinet Evans/Parker surtout qu'une amie de Kate qui était une connaissance de la voisine de Brooke lui avait téléphoné la semaine dernière et lui avait dit qu'il semblerait que la jeune Parker ait du mal à maintenir le cap depuis qu'on lui avait enlevé sa fille et qu'avec Matthew il y avait de l'orage dans l'air.
Mais encore faudrait-il que Brooke accepte de vendre la société. Kate avait beau avoir acheté les locaux et avoir ramené les premiers clients, quand elle avait quitté l'île avait elle fait le nécessaire pour que le cabinet d'architecture revienne entièrement à Brooke et à présent elle n'avait aucun droit dessus.

Pour le moment, Kate sortait enfin la tête de l'eau et s'en sortait plutôt bien. Enfin... elle ne gagnait pas encore assez bien sa vie pour envoyer son chien dans un hôtel canin de luxe.
Elle eut un petit sourire quand Mark expliqua que pour ne pas entâcher leurs relations professionnelles, il n'avait pas mis George à la fourrière mais lorsqu'il lui tendit la carte de l'hôtel sur laquelle on voyait une photo de l'établissement, Kate fronça les sourcils. Puis elle retourna la carte et en lisant l'adresse qui situait l'hôtel sur la cinquième avenue, elle faillit s'étrangler. Ne sachant pas que Mark avait déjà payé la facture, elle se demandait déjà comment elle allait faire pour régler la note.
Elle n'écouta que d'une oreille les déclarations de Mark à propos de sa nouvelle secrétaire, de ses rendez-vous et du fait qu'elle devrait appeler le cabinet en sortant de l'hôpital. Alors qu'il était sur le point de sortir, elle leva la tête vers lui et encore sous le choc elle lui dit:

- Mais qu'est ce qui t'a pris de l'envoyer là-bas? J'ai pas les moyens! Comment je vais faire pour le récupérer? Ils ne voudront jamais me le rendre! Je vais... je vais devoir... vendre ma voiture! Oh c'est pas vrai...

Elle se voyait mal retarder les salaires de ses salariés pour sortir son animal de compagnie de la prison dorée dans laquelle il se trouvait. Mark ne pouvait pas savoir, ce n'était pas de sa faute mais plus le temps passait, plus Kate avait l'impression de passer une journée affreuse. Et il n'était que quinze heures...

Brooke avait eu de la chance avec Matthew. Comme une bonne dizaines de garçons, il était tombé sous le charme de la belle brune à la réputation sulfureuse alors qu'ils étaient encore étudiants. Mais il avait des sentiments pour Sélène qui était, à l'époque, la meilleure amie de Brooke. Alors il avait décidé de ne rien tenter et de ne rester qu'un ami pour la brune et la blonde. Pour une raison que Kate ignorait, Sélène n'avait jamais osé avouer à Matthew que ce qu'elle ressentait pour lui allait bien plus loin que de l'amitié. Or, une semaine après que la jeune Evans ait intégré le groupe d'amis, elle l'avait remarqué. Elle avait juste supposé que la blondinette était trop peu sûre d'elle pour prendre les choses en mains et qu'elle avait été refroidie en constatant que comme beaucoup de garçons, Matthew mangeait dans la main de Brooke. Cette hypothèse était d'autant plus crédible qu'elle expliquait pourquoi Sélène s'était écartée de Brooke, si bien que Kate était à son tour devenue la meilleure amie.
Peu de temps après la fin de leurs études, Matthew et Brooke s'étaient mis en couple. En fait, c'était trois mois après la naissance d'Alyssa. L'homme, devenu pilote de ligne, s'était senti capable d'éduquer un enfant qui n'était pas le sien par amour pour Brooke. La jeune maman était toujours secrètement amoureuse de Mark mais ce dernier étant parti, elle avait du se contenter de Matthew qui, malgré toute sa bonne volonté et ses qualités, n'avait jamais pu recevoir le même amour inconditionnel que Brooke avait eu et avait encore pour le père de sa fille.
Au fond, Kate savait que sa meilleure amie n'avait pas fait une croix sur Mark et qu'elle n'aimait Matthew que pour le sentiment de sécurité qu'il lui apportait mais ils avaient l'air heureux ensemble alors elle avait fait comme si elle ne voyait rien et le sujet n'avait jamais été abordé. Elle appréciait beaucoup Matthew, elle aimait le voir prendre des initiatives, faire le repas, aller chercher Alyssa à l'école, faire des coloriages avec elle, lui donner le bain, prendre Brooke dans ses bras et la faire rire... Il avait tout du gendre idéal, poli et responsable. Le seul hic était qu'avec son métier, il était souvent en déplacement et trop peu avec Brooke et Alyssa. Mais d'un autre coté, quand il était là, il était dévoué corps et âme aux deux Parker. Cependant, c'était assez étrange de voir que malgré le sentiment de sécurité qu'il apportait à Brooke, cette dernière avait tendance à s'éloigner de lui et à le repousser s'il était trop présent, comme si elle était incapable de lui rendre tout l'amour qu'il lui donnait. Alors si pendant les trois premières années, le couple allait très bien, la quatrième année il commençait à battre de l'aile. Matthew commençait à se lasser des sautes d'humeur de Brooke et le retour de Mark n'avait pas arrangé les choses.

Aujourd'hui, Kate ne savait pas si le couple Borrows/Parker était de nouveau aussi soudé qu'à ses débuts. Etant donné que pendant la procédure de garde d'Alyssa, elle avait largement pris partie pour Mark, Matthew était en colère après elle, ce qui était parfaitement compréhensible. Mais une fois, Kate l'avait croisé en ville et elle lui avait dit qu'il savait pertinemment que Brooke était un danger pour sa fille et qu'il fallait qu'Aly aille avec son père. Matthew n'avait pas pu lui donner tort. On pouvait lire dans ses yeux qu'il était d'accord, que la meilleure chose pour Alyssa était d'aller vivre avec Mark mais il n'avait fait qu'hocher la tête en signe d'affirmation et était parti. Depuis, Kate n'avait pas eu de nouvelles de lui.


A mille lieux de se demander ce que devenait le petit ami de son ex meilleure amie, Kate avait les yeux rivés sur la carte de l'hôtel canin. Elle ne remarqua pas le regard noir de Mark mais le ton de sa réponse lui fit comprendre que son exclamation l'avait énervé. Ce n'est que lorsqu'il claqua la porte derrière lui que l'architecte leva la tête. Elle était étonnée qu'il lui en faille si peu pour prendre la mouche mais elle était trop soulagée de savoir que la facture était déjà réglée pour lui courir après et lui dire qu'il ne devait pas de fâcher comme il l'avait fait. Et de toute façon, elle n'était pas en état de le rattraper. Elle se rallongea dans son lit, ferma les yeux et resta ainsi, tout en faisant un rapide calcul pour déterminer combien de temps il lui faudrait pour rembourser Mark. D'ici deux mois, elle pourrait avoir économisé assez.
Elle se rendit soudainement compte que l'avocat n'avait pas trouvé cela étrange qu'elle ait besoin de vendre sa voiture pour payer une facture. Soit il ne réflechissait pas, soit il la croyait trop shootée pour être cohérente dans ses propos. Totalement détendue par son sédatif, cette réflexion arracha un sourire à Kate qui s'endormit en quelques minutes.