Installé sur le canapé du salon, Mason visionnait un film que sa mère lui avait imposé pendant qu’elle discutait avec un inconnu dans la cuisine. Elle n’avait pas dû remarquer qu’il n’appréciait plus le film comme avant. Pourtant, il y a encore quelques mois, c'était son préféré. Ce changement de goût soudain était parfaitement justifié. Primo, Mason n’était plus un bébé et deuzio, il avait compris que le choix du film était toujours fonction de la gravité de la situation. Le message était clair : Lula ne voulait pas que son fils entende ce qu’ils se disaient. Avec le temps, Toyiah & lui avaient appris à lire entre les lignes sans pour autant comprendre la complexité du monde des adultes. Récemment, ils avaient dû assimiler le fait que, d’ici quelques mois, ils allaient accueillir deux petites sœurs mais, comme toujours, leur mère s’était bien gardée de leur expliquer pourquoi leur père ne se trouvait pas auprès d’eux. Mason se désintéressa du film (il le connaissait par cœur, de toute façon) et tourna la tête vers la cuisine pour la énième fois depuis près d’une heure…

Lula était assise à la table de la cuisine. Fatiguée, elle arborait un ventre proéminant sur lequel sa main s’était naturellement posée en guise de réconfort et de protection. Son regard était absorbé par toute cette paperasse administrative, cherchant à leur trouver un sens, une utilité, un moyen d’éviter ce qui semblait être inévitable parce qu’elle n’avait pas su régulariser sa situation en temps et en heure. Elle était sur le fil du rasoir, n’osait pas ouvrir la bouche ni même remuer le petit doigt et laissait le feu de l’angoisse consumer sa gorge au fur et à mesure que les minutes passaient.  En face d’elle, le représentant des services de l’immigration épluchait méticuleusement son dossier avec un calme olympien et une impassibilité qui ne la rendait que plus nerveuse. Il ne s’anima qu’au bout d’une demi-heure et observa la philippine par-dessus une paire de lunettes en demi-lune. Lula se redressa, autant pour s’installer plus confortablement que pour lui donner l’impression d’être prête à encaisser le verdict. « I'm sorry Mrs. Kaleko but considering your situation there is nothing we can do. » déclara-t-il. Et pendant que son monde volait en éclat, le quinquagénaire resta de marbre. « No. There's probably another way to avoid expulsion. I'm a victim of the economic crisis, not a criminal. I've kids and twins coming, I can't let you throw us like garbage. » s’énerva-t-elle en essayant de maîtriser le ton de sa voix pour ne pas alerter Mason qui observait toute la scène depuis le fauteuil du salon. « You're not the only one who try to plead your case, I see people like you everyday but the law is the law Mrs Kaleko. You don’t have honored the amicable solution, plus, you’re in debt so we don’t have to discuss any longer. I'm sorry but you have to return in Philippines. ». Sur ce, il s’empara de sa serviette en cuir et se leva de la table des négociations pour prendre le chemin de la sortie avec Lula sur ses talons. « I take no pleasure to do that at your family. Obviously, you’re a nice and a strong person. I’m sure you’ll be fine. » dit-il avant de franchir le seuil de la porte. La philippine l’observa s’éloigner, passa une main dans ses cheveux et observa son fils totalement paniquée.

[…]

La respiration haletante, la sueur perlant sur son front et le rythme cardiaque donnant l’impression que son cœur allait finir par se déloger de la cavité qui le maintenait en place, tout indiquait que Lula venait de faire un cauchemar. C’était devenue monnaie courante depuis qu’elle était enceinte, ça et d’autres maux typique de la grossesse. Cependant, depuis quelques jours, les symptômes étaient décuplés par l’angoisse et le déchirement d’être ainsi séparé de ses enfants. Contrairement à Lula, ils avaient le droit de séjourner aux Etats-Unis grâce à Matthew, mais ce dernier étant injoignable, elle avait autorisé les services sociaux à les placer sous la garde de Walter en attendant le retour de leur père. La séparation avait été difficile. Lula avait tenté de faire bonne figure pour Toyiah & Mason, mais les larmes s’étaient mises à couler toutes seules le long de ses joues et les enfants, peu habituée à voir leur mère aussi vulnérable, l’avaient accompagné.

Et puis, on l’avait emmené.

D'abord dans foyer retiré de New York, avec d’autres personnes en situation irrégulière qui attendaient d'être extradés, mais les douleurs lancinantes l’avaient conduite à l’infirmerie en début de soirée et elle y avait finalement passé la nuit sous surveillance. Le lendemain, le médecin de garde avait décrété qu’il était préférable de la placer dans un foyer à proximité d’un hôpital et leur choix s’était arrêté sur celui du Bronx parmi d’autres personnes pouvant nécessiter des soins d'urgence ; les SDF, les alcooliques, les junkies, les malades... Et côtoyer cette misère ne faisait que l’enfoncer un peu plus dans la sienne.

