Je marchais dans les rues de New York après une énième porte claquée. Dure vie celle de journaliste. Il faut dire que je venais voir des gens pour leur reparler d’un évènement tragique : les attentats du 12 septembre 2011. Je me faisais l’effet d’un beau salop quand j’y repensais. Après tout, j’étais le premier à ne pas vouloir parler ni même repenser à mon séjour en Irak alors de quel droit je m’immisçais dans la vie des gens, de famille détruite ?! Tout simplement pour mon travail, tout simplement au nom de l’information. Cet article, c’était un peu l’article de la dernière chance pour moi. Je devais l’écrire, je devais sortir quelque chose sinon, je pouvais toujours penser à ma reconversion. Non, au fond de moi commençait à résonner les tambours de la guerre et je commençais à ressentir le manque du terrain. J’y arriverais, je me laissais pas le choix. C’est dans cet état d’esprit qu’une silhouette accrocha mon regard. Je la reconnaitrais entre milles. La chanteuse, celle qui semblait si fragile. Je me souviens lors de l’interview de l’avoir quelque peu malmené avant de faire amende honorable. La curiosité emporta tout et je la suivis jusqu’à la voir se recueillir sur une tombe. La pluie commença à tomber et je vis l’occasion rêvée pour l’approcher. Ouvrant mon parapluie, je le positionnais au-dessus de sa tête. « Bonsoir Miss Pearson. Pardonnez mon intrusion. »

La pluie s’abattait sur nous, nous offrant une intimité somme toute relative. Je me sentais légèrement mal à l’aise dans les cimetières. Cela me rappelait trop mon père. Ce pasteur qui prêchait l’amour avant de tabasser son fils le soir venu. Avais-je la même violence moi ? Pouvais-je un jour faire du mal à la chaire de ma chaire ? Je l’ignorais mais dans mon âme et conscience, je refusais de m’attribuer cette tare. « Est-ce votre mère ? » demandais-je en observant la tombe qui nous faisait face. Je ne sais pas pourquoi j’avais besoin d’en apprendre plus sur elle. Peut-être est-ce cette fragilité derrière cette couche de strass et de paillettes. Quoiqu’il en soit, cette femme avait éveillé un sentiment que je ne croyais pas possible de ressentir : le besoin de protéger. J’avais toujours eu tendance à plus ou moins défendre ceux que j’aimais. Ne l’avais-je pas fait pour Catherine ! Mais cette fois-ci, c’était différent. J’aspirais réellement à l’arracher de ses propres démons. A moins que cela vienne des constatations que j’avais fait sur elle lors de l’interview. « Je..Hum » hésitais-je, ce qui n’était pas mon genre. « Je tenais à m’excuser pour mon comportement lors de l’interview. Je n’avais pas à vous malmener de la sorte. Je ne suis pas rôdé à ce genre d’exercice pour tout vous avouer » . Piètres excuses. Je m’attendais presque qu’elle me demande de m’en aller.

« Toutes mes condoléances » lâchais-je maladroitement. Que dire d’autre après tout. Elle semblait souffrir de la perte de sa mère mais je ne pouvais pas la comprendre. J’étais orphelin depuis mes dix-huit ans et ma famille vivait toujours. Nous nous étions reniés mutuellement et au fil du temps, j’avais associé l’idée même de famille à la souffrance. Qu’est-ce que je fichais dans ce cimetière bordel, c’était là toute la question. A cause d’elle non plutôt pour elle. Je ressentais ce besoin de la protéger, de veiller sur elle. Etrange ce sentiment mais pas si désagréable en soi. Ces derniers temps, je me faisais materner de toute part alors reprendre le contrôle de la situation n’était pas désagréable oui. Vu comme cela, je me faisais l’effet du parfait macho qui a besoin d’user de ses forces pour protéger la princesse en détresse. Je ferais avec ! Il y avait pire comme impression après tout. Toutefois, je tins à m’excuser ; excuses qu’elle accepta. « Oui, tu as raison. Tu vas attraper froid si tu restes sous la pluie. » Lui dis-je puis je me tins silencieux. Je ne voulais pas que ma présence la dérange durant son moment de recueillement mais déjà ma curiosité me démangeait.

