Née à Seattle, Kate était une habituée aux températures négatives, à la neige, au verglas et à la morsure du froid sur le visage lorsque l'hiver arrivait. Elle ne pouvait pas dire qu'elle aimait particulièrement ce froid intense mais elle y était habituée et elle n'avait jamais trouvé cela désagréable. Cependant, la demi-décennie qu'elle avait passée sur une île au climat tropical l'avait habituée à du soleil et à de la chaleur. Les températures étaient constantes, le thermomètre n'affichait que très rarement moins de dix-huit degrés, ou plutôt soixante-cinq fahrenheit et durant la saison chaude, il ne faisait pas plus que trente deux degrés. Hormis lors d'un bref séjour en Suisse, Kate n'avait pas vu un seul flocon de neige ni la moindre paire de gants en laine en cinq ans.

De ce fait, l'arrivée de l'hiver à New York avait été surprenante et rude. Il avait fallu se réhabituer à être transi de froid après seulement quelques minutes à l'extérieur, aux lèvres à moitié paralysées à cause du vent glacial et à la réticence à sortir des draps tous les matins. Pourtant, la jeune architecte n'avait pas eu le choix. Bien qu'elle aimait son travail et le rythme effreiné qu'elle avait la plupart du temps, c'était presque tous les matins qu'elle restait dans son lit dix bonnes minutes après que son réveil ait sonné. Elle s'imaginait une journée farniente chez elle, à faire du chocolat chaud et des cookies aux pépites de chocolat et aux noix de macadamia, ses préférés. Cette hypothèse très tentante n'aidait pas à la motiver. Mais cinq ou six jours par semaine, elle allait jusqu'à Carnegie Hill pour travailler. Bon c'est vrai, elle n'y allait pas à pied mais en voiture et le seul moment où la jeune femme mettait réellement le nez dehors, c'était quand elle allait déjeuner.

Lors de la toute première neige tombée sur la ville, la brune s'était arrêtée de travailler et était descendue dans la rue pour la voir de plus près. Elle n'était pas émerveillée par les centaines de flocons qui tombaient du ciel, ce qui lui avait donné envie de sortir, c'était Alyssa. La petite fille avait trois ans quand elle avait vu un reportage sur la Laponie ce qui l'avait scotchée à l'écran, ce n'était pas le Père Noël mais l'épaisse couche de neige qui recouvrait les alentours. Ce jour là, sa marraine s'était promis de l'y emmener lorsqu'elle serait plus grande. Et quand elle projetait encore de s'installer à New York avec les Ruthenford, elle avait hâte de voir la fillette découvrir ce qu'était la neige.
C'était donc avec un petit pincement au coeur qu'elle était restée un instant à l'extérieur, tentant de s'imaginer la réaction d'Alyssa à cet instant même.

Aujourd'hui, il ne neigeait pas mais il faisait quand même très froid. Kate s'était levée un peu plus tard que d'habitude, à huit heures, puisqu'elle ne travaillait pas ce matin. Elle n'avait pas de rendez-vous avant quinze heures alors elle comptait en profiter pour passer dans la galerie récemment ouverte d'un de ses amis. Cet ami était photographe mais il s'était lancé dans la peinture et il était tout aussi doué dans ce domaine. Il était aussi sculpteur et aquarelliste à ses heures perdues. C'était donc un homme polyvalent mais il avait la facheuse tendance d'être désordonné et mal organisé. Kate lui avait donc proposé de l'aider à organiser son bureau, à maîtriser différents logiciels sur ordinateur pour gérer sa comptabilité, son agenda etc.

Il était un peu plus de neuf heures et demi et la jeune femme arriva dans la galerie. Meredith dans une allée où elle ne pouvait ni voir ni être vue de son ex belle-soeur. Cette dernière fila droit vers le fond de la galerie et toqua à une porte derrière laquelle l'attendait son ami. L'architecte était prête à lui faire le briefing prévu mais l'artiste voulut absolument lui montrer sa galerie avant tout. Il la débarrassa donc de son manteau et commença une visite guidée. Au bout de cinq minutes seulement, Kate remarqua une femme d'un joli brun dont le profil lui était familier. Il s'agissait de Meredith. Là, elle avait le regard rivé sur un tableau et ne faisait pas attention à ce qui se passait autour d'elle.
Si avec Mark la jeune Evans avait décidé de rester aussi courtoise que sa patiente le lui permettait durant les semaines où il avait été son avocat, elle n'avait jamais pris la bonne résolution de prendre des gants avec sa peste de sœur et cela même quand elles vivaient sous le même toit. Deux fois par semaine, Kate renonçait à passer la soirée et la nuit chez Mark pour une seule raison: Passer un peu de temps seule lui permettait de se retenir de balancer le premier objet qui lui passait sous la main au visage de Meredith. Ce n'était pas l'envie qui manquait mais Kate s'était toujours abstenue.

L'architecte et son ami arrivèrent derrière la brunette qui ne semblait pas avoir remarqué leur présence. Kate eut un petit sourire en coin, brûlant d'envie de lui faire la mauvaise surprise de sa présence. Elle s'approcha donc à un mètre et déclara:

- Tiens, je pensais que les sorcières ne sortaient que la nuit!