La phillipine n'avait dormi que quelques heures, pas assez pour récupérer pleinement de ses émotions. Son esprit était encore embrumé lorsqu’elle se leva pour regarder par la fenêtre. Il faisait sombre, mais Lula n’eut aucun mal à distinguer un groupe d’enfants qui frappaient de porte en porte pour réclamer des bonbons et dans ces conditions, il lui était impossible de ne pas penser à Toyiah & à Mason. Elle avait fêté ses 28 ans hier, seule, arrachée à ses enfants. Le pire anniversaire de sa vie. Et aujourd'hui, elle ne pouvait pas parader avec eux dans les rues comme chaque année... Instinctivement, elle baissa les yeux sur son ventre rond, le caressa pensivement et sourit lorsque l'une des jumelles lui donna un petit coup en retour pour faire ressentir sa présence comme une promesse silencieuse.

Trois coups contre la porte l'informèrent d'un visiteur et un rapide coup d’œil à l'horloge murale lui indiqua qu'il s'agissait probablement de l'infirmier de garde. « Come in. ». Il s’exécuta et lui adressa un sourire qu'elle lui rendit. « Good evening, Mrs Kaleko. How are you ? » demanda-t-il en enroulant un tensiomètre autour du bras qu'elle lui tendit mécaniquement. Que pouvait-elle répondre à ça ? Qu'elle allait bien ? Ce ne serait un mensonge. Le fait est que ses enfants lui manquaient et qu'elle ne savaient pas ce qui allait advenir de son cas. « Still tired. ». Il vérifia sa tension et acquiesça d'un signe de tête pour corroborer ses dires ; elle en déduisait donc que sa tension ne s'était pas améliorée. En se retournant, l'infirmier remarqua le plateau repas qu'elle avait à peine toucher. « You will not get better if you're not eating properly, Mrs. Kaleko. I understand that your kids may miss you, but you also have two more on the way so take care of yourself. » dit-il calmement en continuant de prendre ses constantes et en tâtant délicatement son ventre. Lorsqu'il eut terminé, il remballa ses affaires et déclara : « I bring you a new meal. » avant de quitter sa chambre.

Quelques minutes plus tard, Lula était attablée devant un plateau de nourriture ragoûtante qui ne lui faisait guère plus envie que le précédent...

Lula grimaçait. La vue du plat ne lui donnait pas particulièrement envie de se sustenter, mais son ventre criait famine et les deux êtres qui y avaient élus domicile pour neuf mois avaient autant besoin d’énergie que leur mère. Elle soupira et chercha aussitôt une position plus agréable visant à soulager son dos.

La philippine ne se sentait pas en sécurité. Sans ses enfants, le silence était angoissant. Il n’y avait rien pour la distraire ce qui l’obligeait à capter les sons des chambres plus éloignées de la sienne où disputes et bagarres éclataient parfois. Il y avait bien un salon commun au rez-de-chaussée, mais Lula n’avait pas envie de se socialiser. Elle préférait rester dans cette chambre impersonnelle aux murs aussi épais qu’une feuille de cigarette. La pièce semblait vide de tout meuble, l’ampoule qui pendouillait au plafond sous son abat-jour métallique ne tenait plus qu’à quelques fils dénudés et sa faible lumière donnait mal aux yeux de la jeune femme, habituée à un meilleur éclairage. Comment suis-je tombée aussi bas ? pensa-t-elle en déglutissant une bouchée avec difficulté.

Des pas décidés retentirent dans le couloir que Lula n’eut aucun mal à capter. Comme à chaque fois qu’un bruit lui paraissait suspect, la philippine retenait sa respiration et s’enfonçait un peu plus sous la couette comme une enfant apeurée par l’orage. Soudain, la porte s’ouvrit à la volée. Lula en lâcha sa fourchette, poussa un hoquet de surprise et sentit les jumelles sursauter dans son ventre. Puis, son regard croisa celui de son visiteur et son cœur rata un nouveau battement lorsqu’elle reconnut Matthew. Et cette vision ne faisait que serrer davantage le nœud d’émotions qui s’était formé dans sa gorge. « Matt !? » souffla-t-elle, aussi surprise qu'effrayée par son entrée en scène qui, avouons-le, ne présageait rien de bon. Durant des mois, Lula avait cherché à le contacter pour lui annoncer qu’ils allaient être parents mais il n’avait jamais daigné répondre à ses appels ; elle avait su par Walter qu'il avait été déployé à l'étranger et, sans réponse de sa part, la jeune femme avait même envisagé le pire. Elle était donc soulagée de le savoir sain et sauf, mais angoissée par sa réaction. Malheureusement, le regard que lui jetait son ex-mari ne l’aidait pas vraiment à se calmer et, si sa tension était au plus bas quelques instants plus tôt, la philippine la sentait remonter en flèche. « What the hell, Lula ? » siffla-t-il en guise d’introduction. Il y eut un instant de flottement. De toute évidence, son ex-mari n’avait pas été avisé de sa grossesse et la fureur l'aveuglait sans doute au point de ne pas remarquer son ventre. L’heure des explications avait sonné pour Lula, et n’était pas sûre d’en avoir la force. « What do you want me to say, Matt ? I screwed up... » répondit-elle, mi-honteuse, mi désabusée. Partant du principe qu’une démonstration valait mieux qu’un long discours, elle repoussa son plateau, souleva la couette, se redressa péniblement pour s’asseoir au bout du lit et posa sa main sur la bosse qui abritait les deux futures Vryzakis. « I lost my job and being pregnant has not really helped me to keep my green card. I'm sorry that you have to learn it this way... ». Lula n’osait pas le regarder. Il avait déjà l’air assez énervé et elle osait à peine imaginer ce que l’annonce de sa grossesse pouvait provoquer chez lui. C’était une réaction à double tranchant ; soit il se calmerait ou soit il s’énerverait encore plus. Jusqu’à présent, ses grossesses avaient toujours été très bien accueillies mais aujourd’hui les circonstances étaient différentes parce qu'ils n'étaient pas à considérer comme un couple pour autant, aussi elle préférait attendre avant de lui annoncer que c'était de jumelles dont il était question.