« Avec plaisir, je connais un petit café sympathique dans le coin » lui souriais-je aimablement. En temps normal, j’étais plutôt avare de sourire voire tirais la tronche la plus part du temps que les gens avaient fini par abandonner tout espoir de voir autre chose qu’un regard peu amène chez moi. Tout en faisant en sorte de maintenir le parapluie au-dessus de tête afin qu’elle ne soit pas détrempée comme je l’étais présentement, nous marchions dans un silence confortable. Décidément cette femme était pleine de surprises. Lorsque mon rédacteur en chef m’avait dit que je devais interviewer une chanteuse, j’avais rugi comme un lion dans son bureau. Certes, je ne pouvais pas écrire grand-chose en ce moment mais de là à être relégué à ce genre d’exercices journalistiques, il y avait des limites à ne pas franchir. Toutefois, plus je passais du temps en sa présence et puis je souhaitais apprendre à la connaître, à savoir d’où elle venait, ce qu’elle aimait dans la vie etc.. Peut-être parce qu’elle semblait aussi paumée que je ne l’étais. Nous arrivâmes au café et quelques minutes plus tard, nos commandes étaient devant nous sur notre table. « Je ne m’étais pas très bien présenté la dernière fois. Je m’appelle Gabriel et ce soir, oublie que je suis un journaliste. Je te promets que cela ne finira pas dans la presse à scandale sans que le journaleux qui pondra un article ne manque de dent peu après. » la rassurais-je tout en trempant mes lèvres dans le café ;

A mesure que je l’observais, je me sentais bêtement content de la voir sourire. Elle semblait s’illuminer et cela lui allait bien. Bien sûr, c’était encore timide mais elle avait l’air déjà un peu moins triste. Avec le recul, je ne pouvais plus le nier, je me sentais l’âme d’un grand frère auprès d’elle, l’âme d’un protecteur. Peut-être que mon retour à new york n’était pas une si mauvaise chose. J’avais passé les huit dernières années de ma vie à me fuir, à fuir mon passé et mes fantômes. Durant six mois, j’avais vécu simplement avec moi-même où je passais mes journées et mes nuits à réfléchir. Depuis combien de temps n’avais-je pas pris la peine de vivre parmi mes semblables au lieu de rester en retrait ? Trop longtemps aux vues de mes réactions. J’avais beau fuir la foule, j’étais le premier à rentrer dans la masse. Tout avait commencé avec Sephora puis au fil des rencontres, j’avais élargi mon carnet de contact et pour une fois, il ne contenait plus autant de professionnel. La case personnelle avait été cochée à plusieurs reprises. Si Garett me voyait à cet instant précis, il serait fier de son « petit ». Je ne pus qu’afficher un rictus méprisant quand elle parla de la presse à scandale. Je la destestait ! Où était réellement le journalisme là-dedans ? Ayhalina, une amie d’enfance, en avait terriblement souffert et je gardais un chien de ma chienne envers eux. « Imagine le titre racoleur : la chanteuse et le reporter de guerre, la folle histoire d’un amour naissant. Après, dans quelques temps, tu m’auras largué pour un mec plus jeune. Un acteur pourquoi pas ! Ils ne savent vraiment pas quoi inventer. C’est dans ce genre de moment que je regrette le plus le terrain. Je dois t’avouer que je suis plus habitué à courir les guerres qu’à interviewer une chanteuse » rigolais-je sur la fin de mon petit discours.

La question fatidique ! Pourquoi un reporter dans mon genre s’essaierait-il à l’interview people. Interview alimentaire ? A savoir une interview qui paie mon loyer et ma nourriture du mois ? Non pas tellement puisque je touchais des droits sur des articles que j’avais écrit et qui me permettait d’avoir une rente confortable sans pour autant rouler sur l’or. Après tout, j’avais beaucoup d’économie en banque donc pourquoi avais-je accepté ce boulot ? La réponse me vint toute seule : « Je voulais savoir si j’étais toujours apte au boulot de journalisme. Cela fait huit mois que je n’avais rien écrit. Alors quand mon rédacteur en chef m’a imposé de t’interviewer, j’ai dit pourquoi pas. Par contre, je dois être honnête, je ne te connaissais ni toi, ni ta musique. Je ne suis pas très au fait de ce qui se fait actuellement » avouais-je sans aucune honte. Reconnaître ses erreurs était une qualité d’après moi. Je pouvais facilement dire oui, je me suis trompé mais m’excuser était un signe de faiblesse. Or, cela m’arrivait de plus en plus souvent dernièrement. Ce n’est pas ça qui allait me tuer donc je n’en fis pas du tout cas. « J’espère que l’article que j’ai écrit t’a plu néanmoins. C’est rare que je parle à mon sujet d’interview pourtant, c’est… j’ai vu des choses en toi qui m’ont touché. Des choses que des femmes n’ont pas à vivre » lâchais-je de but en blanc en plongeant mon regard dans le sien. J’étais calme et posé tout en me tenant prêt à l’arrêter si elle tentait de s’échapper. Je ne voulais pas me montrer trop intime mais cette injustice me révoltait !

