« Alejandro ? J'ai besoin de me défouler ce soir. On se retrouve dans le Bronx ? » J'attends que mon ancien colocataire acquiesce, à l'autre bout du téléphone et raccroche. Deux nuits. Voilà deux putains de nuit que Neige n'a pas remis les pieds à l'appartement. Regardant mon reflet dans le miroir, je sens ma gorge se serrer. Elle m'a quitté, voilà la seule raison que je trouve à son absence. Fou amoureux et seul. Je déglutis difficilement. J'ai l'impression de revivre l'histoire que j'ai vécu pendant les vingt premières années de ma vie. Être mis de côté par sa mère n'est pas chose facile mais se faire lâcher par sa petite amie est insoutenable. Je suis comme un lion en cage, je deviens fou, fou à lier. Il faut que je sorte et rapidement. Cette semaine, pas de show à Broadway et j'avais donc l'intention de les passer avec ma chère et tendre à planifier notre mariage mais au lieu de cela, je me vois quitter l'appartement de l'upper east side pour les coins sombres du Bronx. Alejandro m'a initié à ses petites pratiques nocturnes il y a bien longtemps. Les combats de rue n'ont jamais été mon dada mais aujourd'hui, j'ai besoin de coller mon poing dans le visage de quelqu'un, j'ai besoin de voir du sang couler pour éponger ma colère, pour que mon envie de meurtre disparaisse quelque peu. Je savais très bien que mon ami serait là pour me contrôler en cas de débordement. Nous nous étions toujours mis d'accord là dessus ; quand un de nous deux va trop loin, on l'arrête avant qu'il commette l'irréparable. Je râlais sans arrêt sur Neige qui mettait sa liberté en jeu et j'étais le premier à faire le con lors de ces combats. Pour tout dire, j'étais un novice là haut. Je n'y avais pointé le bout de mon nez qu'une fois ou deux tout au plus. Ça ne me plaisait pas mais aujourd'hui, j'en avais besoin. Arrivé au point de rendez vous, je passe quelques heures à discuter avec Alejandro et à boire quelques bières. Le barman me connaît et me fait confiance. Après tout, je suis Amaury le petit danseur qui est sage comme une image. Foutaise. Je n'ai plus qu'une envie, détruire tout sur mon passage. Je ne supporte pas son absence, je ne peux plus continuer ainsi et j'attire donc le jeune Fuentes dehors. Je le supplie de me mener dans le lieu qu'il connaît si ben. À en voir les ecchymoses sur le visage du jeune homme, il s'est rendu à un match hier et a pris une sacré droite. « T'es sur de toi ? » Je le regarde et acquiesce. Alejandro est le mieux placé pour savoir que je suis prêt et sur de moi. Me poser la question ne sert à rien mais cela lui permet seulement d'avoir bonne conscience. Après quelques minutes de combat et un adversaire à terre, je quitte l'entrepôt où m'avait conduit Alejandro quelques heures plus tôt. Il est surpris et je le vois par ses traits. Je n'ai pris aucun coup dans le visage, absolument aucun et c'est une grande première pour un jeune homme aussi peu expérimenté. Je me suis déchaîné sur ce jeune homme. J'en suis devenu fou. J'avais pensé que cela me ferait décompresser, que j'allais me sentir mieux mais ce n'est pas le cas. « Je vais rentrer, reste. Prends mon fric si tu veux, je m'en fous » Je lui fais un signe et pars en question de l'upper east side. Mon cœur me fait mal. J'ai la putain d'impression que deux petites mains invisibles compressent mon cœur et ne le lâchent pas. Ces mains ne le lâcheront pas jusqu'à ce que je crève d'une mort longue et difficile. La marche semble durer des heures. Je tombe sur bon nombre de prostituées à qui je refuse toute 'aide'. Je n'ai besoin que d'une personne et elle n'est pas là. Il est dans les alentours de cinq heures du matin lorsque je passe les portes de l'appartement. Il est dans le même état. Rien n'a bougé, elle n'est pas rentrée. J'attrape mon portable et le lance contre le premier mur qui se trouve devant moi. Des larmes de rage coulent le long de mes joues alors que je me dirige machinalement vers notre chambre. Les draps sont froids et je déteste ça.