Matthew était de fort méchante humeur, et elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. C’est vrai qu’elle avait merdé. Pourtant, ce n’avait pas été faute de chercher à résoudre le problème ! Lula avait remué ciel et terre pour régulariser sa situation, malheureusement parmi tous les gratte-papiers du service de l’immigration, son dossier avait atterri sur le bureau d’un certain Franklin Bates. La première fois qu’ils s’étaient rencontrés, ce personnage lui avait plutôt fait bonne impression. La quarantaine sympathique, il avait été courtois, souriant, lui avait promis de trouver une solution à ses problèmes et, à la fin de l’entretien, Lula était repartie plus confiante. Ensuite, il y avait eu les autres rendez-vous… Bates avait prétexté des vices de formes ou des pièces manquantes à son dossier. C’est comme ça que le chantage avait commencé ; il y eut d’abord les pots de vin, puis les propositions malsaines et que Lula soit enceinte ne le dérangeait pas le moins du monde. Bien entendu, la jeune femme avait repoussé ses avances mais ne l’avait jamais dénoncé. C’était sa parole contre la sienne et, de toute façon, qui croirait une hors-la-loi ? Elle était vulnérable, il le savait. Fatigué d’attendre qu’elle daigne assouvir son besoin, Bates était passé à l’étape supérieure en accélérant les démarches pour son expulsion. Et puis, il avait commencé à sentir le vent tourner lorsqu’il avait aperçu Lula sympathiser avec Blodwyn dans la salle d’attente de son cabinet. Bien qu’elles aient réussi à le mettre hors d’état de nuire, leurs dossiers allaient mettre des mois avant d’être réétudier et celui de la philippine était presque considéré comme clôt. Son seul salaire de serveuse et de femme de ménage n’étant pas suffisant pour couvrir tous les frais, Lula avait commencé à vendre ses biens : son matériel de peinture, ses bijoux – y compris ceux de sa mère – et plus récemment, sa voiture. Tout ça en continuant de mentir à son entourage.

La philippine observa attentivement la réaction de Matthew à la découverte de son ventre rond, mais ne sut pas vraiment comment l’interpréter. Il n’en demeura pas moins énervé pour autant. Pis, il ne chercha pas à savoir si sa grossesse se déroulait bien et cette indifférence lui trouait le cœur. « You lost your job ? When did that happen ? What… Lula… » demanda-t-il. La jeune femme hésita à lui répondre parce qu’elle savait que cela ne ferait que de l’énerver davantage, mais garder le silence n’était pas non plus la meilleure des solutions. « March. » avoua-t-elle en baissant la tête honteusement. Soit quelques semaines après son retour des Philippines. Lula sentait qu’il péterait les plombs en apprenant que, pendant tout ce temps, elle n’avait cessé de lui mentir. « Get dressed, pack your bags. Now. ». Le ton employé ne manqua pas de provoquer un frisson désagréable qui parcourut son échine. Bien que la colère de Matthew l’intimidait et ne la mettait pas vraiment à l’aise, Lula opina. Elle était pressée de quitter cet endroit délabré mais – surtout – de retrouver ses deux enfants. « You’re done making the decisions. » déclara-t-il. Elle percevait comme un dégoût dans sa voix et n’eut pas le temps de répondre qu’il enchaînait déjà. « I have no idea what went through your mind when you spent all this time struggling with this – did you even ? Don't answer that. You left the kids, Lula ?! What did you expect would've happened to them, what if I had died in duty ?! » – « Don’t say that ! » s’exclama-t-elle autant pour ce qui concernait leurs enfants que pour ce qui aurait pu arriver à son ex-mari. « You could have gone to Walter ! To Kina ! You're a key witness to my dad's case, you could've ask Kina for a job, you... God there was SO MUCH you could've done ! ». Il y avait une part de vérité dans ce qu’il disait, mais c’était tellement plus facile à dire qu’à faire. Et qu'en était-il de lui ? Il s'était tout simplement volatilisé après leur nuit à Hawaï et ne l'avait plus recontacté. C'était facile de se pointer ici et de l'inonder de reproches... Lula aurait pu se défendre, mais elle ne tenait pas spécialement à remuer le couteau dans la plaie alors que Matthew était prédisposé à l'aider. « I’ve found a job by myself ! For months, I was a waitress in a coffee shop and cleaner in the animal shelter where you have adopt Snow. ». Autrement dit, des métiers peu recommandables dans son état actuel. Lula s’apprêtait à lui dire qu’il ne connaissait pas toute l’histoire, mais il donnait l’impression de ne pas l’écouter.  « ‘you done ? ». Dos tourné à elle, il n’avait pas remarqué que la philippine était toujours assise au bord de sa couchette d’infortune. « ‘YOU done. That's all I have… » dit-elle en désignant le sac d’un geste du menton. Sa situation financière était tellement désastreuse que Lula n’avait plus rien à se mettre sur le dos, ces vêtements n’étaient même pas les siens d’ailleurs, c’était un don des bonnes œuvres… Dans un peu plus de 3 mois, elle allait accueillir deux bébés et n’avaient strictement rien prévu.