Ce sur quoi elle se tourna vers le peintre qui, d'après ses yeux écarquillés, ne comprenait pas du tout pourquoi son amie s'en prenait à un des tous premiers visiteur de la journée. Puis elle enchaîna directement:

- Ah, je confonds avec les vampires.

Lors de leur première vraie rencontre, Kate avait su dès la première minute que Meredith était une peste sans nom, une manipulatrice hautaine et colérique. En fait, la première fois qu'elle s'était croisées, seule Kate savait qui elle avait en face d'elle. C'était lors qu'une conférence à la faculté de l'île et dans laquelle elle intervenait qu'elle avait été interpellée par le nom de famille de l'étudiante qui lui appris par la même occasion que Mark avait une soeur. Elle lui avait tout de même demandé s'il y avait bien un lien de parenté et avait prétendu ne connaître Mark que grâce à sa réputation d'avocat.
Mais la vraie confrontation avait eu lieu quelques semaines plus tard, à la terrasse d'un café. Evidémment, quand Kate avait du se présenter lors de la conférence, Meredith avait compris qu'elle était en fait l'ex petite amie de son frère. Pour compliquer les choses, le hasard avait voulu que Kate se retrouve dans le café en présence d'une touriste perdue qui s'avérait être la mère de Mark. Quand Meredith était arrivée, elle avait manipulé tout le monde en mettant l'architecte dans l'embarras. Ce jour là, Kate avait amèrement regretté d'avoir rencontré les parents de son ex. A présent, eux aussi devait avoir une piètre opinion de la jeune Evans.

Cette expérience et les pénibles semaines durant lesquelles elle avait du supporter sa belle-soeur lui avait appris que cette dernière pouvait faire preuve d'une profonde méchanceté. Elle trouvait même que cette haine intense était malsaine et inutile. Du moins inutile jusqu'à ce que Meredith arrive à ses fins en voyant la jeune femme partir du jour au lendemain. La voir au quotidien s'annonçait pénible et ne faisait qu'accentuer sa crainte de faire partie de la famille Ruthenford en assumant toutes les responsabilités que cela impliquait.
Cependant, malgré tout le potentiel de coups tordus et de manipulations dont Kate la savait capable, elle n'imaginait pas une seule seconde qu'elle ait pu dire à Alyssa qu'elle était responsable de la séparation de ses parents, ce qui était d'ailleurs totalement faux. Et le pire dans ce mensonge, c'était que dans son élan de cruauté, Meredith n'avait même pas pris conscience que la seule personne qu'elle blessait c'était sa nièce. Alyssa était la seule à souffrir d'une telle révélation. Alors qu'il aurait été tellement plus simple d'attendre, de faire preuve de patiente pour que les souvenirs de la petite fille s'estompent avec le temps pour ensuite s'effacer définitivement. Dans dix ans, elle aurait du mal à se souvenir du visage de sa marraine, peut-être même qu'elle l'aurait totalement oublié mais avec ce mensonge, c'était toute sa vie elle allait penser qu'une femme était la cause de la dislocation de sa famille et elle allait ressentir une colère qui ne la quitterait jamais.
Il valait mieux que Kate ne soit pas au courant de cette histoire. La situation était déjà assez difficile à vivre comme ça, Meredith n'avait nul besoin d'en rajouter en mettant de l'huile sur le feu.

Les répliques désagréables étaient devenues naturelles entre les deux femmes et Kate n'était pas étonnée que celle qu'elle détestait depuis leur rencontre garde un calme apparent. Et puis cet air suffisant, c'était un truc de famille. La soeur le maitrisait aussi bien que le frère.
A la première réponse de Meredith, son interlocutrice ne lui répondit que par un sourire hypocrite. Quand la deuxième arriva, elle ne se démonta pas. Oui elle était une chef d'entreprise occupée, voire débordée mais elle avait tout de même une vie en dehors de son travail. Pourtant elle était bien obligée d'admettre qu'elle avait eu une certaine addiction à son métier durant les quatre ans de la construction de l'aéroport, au point de passer des nuits sur le canapé de son bureau afin de pouvoir commencer à travailler avant l'aube et terminer parfois après minuit.

- En fait j'ai voulu faire un saut ici avant d'aller travailler, on m'a dit que c'était une belle expo mais je suis déçue, t'as vu toutes ces croûtes?!

D'un air de dégoût, la jeune femme posa son regard sur les tableaux accrochés au mur vers lequel Meredith était tournée avant d'être interrompue. C'est ce moment que l'artiste choisit pour faire une timide suggestion à son amie:

- Euh Kate... Je ne crois que t'en prendre aux visiteurs et à mes toiles soit une méthode appropriée pour me faire de la bonne publicité.

Bien sûr, il savait que l'architecte appréciait sincèrement ses oeuvres. Tout ce qu'il voulait, c'était s'interposer poliment entre les deux femmes. Connaissant la jeune Evans depuis qu'ils étaient adolescents, il savait qu'elle pouvait avoir un sale caractère et n'avait pas envie que sa galerie devienne un terrain de joutes verbales.