« Avec plaisir ! J’ai toujours adoré la musique » lui répondis-je à sa proposition de démonstration personnelle. Je me demandais distraitement si je ne me ferais pas tuer par ses fans. Je connaissais la réputation des réseaux sociaux même si je ne m’y mêlais pas. Je trouvais que ce monde virtuel était vulgaire, sans âme et d’une violence inouïe. J’avais vu bien des guerres et pourtant, je trouvais le concept si violent psychologiquement parlant. Les gens déversaient leur haine sans égard à leur victime sous couvert de l’anonymat. La lâcheté humaine n’avait aucune limite tout comme sa connerie. J’avais un compte il me semble avec le boulot histoire de rester « à la page » comme dirait mon patron mais je n’y allais même. Je crois bien même avoir perdu les codes d’accès de ce machin tant cela ne m’intéressait pas. Quoi qu’il en soit, je ne pus m’empêcher de lui faire part après avoir fini mon café, des conclusions que j’avais faites. Bien sûr, elle nia en bloc mais son regard avait vacillé. Je compris à cet instant qu’elle ne se confierait pas à moi sauf si je faisais de même peut-être. « Je suis un reporter de guerre, des femmes ayant souffert de cette ignominie, j’en ai beaucoup côtoyé, trop malheureusement. Ton regard te trahit Savannah ainsi que ta gestuelle mais je ne te juge pas loin de là, je te respecte car tu es une femme courageuse. » Commençais-je avant de me relâcher sur le dossier de ma chaise. « Tu sais, si je n’écris plus, c’est pour une raison très simple. Je ne suis plus capable. Il y a quatorze mois, j’ai été enlevé par des terroristes et durant six mois, je me suis retrouvé enfermé dans une petite cellule sans voir la lumière du jour. Aujourd’hui, je ne peux plus supporter les espaces clos ni même le noir » continuais-je tout en tapotant des doigts sur la table. « Alors oui, je sais reconnaître un rescapé de l’enfer quand j’en vois un. »

Plus j’écoutais Savannah me parler de son père et plus j’avais envie de le retrouver et de lui casser la gueule. Je me contenais que difficilement car je ne pouvais pas croire qu’un père puisse faire cela à sa fille. Merde, c’était inhumain de faire cela à une gosse qui plus est à propre fille. L’être humain était-il si abjecte ? Je n’ose imaginer ce que j’aurais fait à mon père s’il avait ne serait-ce levé le petit doigt sur Catherine. Je crois bien que je l’aurais tué sur le champ. Je me fichais que mon père ait pu me battre jusqu’à avoir failli me tuer mais je ne supportais pas qu’on fasse du mal à un enfant ni à une femme. « Qu’est devenu ton père ? » demandais-je froidement. J’espérais qu’il pourrissait au fond d’une tombe mais je n’allais pas lui dire cela de but en blanc. Elle me prendrait pour un fou dans tous les cas, j’étais bien motivé à lui apporter mon aide dusse demander à Sephora des conseils juridiques pour faire en sorte qu’il n’approche plus sa fille. Quoiqu’il en soit, je rapprochais ma chaise de la sienne et prit son visage en coupe entre mes mains. Je n’avais jamais résisté face à une femme en larme. Et a cet instant précis, Savannah était l’image même de la vulnérabilité alors doucement, j’essuyais de mes pouces ses joues rendues humides par ses larmes. C’est con, mais je ne voulais pas qu’elle me craigne et qu’elle ignore que dès à présent, elle avait quelqu’un pour veiller sur elle. « Il ne te fera plus jamais de mal Savannah, plus jamais ! » marmonnais-je maladroitement. Je n’étais pas le genre d’homme à faire de longs discours ni à étaler mes sentiments mais je commençais à m’attacher à ce petit bout de femme comme si elle avait été ma propre petite sœur.