Lula n’osait plus vraiment le regarder en face. De mémoire, il n’avait jamais été aussi en colère contre elle, ne lui avait jamais autant crié dessus qu’en cet instant. La philippine pouvait même voir les muscles de sa mâchoire battre au rythme de sa colère et devina qu’il préférait croiser les bras contre son torse plutôt que de se mettre à frapper dans les murs pour calmer la rage qui l’animait. Lula essayait de se défendre du mieux qu’elle le pouvait, mais son plaidoyer paraissait bancal en comparaison à tous les faits qui lui étaient reprochés. « It could’ve happened ! » explosa-t-il, réduisant Lula au silence. La philippine ne put néanmoins empêcher une grimace de déformer brièvement les traits de son visage. Il aurait pu mourir, elle en avait conscience mais ne supportait pas de l’entendre et elle le détestait tellement pour avoir fait ce choix de carrière ! « What do you mean « that's ALL you have » ? » demanda-t-il, toujours aussi tendu. Lula soupira mais se résigna tout de même à lui donner une réponse en le suivant à l’extérieur. « It means the rest of my stuff has been taken by the authorities. At least those I haven't sold yet. ». Elle était consciente que Matthew se serait bien passé de ce genre d’informations, mais il aurait fini par le découvrir de lui-même. Lula le suivit à travers le dédale de couloirs où – de temps à autres – ils croisèrent quelques personnes peu fréquentables qui les observaient d’un œil mauvais comme s’ils cherchaient un prétexte pour s’en prendre à eux. En d’autres circonstances, elle se serait probablement rapprochée de Matthew pour chercher sa protection, mais honnêtement, la situation était si tendue que Lula se contenta de longer le mur en se tassant autant que possible.

Lorsqu’ils eurent enfin mis un pied hors du foyer, Lula prit une profonde inspiration. D’une certaine manière, elle se débarrassait d’un poids sur ses épaules mais elle avait encore tellement de choses à régler. Elle sursauta lorsque son ex-mari referma violemment le coffre de son 4x4 après y avoir jeté son sac sans ménagement et, une fois de plus, l’une des jumelles lui rappela de se calmer en lui assénant un nouveau coup. Pourtant, lorsque Matthew revint vers elle en lui jetant un regard lourd de sens, Lula fut incapable de faire taire son angoisse. « I have never been so mad at you... but we're gonna get the kids, go to my place, and you're gonna meet my mom. You're gonna tell her you were gone for a check-up at the hospital, and you're gonna pretend we're seven years back, put a smile on your face and just... urh, don't say anything. About anything. ». Lula eut beaucoup de mal à encaisser les propos de son ex-mari. Il était tellement froid qu’elle en tremblait. Et puis, il mentionna sa mère. Lula écarquilla les yeux, peu sûre d’avoir saisi le sens de ses propos. « Jenny ? You found Jenny !? Is she okay ? » demanda-t-elle d’une voix autant brisée par le reproche qu’il venait de lui faire que par l’annonce des retrouvailles avec la mère de Matt. Après des mois sans avoir de ses nouvelles et même à l’avoir cru morte ; c’était un tel soulagement ! Cette nouvelle venait de lui mettre un peu de baume au cœur mais renforça son sentiment de culpabilité. Tandis que Matthew venait de régler un problème, voilà qu’un autre survenait.

