NELLY & BEAU

Nelly traversa Wall Street d'un pas pressé, enfonçant son téléphone dans son sac et balançant ses cheveux en arrière pour enfourcher ses lunettes de soleil. Elle avait l'impression d'avoir des tonnes de choses à faire depuis qu'elle était revenue à New York : passer du temps avec Pedro, encore plus avec Lela, profiter de son Diego qui lui avait tant manqué. Et cependant, c'était d'autres affaires qui avaient appelées l'argentine ce matin-là. Sa belle-mère, particulièrement envahissante depuis que Nelly avait quitté la Suède quelques semaine auparavant, lui demandait de faire toutes sortes d'apparitions étranges dans la Grosse Pomme pour "entretenir sa réputation". Comme si Nelly en avait quelque chose à faire ! A vrai dire, elle ne pensait pas devoir se plier à autant de règles en épousant, presque sur un coup de tête, Alexander Hälsingland, prince de Suède. Surtout que, contrairement à ce que la famille royale pensait, leur relation était purement platonique et ils ne partageaient pas plus qu'une profonde amitié l'un envers l'autre. C'était d'ailleurs en ce nom qu'elle avait accepté de porter en permanence la magnifique bague qui ornait à cet instant même son annulaire. Enfin, tout n'était pas qu'inconvénients, elle s'était rapidement rendue compte qu'elle pouvait tirer avantage de ses nouveaux titres. C'était ce qu'elle s'apprêtait à faire, entrant d'un pas vif dans la banque responsable du compte commun du couple princier Hälsingland. La reine de Suède venait tout juste de l'autoriser à transférer une grosse somme d'argent de leur compte à celui d'une association humanitaire qui tenait à cœur à la jeune argentine. Malgré les aprioris qu'avait eu sa famille par alliance les premiers temps de la fausse union d'Alex & elle, ils s'étaient rapidement rendus compte qu'elle n'était pas non plus n'importe qui, et qu'elle n'était surtout pas plus mauvaise que les femmes qu'ils se préparaient à présenter à leur fils ; et pendant ce temps-là, ce dernier pouvait courir à sa guise derrière son véritable amour perdu. Avançant d'un pas décidé et rapide, les mains et les yeux engouffrées dans son sac pour chercher sa nouvelle carte d'identité, elle ne fit absolument pas attention au signe jaune pétant de danger devant lequel elle passa. En moins d'une seconde, ses talons vernis avaient entraîné les jambes de Nelly beaucoup trop loin et beaucoup trop vite pour que le reste de son corps ne suive. Elle tenta de retrouver son équilibre mais c'était peine perdue, elle se sentait irrémédiablement attirée par la gravité terrestre. Dans un dernier effort, elle entraîna le haut de son corps à la suite du reste mais ne réussit qu'à se déséquilibrer encore plus et, remarquant au dernier instant un homme qui se tenait tout près d'elle, n'eut pas le temps de l'éviter. En moins d'un instant, elle avait été propulsée contre lui, l'entraînant dans sa chute. Foutu sol glissant, foutues chaussures ! Un instant plus tard, elle était allongée sur l'inconnu qui venait d'amortir sa chute. Elle releva la tête, croisa les deux cercles bleu océan d'un regard qui lui disait définitivement quelque chose et ouvrit la bouche pour la refermer. « Beau ? » murmura-t-elle, pas sûre et surtout encore sous le choc. Oui, c'était définitivement sur l'inspecteur Delaney qu'elle était actuellement allongée. Semblant oublier totalement la position et la situation dans lesquelles elle se trouvait, un sourire s'étala sur son visage.

NELLY & BEAU

Depuis un an qu'il vivait à New York, Beau avait encore quelques problèmes à règler au niveau financier. Il avait eu à faire pas mal de démarches pour que ses comptes soient transférés depuis l'Australie, et ces démarchent n'allaient aboutir que maintenant, après un an de paperasse. Pour ça au moins il n'était pas dépaysé, c'était pareil partout. Mais ça n'en était pas moins un problème.

Avant de poser ses bagages sur le sol américain, il était passé par un peu tous les continents. Il était notamment allé en Inde, d'où il avait gardé un souvenir mémorable, de Bali plus particulièrement. Puis il avait foulé les terres de plusieurs capitales européennes. Beaucoup l'envieraient pour ça. Mais il ne l'avait pas fait pour le plaisir. Il avait passé la plupart de son temps dans sa chambre d'hôtel, à travailler, à réfléchir. En fait, il était à la poursuite d'un braqueur de banques, depuis plusieurs années. Lui aussi était australien, et il le traquait - il n'y avait pas d'autre mot pour qualifier ce qui était devenu une obsession pour Beau - depuis leur pays natal. C'est ça qui avait fait exploser son couple. Isobel ne lui avait peut-être pas donné plus d'explications que ça, mais il le savait pertinemment. Il l'avait même vu venir, mais n'avait rien fait pour l'empêcher.

Il ne savait presque rien de cet homme qui malgré lui dirigeait la vie de l'australien. Il savait juste qu'il était très doué dans l'art de disparaitre et qu’apparemment il s'y connaissait en banques. Il ne connaissait même pas son nom. Après six ans. Il se contentait de se rendre sur les lieux de chaque braquage qu'il avait semble t-il commis, espérant à chaque fois trouver plus de choses qui permettrait de l'attraper. Mais Beau restait toujours bredouille.

