Ah, une soirée à arnaquer des vieilles friquées, de jeunes innocentes, d’anciennes fiancées abandonnées peu avant leurs mariages… Aaron buvait littéralement du petit lait surtout qu’il s’était récemment réconcilié avec son frère aîné et que dans sa vie personnelle, cela roulait un brin plus sur des roulettes. En d’autres termes, ce soir ne serait que délectation, dépassement de soi bref, de la pure adrénaline à l’état brut. Du moins, c’est ce qu’il croyait jusqu’au moment où son chemin croisa celui d’une brune, extrêmement bien gaulée avec des arguments physiques à faire tourner plus d’une tête mais si en théorie elle aurait pu l’intéresser, son entrée en matière le glaça sur place. De quoi ? Qu’ouïe-je, qu’entends-je, dans quel état j’erre ? Il conserva une expression extrêmement froide la seconde qui suivit, l’écoutant sans vraiment l’écouter car déjà, il cherchait vite et bien une porte de sortie pouvant lui servir d’ultime repli. Bah, après tout, ce n’était qu’une nénette n’ayant strictement aucune preuve contre lui, pas vrai ? « Ce n’est pas beau d’inventer de tels mensonges parce que vous êtes désespérée… si vous cherchez un pauvre pigeon avec qui passer la nuit, il y a la solution escort boy vous savez ! » Aaron n’était pas un tendre lorsqu’on l’attaquait de front, Daryl en avait fait les frais pendant des années et s’il n’avait eu aucune pitié pour son propre frère, il y avait fort à parier qu’il n’en n’aurait pas davantage si ce n’est encore moins pour une parfaite inconnue au bataillon. « Sinon, on vous a dit que c’était malsain de faire louper son taxi à un inconnu ? Allez donc caqueter ailleurs, je suis certain que vous êtes extrêmement douée pour ça, vous n’avez aucunement besoin de me faire une démonstration. » Bah, il ne la traitait pas de prostitué, c’était ça de pris, n’est-ce pas ?

« J’ai pas dit que vous cherchiez un amant mais plutôt un escort boy, ce qui me fout hors course direct et heureusement pour moi, nuance ! » Aaron, se faire payer pour passer une « soirée agréable » ? Plutôt crever, il avait sa fierté ! Il n’appréciait guère le fait que des gens payent pour voir des nénettes se foutre à poil sur une scène, par exemple. Il trouvait cela dégradant pour la demoiselle, et pourtant dieu sait qu’il n’était pas spécialement féministe dans l’âme. Peut-être que le simple fait de côtoyer Maggie depuis qu’elle s’était remise avec son frère lui remettait du plomb dans la cervelle, allez savoir mais s’il était adepte de la séduction, qu’il considérait limite comme un sport, il ne serait certes pas près à « payer » pour passer un moment avec une femme. Et ce n’était pas de la radinerie ! Aaron ne gagnait pas trop mal sa vie, en cumulant ses arnaques et ses tournois de poker en tant que professionnel... « Attendez une minute, elle est où la caméra cachée ? Vous êtes en mode si désespérée ? » Cette parfaite inconnue dont il ignorait jusqu’au nom avait déjà tourné les talons qu’il avait à peine eut le temps de s’en remettre. Mais dans son extraordinaire connerie, l’américain la suivit, marchant à côté d’elle les mains dans les poches, avec une nonchalance parfaitement digne de lui. Bah, qu’elle le trouve insupportable ou pas, quelle importance ? Ce n’est pas exactement comme si elle l’avait intéressée de prime abord... c’était elle l’alpagueuse en chef ! « Vous êtes au courant qu’en théorie, pour épouser quelqu’un, il faut tomber amoureux, se faire des mamours au clair de lune et ce genre de conneries dégoulinant de guimauve ? D’autant que vous donnez vachement en vie, en m’extorquant le mariage et en me menaçant de m’envoyer en taule... très glamour, vous mériteriez un Oscar ! Tout ça pour une carte verte, sinon... z’êtes dans la merde à fond, c’est ça ? » Aaron ou comment être casse couille en deux leçons et demi.