La voiture s'engagea dans la circulation et le silence retomba. Depuis l'habitacle, Lula observait la devantures des immeubles défiler sous ses yeux pour ne pas avoir à regarder Matthew. « Wh-when is your due ? » demanda-t-il enfin, sans daigner la regarder pour autant. Lula se tourna vers lui pour observer son profil et guetter sa réaction. « Around February. I… It’s… – commença-t-elle avant de fermer les yeux et de prendre une profonde respiration pour se donner du courage - « I’m expecting twin girls. ». Lula voulait être en mesure de contrôler sa voix, mais celle-ci tremblait d’émotion et, pour se calmer, la jeune femme massa tendrement son ventre. « I didn’t want hide my pregnancy from you. I tried to contact you for explain everything, but you never pick up your phone and then... ». Et les choses avaient dégénérées. Lula voulait se libérer du souvenir de ses entrevues avec Franklin Bates, en discuter avec Matthew mais elle en avait honte. Il y avait cette colère aussi. Tout cela ajouté à la peine de le savoir aussi déçu et à l'émotion de savoir sa mère vivante, ça ne faisait pas bon ménage pour une femme enceinte. « Nevermind... » acheva-t-elle avant de sentir toute sa rancœur remonter à la surface. Il ne l'écouterait pas. D'ailleurs, il la réduisait déjà au silence en lui dictant la conduite à tenir auprès de Jenny. La philippine voulait lui dire tout ce qu'elle avait sur le cœur à son tour, mais elle ne voulait pas provoquer un énième conflit dans son état actuel. Don't push me so far, le supplia-t-elle intérieurement en priant pour qu'il n'en rajoute pas une couche. « Mistakes are a part of being human, you should know that more than anyone. I'm not some kind of... perfect thing, Matt. » souffla-t-elle en espérant qu'il se calmerait. Soudain, elle sentit comme une pointe dans son dos et dans son ventre ; une douleur aiguë qui n'avait rien de comparable avec les coups gentillets d'un bébé. Lula serra les dents sans rien montrer.

« You knew I was in Syria, it's a military mission, you can't refuse it, I mean it's a war zone for us, and you expected me to have my US trackable phone over there ? ». Lula fronça les sourcils. Matthew l’avait laissé au petit matin sans lui donner d’explications et il avait tout bonnement disparu des écrans radars. La jeune femme s’était doutée que ça avait un rapport avec la CIA, mais n’en avait pas été avisée. Classé secret défense , lui aurait-on répondu si elle s’était allée à poser trop de questions. Et puis, Walter était venu à elle pour l'informer que son ex-mari se trouvait en Syrie. EN SYRIE !! Autrement dit, le dernier des endroits sûrs de cette planète. Bien évidemment, Lula avait suivi l’affaire de très près car elle craignait le déclenchement d’une nouvelle guerre. De savoir que son ex-mari s’y était rendu - de la bouche d'un messager, qui plus est - l'avait vraiment mis hors d’elle. L'obsession de Matthew à vouloir laver le nom des Vryzakis et réparer les erreurs de son père le conduisait constamment à se mettre en danger pour sauver la vie des autres. Il voulait rendre le monde plus sûr pour ses enfants et c’était tout à son honneur, mais à quoi bon s’il ne pouvait jamais en profiter ? Dans près de 3 mois, ils accueilleraient des jumelles et Lula avait cette angoisse constante que Matt ne puisse jamais les voir grandir. Toyiah & Mason en avaient déjà beaucoup trop souffert… « Well obviously not ! I have my wrongs, I never said I was perfect, but you abandonned our kids, you had options & you took NONE, it's... » commença-t-il en tapant rageusement sur le volant. Lula n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait. Ses propos étaient aussi violent pour elle qu’un coup porté en pleine figure ; il venait de la blesser, sans doute plus qu'il ne l'avait jamais fait. C’était la pire des insultes pour cette femme qui avait voué sa vie à ses enfants, prenant sur elle pour venir vivre à New York. Bam !, en une phrase, une seule ; il était parvenu à la faire pleurer. « Oh ya', my bad ! I’m an idiot AND a selfish unworthy mom 'cause I screwed up once ! Well, THANK YOU, Matthew. It goes straight to my heart, literally. » s’exclama-t-elle dans un sanglot qu'elle ne put contenir, la voix teintée d’un sentiment d’injustice et de colère profonde avant d’être coupée. « We'll discuss that later. If we keep going like that, my mom will feel it. » - « There's nothing more to say about. You were very clear : I have to keep my mouth shut. » cracha-t-elle en essuyant rageusement les larmes qui coulaient le long de ses joues. Puis, la philippine se tourna de nouveau vers la vitre qu'elle ouvrit d'un cran pour prendre un peu l'air en espérant que cela calmerait son esprit et sa douleur. Elle ne pouvait pas plus le détester qu’en cet instant précis.

…Mais sa colère retomba comme un soufflet au fromage lorsqu’il aborda enfin le retour de sa mère. « Jenny. Francis & you were right, she was on a boat. That guy Wickersham was keeping her hostage. For all you need to know right now, it hasn't been the best fun for her over there, and she's... fragile. She looks like mom, and talks like mom, and you could easily get tricked 'cause she looks so well, but... a little too much could blow her mind, right now, and the doctors think it would be better that... she doesn't discover we've divorced, as... she keeps asking for you. ». Et aussitôt, le cœur de Lula se serra douloureusement. La philippine avait toujours considéré Jenny comme une femme forte, un modèle, mais la grande question était de savoir si elle allait être en mesure de se trouver face à une pâle copie… Et de prétendre être toujours mariée à son fils. L’asiatique se passa une main sur le visage en soupirant bruyamment. « Damn, Matt… » commença-t-elle, totalement dépassée par les évènements. « I'm determined to make her comfortable and safe too, but I don't know if we could pretend that everything’s fine between us especially with the way you look at me right now. She was one of the first to see that we loved each other, even before us, you think she's going to be fooled so easily ? There are kids too, and... we don't have our rings anymore ! I know that my belly could be a nice distraction but she'll let the cat out of the bag. » grommela-t-elle sur la fin, la voix toujours déformée par les sanglots qu'elle retenait vainement. « Outch... ». La mâchoire serrée, Lula porta précipitamment une main sur la partie douloureuse de son ventre lorsqu'un violent coup de pied se fit sentir de nouveau.