J'entends la porte claquer et sursaute légèrement. J'ouvre les yeux et les glisse sur le réveil à ma droite. Dix heures trente. Je souffle et me lève légèrement. Vêtu d'un caleçon blanc, je me dirige vers la salle de bain histoire de me débarbouiller. J'ai du faire un mauvais rêve puisqu'il n'y a personne. Main sur la poignée de porte, j'entends la voix de Neige. « Lucas, calme-toi un peu, je t’en prie… » J'ouvre les yeux grand comme le monde et pousse la porte. Le constat me fait faire un pas en arrière. Son corps est meurtri. Plein d'ecchymoses et quelques égratignures couvrent son visage. « Putain mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? » Je me dirige vers elle, attrape un gobelet et le remplis d'eau. Je lui tends alors que je me pose à côté d'elle, posant mes mains chaudes sur son ventre légèrement arrondi. Mais qu'est-ce qu'elle a encore foutu ? « Je suis là Neige. Papa est là Lucas » Comme si ces mots allaient changer quelque chose. Je ferme les yeux quelques secondes puis tourne vivement la tête. Mes yeux parcourent son corps avant de comprendre. « Ne me dis pas que t'as été faire le coup du siècle » lançais-je sur une voix criarde, fausse et insupportable. « Mais qu'est-ce qu'il t'ait passé par la tête Neige ? » A en voir son corps, pas grand chose n'était passé par sa petite tête. Elle qui m'avait dit avoir raccroché pour la période de sa grossesse, il semblait qu'elle m'avait menti en me regardant dans le blanc des yeux. Je déglutis difficilement, n'arrivant plus à la regarder. J'avais le regard posé sur son ventre. J'espérais qu'elle n'avait rien mais je n'arrivais pas à lui demander... J'avais tellement peur de la réponse.

Trouvant Neige dans cet état était ce que je redoutais depuis des mois maintenant. Depuis que nous avions officilliasé notre couple et notre amour, j'avais toujours cette putain de boule au ventre dès qu'elle sortait en 'mission'. Elle me rassurait toujours et j'avais donc tenté de baisser ma garde pour la laisser vivre sa vie, dans un sens. Je ne pouvais pas lui dire de tout quitter pour moi, c'était égoïste et elle savait que je ne pourrais jamais lui demander quelque chose comme cela. Cependant, quand je la voyais dans cet état, j'avais tellement envie de lui crier dessus, de lui dire de quitter ses conneries avant qu'il soit trop tard pour elle ou pour Lucas. De nature anxieux, je m'inquiétais deux fois plus maintenant. Pour Lucas et pour elle. Tout ce qu'elle faisait le concernait plus lui que moi et c'était douloureux de la voir se mettre en danger, accompagnant le bambin qui n'avait rien demandé. « Lucas va bien, j’ai fais des dizaines de tests » Je souffla légèrement, comme pour montrer mon soulagement. Il n'avait rien, pour cette fois. Mais que pouvait-il lui arriver les fois prochaines ? Un frisson parcourut mon échine alors que je continuais de fixer le ventre rond de ma future femme. « Et toi ? » Simple question. Physiquement, elle était plutôt mal, moralement, j'avais du mal à savoir. À ce moment même, la colère m'envahissait. Je ne supportais pas qu'elle ait pu mettre sa vie en jeu pour son travail. Il y a dix jours, elle m'assurait qu'elle avait raccroché pour les mois qui arrivaient et là, elle était dans un état pitoyable après avoir disparu trois jours de la surface de la planète. J'avais besoin de réponses mais pourtant je n'arrivais pas à lui demander tout ce que je voulais savoir. J'avais cette fichue impression d'avoir été trahie. Elle me demandait de ne plus rien faire dans son dos et elle s'était bien cachée de me prévenir de ce coup. On ne dit pas non à la mafia. Ce mot me fit frissonner à nouveau. Comment avait-elle réussi à se foutre dans des histoires avec la mafia ? C'était plus fort que moi. J'avais toujours évité les ennuis et il semblerait que ma moitié les cherche comme elle cherche à retrouver le contrôle de sa vie. L'écoutant, je leva le visage vers elle et fronça les sourcils. Était-elle entrain de me dire que c'était de ma faute que tout avait capoté ? Était-ce parce que je lui avais demandé de faire attention à elle qu'elle avait oublié quelques détails insignifiants ? Il fallait qu'elle se mette dans la tête qu'elle n'avait plus la même santé et le même physique qu'il y a quelques mois encore. Elle avait un bébé à nourrir, un bébé à sauver et surtout pas l'exposer à des courses sans fin, des journées enfermées dans le noir à ne pas boire ni manger. Nous étions tellement différents et pourtant si complémentaires. « Mafia ou pas Neige tu aurais pu perdre ta vie là haut ! » C'était peut être ça le plus douloureux dans l'histoire. Faire un bébé n'était pas si difficile – même si je devais admettre que je m'étais déjà attaché à Lucas – mais tout de même... J'avais essayé de me cantonner à ses indications. J'avais abandonné mon job pour passer du temps avec elle, je ne prenais plus de décisions dignes de ce nom sans la concerter et elle avait juste déguerpi, prétextant aller au travail. Trois jours plus, la voilà de retour, le corps meurtri. « J’ai été enfermée trois jours et les dernières heures, je les ai passées à l’hôpital. Si tu as quelque chose à dire, dis-le car sinon je vais aller m’effondrer dans notre lit car je suis épuisée et Lucas est très agité. » Alors que j'écoutais ce que la jolie allemande avait à me dire, je sentis mon corps prit d'un long spasme. Je tenta de me contrôler avant de me lever et de tendre la main à la jeune femme. « Viens avec moi Neige. On ne va pas rester là alors que tu es à deux doigts de faire un malaise » J'avais un ton presque autoritaire qui la fit se lever. Elle me laissa l'aider – ce qui montrait qu'elle était dans un sale état – et une fois allongé l'un près de l'autre, je soupira. Plaçant mes bras sur ma tête, je regarda le plafond et déglutis. Mais qu'est-ce qui lui était passé par la tête, sérieusement ? Cette question ne cessait de passer et de repasser dans ma tête mais Neige n'avait pas daigné y répondre précédemment. « Je ne te poserais pas de questions trop précises sur ce qui s'est passé parce que je doute que tu veuilles en parler mais putain Neige... Tu n'imagines même pas le sang d'encre que je me suis fait. Je t'ai même imaginer morte » Peut être qu'elle aussi, elle s'était imaginée morte. Je déglutis et me tourna légèrement, la regardant. « Les médecins ne t'ont rien prescrits pour les douleurs à cause du petit ? » Et une tisane n'allait pas la calmer, juste la faire pisser trois fois plus...

