Pour une surprise, sûrement en était-ce une, mais Gabriella restait connue avant tout pour son tempérament imprévisible. Ce n’était pas pour rien qu’en règle générale, les paparazzis ne parvenaient jamais à suivre son parcours de près, du moins jusqu’à ce que Kristian ne l’abandonne purement et simplement le jour de leurs noces. Cette histoire avait fait les choux gras de la presse et, deux mois après le « drame », la princesse d’Espagne était encore décriée sur les journaux people du monde entier. Une pression qu’elle supportait de moins en moins à vrai dire, et ce bien qu’elle ait littéralement fuit son pays natal pour venir se planquer dans un ranch appartenant à sa famille, bâtit en dehors de New York, conservant comme seule compagnie celle de son ancien valet de chambre et de nombreux étalons de toutes espèces. Sauf qu’en cette magnifique matinée ensoleillée, après avoir lu un énième article sur son mariage avorté, c’est prise de panique que Gabriella s’était tournée vers la seule personne au monde capable de calmer ses nerfs à vif : Aaron. Ce n’était pas tant parce qu’il était médecin qu’elle aimait venir lui parler de tout et de rien mais surtout parce qu’elle le connaissait depuis des lustres et se sentait particulièrement en confiance. Alors, forcément, face à la crise de panique qu’elle se tapait actuellement, elle tambourinait à la porte du jeune homme plus qu’elle ne frappait avec délicatesse. Un geste peu digne du protocole dans lequel elle baignait depuis sa plus tendre enfance mais qu’importe, il n’y avait aucun témoin et Gabriella n’était décidément pas d’humeur à faire de tels efforts dans un moment pareil… « Je sais, c’est sûrement un mauvais moment et en prime je n’ai aucune patience alors j’ai eu envie de péter ta porte mais… je crois que si je ne vide pas mon sac je vais étriper le premier photographe qui va me tomber sous la main et pour une princesse, je crois que ce serait plutôt mal vu ! » Afin qu’il comprenne mieux ce qui avait déclenché sa colère et son sentiment total de perdition, elle lui tendit le maudit article contenant pour gros titre : « GABRIELLA DES ASTURIES FINIRA-T-ELLE VIEILLE FILLE ? » avec une énorme photo d’elle, prise récemment, à son insu bien évidemment. « J’ai besoin de ta sagesse… »

« Tu crois que ta porte va s’en remettre ? Non parce que je peux m’excuser platement s’il le faut… » plaisanta à son tour Gabriella même si sur le coup, elle avait eu énormément d’idées lui passant par la tête sauf celle d’ironiser. Deux mois après son mariage avorté, elle aurait cru que la presse finirait par lui fiche la paix, mais il faut croire que les journalistes étaient réellement prêts à vendre père et mère pour un scoop des plus croustillants, quitte à détruire des vies au passage, prouvant ainsi par a+b que ce mythe n’était pas qu’une légende. Cette vérité fit subitement soupirer la jolie espagnole, bien qu’elle doive admettre trouver un réconfort certain entre les bras d’Aaron, toujours aussi rassurants. Si elle avait eu un grand frère, un modèle, Gabriella n’aurait pas voulu que ce soit quelqu’un d’autre. Bien sûr, le médecin ne se voyait sûrement pas accablé par le protocole comme pouvait l’être la demoiselle, mais ils n’en n’étaient pas moins proches et elle savait que s’il y avait bien une personne sur terre pouvant la comprendre, c’était bien le jeune homme, aucun doute possible. La preuve, il lui offrait non seulement asile en cette journée en demi teinte mais également de quoi se sustenter l’estomac, chose n’étant aucunement négligeable, surtout pour une espagnole gourmette telle que Gabriella. « Si tu me proposes une tortilla je ne suis pas contre, surtout si tu m’autorises à la faire avec toi ! Comme ça, nous aurons tout le temps de nous pencher sur le fait que Kristian, tu sais le prince de Suède, celui-là même à qui j’étais fiancée pas plus tôt qu’il y a deux mois, est venu frapper à ma porte l’autre jour… bon je t’avoue que plus que me mettre en colère, ça m’a atrocement chamboulée… »

Si Gabriella ne s’était aucunement attendue à une chose, c’était bien à recevoir une confidence d’une telle ampleur de la part d’Aaron. Oh bien sûr ils étaient proches et connaissaient beaucoup de détails de leurs vies respectives mais il faut croire que la jolie espagnole ne connaissait pas tout de ce grand frère de cœur se trouvant en face d’elle, pas alors qu’il lui avouait être malade, et que sa pathologie soit située dans ses os. Aussitôt, par pur réflexe, la princesse avança l’une de ses mains pour caresser doucement la joue du médecin, manifestement touchée par son aveu, mais aussi par la confiance qu’il plaçait en elle car ce n’était pas anodin ce qu’il venait de lui dire. « Tu sais je crois que l’on est aussi bien placés l’un que l’autre pour savoir qu’avoir des parents célèbres, ça ne rend pas plus heureux ou en meilleure santé. Regarde-moi, je suis princesse d’Espagne, deuxième sur la lignée pour hériter du trône juste après mon père, et pourtant ça ne m’a pas empêchée de me faire abandonner comme du vieux linge sale par mon mari le jour de nos noces et d’en être secouée. Mais j’ai presque tendance à penser que ce n’est rien par rapport à ce que tu vis toi… mais je t’admire d’autant plus parce que tu fais de ta faiblesse une force, qui te pousse à aider autrui, à épauler des sportifs et à les empêcher de se blesser. Ce que tu fais, l’aide que tu apportes, ça te rend lumineux et ça, personne ne pourra jamais te l’enlever. » Gabriella sentait ses yeux s’humidifier légèrement et sans doute fut-ce pour cela qu’elle se mit à le serrer brusquement dans ses bras, pour lui faire comprendre qu’il n’était pas tout seul pour affronter l’adversité de sa vie. « Tu sais que tu peux venir me trouver quand tu veux même juste pour pousser une beuglante ? J’ai un grand ranch, personne ne t’entendra… tu ne regrettes pas d’être venu vivre ici j’espère ? » se permit-elle de lui demander car elle serait bien attristée de le savoir désireux de retourner en Espagne, alors qu’il avait un excellent job ici, des amis et puis, la princesse répondrait toujours présente ne serait-ce que pour faire une bonne tortilla de derrière les fagots. « Si tu as de l’huile d’olive, des pommes de terre non farineuses, de l’oignon ainsi que pas mal d’œufs, on va se faire un plat de rois !! » Gabriella retroussa aussitôt ses manches pour mieux prendre deux tabliers : un premier qu’elle tendit à Aaron, et un deuxième qu’elle enfila. Quitte à mettre la main à la pâte, autant que ce soit carrément ! « Je peux regarder dans ton frigo ? »