Si ça ne tenait qu’à elle, Lula ne serait jamais montée en voiture. Elle n’avait pas envie de discuter – ou plutôt de se disputer – avec son ex-mari. Pas maintenant. Elle était fatiguée, écœurée par ce qu’il venait de lui balancer en pleine figure et surtout, n’était pas prête à lui expliquer les circonstances qui l’avaient conduite dans un foyer du Bronx. Pour Lula, c’était honteux et terriblement gênant d’avoir à lui avouer qu’elle avait été victime de chantage, puis de harcèlement sexuel. Bien sûr, la philippine avait sa part de responsabilités. Il n’avait pas tort sur un point ; elle aurait dû réclamer de l’aide auprès de Kina ou de Walter mais, à la suite du rendez-vous avec son éditrice – Lula s’était mise en tête que les droits de son livre pour enfants lui sauveraient la mise et lui éviteraient l’expulsion ; elle s’était trompée. Il y avait encore tellement de choses que Matthew ignorait, de choses qu’elle mourrait d’envie de partager avec lui… Par intérêt commun, aborder le sujet de Jenny lui paraissait plus « confortable ». « The kids staying with Walter tonight. » décréta son ex-mari après que Lula lui ait fait part de ses inquiétudes. « But… » commença-t-elle. Elle avait envie de les voir autant que de revoir Jenny. « I figured... We'd need some time to figure all of this out, and I didn't want them to... witness anything. ». Elle soupira, dépitée. Une fois de plus, Matthew avait raison ; leurs enfants avaient déjà assez soufferts comme ça sans qu’on y rajoute toute cette mascarade. Depuis plusieurs minutes, Lula serrait les dents mais ne put retenir une plainte lorsque les jumelles s’agitèrent un peu plus dans son ventre et sentit le véhicule ralentir. « What is it ? Are you okay ? » l’entendit-elle lui demander. « Yeah, I’m okay. Just…  Babies take my belly for a football stadium and pinch my sciatic nerve. » le rassura-t-elle. Une grimace peinte sur le visage, la jeune femme chercha une position plus confortable pour soulager son dos pendant que son ex-mari reprenait tranquillement la route. « My kingdom for a back massage. » gémit-elle alors qu’il tournait à l’angle de Battery Park. Son royaume ou - du moins - ce qu'il en reste... « Look, just... pretend you feel exhausted, Kina & I will do the rest, don't worry about how I'll look at you. ». Prétendre qu’elle était épuisée ? Ca ne serait pas un problème. « Ok. Hope you’re a good actor. » - « Your ring is in the glove box, mine is at the apartment. It'll work out, it has to. For her.  ». Cette fois-ci, Lula eut un temps d’arrêt. Elle pensait l’avoir mis au pied du mur en mentionnant l’absence d’alliances mais c’était loin d’être le cas. Matthew avait tout prévu. La philippine ouvrit la boîte à gant d’une main tremblante et s’empara du petit écrin dans lequel reposait l’alliance qu’elle n’avait plus revu depuis des années. La vue du bijou lui serra le cœur et la jeune femme resta un long moment à l’observer avant de reprendre ses esprits. « You kept it… - balbutia-t-elle sans réussir à cacher son émotion. – good. That’s… Good. ». Et lorsqu’elle la passa à son annulaire gauche, ce fut comme si elle ne l’avait jamais quitté.

Le véhicule s’arrêta enfin devant la nouvelle maison de son ex-mari et – pendant qu’il déchargeait son sac – Lula en observa longuement la façade avec appréhension. Elle ne descendit du véhicule que lorsqu’il lui ouvrit la porte pour l’aider à en descendre. « Let’s do this… » se murmura-t-elle comme pour se donner du courage.

Elle ne savait pas si c’était à cause de sa grossesse, de la douleur lancinante qui transperçait son dos ou de la peur mêlée à l’excitation mais jamais la traversée d’un hall ne lui avait semblé aussi longue et laborieuse. « I didn't realize that I'm few steps and a door to meet her. » se confia-t-elle, le cœur lourd. Il n’était plus question de leur dispute dans la voiture à présent mais de Jenny. Et uniquement d’elle. La philippine laissa donc son « mari » passer devant elle et le suivit timidement à l’intérieur où les lumières étaient déjà allumés. Rien que depuis le couloir, Lula pouvait déjà sentir son parfum délicat lui chatouiller les narines. Ou alors était-ce l’expression d’un vieux souvenir ? Ses yeux commencèrent à piquer affreusement tandis que la jeune femme retenait sa respiration pour ne pas céder. « Lula ? » entendit-elle depuis le corridor. Soudain, elle s’arrêta net et son regard chercha aussitôt celui de Matthew. Cette voix qu’elle avait cru ne plus jamais entendre de sa vie lui paraissait si… lointaine, abîmée, épuisée. Un nouveau sanglot traversa le visage de Lula qui trouva la force de le retenir. « Jenny ? » répondit-elle à son tour, la voix chargée d’une émotion qui l’enraillait.