« Mais oui, six ans après tout, ce n’est qu’une bagatelle ! » ironisa-t-il sans l’ombre d’une pitié dans son regard car Aaron avait follement envie de lui rire au nez, rien que pour voir sa réaction. Sûrement se montrerait-elle en mesure de lui en foutre une et il n’aurait de toute façon plus à supporter un tel verbiage sans aucun intérêt. Mais bigre, cette parfaite inconnue cherchait réellement à lui extorquer le mariage ou sinon, elle le foutrait en taule ! « Dieu me déteste, c’est l’évidence même » souffla-t-il tandis qu’il frottait légèrement ses yeux face à l’agacement. Non seulement il ignorait jusqu’à son nom mais en prime il allait devoir se la supporter pendant six ans ?! Un cauchemar, c’était un cauchemar et il allait se réveiller comme une fleur dans une seconde après s’être pincé royalement le bras. Il ne pouvait en être autrement ! « Mouais deal intéressant surtout pour vous je signale quand même ! D’une parce que votre proposition est aussi agréable que de se foutre une pomme de pain dans le cul et de deux parce qu’en prime de me faire passer la pire heure de mon existence, je connais même pas votre nom ! Alors plutôt que d’aboyer et de pleurer dans les chaumières en mode « la vie est injuste avec moi oh mon dieu j’ai le cœur en mille morceaux » chose qui me donne envie de vous botter l’arrière train, vous allez vous présenter et au lieu de me menacer, vous allez me le demander gentiment… sinon, je vous laisse dans la merde. » Cette inconnue avait peut-être des cartes en main mais après tout, si elle l’envoyait en taule, à ciao bonsoir pour récupérer sa carte verte ! C’était donnant-donnant et Aaron aussi pouvait exiger des choses.

« Bordel de putain de merde ! » s’exclama-t-il non sans faire les cent pas dans la rue où ils se trouvaient, preuve qu’il n’avait aucune espèce d’envie d’être là et que cette nénette, si belle soit-elle, lui tapait sur le système quelque chose de fantastique. « Franchement, même si je vous trouvait attrayante, vous êtes tellement antipathique que ce serait mort par avance pour coucher avec vous, même avec un sac sur la tête alors allez pas imaginer une seconde que je vais avoir la plus petite idée de tenter quelque chose parce que franchement… laissez tomber, même pas dans mes pires cauchemars » souligna-t-il avec froideur parce que d’une part Aaron n’était pas un manipulateur sur ce point précis, les femmes lui plaisant le savaient tout de suite, et de deux, rien que le fait qu’elle veuille le foutre en taule était un tue l’amour absolument sur efficace. Aucun douce à avoir là-dessus ! « Je suppose que vous me flanquez pas franchement le choix dans les pattes alors même pas besoin de me demander si ça me va, on va dire oui histoire d’être aimable » singea-t-il la situation avec un sourire des plus exagérés, Blodwyn lui donnant plutôt envie de mordre qu’envie tout court. « Je m’appelle Grant. Aaron Grant. J’ai trente-deux ans et effectivement, le fait que vous soyez stripteaseuse ne me vend pas spécialement du rêve mais limite mon avis, vous n’avez qu’à vous en taper. J’ai un appart’ qui fera très bien l’affaire, et si vous vous faites discrète et que je n’ai aucun compte à vous rendre, ça me va on va dire » conclut-il en haussant les épaules. S’il allait en taule, Daryl le tuerait à coup sûr. Peut-être aimait-il son frère et tenait-il à la réputation de ce dernier, au bout du compte, pour accepter pareil plan foireux…=

Heureusement que Daryl avait décommandé leur sortie entre mecs des suites d’un déjeuner désastreux avec les parents de Maggie sans quoi, Aaron aurait eu grande peine à lui expliquer pourquoi, à neuf heures du matin, il était déjà habillé d’un smoking, coiffé à la perfection et prêt à se rendre à la mairie. Par principe, l’américain avait choisi d’être en retard, car tel était son esprit de contradiction. On ne pouvait pas lui en vouloir, après tout cette jolie mijaurée lui avait offert la pire soirée de son existence et même maintenant, il avait des sueurs froides rien qu’à devoir l’embrasser devant Monsieur le Maire alors qu’elle ne lui inspirait rien d’autre que de l’agacement. Mais à neuf heures et quart, il se pointa devant la mairie comme une fleur, tout fringant dans son beau costume lui allant si bien, tentant un faible sourire bien que celui-ci soit plus crispé qu’autre chose. Là encore, Blodwyn ne pouvait que difficilement lui en vouloir : il était venu, c’était déjà ça, non ? « Ouais je sais, je suis à la bourre » lâcha-t-il en haussant légèrement les épaules, sans pour autant donner plus de preuves quant à son envie de s’excuser ou de prendre simplement la chose par-dessus la jambe. « Pas mal ta robe » passa-t-il aussitôt au tutoiement car après tout… vouvoyer sa femme, ça se faisait encore au quinzième siècles ou dans les familles royales mais comme ils ne se trouvaient dans aucun des deux cas précités, inutile de faire dans l’esbroufe, la famille Grant n’était pas coutumière de la chose. Aaron était un fier texan, bordel de merde ! « Prête pour le grand saut, la miss ? »

