Pray God
You can cope
I stand outside this woman's work
This woman's world
Ooh
It's hard on the man
Now his part is over
Now starts the craft of the father

I know you have a little life in you yet
I know you have a lot of strength left

I should be crying but I just can't let it show
I should be hoping but I can't stop thinking
Of all the things I should've said that I never said
All the things we should've done that we never did
All the things I should've given but I didn't
Greg Laswell - This Woman's Work

C’est scientifiquement prouvé ; on dit qu’une femme enceinte rayonne de beauté. Peut-être parce qu’elle porte la vie en elle et qu’elle respire la douceur, le calme et la sécurité que l’on attribue généralement aux futures mères de famille ? En tout cas, Lula n’en était pas à sa première grossesse mais – bien qu’elle l’eut souhaité – celle-ci ne se déroulait pas vraiment comme les deux autres. Elle la subissait. Vraiment. La jeune femme n'était pas pleinement heureuse ; son regard absent ne trompait personne. Elle était moralement épuisée, et pour cause, ces derniers mois avaient été pénibles. Il y avait eu le départ de son ex-mari pour la Syrie, l’annonce de la grossesse gémellaire, la perte de son visa, les avances de Franklin Bates, le foyer et la dispute avec Matthew qui s’en était suivie, sans compter le retour de Jenny. En plus d’avoir été à deux doigts de retourner dans son pays, elle avait appris – à peine quelques jours plus tard – que les Philippines avaient essuyé le passage d’un typhon. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses hormones ne l’avaient pas vraiment aidé à gérer ce flux d’émotions trop intenses. Son oncle & Tinga en avait réchappé de justesse ; ils étaient en voyage à Manille au moment des faits, mais leur maison et celle que le couple Vryzakis habitait autrefois avaient été complètement rasées. Parmi les victimes, quelques noms que la philippine connaissait : ses amis d'enfance, leur famille, ses voisins... Les pertes humaines avaient été nombreuses et le pays était contraint mettre tout en œuvre pour empêcher le recrutement d'orphelins à des fins d'exploitation sexuelle. Et ça, son cœur de maman ne pouvait pas le supporter car elle ne pouvait s'empêcher de penser à Toyiah et Mason, ses propres enfants... Comme avec ses parents, Lula souffrait du "complexe du survivant", se disant que peut-être sa présence aurait pu faire la différence. Ce qui était parfaitement idiot, bien entendu ! Enceinte jusqu'au cou, que pouvait-elle faire contre un typhon, si ce n'était mettre sa vie - et plus important encore - celle de ses enfants, en danger ? Lula devait se réjouir d'en être là, à partager l'appartement de son ex-mari, mais elle n'y parvenait pas.

Les seuls moments où elle s’autorisait à sourire ou à rire parfois, c’était pendant le shopping dédié aux bébés ou encore au moment du repas, pendant que Toyiah et Mason déroulaient la liste des prénoms qu’ils avaient choisi pour leurs petites sœurs. Ils avaient même essayé de dérider un peu leur mère en lui proposant de les nommer Tweedledee & Tweedledum et ça avait fonctionné. Pour un temps, seulement car Lula était capable de passer du rire aux larmes en une fraction de secondes. D’autre part, ses relations avec Matthew s’étaient nettement améliorées. Elle l’avait surpris en train de feuilleter son dossier de grossesse et de regarder les deux croquis de son avenir. Il était redevenu aussi attentionné que durant ses grossesses précédentes, mais Lula restait distante. Bien sûr, ils discutaient parfois le soir avant d’aller se coucher (c’était toujours mieux que d’allumer la télévision et voir les dernières images d’une situation dont elle avait échappé de justesse grâce à lui) cependant, la philippine évitait soigneusement de s’aventurer sur certains sujets. Lula était lasse d’attendre. Elle était lasse d’attendre qu’il fasse enfin un choix. Matthew avait accepté les jumelles – et la jeune femme s’en réjouissait parce qu'elles les aimait déjà énormément – mais leur avenir en tant que famille était encore incertain. La philippine était persuadée qu'il y aurait toujours une nouvelle mission... D'une certaine manière, Lula était en période de sevrage ; elle avait cessé de l'attendre. Ils n’en parlaient pas non plus, en majeure partie parce qu’elle avait peur de ce qu’elle pourrait entendre et Matthew devait s'en douter puisqu'il respectait son silence. Dernièrement, Lula ne lui causait vraiment que des ennuis ; quand elle ne lui mettait pas deux marmots en plus dans les pattes, elle lui collait un fichu problème de visa et de maitre chanteur. Oh, bien sûr, il s’était radouci en apprenant la vérité mais la philippine s’était doutée qu’il passerait ses nerfs sur l’agent d’immigration - histoire de lui faire passer l’envie de s’en prendre à des femmes sans défense - et c’est pourquoi Lula s’était obstinée à ne jamais dévoiler son nom. De toute façon, ça ne serait qu’une question de temps avant qu’il ne le découvre de lui-même ; il était espion pour le compte de la CIA, après tout ! Toujours est-il qu’ils n’en avaient plus reparlé depuis. Une étrange routine s’était installée ; chacun agissait comme un automate en veillant à ne pas froisser l’autre et évitait d’empiéter son espace vital. C’était comme s’ils passaient leur temps à marcher sur la pointe des pieds… Pourtant, cette nuit-là, vers 3h du matin, Lula s’apprêtait à briser cette routine.