Puis, elle la vit. Et pendant plusieurs secondes, chacune toisa l’autre.

Matthew ne lui avait pas menti. Jenny était éprouvée et cela se lisait parfaitement sur les traits de son visage mais son regard bleu s’anima d’une étincelle de joie lorsqu’il se posa sur son ventre rond. « Oh, Lula ! Look at you ! You’re… You’re pregnant. You… You… » commença-t-elle avant de fondre en larmes, brisant le cœur de Lula au passage qui se précipita vers elle pour l’enlacer. « I missed so much. » sanglota-t-elle. La philippine ressera un peu plus son étreinte. « It’s ok. It’s gonna be ok, now… ». Lula se surprit à fermer les paupières et à nicher sa tête au creux de son cou pour s’imprégner de son odeur réconfortante. Puis, elle sentit Jenny se défaire de son étreinte et prendre son visage entre ses mains rêches et abîmées, autrefois douces et chaudes. Pour les réchauffer, Lula y posa les siennes et répondit au sourire qu’elle lui adressait par un petit rire ému. « Where have you been ? » s’enquit-elle aussitôt. « Hospital for a check-up but don’t worry everything’s fine. I’m just... tired. » lui assura-t-elle en jetant un coup d’œil à son ex-mari. « But you ? You’re okay ? ». Jenny esquissa un sourire et acquiesça d’un signe de tête. « Starving but really happy right now. So Sneaky, I’ll be a grandmother again and you didn't tell me !? » reprit-elle l’air de rien en posant ses mains sur ses hanches en s’adressant à son fils.

« Of course I kept it… ». C’est fou l’effet que peut avoir une simple phrase. En un instant, Matthew venait de briser ce moment. Il était tellement froid envers elle que Lula en frissonnait et n’aspirait qu’à une chose : s’éloigner. Ils étaient un paradoxe à eux seuls ; comment pouvaient-ils être attirés l’un vers l’autre et se repousser à la moindre bavure ? Cette relation – si toutefois il en restait quelque chose – était loin d’être saine pour accueillir de nouveaux enfants.

Mais lorsqu’elle franchit le seuil de son appartement, Lula n’eut plus le loisir d’y penser. Et pendant qu’elle profitait de ses retrouvailles avec une Jenny très affaiblie, Matthew discutait avec Kina qu’elle n’avait pu que saluer brièvement.

La philippine se doutait que c’était principalement d’elle dont il était question et voulut tendre une oreille pour épier leur conversation mais son esprit était déjà accaparé par son ex-belle-mère qui s’extasiait devant son ventre rond. « Coffee bean or vermicelli ? » s’enquit-elle aussitôt en plaçant ses mains sur la jolie bosse. Face à l’enthousiasme de Jenny, il lui fut tout bonnement impossible de ne pas sourire. « Girls. ». Si au début l’américaine acquiesça d’un signe de tête appréciateur, elle écarquilla les yeux lorsqu’elle nota l’emploi du pluriel. « Wait a minute… Twins ? ». L’expression de joie intense qu’afficha Lula suffit à le confirmer et Jenny s’empressa de la serrer de nouveau dans ses bras. « I’m so happy for you two. » lui souffla-t-elle. Lula accusa le coup avec difficulté. Ils n’étaient plus les âmes sœurs que Jenny avait connues, désormais. Et d’après ce que Matthew pensait de la philippine, elle doutait qu’ils le soient de nouveau un jour. Puis, Jenny se joignit à la conversation des deux autres à laquelle Lula assista, impuissante.  

« Well, I figured you already had a lot on your plate, and also that you would want to congratulate her at the time, and do all your... stuff you do when Lula's pregnant, so... » lui répondit Matthew lorsqu’elle l’accusa d’être un cachotier. Par chance, Kina sauva la situation. Enfin presque… « Mom, let's go grab a bite ! Oh and then, why not step by my place and meet Julian ? ». Lula connaissait les Vryzakis depuis des années, assez pour reconnaître une tentative d’échappatoire lorsqu’elle en voyait une. Alors, c’était de ça dont il était question ? Il avait demandé à Kina d’héberger leur mère afin qu’il puisse régler ses comptes avec son ex-femme ? Lula se surprit même à prier intérieurement pour Jenny décline l’offre et insiste pour passer la nuit dans l’appartement de Matt car même si cela impliquait de partager le lit de son ex-mari, elle savait qu’il ne se risquerait pas à déclencher les hostilités. « Okay, well... Honey, you must be exhausted anyway. But we HAVE to see each other tomorrow, I want to know everything ! ». Et malgré tous ses efforts, Lula ne parvint pas à cacher sa déception. Ils jouèrent la comédie jusqu’au moment de raccompagner Jenny & Kina au pied de l’immeuble.