Oh putain, vingt minutes à attendre en plus ? Aaron était prêt à tempêter tout ce qu’il savait mais à la surprise générale, Blodwyn fit preuve à la fois de civilité et d’honnêteté en lui avouant le fin mot de son histoire professionnelle. L’américain n’en demandait pas tant, surtout qu’il n’avait aucune intention d’en faire de même au sujet de ses arnaques d’escroc professionnel : elle lui avait montré par a+b à quel point elle savait manipuler son monde pour obtenir ce qu’elle voulait et aussi vrai qu’Aaron n’avait aucune intention de pourrir la réputation de son frère, il n’avait pas plus envie de finir le reste de ses jours derrière les barreaux. Chat échaudé craint l’eau froide, comme dit l’autre ! « Tu as dit que je n’avais pas de comptes à te rendre, tu n’es donc pas obligée de te justifier, je supposais bien que tu avais de bonnes raisons pour faire ce que tu fais. Puis techniquement parlant… stripteaseuse, c’est pas pute vu que tu ne couches pas avec tes clients. Sinon, faut dire escort, autant être précis sur les mots ! » ironisa-t-il aussitôt à l’aide de son sourire à faire devenir hétéro la plus extraordinaire lesbienne. « J’te juge pas. Chacun voit midi à sa porte et perso je suis champion de poker, alors qu’est-ce qui est « normal » et qu’est-ce qui ne l’est pas… tu emmerdes tous ceux qui pensent que tu n’as qu’un cul et voilà, le tout est joué. Tu vis pour toi, pas pour le Pape, pas vrai ? » Au moins, avec Aaron, elle était sûre de ne pas être réellement jugée autrement que sur pièces ou prise pour une crétine. Voilà pourquoi il haussait les épaules tout en pensant chacun de ses mots.

Dire qu’Aaron était ravi d’épouser cette parfaite inconnue serait mentir, il n’était pas ravi le moins du monde, il aurait hautement préféré courir dans l’autre sens ou aller se payer la murge de sa vie, mais au lieu de ça il prenait ses responsabilités et accepta la main de Blodwyn dans la sienne sans faillir une seule seconde. Ce n’était plus le moment de reculer, de toute évidence, alors une fois devant le maire, il n’hésita pas à dire oui en feignant très agréablement le fait d’être « fou amoureux » de cette piquante brunette, non sans mettre de l’intention dans son baiser même si le cœur n’y était pas franchement. Bah, au moins la bagatelle était faite et il n’aurait plus besoin de souffrir d’autres cérémonie du style… c’était aussi bien passé que pépé dans mémé, au final, sans oublier la petite surprise de la fin : Blodwyn demanda à conserver son nom de jeune fille, ce qui le surprit bien qu’il ne laissa pas un millimètre de son visage le faire entendre. « C’est délicat de ta part » répliqua-t-il avec une certaine retenue, n’ayant aucune envie de devenir trop « proche » de cette nénette qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam et dont il se moquait, puisqu’elle était sur celle le mettant dans la merde jusqu’à preuve du contraire. « Je suis venu en voiture, alors si tu le souhaites, autant t’installer rapidement pour éviter tout soupçon du style : ils sont tellement vieux jeu qu’ils ne sont pas encore installés avant d’être mariés ? Ça ferait mauvais genre pour toi. Après c’est une proposition, si tu as à faire, on peut remettre ça à plus tard. » Aaron s’en foutait : il avait prévu sa journée pour ce foutu mariage alors autant le faire maintenant plutôt que de devoir bloquer une autre journée pour l’aider à déménager son barda en prime…

Quelques minutes plus tard, Aaron et Blodwyn se trouvaient en pleine ambiance pesante dans le silence de la voiture que conduisait l’américain et pour un peu, il était presque prêt à exploser ou à mettre la première playlist de métal qu’il aurait trouvé dans son MP3 pour ne plus entendre ce satané silence à la con. Mais par chance, la brunette finit par ouvrir la bouche, lui arrachant un hochement de tête d’acceptation au sujet de l’immigration avant qu’il n’éclate purement et simplement de rire en voyant le mal qu’elle se donnait pour être en mode petite souris. Limite, c’était à filmer juste pour qu’elle se rende compte du haut comique de ses propos. « Ma parole, t’as déjà été dans une situation similaire pour carrément proposer de faire « tablette à part dans le frigo » ? Dis-toi une seule chose : je suis texan, j’ai mes petites habitudes mais en général je suis très peu à mon appart’, alors tant que tu te transformes pas en Hiroshima à me foutre du bordel partout, je m’en cogne. Tu peux utiliser toutes les tablettes du frigo si ça te chante, je ne suis pas très « sociable » au quotidien donc tu ne me verras pas beaucoup, si ça rassure ta petite personne. Seul truc : tu vas dormir dans le salon parce que j’ai qu’une chambre mais t’as du bol, c’est ma belle sœur qui m’a cassé les noix pour choisir le canap’ et il fait lit. Il est plutôt confortable d’après mon frangin, d’ailleurs. Je dois savoir quelque chose, aussi, de mon côté ? » Ce qui s’appliquait à elle pouvait tout aussi bien s’appliquer à lui et bien qu’Aaron ait la ferme intention de passer le moins de temps que possible avec elle, il n’allait pas s’exempter de ce genre de petite interrogation sans conséquence. « C’est là ton immeuble ? »