Les banques aussi, il connaissait. C'était quasiment la seule chose qu'il connaissait de tous les endroits qu'il avait vu. Et il n'avait plus l'habitude d'y aller pour une raison comme qui dirait personnelle. Il se plaça donc une file, prêt à attendre patiemment son tour. La patience était un de ses points forts - heureusement remarquez, il aurait eu du mal à tenir pendant six ans sinon, ou peut-être même qu'il n'aurait tout pas attendu - et c'était ce qui lui avait valu bon nombre de félicitations de la part de ses supérieurs, et c'est également à son acharnement qu'il devait sa promotion.

Tout d'un coup, sans rien trop comprendre, il se retrouva plaqué au sol. Il n'avait pas eu le temps de se retenir et heureusement qu'il était le dernier de la file. Ayant une carrure assez imposante, il n'aurait pas eu envie de se retrouver à la place de la personne derrière lui. Il porta son attention sur la femme qui était allongée sur lui. Elle avait eu de la chance d'être tombée sur un homme robuste comme lui, elle aurait pu se faire mal en tombant ainsi. Il n'était pas énervé le moins du monde et garda ce flegme qui le caractérisait tant. Après tout il y avait bien longtemps qu'une jeune femme ne s'était pas retrouvée sur lui comme ça. Cette dernière fois remontait au temps où il était à Bali justement, le fameux souvenir marquant. Et cette pensée avait bien lieu d'être puisque c'était pratiquement comme à Bali. Il reconnut Nelly tout de suite, quand elle leva la tête vers lui. Elle avait été une sorte de bouffée d'oxygène pour lui, le retirant un instant de sa quête étouffante. Elle lui avait permis de tout oublier le temps d'une soirée et chérissait parfaitement ce souvenir, qui lui rappelait qu'il y avait autre chose que ce braqueur dans la vie. Il avait parfois tendance à l'oublier.

Tout ça pour dire que oui, c'était également comme dans son souvenir. Sauf que là, ils étaient habillés. Beau essaya de se mettre en position assise, tout en aidant la jeune femme à se relever. Quand il fut certain qu'elle était debout et tenait bien sur ses jambes, il se releva à son tour. Un franc sourire apparu sur son visage. « Nelly! Ça fait... longtemps. » dit-il, légèrement hésitant. Cela remontait à 2007, s'il se souvenait bien. « Est ce que tu vas bien? Enfin, tu ne t'es pas fait trop mal en tombant? » Il fit une pause pour la regarder. Elle n'avait pas réellement changé. « En tout cas c'est assez spécial comme retrouvailles. Spécial et direct, mais pourquoi pas. »

NELLY & BEAU

Pendant un instant, Nelly se trouva totalement idiote ; allongée sur Beau, les quatre fers en l'air, elle avait été tellement surprise de découvrir l'identité de son coussin de secours humain qu'elle en avait complètement oublié d'essayer de se relever. Ce fut lui qui s'en chargea, la redressant avec une facilité déconcertante alors qu'elle n'arrivait pas à détacher son regard de son visage. « Nelly! Ça fait... longtemps. » Les mêmes yeux, le même nez, la même voix... Elle avait l'impression que leur première rencontre ne datait que d'hier. Et pourtant, cette période semblait en même temps à des milliers d'années lumières de ce qu'elle était désormais.

« Est ce que tu vas bien? Enfin, tu ne t'es pas fait trop mal en tombant? » Se rendant compte qu'elle était en train de détailler impunément du regard le jeune homme et qu'elle devait avoir l'air sous le choc, elle secoua la tête et son sourire habituel reprit place sur son visage, bien qu'il soit plus élargi et que ses joues rosissent légèrement. « Oh non, non, ça va ! » s'exclama-t-elle brusquement en appuyant sa phrase d'une négation de la tête. Elle replaça rapidement son haut chamboulé pendant la cascade et reprit une contenance. « Et toi, je ne t'ai pas fait mal ? Je suis désolée, j'aurais dû faire plus attention. » reprit-elle en posant une main sur son épaule. Elle la retira néanmoins rapidement en remarquant le diamant étonnement brillant qui logeait sur son doigt, agissant par instinct sans se poser de questions, et se baissa rapidement pour ramasser son sac et sa carte d'identité à ses pieds, profitant de cet instant pour tenter de reprendre ses esprits. Peut-être que finalement, cette chute l'avait sonnée plus qu'elle ne le pensait.

Elle ne tarda pas à se relever et fit face à Beau qui reprit la parole. « En tout cas c'est assez spécial comme retrouvailles. Spécial et direct, mais pourquoi pas. » Un sourire reprit place sur les lèvres de Nelly. Elle devait bien l'avouer, c'était plutôt original. Enfin... De toute évidence pas pour eux. C'était dans une autre banque qu'ils avaient échangé leur premier regard, sous le joug d'une arme à feu. A croire qu'ils ne pouvaient pas faire ça en douceur. « C'est vrai. Qu'est-ce que tu fais à New York ? » enchaîna-t-elle avant de s'approcher de lui pour lui dire d'autres mots, plus doucement. « Est-ce que... Est-ce qu'Il est là ? » Son regard parcourut rapidement la banque. Si elle devait se retrouver encore dans un braquage, elle préférait au moins être au courant avant.