Mais dès l’instant où le véhicule tourna à l’angle de la rue, la philippine se détacha brusque de Matthew et fit volte-face jusqu’aux ascenseurs l’air passablement énervée. Lula ne brisa le silence que lorsqu’ils furent de nouveau à l’intérieur de son appartement. « I know what you've done. I know that you sent your mom at Kina's place because of me but I don't want to have this conversation again. For me, it ended in your car. You've said enough. » souffla-t-elle en ôtant sa bague sans même le regarder dans les yeux.

Il était vrai que - ces derniers-mois - la jeune femme avait enchaîné les conneries. Et elle s’en voulait. Elle s’en voulait de ne pas avoir su régler les choses pour le bien de ses enfants. Les préserver était son unique but. Lula n’osait à peine imaginer ce que serait sa vie sans Toyiah, Mason et les deux autres enfants qu’elle attendait parce que tous les choix qu’elle avait pu faire depuis ses 16 ans n’avaient été guidés que par son instinct maternel. Alors forcément, il lui était difficile de digérer les reproches de son ex-mari. « This is far from over, Lula. If you need to rest tonight, rest if you must, but… we’re not done. ». La philippine serra les dents, accusa le coup et s’apprêtait à s’enfermer dans une pièce au hasard pour couper court à la discussion lorsqu'il enchaîna. « Look… It happened, and now WE have to fix this, so we’re gonna need to talk about it. We also need to talk about the kids, and the ones coming, it’s… Maybe we both need the night off… ». Et voilà. Une fois de plus, Matthew était revenu à la charge en abordant le sujet sensible ; les enfants. Piquée au vif, Lula se mit immédiatement sur la défensive et fit volte-face. « Rest ? How do you want me to sleep !? I’m a freakin’ pressure cooker ! » lança-t-elle, la voix percée par toutes les émotions qu’elle avait gardé depuis bien trop longtemps. Effectivement, elle était un peu comme une cocotte-minute… Sur le point d’exploser. « WE !? Since when ?! Since you left without a word after our night ? What do you want exactly ? Talk about the kids. Fine ! For what ? Blaming me again ? Telling me how i’m desappointed you - or like the others - that in my situation it was silly to raise two more ? Don’t get tired. I’ve nothing to prove to all of you. I’m no longer that orphan so stop treating me like a child. I'm a mom ! Not a perfect one but that's what I am. It was my very first job, one for which they can't get fired me. So I forbid you to say that I abandoned my kids ! Okay !? ». Malgré le voile de larmes qu’elle retenait, Lula ne put s’empêcher de pouffer de rire en secouant la tête de gauche à droite. « I can’t believe you accusing me to be that woman who only cares about herself after all this time. ». Ca avait toujours été lui. Lui et l’archéologie, lui et sa vengeance sur son père, lui et la CIA… Elle ne lui en voulait pas, il avait ses raisons mais ne supportait pas de l’entendre lui parler d’abandon alors que lui-même n’avait pratiquement pas vu leurs enfants grandir. La philippine poussa un soupir et leva la main pour lui imposer le silence pendant qu’elle lui confessait enfin la raison de sa présence dans un foyer. « It shouldn't have happened like that. I was going to get the rights to my book, get enough money to pay my debt. I HAD A PLAN ! I thought I could deal with it alone. Except that the immigration's guy was corrupt. I wanted to trap him with the help of another girl in my situation, but he has accelerated our procedures to silence us. – expliqua-t-elle amère, avant de soudainement fuir son regard. « Of course, he offered to leave me alone against a little extra. I'll let you guess which twisted idea came into his head and why I ended up in a shelter too soon… I feel bad even in front of you, I wouldn’t have been able to talk about it to Kina or Walter. ». Elle n’était vraiment pas à l’aise avec le sujet. C’était la première fois qu’un homme lui parlait de cette façon, abusait d’un moment de faiblesse pour s’attirer ses bonnes grâces. Certes, Lula n’avait pas cédé à ses avances, n’y avait même jamais songé, mais c’était comme si – sans l’avoir touché – il était parvenu à la souiller. Ses joues rougissaient et blêmissaient aussitôt. Elle prit son sac, l’ouvrit, en tira le dossier du suivi de sa grossesse qui contenait toutes les échographies et leurs comptes-rendus qu’elle posa sur le coin de la table toujours sans un regard. « This is all what you want to know about the twins. I guess we’re done for tonight now. ». Et c’est avec le cœur plus lourd qu’avant que Lula se traîna vers l’une des chambres sans pouvoir stopper les larmes silencieuses qui coulaient enfin sur ses joues. La main sur la poignée de porte, elle s’arrêta une fraction de secondes avant de l'ouvrir. « I'm really happy that you finally found your mother. ».