La jeune femme s’était réveillée en sursaut, trempée jusqu’à la moelle. Elle avait enduré assez de grossesses pour distinguer ce qui était parfaitement normal de ce qu’il ne l’était pas. Lula eut beaucoup de difficulté à se redresser, mais – sans trop savoir comment – elle parvint tout de même à atteindre la porte puis la chambre de son ex-mari contre laquelle elle frappa doucement. « Matthew ? Réveilles-toi, s'il te plait. Je me sens mal… » gémit-elle d’une voix pâteuse.

« Il est hors de question que je te dépose sur le porche et que je te laisse toute seule à l’hôpital, Lula… Je vais appeler Walter, il s’occupera des enfants. Ne t’inquiètes pas de ça, vraiment. » la rassura-t-il. En d’autres circonstances, la jeune femme aurait sûrement cherché à le contredire, mais aujourd’hui, la situation ne s’y prêtait pas vraiment. La philippine avait vraiment besoin de son soutien et de sa présence. Lula ne voulait personne d’autre que le père de ses enfants à ses côtés et ce, même si leur relation actuelle était incertaine. Et pourtant, elle l’aimait. Sincèrement. Inconditionnellement. Passionnément. Désespérément. Son ventre bien rebondi en était la preuve irréfutable. Matthew la rendait faible et il lui avait fallu tout ce temps pour comprendre qu’elle appréciait ce sentiment de fragilité à son contact. Elle se rappelait sans cesse le matin précédent le décès de ses parents et la manière qu’il avait eu de la rassurer ; voilà pour quelles raisons Lula l’avait choisi pour être le père de ses enfants. Elle voulait quelqu’un capable de les rassurer, de les protéger et de leur porter un amour sans limites. Maintenant qu’il avait sa main posée sur son ventre, elle pouvait enfin sentir tout ça. Y compris le petit mouvement que cela engendra. « Did you feel that ? Was that you ? ». Pour toute réponse, Lula poussa un soupir de soulagement. Les petites avaient dû ressentir toute l’angoisse néfaste que leur mère avait préféré intérioriser pendant tout ce temps. « No, it was them. I guess they just needed to know you're with them. Just like me. » avoua-t-elle dans un souffle. Se disant, elle se rapprocha de lui pour contrer le froid mordant de ce mois de Janvier qui ne faisait qu’augmenter le tremblement de ses jambes et les douleurs qui l’avaient tiré du lit au beau milieu de la nuit. « It’s okay… We could get a new car on the way to the hospital, if it wasn't an emergency. Just pick one and we'll get it. And for the names... Well, can we discuss it on the way to the hospital ? » proposa-t-il en se faisant le plus rassurant possible. Lula s’imprégna de ses sages paroles et acquiesça d’un signe de tête. Puis, Matthew se plaça devant elle et l’obligea à s’arrêter pour capter son regard. « Look, maybe now is not the time, maybe it's just a little something, and the doctors will fix it. But no matter when it happens, you are ready. You're a mom, you're gonna be perfect with them, and... you're not alone in this... ». La philippine put sentir son cœur se serrer agréablement dans sa poitrine et ferma les yeux en acquiesçant de nouveau. « Thanks… ». Elle prit une grande inspiration pour se donner du courage. « I'm sorry, I know I fear for anything and I've caused you a lot of trouble recently, but you're right... It's okay. It's okay. ». Sur ces mots, elle inspira et expira bruyamment comme on lui avait appris à le faire lorsqu’elle était enceinte de Toyiah. Une nouvelle douleur transperça son ventre, et cette fois-ci, Lula ne put retenir un cri qui résonna en écho dans le parking souterrain. « We need to go now ! » marmonna-t-elle, la mâchoire crispée. Sitôt dit, sitôt fait ; Matthew l’aida à monter dans la voiture et démarra au quart de tour pour s’insérer dans la circulation qui, par chance, était très fluide à cette heure de la nuit.

L’asiatique se tortillait dans tous les sens, peinant à trouver une position confortable visant à la soulager. Un voile sueur s’était dressé sur son visage pâle et plus les secondes passaient, plus elle faiblissait. La philippine avait cruellement besoin de se changer les idées pour ne pas penser à la douleur et, dans ses circonstances, discuter des prénoms lui semblait être la meilleure chose à faire. Lula décida alors de partager avec lui ce que leur fils lui avait confié quelques semaines auparavant et qu’elle avait trouvé adorable. « Mason a suggéré Mila. C’est le prénom de la fille la plus jolie et la plus intelligente de sa classe. » pouffa-t-elle, avant que son rire ne meurt dans sa gorge, remplacé par un nouveau gémissement de douleur. « Mila Vryzakis... » murmura-t-elle en se sentant sombrer dans l'inconscience.

Lula se trouva rapidement enveloppée par les ténèbres. La philippine n’avait pas senti Matthew l’extraire du véhicule pour la poser sur un brancard des urgences, ni les examens pratiqués sur elle. Et puis, le verdict était tombé ; Lula souffrait d’un décollement placentaire causée par une hypertension artérielle. Il leur fallait donc provoquer l’accouchement dès maintenant au risque de les perdre toutes les trois...