Cela ne se peut. Sa mère ne pouvait pas avoir eu l’extrêmement mauvaise idée de vouloir la marier à un milliardaire américain ! Et qu’en serait-il de leur standing monégasque ? D’autant que cet homme n’avait aucun titre particulier, il ne savait briller que par sa richesse et rien d’autre. Autant dire Morgana mettait de la mauvaise volonté et attendait dans ce foutu salon avec l’empressement d’un condamné à mort prêt à monter à la potence. Sa mère venait tout juste de quitter la pièce, laissant la jolie princesse particulièrement bien apprêtée, coiffée et maquillée tout en croisant les doigts pour que son tempérament ne gâche pas tout… et ne fasse pas fuir le seul prétendant assez fou pour accepter un mariage arrangé avec l’impétueuse Morgana Grimaldi. La jolie brunette attendait, un magazine en main, les traits aussi fermé que le coffre fort d’un établissement bancaire en plein paradis fiscal, jusqu’au moment où le célèbre Dillon Wolf fit une apparition remarquée, un bouquet d’œillets en main. Comment diable avait-il su qu’il s’agissait de ses fleurs préférées ?! Sa mère, sans nul doute. Celle-ci voulait tellement que ce mariage fonctionne qu’elle avait tâché de mettre toutes ses chances de leur côté. « Monsieur Wolf, je présume ? Vous n’êtes pas sans savoir que les œillets sont la fleur des morts en Espagne, au même titre que les chrysanthèmes le sont en France ? » Charmante première apostrophe tandis que Morgana reprenait la lecture de son magazine, prête à tout pour le dégoûter d’avance… « Balancez-moi tout votre verbiage insipide qu’on en finisse et que je retourne à des occupations plus intéressantes. »

Morgana dû faire preuve d’un extraordinaire contrôle pour ne pas le chasser purement et simplement de la pièce et, en guise de bonne volonté, plaça son magazine sur la table basse juste en face d’elle pour mieux se lever et regarder son interlocuteur dans les yeux tout en acceptant son bouquet de fleurs. La princesse avait l’impression d’être mise devant le fait accompli et cette donnée lui arrachait un frisson particulièrement désagréable. Ce milliardaire était en tout point séduisant et charmant, pourtant, c’est en conservant un visage aussi impassible que du marbre qu’elle se rassit sur le fauteuil où elle avait été précédemment installée, le bouquet néanmoins placé contre ses genoux. « Il s’agit effectivement de mes fleurs préférées, vous étiez bien renseigné Monsieur Wolf » reprit-elle une première fois en essayant d’être aussi agréable que possible, bien que ce soit énormément lui demander dans l’état actuel des choses. « Mais justement ! N’avez-vous pas le pouvoir de dire non ? Qu’est-ce qui vous obligez à unir votre existence à la mienne, après tout ? Vous êtes milliardaire et ne faites aucunement partie de quelque royauté que ce soit, ce genre d’obligation ne peut donc pas être vôtre, vous devriez faire au contraire ce que bon vous semble ! J’avoue ne pas comprendre, Monsieur Wolf… mais soit, que voulez-vous savoir serait sûrement la question la plus logique ? » La jeune femme poussa un faible soupir avant de ne croiser ses jambes avec prestance et grâce. Morgana savait se tenir et en imposer, c’était bien ça le plus paradoxal…

Inutile de chercher à adoucir leur première rencontre puisque Morgana partait du principe tout à fait justifié qu’on l’enfermait dans une belle cage dorée. Que ce soit mariée à un milliardaire ou à un duc, il n’empêche que la princesse n’avait pas son mot à dire et que le protocole avait une position bien plus importante que l’amour, hélas. Voilà pourquoi elle s’occupa de hausser les épaules, tâchant de faire comme si rien ne l’atteignait alors qu’elle rêvait de regagner cette liberté dont on l’avait privée. « Je suis princesse. Le mariage, les enfants… cela fait partie de l’énorme bloc que l’on appelle protocole et qui est mortel à cent pour cent. Je ne peux guère m’y soumettre même si je rêverais de pouvoir le faire, croyez-moi. Et ce n’est pas pour je ne sais quel empire… c’est une tradition ancestrale, on me renierait si je m’y opposais. » Même si elle ne se voyait pas sur les sommets du monde et préférait davantage raser les murs quand elle le pouvait. La vie l’avait rendue ainsi, quoi qu’elle n’en dise. « Mais effectivement, c’est grossier de faire comprendre à votre future femme qu’elle n’est qu’un second choix après que vous ayez expérimenté l’amour. Plaignez-vous, au moins vous avez pu tenter la chose, dites-vous que ce n’est pas le cas de tout le monde ! » Quoi qu’il en dise, Dillon aurait toujours eu plus de liberté qu’elle. Morgana n’avait jamais pu rencontrer quelqu’un qui n’ait pas reçu l’aval préalable de ses parents…