Savannah n’avait pas tort, je ne pouvais pas lui promettre une protection mais je pouvais toujours lui trouver un professionnel. « Personnellement, non, je ne peux pas faire cette promesse mais je connais un ami qui a ouvert une agence de protection rapprochée avec à sa tête un certain Javier Del Toro. Un professionnel ! Je n’ai entendu que du bien à son sujet donc peut-être devrais-tu l’engager non ? » Lui dis-je tout en farfouillant dans mon portefeuille jusqu’à dénicher une petite carte de visite. Peut-être qu’elle embauchera cet homme ou peut-être que non mais cela valait le coup d’essayer non ? « Quoiqu’il en soit, tiens, voici mon numéro de téléphone personnel ainsi que mon adresse mail. Tu peux me joindre quand tu veux même la nuit.. Je hum ne dors pas beaucoup » glissais-je en inscrivant mes coordonnées personnelles au dos de ma propre carte de visite. Je n’étais pas du genre à le faire en temps normal mais j’avais été touché par Savannah et il était hors de question que je reprenne mon chemin à présent que je connaissais toute la vérité. « Tu es une femme courageuse Savannah, ne l’oublie jamais. » soufflais-je tout en déposant un baiser sur son front avant de remettre une mèche de cheveux derrière son oreille.

Je levais les mains en l’air en signe de reddition. Après tout, qui étais-je dans sa vie pour interférer ainsi ? Si elle avait du monde pour la protéger ou même si ce n’était pas le cas, cela ne me regardait pas. Du moins j’essayais de m’en convaincre mais ce n’était pas gagné. Une fois qu’on allumait le mèche de mon côté protecteur, c’était mort pour l’éteindre. Toutefois, je n’insistais pas, me contentant de lui donner ma carte de visite avec mes coordonnées personnelles au dos. Je savais qu’elle n’en abuserait pas donc je lui faisais confiance. Je me trouvais proche d’elle, un sourire aux lèvres que l’on pouvait qualifier de doux, mon bras sur le dossier de sa chaise. A première vue, on devait passer pour un couple venu se réfugier le temps de la pluie dans un petit café quand soudain de flash crépitèrent autour de nous. Et merde, les charognards alias les paparazzis. Attrapant la main de Savannah, je la forçais rapidement à quitter le petit café par la porte de derrière. Inutile de s’enfoncer dans la marée humaine qu’ils formaient. Notre blague de toute à l’heure prenait vie : d’ici demain, je voyais déjà les gros titres : La chanteuse et le reporter, le nouveau couple in du moment ! Tout en courant sous l’averse qui ne s’était pas arrêté, j’hélais un taxi et nous grimpèrent dedans à la première vitesse. « Destination mademoiselle ? » lui demandais-je ne sachant pas si elle désirait mettre fin à notre entrevue et je me voyais mal lui sortir : chez toi ou chez moi sans paraître la draguer ou quelque chose du genre. Décidément, les convenances sociales, ce n’était pas mon truc.

Je ne savais pas encore comment cette histoire allait se terminer, tout ce que je savais, c’est que je me retrouvais malgré moi le sujet d’un futur article. Petit ami d’une chanteuse que je ne connaissais ni d’eve ni d’adam du moins ce n’était plus exactement le cas. Savannah avait souffert comme moi par le passé. En clair, je pouvais sans me tromper nous classer dans les écorchés vifs de la vie. Malheureusement, nous ne pouvions ni l’un ni l’autre changer le passé mais seulement aller de l’avant. « Allons chez moi dans ce cas ! » lui répondis-je tout en me penchant vers le chauffeur de taxi pour lui donner mon adresse. Une pensée saugrenue me prit sur l’instant : heureusement que je n’étais pas du genre bordelique. Mouais, en gros, je pouvais remercier ma femme de ménage qui passait tous les deux jours pour mettre un semblant d’ordre et de propreté dans mon appartement car comme bien souvent, lorsque mes insomnies me prenaient, je tentais vainement d’écrire un article. Autant dire que le lendemain, le sol était jonché de boule de papier froissés. Nous arrivâmes bien assez vite à mon appartement et sans lâcher sa main, je la conduisis à mon appartement. La décoration était assez minimaliste car en huit mois, je n’avais pas songé une seule seconde à faire de cet endroit un foyer digne de ce nom. Pour moi, il n’était qu’un lieu pour dormir et encore, quand j’y arrivais. « Je crois qu’une bonne douche chaude te ferait du bien. Tu vas attraper la mort si tu restes avec tes vêtements mouillés par la pluie. La salle de bain est au fond du couloir à droite, il y a des serviettes propres sous le lavabo.. Je vais te préparer un short et un t-shirt.. ça sera trop grand pour toi mais je n’ai pas de tenue féminine à te prêter » lui expliquais-je puis, une fois seul dans le salon, je me dirigeais vers ma chambre pour me changer. Cinq minutes plus tard, je toquais à la porte de la salle de bain et déposais sans regarder les vêtements avant de retourner au salon pour l’attendre.

Hj : désolée pour cet énorme retard mais j’ai vraiment eu du mal à reprendre pied.