Face à Neige, j'étais paniqué. C'était même pire que ça. Je sentais mon corps trembler même si je le cachais pour ne pas la faire penser à autre chose qu'à se calmer. Elle venait de se mettre en danger pour rien, du moins selon moi. Je savais bien que cette adrénaline était sa came, ce qui la faisait vivre et être elle mais là, c'était trop. Elle était dans un piteuse état, son souffle ne se calmait pas et son visage passait par diverses grimaces. Il fallait que je prenne tout cela en main, que je gueule un bon coup pour qu'elle comprenne que tout cela était insensé dans sa situation ! Je ne lui demandais que quelques mois de calme, histoire de se faire oublier puis repartir comme en l'an quarante. Si elle voulait passer sa vie à voler et à défier tout le monde, qu'elle le fasse. Nous nous étions mis d'accord sur le fait de continuer nos vies, nos passions, nos métiers même si ce n'était pas folichon tous les jours. J'avais fais un malaise sous ses yeux à cause d'un surmenage et elle avait pris soin de moi. Maintenant, c'était à moi de prendre soin d'elle. Je devais la diriger vers le lit où elle pourrait s'allonger et respirer, se détendre. « Je ne pensais vraiment pas m’en sortir » Je déglutis difficilement face à ce constat. Je ne chercha pas son regard pour la rassurer, lui dire qu'elle était là, parce que pour le moment, j'avais juste envie de lui hurler dessus. Mais quelle idée s'était elle encore foutue dans le crâne pour se croire au dessus de tout et de tout le monde ? Elle n'était plus aussi rapide ou souple qu'avant et c'était normal, avec le petit monstre qu'elle avait dans le ventre. Elle avait jouer avec le feu et s'était brûlée. Je n'avais plus qu'à espérer qu'elle prenne cela pour une leçon et se calme pour les mois à venir... Je lui en demandais sûrement beaucoup mais je ne lui demandais pas de tout arrêter, juste de faire une pause. Je tenta de prendre mon rôle à cœur et de l'installer dans le lit où je me plaça, non loin d'elle. J'avais pensé à tout sauf à ce schéma, je devais bien l'avouer. J'avais imaginé des tas de choses mais pas la retrouver dans cet état, avec un fœtus qui devait se débattre de l'intérieur. C'était peut être pour lui que je m'inquiétais plus. J'étais intimement convaincu que Neige en avait déjà vu des vertes et des pas mûres... Elle était forte, je le savais et j'avais confiance en elle. Elle était mal mais elle allait réussir à se calmer. Seulement, de mon côté, je ne pouvais pas faire comme si tout était beau et rose. Je n'y arrivais pas, c'était plus fort que moi. Entendant la jeune femme, je leva les yeux au ciel et fixa le plafond. Je n'avais guère envie de la regarder, de croiser son regard ou autre. Elle m'en demandait trop ! Comment pouvais-je faire comme si de rien n'était ? C'était comme demander à un aveugle de donner la couleur du fil ! « Mais le pire dans tout ça c’est qu’à un moment donné… j’ai vraiment prié pour que ça s’arrête. » Je déglutis difficilement à ce constat. Je ne pouvais pas continuer ainsi, j'allais finir par devenir fou. J'avais déjà péter un plomb hier soir mais là, c'était encore pire... « C'est moi qui vais finir par changer de pièce oui. Heureusement qu'il y a Lucas alors » Lançais-je, sèchement et jaloux comme pas deux. En gros, se battre pour moi, non merci. Je soupira légèrement en poussant la couette à mes pieds. Je me mis assis sur le lit et l'entendis grogner. Je souffla légèrement, serrant les poings pour évacuer toute la colère que je ressentais. Il fallait que je me calme autant que possible et le plus rapidement possible. Entendant un deuxième bruit, je me tourna et la vis porter ses mains au bas de son ventre. « Pas encore une fois non.. » lançais-je en me dirigeant de l'autre côté du lit. Tirant le drap, je vis une légère tâche de sang et attrapa la main de la jeune allemande. « Neige ! Appuies toi sur moi, il faut t'emmener à l'hôpital » Tout mon corps me faisait mal mais je devais me dépasser pour elle, pour eux...

RP TERMINE