A nouveau, Gabriella n’hésita pas à écouter les paroles déchirantes d’Aaron, s’imprégnant de sa voix grave et suave non sans sentir ses yeux s’humidifier légèrement. C’était terrible que d’entendre de la bouche de son frère de cœur que celui-ci ne pourra jamais réaliser son rêve de jouer au football à cause d’une maladie osseuse… « Et les médecins pensent qu’il n’y a aucun traitement du tout ? » s’intéressa-t-elle car après tout, s’il y avait un espoir, même infime, cela valait peut-être le coup de tenter le coup… de son côté, la princesse essaierait probablement tout ce qui est en son pouvoir pour essayer d’aller mieux et avoir une meilleure vie, même si cela signifiait ne pas accéder à son rêve au bout du compte. « Bien sûr que tu es fort, tu as toujours été le plus fort à mes yeux tu sais ! Depuis que je te connais j’envie ta force, d’ailleurs… je n’aurai jamais la même de mon côté. Comme quoi, tu vois, être fille de prince et petite-fille de roi, ça ne donne ni force ni volonté ! » Gabriella se mit à fouiller le garde manger d’Aaron après avoir obtenu son aval, dénichant tous les ingrédients nécessaires à une bonne tortilla et, tandis que son ami continuait à s’exprimer, elle prit un économe sur son égouttoir pour commencer à éplucher les pommes de terre. D’ordinaire, elle avait des domestiques pour faire ce genre de choses, mais depuis son arrivée à New York deux mois plus tôt, la jolie espagnole avait appris à cuisiner, faire son ménage, son linge, bref, à ne pas se reposer uniquement sur son ancien valet de chambre Antonio pour lui gérer tout son quotidien. L’expérience la faisait grandir, d’ailleurs, dans une certaine mesure. « Tu sais que tu peux aussi venir me rendre visite à mon ranch dès que tu en as envie et le temps ? Tu seras toujours le bienvenu ! Je pourrais peut-être t’apprendre à faire un peu de cheval ? J’ai des étalons extrêmement doux… même juste une toute petite balade, histoire de te changer les idées ! Et au fait, je ne savais pas que ton frère avait obtenu un contrat au Redbull de Madrid ! Tu ne me l’avais pas dit… c’est récent ? Ceci dit je te rassure, l’Espagne me manque à moi aussi. Mais ça m’est difficile d’y retourner sans être harcelée par les journalistes… c’est la vie ! »

« Il paraît que la médecine avance tous les jours, si ça se trouve, ce n’est plus qu’une question de semaine avant qu’ils ne trouvent une solution pour ton problème ? Il ne faut pas perdre espoir, en tout cas. Moi j’ai foi en ta guérison ! » Si Aaron ne souhaitait pas espérer, alors Gabriella le ferait volontiers pour deux. Bien sûr, ils n’étaient pas liés par le sang mais cela ne l’empêchait pas d’être profondément attachée à l’espagnol, avec qui elle avait toujours partagé bien plus qu’un goût démesuré pour leur pays de naissance. Voilà l’une des multiples raisons pour lesquelles elle ne pourrait qu’être peinée de le voir renoncer ou ne serait-ce qu’avoir un coup de blues. Il savait pourtant par expérience que princesse ou pas, la piquante espagnole trouverait toujours du temps pour son médecin préféré ! « Ce n’est pas grave pour Madrid, ça arrive d’être fatigué champion ! Mais que dirais-tu de venir quelques jours dans mon ranch, justement ? J’ai trois chambres d’amis au bas mot alors on ne se marchera pas dessus, tu pourras ainsi te ressourcer, penser un peu à toi et si tu as besoin d’aller en ville, j’ai une voiture à mettre à ta dispo ET mon ancien valet de chambre s’y rend tous les jours, donc au pire des cas il pourra aussi te conduire. Cela te permettrait de te vider un peu la tête, aussi… de voir autre chose ! » Gabriella lui proposait la chose de bon cœur alors qu’elle coupait les pommes de terre comme si elle avait fait cela toute sa vie. Cela faisait pourtant un siècle qu’elle n’avait plus fait la cuisine elle-même, mais c’est comme le vélo en vérité, ça ne s’oublie jamais… et ça lui faisait un bien fou de faire les choses par ses propres moyens, sans devoir toujours demander à Pierre, Paul ou Jacques. « Trente ans de différence ?! Désolée je suis peut-être un peu vieux jeu là-dessus mais je trouve ça énorme, qu’elle soit superbe ou pas… tu ne trouves pas ? »